RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRÊT DU 11 Mai 2022
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 20/00179 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBG4H
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 juillet 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS RG n° 18/00470
APPELANT
Monsieur [E] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
né le 21 Août 1960 à [Localité 5]
représenté par Me Gloria CASTILLO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0468
INTIMEE
EPIC OPERA NATIONAL DE PARIS
Pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège.
[Adresse 1]
[Localité 3]
N° SIRET : 784 39 6 0 79
représentée par Me Pierre-henri D’ORNANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne MENARD , Présidente de chambre
Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre,
Madame Véronique MARMORAT, Présidente de chambre
Greffier : Mme Juliette JARRY, lors des débats
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Anne MENARD présidente de chambre et par Juliette JARRY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Monsieur [E] [P] a été engagé par l’Epic Opéra National de Paris le 28 janvier 1991 en qualité de brigadier. Il a bénéficié de plusieurs promotions et occupait en dernier lieu les fonctions de chef d’équipe au service son et vidéo, classification technicien niveau IV, moyennant une rémunération mensuelle de 2.794 euros.
Il a suivi une formation d’assistant réalisateur du mois de janvier au mois d’août 2012.
Il a été en arrêt de travail à partir du 5 septembre 2012 pour dépression, le caractère professionnel de cet arrêt maladie ayant été reconnu.
Il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 30 avril 2015 afin de solliciter la résiliation de son contrat de travail.
Après un avis d’inaptitude du 5 juin 2015, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 13 juillet 2015.
Le conseil de prud’hommes l’a débouté de ses demandes par jugement du 3 juillet 2019, dont il a interjeté appel le 1er janvier 2020.
Par conclusions récapitulatives du 9 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [P] demande à la cour d’infirmer le jugement, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, ou subsidiairement que le licenciement pour inaptitude est nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de condamner l’Epic Opéra National de Paris à lui payer les sommes suivantes :
30.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral
9.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant du manquement de l’employeur à l’obligation d’adaptation et maintien de l’employabilité
70.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse
2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Par conclusions récapitulatives du 1er janvier 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, l’Opéra National de Paris demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter monsieur [P] de toutes ses demandes, et de le condamner au paiement d’une somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
– Sur la demande au titre du harcèlement moral
Par application des dispositions de l’article L1154-1 du code du travail, il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral de présenter des faits laissant supposer l’existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l’article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l’intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.
Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
En l’espèce, monsieur [P] expose qu’en septembre 2010, informé de que le sous-chef des communications internes allait quitter son poste, il a postulé pour le remplacer ; qu’il a été reçu dans ce contexte, et que ses responsables lui ont assuré qu’il avait toute leur confiance, mais qu’en définitive, le poste a été attribué à quelqu’un d’autre.
Il explique qu’à la suite de cet échec de sa candidature, sa hiérarchie lui a proposé de suivre une formation longue dans le cadre d’un projet de professionnalisation, ce qui lui permettrait de se préparer à un poste en lien avec la création d’un pôle de production audiovisuelle qui était envisagé ; qu’il a ainsi suivi une formation d’assistant de production dans le cadre d’une période de professionnalisation, entre le 9 janvier 2012 et le 6 juillet 2012 ; que néanmoins à son retour, aucun poste en rapport avec ses nouvelles compétences ne lui a été proposé.
Il ajoute qu’il a été décidé dès le mois de juillet de l’affecter à son retour au service ‘son’ en qualité de technicien de plateau, et qu’étant en congé jusqu’au 20 août 2012, il a pris connaissance de son affectation par réception de son planning ; que ce poste ne prenait pas en compte la formation qu’il venait d’effectuer, entraînait le port de charges qui lui était interdit, et revenait sur le fait qu’en raison de sa situation familiale, il ne travaillait jusqu’alors qu’un samedi sur deux ; que c’est dans ces conditions qu’il a été arrêté dès le 5 septembre 2012, et n’a pas repris son poste par la suite jusqu’à son licenciement pour inaptitude.
Il présente ainsi des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Il convient de reprendre ces différents griefs, au regard des explications données par l’employeur, et des pièces produites de part et d’autre :
– En ce qui concerne le recrutement sur le poste de responsable des communications internes, l’Opéra de Paris expose qu’il a été proposé par affichage le 9 décembre 2010 et que monsieur [P] a officiellement candidaté le 17 décembre 2010 ; que comme les autres candidatures, la sienne a été examinée, qu’il a été reçu par le DRH et le directeur technique adjoint, et qu’il a été informé qu’il y avait plusieurs autres candidats sur le poste ; que finalement le choix s’est porté sur monsieur [T], en recrutement externe, mais qui était bien connu pour avoir travaillé comme prestataire extérieur.
L’Opéra de Paris explique que monsieur [P] a très mal vécu ce choix, considérant que le poste devait lui revenir, mais que la comparaison des deux candidatures explique objectivement le choix qui a été fait.
Il résulte des pièces du dossier que monsieur [T] avait un diplôme d’ingénieur quand monsieur [P] avait un BEP. Par ailleurs, les deux avaient une longue expérience professionnelle, mais monsieur [T] était ingénieur projet depuis plus de dix ans et avait travaillé durant deux ans sur le projet de rénovation du système d’écoute et d’appels scéniques, alors que l’expérience de monsieur [P] étant celle de chef d’équipe son.
Ainsi, il existe des éléments objectifs en faveur du choix de monsieur [T], étant rappelé que les choix de recrutement et d’avancement relèvent du pouvoir de direction de l’employeur. Par ailleurs, les éléments du dossier ne permettent nullement de retenir que le processus de recrutement n’aurait pas été loyal, et notamment que des engagements aient été pris à un moment quelconque qui justifieraient la déception de monsieur [P].
– En ce qui concerne le retour de formation de monsieur [P], et le fait qu’il ne lui a pas été proposé un poste en lien avec cette formation, l’Opéra de Paris expose que l’attention de monsieur [P] avait été immédiatement attirée sur le fait que cette formation ne lui ouvriraient pas nécessairement les portes de la filiale audiovisuelle de l’entreprise, dont la création n’était qu’envisagée et qui n’a pas vu le jour. Il produit en ce sens le témoignage de l’adjointe à la DRH
La cour relève que le salarié ne produit aucune pièce qui permettrait d’étayer le fait que l’employeur aurait pris un quelconque engagement à son égard. Il ne fait pas non plus état d’un poste qui aurait été disponible dans l’entreprise, ou même qu’il aurait sollicité à son retour de formation. Enfin, il ne vise aucune disposition contractuelle ou conventionnelle qui créerait une obligation pour l’employeur.
En l’absence de poste immédiatement disponible pour satisfaire aux aspirations de monsieur [P], aucun comportement déloyal ne peut être reproché à l’employeur, étant précisé que le salarié n’a travaillé que deux semaines entre son retour de formation et son arrêt maladie.
– En ce qui concerne la remise en cause de l’aménagement des plannings et le changement de service, il n’est pas contesté que depuis plusieurs, pour tenir compte de la garde alternée de son fils, monsieur [P] avait bénéficié d’aménagements de ses week end.
L’employeur indique que monsieur [P] avait lui-même exprimé son souhait de ne pas réintégrer le service Intercom à son retour, et verse à ce titre le témoignage de madame [U] dans le cadre de l’enquête CPAM, laquelle précise que c’est pour cette raison qu’il a été décidé de l’affecter au département son, dans le même service.
En ce qui concerne le fait que monsieur [P] avait obtenu jusqu’alors de ne pas être planifié les week end où il avait son fils, il s’agit d’un arrangement, qui n’a jamais été contractualisé. Il est constant qu’il n’en a pas été tenu compte dans les plannings adressés dans le cadre de sa reprise. Pour autant, dans le domaine du spectacle vivant, le fait de travailler le samedi apparaît comme la norme, et dans le cadre d’un changement de service, les facilités précédentes ne pouvaient pas nécessairement être reconduites immédiatement. Par ailleurs, durant l’arrêt maladie de monsieur [P], et plus d’un an avant la demande de résiliation du contrat de travail, l’employeur avait indiqué par courrier qu’à sa reprise, il serait tenu compte de cette difficulté de planning.
Aucun élément n’étaye l’affirmation de monsieur [P] selon laquelle il aurait eu à porter des charges, ce que l’employeur conteste. L’extrait de dossier médical démontre que cette question n’a pas été abordée par monsieur [P] lors de son rendez-vous du 5 septembre 2012.
Compte tenu de ces éléments, pris dans leur ensemble, les faits présentés par monsieur [P] apparaissent comme exempts de harcèlement, l’employeur ayant pris des décisions qui, si elles ont nourri un important ressenti, n’en étaient pas moins fondées sur des éléments objectifs.
– Sur la demande au titre de l’obligation de formation de l’employeur
Il ressort des pièces produites par l’Opéra de Paris que monsieur [P] a bénéficié d’une formation sur la conduite des nacelles en 2010, d’un bilan de parcours et d’un bilan de conséquences, sur plusieurs jours, en 2011, dans la perspective d’une formation longue, puis qu’il a réalisé en 2012 une formation qualifiante de sept mois, de sorte qu’il ne peut être soutenu que l’employeur aurait manqué à son obligation de formation.
– Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante. La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, la cour après les avoir examinés au titre de la demande relative au harcèlement moral et au manquement à l’obligation de formation, a écarté les griefs présentés par monsieur [P], de sorte qu’il ne sera pas fait droit à sa demande de résiliation du contrat de travail.
– Sur le licenciement pour inaptitude
Monsieur [P] soutient que le licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse, dès lors que c’est le comportement fautif de l’employeur qui serait à l’origine de son inaptitude.
La cour n’ayant pas retenu les fautes invoquées à l’encontre de l’employeur et les faits de harcèlement invoqués, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement pour inaptitude avait une cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement.
Y ajoutant,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne monsieur [P] à payer à l’ Epic Opéra National de Paris en cause d’appel la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne monsieur [P] aux dépens de première instance et d’appel.
La Greffière La Présidente