COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation partielle
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 613 F-D
Pourvoi n° U 21-22.802
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 OCTOBRE 2022
La société C8, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-22.802 contre l’arrêt rendu le 10 septembre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [M] [T], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société Télé Paris, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société Ardis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société C8, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [T] et de la société Ardis, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Télé Paris, et l’avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l’audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2021), en 2006, la société Ardis, société de production audiovisuelle détenue par M. [T], animateur, auteur et producteur, a conclu avec la Société d’édition de Canal plus, filiale du groupe Canal + chargée de l’achat des droits de diffusion des programmes proposés sur les chaînes du groupe, un contrat portant sur la production d’une émission hebdomadaire animée par M. [T]. La production exécutive de l’émission était confiée à la société Télé Paris, contrôlée par la société Ardis et M. [T]. Ce contrat a été renouvelé annuellement jusqu’en juin 2016.
2. La société C8, filiale du groupe Canal + éditant le service de télévision D8, devenu C8, a alors proposé à la société Ardis de programmer cette émission sur son antenne. Les sociétés C8 et Ardis ont conclu un contrat de pré-achat des droits de diffusion de l’émission sur la chaîne C8, pour la saison 2016/2017. Le contrat a ensuite été renouvelé pour la saison 2017/2018, puis pour la saison 2018/2019.
3. Dans le courant du mois d’avril 2019, les parties ont entamé des discussions en vue de la prolongation éventuelle de la diffusion de l’émission pour la saison télévisuelle 2019/2020.
4. Par un courriel du 2 mai 2019, le président du directoire du groupe Canal + a indiqué à M. [T] que la chaîne C8 se trouvait dans l’obligation d’équilibrer ses comptes et qu’elle ne pouvait plus lui garantir que son budget fût « sanctuarisé ».
5. Le 18 mai 2019, M. [T] a annoncé dans un communiqué de presse que son émission ne serait plus diffusée sur la chaîne C8 à la rentrée. Dans un courriel du lendemain, adressé à M. [W], actionnaire principal du groupe Canal +, il a regretté que ce dernier lui ait annoncé réduire sa facturation de 50 %, lors d’un échange téléphonique intervenu deux jours plus tôt.
6. Par lettre du 14 juin 2019, la société C8 a écrit à la société Ardis qu’elle prenait acte de sa décision de ne plus produire ses émissions pour la chaîne C8. Le dernier numéro de l’émission a été diffusé le 15 juin 2019.
7. Imputant la rupture de la relation à la société C8, M. [T] et les sociétés Ardis et Télé Paris ont assigné la société C8 et la Société d’édition de Canal plus sur le fondement de l’article L. 442-1, II, du code de commerce aux fins d’indemnisation des conséquences de la rupture brutale de leur relation commerciale établie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. La société C8 fait grief à l’arrêt de la condamner en conséquence de la rupture brutale des relations commerciales à payer à la société Ardis une somme de 3 800 476 euros, à la société Télé Paris une somme de 2 293 657 euros et une somme de 417 587 euros en conséquence des licenciements opérés à la suite de la rupture brutale des relations d’affaires, avec intérêts et capitalisation, alors « qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ; qu’en ne recherchant pas si, à la suite du courriel du 2 mai 2019, adressé à M. [T] par lequel la société C8 l’informait de la nécessité d’une réduction des coûts impliquant une renégociation des relations contractuelles, l’offre verbale qu’elle retenait comme établie (échange téléphonique du 17 mai 2019) d’une réduction de 50 % des budgets antérieurement alloués ne correspondait pas au prix du marché, ce que M. [T] n’ignorait pas ainsi que la société C8 le démontrait dans ses conclusions d’appel et relevé par le tribunal, ce dont il résultait que M. [T] ne pouvait raisonnablement anticiper un renouvellement de la relation contractuelle à durée déterminée sur les bases financières antérieures et que le refus de l’offre verbale, conforme au prix de marché, exprimée dans le communiqué de presse du 18 mai 2019, traduisait alors une rupture des négociations en cours à l’initiative de M. [T] et non de la société C8, et en tout cas exclusive de toute brutalité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-1, II, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
9. L’arrêt retient que le courriel du 2 mai 2019 adressé à M. [T] par le président du directoire du groupe Canal + exprime sans équivoque la volonté de la société C8 de renégocier les conditions des relations à venir, au regard de son impératif de réduction des coûts et qu’il informe les sociétés Ardis et Télé Paris qu’elles ne pourront plus continuer à bénéficier d’un régime de faveur et les amène à réfléchir sur la réduction à venir des budgets de production, laissant clairement augurer que les enveloppes précédemment allouées ne pourront plus être reconduites. Il retient également que ce courriel fait la preuve que les sociétés Ardis et Télé Paris étaient jusqu’alors préservées de toute remise en cause des conditions financières dont elles bénéficiaient et qu’il vient ainsi contredire l’affirmation de la société C8 selon laquelle ces sociétés, conscientes des pertes générées par cette société, devaient nécessairement s’attendre à la diminution de leurs budgets de production. Il relève qu’aucun élément ne vient étayer l’existence d’une divergence entre les parties dans l’appréciation des lignes budgétaires ou éditoriales avant l’échange du 2 mai 2019, cependant que la relation s’est inscrite dans un flux financier croissant, d’une durée de près de trois années, dont aucun élément ne permettait de présumer la remise en cause. L’arrêt relève ensuite que dans son courriel du 19 mai 2019 adressé à M. [W], M. [T] regrette que ce dernier lui ait annoncé réduire sa facturation de 50 %, lors d’un échange téléphonique intervenu le vendredi 17 mai 2019. Il retient que cette remise en cause des budgets de production caractérise une modification substantielle de la relation commerciale équivalant à une rupture brutale, n’étant accompagnée ni d’une tentative de négociation d’une nouvelle offre de contrat, ni d’aucune proposition concrète de la société C8 tendant à aménager la poursuite des relations commerciales en tenant compte de la nécessité d’équilibrer les comptes de la chaîne. Il ajoute que cette rupture n’a pas été formalisée par un écrit avant la lettre du 14 juin 2019, dans laquelle la société C8 a pris acte de la décision de la société Ardis de ne plus produire les émissions proposées. Il retient encore que la déclaration du 18 mai 2019, par laquelle M. [T] a annoncé dans un communiqué de presse son départ de la chaîne C8, ne fait pas la preuve qu’il ait pris l’initiative de la rupture, quand les termes du communiqué démontrent qu’il n’a fait que tirer les conséquences d’une rupture qui était de fait imputable à la société C8. Il en déduit que cette dernière est seule à l’origine de la rupture intervenue lors de l’échange téléphonique du 17 mai 2019.
10. En l’état de ces constatations et appréciations, dont il résulte, d’une part, que loin de contenir une proposition de renégociation des contrats, l’échange téléphonique du 17 mai 2019 imposait une modification substantielle des conditions de la relation commerciale équivalant à une rupture et, d’autre part, que les sociétés de M. [T] bénéficiaient depuis l’origine de la relation de conditions financières particulières qui n’avaient jamais été remises en cause, la cour d’appel, qui n’était donc pas tenue d’effectuer la recherche alléguée prise de la conformité au prix du marché de la modification financière décidée, que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
11. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. La société C8 fait le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ qu’en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si le courriel adressé le 2 mai 2019 par M. [L] à M. [T] valait préavis et après avoir pourtant constaté que « ce message exprime sans équivoque la volonté de renégocier les bases des relations à venir au regard de l’impératif de réduction des coûts souligné par le dirigeant du groupe laissant clairement augurer que les enveloppes précédemment allouées ne pourraient être reconduites », la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 442-1, II, du code de commerce ;
2°/ qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ; qu’en fixant la durée du préavis à douze mois, sans tenir compte de la durée de la relation commerciale, qu’elle arrêtait à trois ans, ni des usages en vigueur dans le secteur de la production audiovisuelle, ainsi que rappelé par la société C8 dans ses conclusions d’appel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 442-1, II, du code de commerce. »