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Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 7
ARRÊT DU 02 MARS 2023
(n° 7, 38 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/00887 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC5OQ auquel est joint le RG 21/00969
Décision déférée à la Cour : Décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (n° 10, procédure 2019-02) rendue le 13 novembre 2020
REQUÉRANTS :
M. [W] [L]
Né le 11 avril 1943 à [Localité 11] – ITALIE
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 2] – ITALIE
Élisant domicile au cabinet LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, de la SELARL LEXAVOUÉ PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Romuald COHANA, du cabinet SHARP, avocat au barreau de PARIS, toque : J089
M. [S] [G] [K] [Y]
Né le 22 juin 1986 à [Localité 13]
Demeurant [Adresse 10]
[Localité 14] – ANGLETERRE
Élisant domicile au cabinet de la SELARL BAECHLIN-MOISAN ASSOCIÉS
[Adresse 4]
[Localité 6]
Comparant
Représenté par Me Benjamin MOISAN, de la SELARL BAECHLIN-MOISAN ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assisté de Me Bruno CAVALIÉ, du Cabinet RACINE, SEL d’avocats interbarreaux, avocat au barreau de PARIS, toque : L0301
REQUÉRANT INCIDENT :
LE PRÉSIDENT DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Élisant domicile au siège de l’AMF
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Mme [J] [V] et M. [F] [A], dûment mandatés
EN PRÉSENCE DE :
L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Prise en la personne de son président
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Mme [J] [V] et M. [F] [A], dûment mandatés
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 06 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente,
‘ Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,
‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.
ARRÊT PUBLIC :
‘ contradictoire,
‘ prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
‘ signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Vu la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 10 du 13 novembre 2020 ;
Vu les déclarations de recours formées contre cette décision par MM. [L] et [Y], déposées au greffe le 18 janvier 2021 et enregistrées sous les numéros RG 21/00887 et 21/00969 ;
Vu les exposés complets des moyens déposés au greffe par les demandeurs au recours le 2 février 2021 ;
Vu la déclaration de recours incident formé contre ladite décision par le président de l’Autorité des marchés financiers, contenant l’exposé des moyens, déposée au greffe le 19 mars 2021 ;
Vu les observations déposées au greffe par l’Autorité des marchés financiers le 28 septembre 2021 ;
Vu les mémoires en réplique déposés au greffe par les demandeurs au recours les 17 et 24 mai 2022 ;
Vu les observations complémentaires déposées au greffe par l’Autorité des marchés financiers le 7 juin 2022 ;
Vu l’avis du ministère public du 29 septembre 2022, communiqué le même jour aux parties ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 6 octobre 2022 les conseils respectifs de MM. [L] et [Y], qui ont été en mesure de répliquer, le représentant de l’Autorité des marchés financiers et de son président, ainsi que le ministère public ;
SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE
§ 1
MOTIVATION
§ 27
I. SUR LA QUALIFICATION D’INFORMATION PRIVILÉGIÉE
§ 28
A. Sur le caractère précis de l’information en cause
§ 30
B. Sur le caractère non public de l’information en cause
§ 93
II. SUR LA DÉTENTION ET L’UTILISATION REPROCHÉE DE L’INFORMATION PRIVILÉGIÉE
§ 111
A. Par M. [Y], le 8 février 2016
§ 111
B. Par M. [L], entre les 4 et 11 mars 2016
§ 173
III. SUR LES SANCTIONS
§ 201
IV. SUR LA DEMANDE D’ANONYMISATION DE LA PUBLICATION DE LA DÉCISION ET DE L’ARRÊT
§ 218
V. SUR LA DEMANDE D’INDEMNISATION
§ 226
VI. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L’ARTICLE 700 DU CPC ET DES DÉPENS
§ 235
PAR CES MOTIFS
§ 236
FAITS ET PROCÉDURE
1.La société des Produits [R] (ci-après « SPML ») a pour activité la production et la commercialisation de vins et spiritueux.
2.Après avoir engagé une réflexion en vue de rationnaliser la commercialisation de ses produits, SPML a, en décembre 2015, dénoncé l’ensemble des contrats de distribution en cours dans différents pays et dont l’échéance était fixée à la fin juin 2016, en vue de confier leur commercialisation à un distributeur unique à l’échelle mondiale.
3.Plusieurs sociétés pressenties comme candidates potentielles à cette activité de distribution exclusive, dont la société Moët Hennessy (distributeur des produits [R] aux États-Unis d’Amérique et en Asie), ainsi que la société [W] Campari Milano (ci-après « Campari »), ont été contactées par la banque Rothschild (ci-après « Rothschild »), mandatée à cette fin par SPML, en vertu d’une lettre de mission du 1er décembre 2013.
4.Cette lettre de mission indiquait que la mise en place d’un partenariat à l’échelle mondiale avec une société de distribution pouvait passer par la création d’une société commune détenue par SPML et le futur partenaire.
5.Les échanges qui s’en sont ensuivis avec Campari, moyennant la signature par celle-ci d’une lettre de confidentialité (le 14 janvier 2015), ont ainsi porté, notamment, sur le projet de création d’une nouvelle société qui serait détenue de façon paritaire par les deux parties, puis ont évolué dès octobre 2015, à l’initiative de Campari, vers un projet de prise de participation dans le capital de SPML ‘ détenu à 47 % par des actionnaires familiaux’ susceptible de donner lieu à une OPA, sans création d’une nouvelle société (composante capitalistique du projet).
6.Ainsi, le 11 mars 2016, Campari a adressé à M. [E] [O] (président du directoire de SPML), à Mme [D] [R], veuve [X] (présidente du conseil de surveillance), ainsi qu’à l’ensemble des actionnaires familiaux, une lettre d’offre présentant les principaux termes et conditions de ce rapprochement capitalistique.
7.Le même jour, la cotation de SPML, sur le compartiment B du marché réglementé Euronext Paris, a été suspendue. Elle n’a été reprise que quelques jours plus tard, le 17 mars.
8.Entre temps, le 14 mars 2016, dans le cadre des dispositions de la lettre d’offre précitée, Campari a conclu plusieurs contrats de cession d’actions (en pleine propriété, en nue-propriété ou en usufruit) avec quatre des actionnaires familiaux de SPML, à savoir Mme [D] [R], son fils M. [A] [X] (directeur du développement et de la stratégie), M. [M] [R], directeur général), ainsi que Mme [C] [R] (épouse de M. [U], directeur financier et directeur général adjoint).
9.Parallèlement, entre le 11 et le 14 mars 2016, dans le cadre des mêmes dispositions, Campari a conclu avec d’autres actionnaires familiaux, tels que Mme [N] [R] et son époux M. [E] [O], des promesses croisées d’achat et de vente de leurs actions (détenues en pleine propriété ou en nue-propriété), les options pouvant être exercées à compter dudit 14 mars de la même année et au plus tard, pour la dernière des promesses, le 28 février 2023.
10.La conclusion de ces contrats de cession et de ces promesses a entraîné, en raison de l’assimilation des secondes aux premières (en vertu de l’article L. 233-9-I, 4°, du code de commerce), le franchissement par Campari du seuil de 30 % du capital et des droits de vote de SPML.
11.Ce franchissement de seuil a obligé Campari, en vertu des articles 234-1 et 234-2 du règlement général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « RGAMF »), à en informer immédiatement l’Autorité des marchés financiers (ci-après « l’AMF ») et à déposer un projet d’offre publique d’acquisition (ci-après « OPA ») portant sur les actions restantes.
12.Le 15 mars 2016, Campari et SPML ont, chacune, publié un communiqué de presse annonçant le rapprochement capitalistique et le projet d’OPA « amicale », au prix de 8 050 euros par action, ainsi que la conclusion d’un contrat de distribution exclusive des produits Grand [R] par Campari.
13.Le 17 mars 2016, à la reprise de la cotation du titre, le cours de SPML a progressé de 66,41 %.
14.Le 27 juillet 2016, le secrétaire général de l’AMF a décidé d’ouvrir une enquête sur le marché du titre Grand [R] à compter du 1er janvier 2014.
15.Le 2 juillet 2018, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé à cinq personnes des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs, et de la faculté de présenter des observations en réponse, ce que la plupart ont effectué. Les destinataires de ces lettres circonstanciées sont, notamment, M. [U], précité, M. [Y] (analyste financier), M. [B] (membre du conseil d’administration de Campari) et M. [L] (ami de ce dernier).
16.La direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a établi son rapport le 8 novembre 2018.
17.Au vu de ce rapport d’enquête, une commission spécialisée du collège de l’AMF a décidé, le 22 novembre 2018, de notifier des griefs aux personnes concernées par lesdites lettres circonstanciées. Ces griefs, notifiés par lettres du 29 janvier 2019, leur font reproche :
‘ à M. [U] et à M. [B] d’avoir transmis, le premier à M. [Y] le 27 janvier 2016, le second à M. [L] au début de cette même année, l’information relative au projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente, en méconnaissance des dispositions des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF ;
‘ à MM. [Y] et [L] d’avoir utilisé cette information en réalisant des investissements sur le titre Grand [R], respectivement le 8 février 2016 et entre les 4 et 11 mars de la même année, en méconnaissance des dispositions précitées.
18.Ceux-ci ont présenté des observations en réponse. Ils en ont fait de même en réponse au rapport du rapporteur, lequel a été déposé le 19 mars 2020.
19.Par une décision n° 10 du 13 novembre 2020 (ci-après « la décision attaquée »), la commission des sanctions de l’AMF (ci-après « la Commission des sanctions »), a retenu que les manquements reprochés étaient établis et a prononcé à l’encontre des principaux mis en cause des sanctions pécuniaires d’un montant de 100 000 euros (à l’encontre de M. [L]) et de 50 000 euros (à l’encontre de MMM. [Y], [U] et [B]). Elle a, en outre, ordonné la publication de cette décision sur le site Internet de l’AMF et fixé à cinq ans, à compter de la date de celle-ci, son maintien en ligne de manière non anonyme.
20.MM. [L] et [Y] ont formé, chacun, un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation contre cette décision.
21.Aux termes de son exposé des moyens, M. [L] demande à la Cour :
‘ à titre principal, de juger que l’information définie dans la notification des griefs n’était pas précise et que la cession de la participation de la famille [R] dans SPML était fortement pressentie lorsqu’il a investi sur le titre Grand [R], de sorte que cette information n’était pas privilégiée au sens de l’article 621-1 du RGAMF ;
‘ à titre subsidiaire, de juger que la preuve de la détention d’une information privilégiée n’est pas rapportée ;
‘ à titre très subsidiaire, de retenir qu’il n’est pas démontré qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il s’agissait d’une information privilégiée ;
‘ en conséquence, de prononcer sa mise hors de cause ;
‘ à titre infiniment subsidiaire, de préserver son anonymat lors de la publication de la décision.
22.Aux termes de son exposé des moyens, M. [Y] demande à la Cour :
‘ à titre principal, de juger qu’il n’a pas commis de manquement d’initié et, partant, qu’il n’y a pas lieu à sanction, de condamner l’AMF à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, ainsi que 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
‘ à titre subsidiaire, de réformer la décision attaquée en ce qu’elle l’a condamné à une sanction de 50 000 euros et a ordonné la publication de la décision sans anonymisation ;
‘ en conséquence, d’ordonner l’anonymisation de la décision attaquée et de l’arrêt à intervenir et de le dispenser de sanction pécuniaire.
23.Le président de l’AMF a formé un recours incident.
24.Aux termes de son exposé des moyens, il demande à la Cour de porter le montant des sanctions prononcées contre MM. [L] et [Y], respectivement à 120 000 euros (au lieu de 100 000) et 80 000 euros (au lieu de 50 000).
25.Dans ses observations, l’AMF invite la Cour à déclarer irrecevable, comme étant nouveau, le moyen développé par M. [L] dans son mémoire en réplique, tendant à contester le quantum de la sanction prononcée à son encontre, et à rejeter son recours ainsi que celui de M. [Y].
26.Le ministère public invite la Cour à mettre hors de cause M. [Y] et à rejeter le recours de M. [L] et s’en rapporte sur la demande du président de l’AMF de porter le montant de la sanction prononcée à son encontre à 120 000 euros.
MOTIVATION
27.Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il convient de joindre les instances enrôlées sous les RG n ° 21/00887 et RG n° 21/00969, étant précisé que ces instances se poursuivront sous le numéro le plus ancien.
I. SUR LA QUALIFICATION D’INFORMATION PRIVILÉGIÉE
28.Au paragraphe 58 de la décision attaquée, la Commission des sanctions a retenu que l’information en cause ‘ relative au projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R] susceptible d’engendrer une OPA subséquente ‘ avait présenté les caractéristiques d’une information privilégiée à compter du 26 janvier 2016. Pour retenir cette qualification d’information privilégiée au sens de l’article 621-1 du RGAMF, elle s’est fondée sur le caractère précis et non public de l’information en cause dès le 26 janvier 2016, ainsi que sur son influence sensible sur le cours du titre SPML (paragraphes 5 à 57 de la décision attaquée).
29.Les requérants contestent cette qualification en remettant en cause le caractère précis de ladite information, ainsi que son caractère non public à la date du 26 janvier 2016.
A. Sur le caractère précis de l’information en cause
30.Aux paragraphes 17 à 45 de la décision attaquée, la Commission des sanctions, après avoir rappelé la chronologie des événements, a relevé que des discussions relatives au prix de la cession d’actions SPML, susceptible d’engendrer une OPA, étaient déjà en cours, avant le 26 janvier 2016, entre Campari et les membres de la famille [R] et qu’à cette date, ces derniers avaient été informés que Campari entendait prendre le contrôle de SPML ; qu’en outre, des discussions avaient déjà eu lieu entre Campari et les membres du directoire de SPML et qu’au surplus, tous les actionnaires familiaux de SPML s’étaient accordés sur la structure générale de l’opération, afin de permettre à certains de céder immédiatement leur participation et à d’autres de conclure des promesses de vente à terme, tout en permettant la mise en ‘uvre d’une OPA.
31.La Commission des sanctions en a déduit que, bien que ni le prix, ni le nombre d’actions à acquérir immédiatement auprès de certains actionnaires familiaux, ni les termes du contrat de distribution n’aient été définitivement déterminés le 26 janvier 2016, ladite cession (susceptible d’engendrer une OPA subséquente) ‘ faisant l’objet de l’information en cause ‘ constituait néanmoins, dès cette date, un événement susceptible de se produire, au sens de l’article 621-1 du RGAMF. Elle a relevé qu’en dépit des hésitations de certains actionnaires familiaux sur les modalités de l’opération, le principe de celle-ci n’a pas été remis en cause (paragraphe 40 de la décision attaquée). À cet égard, elle a indiqué qu’il importe peu que des discussions aient été en cours avec plusieurs candidats à la cession.
32.La Commission des sanctions a, en outre, relevé qu’il était possible de tirer de l’information en cause une conclusion, en l’occurrence positive, sur le cours du titre SPML, dès lors qu’une telle opération ne pouvait se faire qu’à un prix supérieur au cours de bourse pour avoir des chances d’être acceptée par la famille [R] et que le prix de l’OPA devait s’aligner sur ce prix afin de respecter l’égalité entre les actionnaires (paragraphe 44).
33.M. [L] conteste le caractère précis de l’information en cause, qui se décomposerait en deux informations sur deux opérations différentes (la cession et l’OPA), faute de mention de Campari, en tant que partie prenante (acquéreur des actions et initiateur de l’OPA envisagée). Il fait valoir que, pour que l’information relative à un projet de cession réponde à la condition de précision requise pour la qualification d’une information privilégiée, les parties doivent a minima être identifiées.
34.M. [Y] conteste le caractère précis de l’information en cause à la date du 26 janvier 2016, faute d’accord ‘ à cette date ‘ de la famille [R] tant sur le principe d’une cession de contrôle que sur des conditions admissibles par Campari, seul un tel accord étant de nature à permettre la mise en ‘uvre d’une OPA. À cet égard, il soutient que, vu son libellé, le courriel adressé ce jour-là, à 21h33, par Mme [C] [R], au président de Campari ‘ dont la Commission des sanctions aurait dénaturé le sens et la portée ‘ loin de relater l’existence d’un accord familial en vue d’une cession de contrôle, exprimait une simple opinion personnelle et émettait un doute non seulement sur la réalité d’un prétendu accord familial sur la structure générale de l’opération, dont le détail n’a jamais été révélé, mais aussi sur l’attractivité d’une proposition de cette nature pour Campari. Il relève qu’au surplus, ce courriel indique que la faisabilité juridique et boursière de ladite proposition restait à vérifier, ce qui exclurait la possibilité d’en déduire l’existence, à cette date, d’un accord permettant la mise en ‘uvre d’une OPA.
35.Il estime qu’il en va d’autant plus ainsi que le conseil d’administration de Campari, réuni quelques heures auparavant, avait constaté l’absence de véritable volonté de SPML de mettre en place, de façon équilibrée, le projet débattu, ainsi que l’impossibilité de lancer des négociations sérieuses sur la base des ébauches proposées jugées trop déséquilibrées. Ainsi, selon le requérant, à cette date, les véritables négociations n’avaient pas encore débuté.
36.Il en conclut que le courriel précité, loin de relater un accord intervenu le 26 janvier 2016 permettant d’envisager une OPA, ne faisait que témoigner du fait que les actionnaires familiaux n’avaient pas exclu de s’entendre sur une structure dont il n’était pas exclu qu’elle puisse être licite, et dont il n’était pas exclu non plus qu’elle satisfasse Campari, si du moins cette dernière voulait bien dorénavant ne pas tenir compte de son intérêt à court ou moyen terme mais seulement à long terme.
37.Dans le même sens, il fait valoir que l’information qui lui aurait été transmise par M. [U] le lendemain (27 janvier 2016), loin d’être objective, serait emprunte d’une forte subjectivité, en ce qu’elle porterait sur un simple « ressenti » de son épouse (Mme [C] [R], auteur dudit courriel), sur lequel M. [U] serait lui-même resté dubitatif, ce qui ferait obstacle, en raison de son manque de précision, à sa qualification d’information privilégiée comme à sa transmission.
38.Il soutient, en outre, qu’aucun des événements antérieurs sur lesquels s’est appuyée la Commission des sanctions, en tant qu’éléments de contexte, pour conforter l’idée d’une information privilégiée existant le 26 janvier 2016 au soir (décision attaquée, paragraphes 16 à 29), ne saurait remettre en cause la force de l’analyse exégétique du courriel précité. Il relève, au surplus, que la Commission des sanctions n’a pas pris en compte le fait qu’à la date à laquelle il a procédé à l’acquisition litigieuse des titres SPML, il ignorait tout de ces éléments de contexte (à l’exception du mandat donné par SPML à Rothschild, le 1er décembre 2013, de trouver un distributeur unique pour les produits Grand [R]).
39.Il fait valoir que la Commission des sanctions a également omis de prendre en compte les fortes tensions familiales et le profond désaccord stratégique entre les différents actionnaires familiaux de SPML, pour apprécier l’importance des doutes exprimés dans le courriel précité, ainsi que leur persistance au-delà du 26 janvier 2016, qui rendait incertaine la faisabilité d’une OPA amicale jusque dans les semaines qui l’ont précédé.
40.En outre, il estime que ledit courriel doit être interprété à la lumière des ambitions de son auteure à cette date, Mme [C] [R] ayant très tôt fait part de son souhait de céder sa participation dans le capital de SPML et ayant entretenu les relations avec Campari afin de maintenir l’intérêt de cette entreprise pour l’opération, en vue de valoriser sa propre participation, laquelle aurait plus de valeur dans le cadre d’une cession de contrôle au profit d’une entreprise susceptible de dégager des synergies avec SPML que sur le marché de gré à gré, à un cours que cet actionnaire familial savait sous-valorisé. Il en déduit que le compte-rendu de la réunion familiale du 26 janvier 2016, dans ledit courriel, ne pouvait qu’être optimiste, afin de rassurer Campari, qui aurait fait part de sa lassitude et de la nécessité de conclure rapidement.
41.Au surplus, il soutient qu’à la date du 26 janvier 2016, aucune discussion n’avait encore eu lieu entre les actionnaires de SPML et Campari, des discussions n’ayant eu lieu qu’entre le président de Campari, Mme [C] [R] et M. [A] [X], et que ces deux derniers ne disposaient d’aucun mandat ou pouvoir de négocier au nom et pour le compte d’autres actionnaires familiaux.
42.Enfin, il soutient que l’existence d’un accord familial, le 26 janvier 2016, est incompatible avec plusieurs éléments du dossier : existence d’autres candidates en lice postérieurement à cette date (Moët Hennesy) ; offre de Campari adressée à SPML seulement le 1er février 2016 et rejet de cette offre, le lendemain, par son directoire ; échanges entre Campari, Mme [C] [R] et M. [A] [X], dont il résulterait qu’un accord n’était pas acquis au début du mois de février 2016 et que ce dernier n’était même pas certain de vouloir céder ses actions.
43.L’AMF rappelle le détail de la chronologie des événements concernant le projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente :
‘ Campari avait manifesté son intérêt pour prendre une participation dans SPML dès le 28 septembre 2015 ;
‘ des échanges avaient au lieu, dès le mois de novembre 2015, entre certains membres de la famille [R] (notamment Mme [C] [R] et M. [A] [X]) sur la prise de participation de Campari ;
‘ Campari avait mandaté une banque pour l’assister dans son projet ;
‘ les différents membres de la famille [R] avaient entamé des discussions entre eux afin de parvenir à une structure générale qui conviendrait à tous, évoquant notamment, dès le 6 janvier 2016, la possibilité d’une OPA sur les titres SPML ;
‘ si MM. [E] [O] et [M] [R] n’ont jamais été favorables à une cession immédiate de leur participation dans SPML, ils n’ont pour autant jamais indiqué expressément qu’ils étaient opposés à une cession de la société ;
‘ Campari avait, dès le 26 janvier 2016, indiqué que seule une prise de contrôle de SPML l’intéressait, de sorte que le nombre minimum d’actions à céder, immédiatement ou à terme, était connu de la famille [R] ;
‘ le 26 janvier 2016, plusieurs personnes de la famille (notamment, Mme [C] [R], M. [M] [R] et M. [E] [O]) se sont réunies et sont parvenues à dégager une structure générale, qui a abouti à confier à Rothschild un mandat portant sur le projet de cession de SPML dans le cadre d’une cession de participation de certains actionnaires familiaux et de la mise en ‘uvre d’une OPA, laquelle structure générale a été rappelée lors de la réunion du directoire de SPML quelques jours plus tard ;
‘ des discussions relatives au prix de cession étaient déjà en cours au 26 janvier 2016 ;
‘ plusieurs des membres du directoire de SPML avaient, à cette date, des contacts soutenus avec Rothschild ;
‘ cette banque avait recontacté Moët Hennesy dès le 27 janvier 2016 afin de leur faire part de la volonté de cession de la famille [R] et d’entamer de nouvelles discussions.
44.L’AMF estime qu’il résulte de ces éléments que, bien que ni le prix ni le nombre d’actions à acquérir immédiatement des actionnaires familiaux n’aient été déterminés au 26 janvier 2016, ceux-ci s’étaient, en réponse aux sollicitations de Campari, notamment accordés sur une structure générale permettant à certains de céder immédiatement leur participation et à d’autres de conclure des promesses de vente à terme sans apporter leurs titres à l’OPA projetée. Elle observe qu’il importe peu, au regard de la jurisprudence, que des discussions aient été en cours avec plusieurs candidats à l’acquisition, qui n’étaient pas identifiés dans le libellé de l’information privilégiée retenue dans la notification du grief. Elle en conclut que ladite information constituait bien un événement susceptible de se produire au 26 janvier 2016, sans que cette information n’ait été remise en cause jusqu’à la réalisation de l’opération, malgré les hésitations de certains actionnaires familiaux. Rappelant qu’il était, en outre, possible de tirer de cette information un effet possible sur le cours du titre SPML, ce qui n’était pas contesté par MM. [L] et [Y], elle considère que ladite information revêtait un caractère précis dès le 26 janvier 2016.
45.Le ministère public développe un argumentaire comparable.
Sur ce, la Cour :
46.L’article 621-1 du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, disposait :
« Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés (‘) . » (Souligné par la Cour)
47.Ces dispositions, qui assuraient la transposition de l’article 1er, point 1, alinéa 1er, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de cours (abus de marché), tel que précisé par l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/124/CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE, ont été abrogées à la suite de l’entrée en vigueur du règlement (UE) n° 596/214 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (ci-après « règlement MAR »), dont les dispositions en la matière ne s’appliquent pas rétroactivement en l’espèce, en l’absence de dispositions moins sévères que celles précitées du RGAMF.
48.Dans deux arrêts du 28 juin 2012, Gelt (C-19/11, point 25) et du 11 mars 2015, Lafonta (C-628/13, point 24), la Cour de justice a rappelé que la définition de la notion d’information privilégiée résultant de l’article 1er, point 1, alinéa 1er, de la directive 2003/6, précitée, comprend quatre éléments essentiels, qui s’appliquent de manière cumulative :
‘ premièrement, il s’agit d’une information à caractère précis ;
‘ deuxièmement, cette information n’a pas été rendue publique ;
‘ troisièmement, elle concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs instruments financiers ou leurs émetteurs ;
‘ quatrièmement, elle serait susceptible, si elle était rendue publique, d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.
49.En l’espèce, il est constant que l’information en cause répond au troisième élément dès lors qu’elle concerne un émetteur d’instruments financiers, à savoir SPML. En outre, il n’est pas contesté que le quatrième élément est caractérisé. En revanche, le premier comme le deuxième élément sont discutés.
50.Il convient donc d’examiner si le premier élément est établi et, le cas échéant, s’il en va de même pour le deuxième.
51.S’agissant du premier élément, il est contesté que l’information en cause porte sur un ensemble de circonstances ou sur un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire.
52.Cette condition étant issue des directives précitées, il convient de rappeler l’interprétation qu’en a donnée la Cour de justice de l’Union.
53.Ainsi, dans l’arrêt Gelt, précité (points 44 à 49), celle-ci a jugé que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/124, précitée, faisant référence à un ensemble de circonstances ou à un événement « dont on peut raisonnablement penser » qu’il existera ou se produira, ne saurait être interprété comme exigeant la démonstration d’une probabilité élevée des circonstances ou éléments mentionnés. En effet, restreindre le champ d’application dudit article à un tel degré de probabilité serait de nature à porter atteinte aux objectifs poursuivis par ladite directive, consistant à assurer l’intégrité des marchés financiers de l’Union et à renforcer la confiance des investisseurs en ce marché. La Cour de justice a précisé que cette expression vise uniquement des circonstances ou des événements dont il apparaît, sur le fondement d’une appréciation globale des éléments déjà disponibles, qu’il y a une réelle perspective qu’ils existeront ou se produiront, ce qui exclut ceux dont la survenance n’est pas vraisemblable ou qui sont dépourvus de tout caractère concret.
54.Dans le même sens, il convient de rappeler qu’une information portant sur un projet suffisamment défini entre les parties ‘ pour avoir des chances raisonnables d’aboutir ‘ répond à cette condition, peu important l’existence d’aléas quant à sa réalisation effective (Com. 3 mai 2016, pourvoi n° 15-10.044, 1er mars 2017, pourvois n° 14-26.225, 14-26.892, 15-12.362, et 10 juillet 2018, pourvoi n° 15-15.557).
55.En l’espèce, la Cour indique, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutient M. [L], il est indifférent que l’information privilégiée en cause, telle que retenue par le grief qui lui a été notifié, ne porte pas sur l’identité de l’éventuel acquéreur des actions et initiateur de l’OPA envisagée mais uniquement sur cette opération d’acquisition, susceptible d’engendrer une OPA subséquente, dès lors que la lettre de notification du grief fait état de discussions et échanges avec plusieurs candidats à l’acquisition, et les a identifiés. Dans ce contexte, cette absence de précision n’est pas de nature à écarter l’existence d’un projet suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir. Au surplus, si Campari n’est pas mentionnée dans le grief, elle l’est à maintes reprises dans la lettre de notification du grief.
56.Quant à la critique développée par M. [Y], il convient d’examiner si, à la date du 26 janvier 2016, le projet ‘ sur lequel porte l’information en cause ‘ de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R] susceptible d’engendrer une OPA subséquente, avait des chances raisonnables d’aboutir.
57.À cet égard, la Cour constate qu’il ressort du dossier la chronologie des événements suivants.
58.Le 20 octobre 2015, lors d’une réunion organisée dans les bureaux parisiens de Rothschild, des échanges ont eu lieu, entre Campari et SPML, sur une proposition émise par Campari, le 28 septembre 2015, portant sur une prise de participation minoritaire dans le capital de SPML (de 25 % au moins), à un prix de 7 000 euros par action, dans le cadre d’une éventuelle OPA amicale, assortie de la signature d’un pacte d’actionnaires et d’un contrat de distribution exclusive et mondiale. Ces échanges, sur les modalités juridiques, fiscales et boursières de l’opération proposée, ont convaincu Campari qu’une opération impliquant une OPA sur SPML était concrètement envisageable, ce qui l’a conduite à désigner Bank of America Merrill Lynch comme principal conseiller financier pour l’opération.
59.À la suite du décès, le même jour, de [T] [R] (président du directoire de SPML), appris au cours de ladite réunion, ce qui a conduit à ajourner les discussions en cours, celles-ci ont repris, dès le début du mois suivant. Ainsi, une réunion a eu lieu, le 9 novembre 2015, entre le président de Campari, Mme [C] [R] (membre du directoire de SPML), son époux, M. [P] [U] (directeur financier et directeur général adjoint de SPML) et M. [A] [X] (directeur du développement et de la stratégie de SPML et membre de son directoire), à l’issue de laquelle, le jour même, a été programmée une autre réunion, la semaine suivante, avec M. [E] [O] (président du directoire de SPML). Entre temps, le 11 novembre 2015, le conseil d’administration de Campari a fait un point d’étape sur l’état des négociations en cours, a approuvé l’opération envisagée et a décidé de poursuivre les discussions sur cette base.
60.Parallèlement, le 13 novembre 2015, Rothshild a informé la famille [R] que Moët Hennessy, qui avait initialement proposé la création d’une société commune (sous forme de « joint venture »), réfléchissait désormais, elle aussi, à une prise de participation dans le capital de SPML ou à une OPA, dans la perspective de la conclusion d’un contrat de distribution mondiale exclusif des produits Grand [R].
61.Le 6 janvier 2016, Mme [C] [R] a adressé à M. [M] [R] (directeur général de SPML), M. [A] [X] (directeur du développement et de la stratégie de SPML et membre de son directoire) et à leurs divers conseils (conseil financier à la banque Rothshild, avocat et expert-comptable) un courriel, communiqué à M. [P] [U] (directeur financier et directeur général adjoint de SPML), intitulé « Répartition capital SPML », faisant état de deux options qui lui paraissaient possibles, à savoir :
‘ d’une part, une action de concert en cas d’OPA par Campari à un prix de 7 000 euros par action, cette première option étant décrite comme présentant le risque que Campari « mène la vie dure à la famille » au cas où, à l’issue de l’OPA, la famille détiendrait environ 36 % du capital et Campari 43 %, dans la mesure où cette société serait obligée d’accepter des conditions contraignantes en raison du pacte d’actionnaires envisagé et ;
‘ d’autre part, l’achat par un groupe (non désigné) de 51 % du capital, au moyen d’une OPA, à un prix de 10 000 euros par action, cette seconde option étant présentée comme une solution destinée à satisfaire l’ensemble de la famille : conclusion d’un pacte Dutreil, afin d’alléger le coût fiscal de transmission de SPML à la suite du décès de [T] [R] (il serait suffisant de conserver 29 % du capital pour pouvoir conclure ledit pacte) ; maintien de la famille à des postes de direction (M. [M] [R], en tant que directeur général voire comme président pour succéder à M. [O] ; Mme [D] [R], en tant que présidente du conseil de surveillance) ; préservation de la possibilité de séjourner dans la villa des cèdres, située à [Localité 12], détenue par SPML.
62.Le 15 janvier 2016, le président de Campari a adressé à Mme [C] [R], à M. [A] [X] et à M. [P] [U] un courriel les invitant à se rencontrer prochainement, estimant « être tous d’accord que le moment [était] venu de tirer des conclusions dans un sens ou dans un autre ». À cet effet, une réunion a été immédiatement fixée à brève échéance, soit le 19 janvier au soir.
63.Parallèlement, toujours le 15 janvier 2016, le président de Campari a eu un échange téléphonique avec Mme [C] [R], dont il a fait état dans un courriel interne adressé le jour même à ses collaborateurs, apportant des précisions sur le positionnement de différents membres de la famille : son interlocutrice lui a fait part de sa volonté de vendre sa participation à Campari ; M. [O] voudrait conserver le statu quo en cherchant à faire « traîner » les négociations jusqu’à ce que SPML soit contrainte de renouveler le contrat avec Moët Hennessy; M. [A] [X] serait ambivalent ; la mère de ce dernier serait uniquement attachée à la conservation de la jouissance de la villa des cèdres. Le président de Campari en a déduit que la stratégie adoptée était « parfaite », mais qu’il était nécessaire de revoir le prix proposé.
64.Dans un courriel du 18 janvier 2016, en réponse à celui envoyé par M. [P] [U], qui ne pouvait assister à la réunion prévue le 19 janvier au soir et exprimait le souhait que les discussions progressent à cette occasion, le président de Campari a confirmé que le moment était venu pour la famille de choisir, afin de se départir de la stratégie de statu quo développée par M. [O], et a annoncé que, pour faire avancer les négociations, Campari allait proposer une solution qui, si elle était acceptée, pourrait donner lieu à signature rapidement.
65.À l’issue de cette réunion, le 20 janvier 2016, à minuit passé, le président de Campari a envoyé un courriel interne, résumant les propos qui s’y étaient tenus, à savoir :
‘ que Campari voulait désormais obtenir le contrôle de SPML car le « co-contrôle » ne fonctionne pas ;
‘ que le prix proposé (7 000 euros par action) a été considéré par les membres de la famille [R] comme « totalement inadapté », ce qui a conduit ces derniers à soumettre une contre-proposition de 10 000 euros par action ;
‘ qu’il a expliqué qu’il était impossible pour Campari de prendre le risque de valoriser la villa des Cèdres à 250 millions d’euros, mais qu’il était en revanche possible de donner plus que 7 000 euros à tous ceux qui apporteraient leurs actions à l’OPA, en leur consentant un « warrant » qui ouvrirait droit à un paiement additionnel au cas où ladite villa serait vendue dans les cinq ans à un prix supérieur à un montant minimum à déterminer ;
‘ que cette idée « a beaucoup plu », mais a suscité des réserves de la part de M. [A] [X], au motif que lui et sa mère auraient de sérieux problèmes fiscaux s’ils vendaient tout de suite et qu’ils avaient besoin de temps;
‘ qu’en réponse à cette réserve, il a indiqué que ces derniers pouvaient ne pas vendre, à condition de s’engager à céder le « management » de leurs droits de vote ;
‘ que ses interlocuteurs ont promis qu’ils se décideraient d’ici une semaine et qu’ils lui donneraient leur réponse.
66.Le 25 janvier 2016, en réponse à un courriel du président de Campari lui demandant si une date avait été fixée pour la réunion de famille envisagée, Mme [C] [R] lui a immédiatement répondu que cette réunion était programmée le lendemain après-midi, qu’elle lui ferait part du résultat des discussions et qu’elle avait fait des démarches en vue de cette réunion, suggérant que son frère, M. [M] [R], ainsi que M. [E] [O] y participeraient (« J’ai travaillé sur mon frère [M. [M] [R]] à travers ma mère [Mme [I] [R], veuve de [T] [R]] On verra. Mais lui et [E] ont eu le temps de réfléchir ce week- end. Dans le bon sens j’espère ! »).
67.Le lendemain matin, le 26 janvier 2016, lors d’une réunion du conseil d’administration de Campari, son président et un administrateur délégué, ont fait état des développements intervenus dans les négociations selon les termes suivants :
« Après avoir analysé les projets de contrats de distribution et d’accords actionnarial prévus par la contrepartie pour mettre en application la structure contractuelle déjà discutée depuis plusieurs mois, reposant sur un co-contrôle de la Société et sur un contrat de distribution fort, on a malheureusement dû constater l’absence d’une véritable volonté de mettre en place de façon équilibrée le projet débattu. Les ébauches proposées sont tellement déséquilibrées en faveur de la contrepartie que nous estimons qu’il est impossible de lancer des négociations sérieuses sur de telles bases.
Parallèlement, il est également apparu que certains actionnaires minoritaires étaient disposés à vendre leurs actions ; le paquet global d’actions qui pourrait changer de main est donc très proche d’une majorité d’actions, mais pas de droits de vote.
Sur ce point, nous avons informé les vendeurs que seule nous intéressait une transaction dans laquelle notre société obtiendrait la majorité des droits de vote et pourrait par conséquent assumer la gestion de la cible.
La contrepartie analyse actuellement notre offre et devrait nous répondre d’ici peu. On nous a déjà fait savoir que dans un contexte d’acquisition de contrôle, il faudrait revoir le prix, qui reflète la valeur de la marque, mais pas celle des immeubles, non fonctionnels stricto sensu [tels que la villa des cèdres]. Dans la mesure où la valeur de ces immeubles est plus qu’incertaine, cette question pourrait être réglée en accordant aux vendeurs un « earn-out » si la vente des biens immobiliers, y compris post-OPA, atteint une valeur supérieure aux prévisions.
Quoi qu’il en soit, on ne pourra évaluer ponctuellement la pertinence de cette opération qu’après avoir obtenu la réponse de la contrepartie à notre proposition. C’est pourquoi, il convient de reporter toute décision sur ce sujet à une prochaine réunion du Conseil, à convoquer spécialement en cas d’urgence ».
68.Le conseil d’administration de Campari a pris acte de ces déclarations et les a approuvées.
69.Le même jour, dans l’après-midi, s’est tenue la réunion familiale annoncée la veille par Mme [C] [R] au président de Campari. À la suite de cette réunion, celle-ci lui a adressé (à 21h33) un courriel lui faisant part, comme prévu, du sens des discussions ayant eu lieu, selon les termes suivants :
« Je pense que, enfin, nous avons réussi à avoir tous les membres de la famille en accord sur une structure générale. Et qui devrait être acceptable par vous. Enfin je l’espère. Il faudra que vous pensiez au long terme !
Il reste cependant des détails boursiers et légaux à vérifier sur la faisabilité de certains points.
[H] [conseiller financier de SPML chez Rothschild] va vous contacter très rapidement ».
70.M. [U] a été mis en copie de ce message.
71.Le président de Campari a répondu quelques minutes plus tard à ce courriel, dont M. [U] était mis en copie, exprimant sa curiosité, ainsi que son espoir et sa confiance dans le projet de structure générale annoncé, et proposant un prochain échange une fois que Rothschild l’aura contacté.
72.Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à la date du 26 janvier 2016, les négociations sur le projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente (tel que défini dans les notifications du grief), avait des chances raisonnables d’aboutir compte tenu de l’état d’avancement et du niveau des négociations engagées avec Campari, qui se sont orientées au niveau de son président dès début novembre 2015, ont bénéficié du soutien constant de son conseil d’administration, et qui se sont intensifiées au début de l’année 2016 (le 15 janvier 2016), dans le contexte de l’avancement de l’échéance des contrats de distribution en cours (fixée à la fin du mois de juin de la même année), ce qui témoigne de la volonté commune de parvenir à un accord.
73.La circonstance que ni Mme [C] [R] (qui a activement participé à ces négociations et à la concertation familiale qui y est associée), ni M. [A] [X] (qui y a également participé en faisant valoir notamment la position de sa mère), n’aient reçu de mandat formel pour négocier au nom et pour le compte d’un ou de plusieurs actionnaires familiaux, et qu’il existait des différences d’approche au sein de la famille sur certains aspects du projet, n’était pas de nature à rendre sa réalisation non vraisemblable à la date du 26 janvier 2016.
74.En effet, s’il est constant qu’à cette date, M. [M] [R] et M. [O] ne souhaitaient pas céder immédiatement leur participation dans le capital de SPML, il ne ressort pas du dossier que ceux-ci étaient pour autant opposés à l’idée d’un projet permettant à d’autres membres de la famille de le faire, comme ils en avaient exprimé l’intention, et d’apporter leurs titres à l’offre, tout en se ménageant, quant à eux, la possibilité de conserver leurs titres pendant un certain temps et de les vendre plus tard.
75.Cette articulation du projet était de nature à concilier les différents intérêts en présence et à recueillir, en conséquence, un accord commun à la famille, comme en atteste le procès-verbal de la réunion du directoire de SPML, du 2 février 2016, faisant état de l’existence de nombreuses discussions familiales, entre les membres du directoire, ayant permis de dégager cette articulation en tant que solution de compromis.
76.C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le courriel de Mme [C] [R] du 26 janvier 2016 au soir, annonçant au président de Campari, à la suite de la réunion familiale du même jour, que tous les membres de la famille s’étaient mis d’accord sur une « structure générale ».
77.Les courriels qu’elle a envoyés dès le lendemain (le 27 janvier 2016, à 12h48 et 13h26) à la banque Rothschild, avec M. [U] en copie, et les échanges qui s’en sont ensuivis confortent l’existence, le 26 janvier 2016, d’un tel accord familial.
78.En effet, Mme [C] [R] s’est rapidement enquise, par le premier courriel, de la signature du nouveau mandat de mission confié à la banque en vue de la cession puis, par le second courriel, de savoir, plus précisément, si celui-ci devait donner lieu à signature par tous les membres du directoire ou uniquement par certains d’entre eux (M. [O] et M. [M] [R]) dans la mesure où, a-t-elle indiqué, elle-même et M. [A] [X] participeraient à l’OPA. En réponse à cette question, par un courriel adressé le jour même (à peine une heure plus tard, dès 14h48), M. [U] figurant en copie, la banque a indiqué envisager la signature du nouveau mandat de mission par tous les membres du directoire de SPML, dès lors que « les sortants comme les entrants (qui auront un « put » [une option de vente exerçable à terme]) ont des intérêts totalement alignés ».
79.De plus, dès le 29 janvier 2016, sans attendre la signature du nouveau mandat de mission (qui a eu lieu le 3 février suivant, conformément à la décision prise la veille lors de la réunion du directoire de SPML), la banque a indiqué aux dirigeants de Campari qu’elle était désormais mandatée pour une vente de SPML, traduisant ainsi la volonté commune de la famille, vu la proximité de l’échéance des contrats de distribution, d’avancer rapidement dans les négociations sur la cession de leur participation.
80.Le rapprochement de ces échanges successifs, dès le 26 janvier 2016, témoigne de l’existence effective d’un accord familial, dès cette date, sur un projet de cession suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir.
81.La circonstance que Campari avait pour objectif d’obtenir la majorité des droits de vote et, partant, le contrôle de SPML, n’était pas de nature à obérer, à la date du 26 janvier 2016, la réalisation de cette perspective.
82.En effet, il ne ressort ni du courriel du président de Campari du 20 janvier 2016 rendant compte des discussions de la veille avec certains membres de la famille [R], ni du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de Campari du 26 janvier 2016, que la réalisation immédiate de cet objectif ait été érigée, à cette date, comme une condition sine qua non de poursuite des négociations.
83.Le courriel du président de Campari, en réponse à celui de Mme [C] [R], tous deux en date du 26 janvier 2016 au soir, conforte cette analyse : celui-ci a manifesté son intérêt et son ouverture à la discussion en réaction à l’annonce par celle-ci d’un accord familial sur la « structure générale » du projet, nonobstant l’invitation qui lui avait été concomitamment adressée de penser au « long terme », ce qui évoquait clairement l’idée d’une prise de contrôle progressive de SPML ‘ non immédiate ‘ en lien avec l’objectif de contrôle mis en avant quelques jours auparavant par le président de Campari (lors de la réunion précitée, du 19 janvier 2016, avec certains membres de la famille, dont Mme [C] [R]).
84.C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer le courriel envoyé par M. [U], le lendemain matin (le 27 janvier 2016, à 9h08), au président de Campari (en réaction au courriel précité, dont il avait été mis en copie), indiquant : « Pour ma part, je pense que la solution d'[C] pour dénouer le n’ud gordien est encore la plus sage ! En tout cas, cela va dans le bon sens ! ». Contrairement à ce que prétend M. [Y], par ce courriel, loin d’être dubitatif sur ce qui serait un simple ressenti de son épouse, M. [U] donne au contraire du crédit à l’existence d’un accord familial sur un projet ayant des chances raisonnables d’aboutir dans les négociations avec Campari.
85.La perspective de réalisation du projet de cession d’une participation dans le capital de SPML, par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente, était donc réellement ouverte à la date du 26 janvier 2016, nonobstant l’existence d’aléas quant à sa réalisation effective.
86.À cet égard, il est indifférent qu’à cette date, certains aspects du projet, d’ordre juridique ou boursier, restaient à vérifier, comme l’indique le courriel de Mme [C] [R], ou que le prix de cession des actions n’était pas encore définitivement arrêté.
87.Il est également indifférent que d’autres candidats que Campari étaient en lice sur le projet, tels que Moët Hennessy. Loin de compromettre la réalisation effective du projet, la présence de plusieurs repreneurs potentiels était, au contraire, de nature à accroître les chances ‘ déjà raisonnables ‘ que celui-ci aboutisse.
88.Contrairement à ce que suggère M. [Y], il est tout aussi indifférent, pour apprécier le caractère précis de l’information en cause, que, lorsque celui-ci a acheté des titres SPML (le 8 février 2016), il ignorait le détail des négociations engagées et la chronologie de tous les événements qui viennent d’être exposés.
89.Par ailleurs, la circonstance que Campari n’ait transmis son offre à SPML que le 1er février 2016 ne remet nullement cause le constat qu’à la date du 26 janvier 2016, la famille [R] s’était mise d’accord sur un projet, suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d’aboutir.
90.En outre, si cette offre a été rejetée lors de la réunion du directoire de SPML du 2 février 2016, il résulte du procès-verbal de cette réunion que cette décision a été prise en raison du décalage entre l’articulation de cette offre ‘ décrite comme marquant une modification brutale de la position de Campari ‘ et celle du projet qui avait été antérieurement dégagée par la famille. Cette décision de rejet de l’offre de Campari ne saurait remettre en cause le fait que le projet de cession, sur lequel la famille s’était mise d’accord lors de la réunion du 26 janvier 2016, avait, à cette date, des chances raisonnables d’aboutir. D’ailleurs, nonobstant ce rejet, les négociations avec Campari n’ont pas été interrompues mais se sont au contraire poursuivies et ont donné lieu à une nouvelle offre de Campari, le 11 mars 2016, conforme à la structure générale du projet défendu par la famille, ce qui a permis d’aboutir à la réalisation du projet quelques jours plus tard.
91.Il résulte de l’ensemble de ces développements que l’information relative au projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente, revêtait, dès le 26 janvier 2016, le caractère de précision requis pour la qualification d’une information privilégiée.
92.Dès lors, il convient d’écarter les moyens développés par les requérants.
B. Sur le caractère non public de l’information en cause
93.Aux paragraphes 48 et 49 de la décision attaquée, après avoir indiqué que les articles de presse antérieurs au 26 janvier 2016, dont se prévalaient les mis en cause pour soutenir le caractère public de l’information en cause, ne pouvaient être pris en considération dès lors que ce n’est qu’à cette date que celle-ci avait présenté un caractère de précision, la Commission des sanctions a retenu que les deux articles publiés postérieurement se bornaient respectivement à évoquer la nécessité de trouver un nouveau distributeur (article publié le 1er mars 2016 sur le site du Journal des entreprises) et à indiquer que Campari s’apprêtait à prendre en charge la distribution internationale de Grand [R] (dépêche diffusée par Bloomberg le 14 mars 2016), sans mentionner de rumeur relative à une ouverture du capital de SPML, ni une prise de participation dans le capital de SPML, ni l’annonce de l’OPA. Au paragraphe 50 de sa décision, elle en a tiré la conséquence que l’information en cause n’avait fait l’objet d’aucune divulgation à compter du 26 janvier 2016 et que celle-ci n’avait été communiquée au public que le 15 mars 2016 par SPML et Campari.
94.M. [L] conteste le caractère non public de l’information en cause, en raison de la circulation de rumeurs depuis 2014, relayées dans la presse, sur une opération capitalistique de SPML. Il soutient que ladite information est devenue publique dès la parution, le 2 décembre 2014, de deux articles indiquant qu’un mandat de recherche d’un distributeur mondial et de vente avait été confié à la banque Rothschild. Il fait valoir que le communiqué diffusé par SPML, le 3 décembre 2014, en réaction à ces articles de presse, démentait l’existence de tout projet de cession du contrôle, sans démentir pour autant celle de tout projet conduisant à une modification substantielle de son actionnariat ainsi que celle du mandat confié à Rothschild, de sorte que ce communiqué n’a pas permis d’éteindre les rumeurs en cours qui se sont poursuivies sur les forums boursiers, et n’a pas davantage convaincu les investisseurs dans la mesure où le cours du titre SPML n’a pas baissé mais s’est au contraire stabilisé après avoir fortement augmenté au moment de la publication des articles de presse précités.
95.L’AMF estime que l’information en cause était non publique au 26 janvier 2016, date à laquelle elle a acquis un caractère précis, et que celle-ci l’est demeurée jusqu’au 15 mars 2016, date à laquelle l’information a été divulguée par les communiqués de presse publiés par SPML et Campari.
96.S’agissant des articles de presse antérieurs au 26 janvier 2016, elle considère qu’ils sont indifférents pour apprécier le caractère non public de l’information dès lors que ce n’est qu’à cette date que celle-ci a acquis un caractère précis. Elle précise qu’en tout état de cause ces articles ne font pas référence à l’information en cause.
97.Elle observe en ce sens que, par son communiqué du 3 décembre 2014, SPML a démenti toutes les rumeurs relatives à un projet de cession, à une date où l’information relative au projet de cession d’une participation dans le capital de celle-ci et de l’OPA subséquente n’était pas privilégiée. A cet égard, elle relève que l’existence d’un projet conduisant à une modification substantielle de l’actionnariat de SPML, qui n’aurait pas été démentie par le communiqué précité, n’a germé qu’en réponse à la contre-offre présentée par Campari en septembre 2015, soit plus de neuf mois après ledit communiqué.
98.Elle fait valoir que si la variation du cours du titre SPML, à la hausse, entre le 20 et le 25 novembre 2014, montre que le marché a pu être séduit par des rumeurs, cette circonstance est indifférente à l’appréciation du caractère confidentiel de l’information en cause, et relève qu’au demeurant, le cours du titre a baissé de 6 % en une semaine après la publication du communiqué de démenti.
99.Elle précise qu’aucun article de presse postérieur au 26 janvier 2016 n’a été publié sur l’opération et que si Bloomberg a diffusé une dépêche, le 14 mars 2016, indiquant que Campari s’apprêtait à prendre en charge la distribution internationale de Grand [R], celle-ci n’évoquait pas pour autant une prise de participation dans le capital de SPML, ni l’annonce d’une OPA.
100.S’agissant des messages postés sur le forum Boursorama, qui remontent à 2015, outre qu’ils sont antérieurs à la date à laquelle l’information a acquis un caractère précis (le 26 janvier 2016), ils sont rédigés par des personnes non identifiées et ne permettent nullement de comprendre qu’un projet de cession d’une partie du capital de SPML par les actionnaires familiaux ou qu’une OPA seraient susceptibles de se produire, de sorte que ces messages n’ont pas rendu publique l’information en cause.
101.Le ministère public partage cette analyse.
Sur ce, la Cour :
102.La Cour ayant retenu que l’information en cause était précise dès le 26 janvier 2016, il importe d’examiner si, à compter de cette date, ladite information était également non publique, et répondait ainsi à la deuxième condition cumulative à laquelle l’article 621-1 du RGAMF, précité, subordonne la qualification d’information privilégiée.
103.En premier lieu, la Cour constate que les trois articles de presse dont se prévaut le requérant, en date du 20 novembre et du 2 décembre 2014, ne sont pas de nature à rendre publique l’information en cause à la date du 26 janvier 2016.
104.En effet, le premier article, du 20 novembre 2014, publié par Bloomberg, se borne à évoquer l’exploration par SPML de plusieurs options stratégiques, au rang desquelles figurent, parmi d’autres, une vente.
105.Quant aux autres articles, du 2 décembre 2014, s’ils sont plus précis, en ce qu’ils indiquent, soit que « [R] est à la recherche d’un nouvel actionnaire pour qu’il distribue ses marques dans le monde entier » et « a fait appel à Rothschild pour trouver ce nouvel actionnaire » (article paru dans le magazine LSA), soit que « la famille recherche pour sa liqueur un distributeur mondial à qui elle cédera une part de son capital » , que « la société [SPML] prépare une restructuration de son capital qui pourrait aboutir à une cession totale » et que « les actionnaires ont confié un mandat en ce sens à Rothschild » (article publié dans Le Figaro), ils ne mentionnent pas néanmoins, explicitement, l’existence d’un projet de cession d’une participation dans le capital de SPML, par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente.
106.En outre, l’existence de tout projet de cession de contrôle a été démentie par SPML dès le lendemain, soit le 3 décembre 2014, en réaction à l’évocation, dans l’article précité du Figaro, d’une éventuelle cession totale. Le communiqué de presse est rédigé en ces termes : « à la suite des différentes informations parues dans la presse, la (‘) [SPML] dément tout projet de cession du contrôle de la [s]ociété. Elle confirme par ailleurs que la [s]ociété poursuit ses réflexions sur sa stratégie de distribution mondiale de ses spiritueux ».
107.Au surplus, comme l’observe à juste titre l’AMF, la circonstance, invoquée par le requérant, relative à la variation du cours du titre SPML au moment de la publication de ces articles de presse, est indifférente : elle ne saurait démontrer le caractère public de l’information en cause.
108.En deuxième lieu, les deux messages dont se prévalent le requérant, qui ont été diffusés sur le forum Boursorama le 22 mai et le 23 novembre 2015, ne sont pas davantage de nature à rendre publique l’information en cause à la date du 26 janvier 2016, dès lors qu’outre leur date de diffusion et l’incertitude sur l’identité de leur auteur, ils se bornent à évoquer, de manière vague, la possibilité que « six mois après le démenti de décembre 2014, les opérations reprennent », ou à souhaiter une OPA, sans autre précision sur ce point (« Vivement une OPA »).
109.Dès lors, il convient d’écarter le moyen.
110.L’information en cause concernant un émetteur d’instrument financier (SPML) et l’influence sensible de celle-ci sur le cours du titre SPML n’étant pas contestée, la Cour retient, comme la Commission des sanctions, que l’information en cause a présenté, à compter du 26 janvier 2016, les caractéristiques d’une information privilégiée, au sens de l’article 621-1 du RGAMF.
II. SUR LA DÉTENTION ET L’UTILISATION REPROCHÉE DE L’INFORMATION PRIVILÉGIÉE
A. Par M. [Y], le 8 février 2016
111.Aux paragraphes 65 et 71 à 83 de la décision attaquée, après avoir indiqué que M. [Y], avait, à son initiative, rencontré M. [P] [U], à Londres, le 27 janvier 2016, et qu’il avait acquis, le 8 février suivant, cinq titres SPML au cours de 5 049 euros, la Commission des sanctions a retenu l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée entre M. [U] et M. [Y], dans la mesure où le premier détenait ladite information dès le 26 janvier 2016 (ayant été destinataire ou mis en copie de plusieurs échanges par courriel de son épouse, Mme [C] [R]), et, en outre, était resté seul avec le second au moins une demi-heure, lors de la réunion du lendemain (après le départ de la réunion du gérant de la société d’investissement employant M. [Y]).
112.En outre, aux paragraphes 84 à 90 de sa décision, elle a relevé que les notes prises par M. [Y] à la suite de cette réunion mentionnent, notamment, l’existence de plusieurs « acheteurs potentiels » de SPML, dont Moët Hennessy et Campari, la décision de la famille [R] de céder le contrôle à certaines conditions, telles que la conservation du poste de directeur général et la jouissance de la villa des cèdres, outre des indications de prix, ainsi que des détails sur l’évolution du mandat confié à Rothschild, et a estimé que, si ces notes ne font pas état du projet d’OPA subséquente, cette OPA se déduisait nécessairement de la cession du contrôle (et du dépassement du seuil de 30 % de détention du capital et des droits de vote). Elle a considéré que ces notes constituaient un indice supplémentaire ‘ s’ajoutant à celui résultant de l’existence d’un circuit plausible de transmission ‘ de la détention de l’information privilégiée par M. [Y] et de sa transmission préalable par M. [U] (paragraphe 91 de la décision attaquée).
113.Après avoir écarté le caractère atypique de l’acquisition puis de la cession des titres SPML, réalisées par M. [Y], respectivement le 8 février et le 17 mars 2016, au regard de ses habitudes d’investissement, elle a estimé que les explications avancées par celui-ci pour justifier de ses interventions sur le titre n’étaient pas convaincantes, face à l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée, de ses propres notes sur la rencontre du 27 janvier 2016, et de son investissement onze jours après cette rencontre, et en a tiré la conséquence que seule la détention par celui-ci de l’information privilégiée pouvait expliquer lesdites interventions (paragraphes 92 à 100 de la décision attaquée).
114.Au terme de cette analyse, la Commission des sanctions a retenu que le manquement d’utilisation d’information privilégiée, notifié à M. [Y], était caractérisé (paragraphe 101 de la décision attaquée).
115.M. [Y] conteste cette analyse, en s’attaquant à chacun des indices sur lesquels la Commission des sanctions s’est fondée pour décider qu’il détenait l’information privilégiée, avant de critiquer la décision de celle-ci d’écarter les explications alternatives qu’il avait avancées pour justifier de ses investissements.
116.S’agissant de l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information en cause, il fait valoir que la réunion du 27 janvier 2016 avait été programmée avant que ladite information ne revête un caractère privilégié et pour des motifs étrangers à celle-ci, consistant à s’assurer, pour le compte de la société de gestion pour laquelle il travaillait, de l’opportunité et la faisabilité d’un investissement dans le titre SPML, en dépit de sa faible liquidité. Il estime que plusieurs éléments rendent éminemment douteux le fait que cette réunion ait pu conduire M. [U] à lui révéler l’existence, depuis la veille au soir, d’un accord familial permettant la mise en ‘uvre d’une OPA.
117.S’agissant des notes dont il est l’auteur concernant cette réunion, il explique que la mention selon laquelle « la famille [était] enfin prête à céder le contrôle (‘) à certaines conditions » signifiait, selon sa compréhension de la situation, qu’il n’y aurait certainement pas de cession de contrôle à court terme. Il fait valoir que d’autres mentions vont dans le même sens :
‘ certaines indications de prix (« à 10 000 euros, tout le monde vend pour sûr. Mais en fait, à 80 euros quasiment tout le monde vend déjà ») ne correspondraient pas à des prix que la famille serait prête à accepter, ni de prix admissibles pour un acquéreur, mais seraient fondées sur sa propre appréciation de la sous-valorisation du titre et sur des informations que lui avaient préalablement transmises M. [Z] [U], également analyste financier et fils de M. [P] [U] ; d’autres indications de prix (« le bloc de 30 % des boulets pourrait partir à 7 000 euros ») témoigneraient du fait que certains membres de la famille n’étaient sans doute pas d’accord entre eux sur un juste prix, ce qui serait contradictoire avec l’idée d’une famille dorénavant unie et décidée à accepter une cession de contrôle, laquelle ne pourrait s’opérer sans une OPA proposant un seul et même prix à tous les actionnaires ;
‘ la mention selon laquelle « ce n’est pas quelqu’un d’extérieur qui va débloquer la situation. Il faut résoudre les problèmes familiaux en premier » attesterait que la cession du contrôle était exclue à court terme car il fallait d’abord résoudre les problèmes familiaux ;
‘ l’indication selon laquelle « un contrat de distribution serait rapide à signer : quelques jours suffiraient. Mais là, ils sont à poil » signifierait que, si la signature d’un contrat de distribution était l’occasion probable d’une redistribution structurante du capital, l’hypothèse de la signature d’un tel contrat ne permettrait pas de cession significative, a fortiori de contrôle, tant les demandes de la famille pour envisager la cession étaient inacceptables ; cela signifierait également qu’il serait plus rapide pour SPML de signer un contrat de distribution que d’opérer une cession de contrôle, compte tenu des divergences importantes qui demeureraient entre les membres de la famille ;
‘ la référence au mandat de vente confié à Rothschild (« Au départ, ils ont eu un mandat pour trouver un distributeur, mais celui-ci est progressivement devenu également un mandat pour vendre X % de la société ») ne démontrerait pas, en l’absence de mention de la part de capital de SPML confiée à la vente, qu’il avait connaissance d’une cession de contrôle à intervenir.
118.M. [Y] soutient que l’AMF ne démontre pas qu’il connaissait, avant la date de son investissement, les deux termes prétendument essentiels de l’information privilégiée, à savoir tant l’existence alléguée d’un accord familial permettant d’envisager une cession de contrôle, que la perspective d’un prix attractif, d’au moins 7 000 euros, correspondant au montant évoqué par Campari dans sa proposition transmise à Rothschild le 28 septembre 2015, dont il aurait ignoré l’existence. À cet égard, il allègue qu’il ignorait tout de la faisabilité réelle d’une cession de contrôle de SPML et, par conséquent, d’une OPA.
119.À titre surabondant, il fait valoir qu’aucune information objective ne ressort de ses notes de travail, mais seulement des éléments parcellaires, dont certains relèvent en outre d’une appréciation subjective. Il en conclut que, loin de constituer un indice de la transmission de l’information privilégiée, ses notes de travail sont au contraire un indice de l’absence de cette transmission.
120.Enfin, pour remettre en cause la valeur probatoire du faisceau d’indices précités, il soutient qu’en tout état de cause son investissement dans le titre SPML s’explique autrement que par la supposée détention de ladite information privilégiée.
121.En ce sens, il explique s’être intéressé au titre SPLM après avoir appris le décès de [T] [R] et acquis la conviction, grâce à son propre travail, avant la rencontre du 27 janvier 2016, que le titre était sous-valorisé, au regard non seulement de la valeur de l’activité opérationnelle de la société, mais aussi et surtout de la valeur considérable de son patrimoine immobilier, non pris en compte par le marché, mais qui allait selon lui y apparaître tôt ou tard, ce qui l’avait ainsi conduit à proposer à la société de gestion qui l’employait d’investir dans le titre.
122.Il explique encore avoir été tellement persuadé de l’opportunité d’un investissement dans le titre SPML qu’il avait pris contact avec un courtier, avant même sa rencontre avec M. [P] [U], afin de savoir s’il était possible de trouver un bloc de titres à acheter, en vue de proposer son acquisition à la société de gestion qui l’employait.
123.Il en tire la conséquence que sa décision d’investir n’a pas été dictée par la prétendue détention d’une information privilégiée et que cette circonstance suffit à le mettre hors de cause.
124.En réponse aux observations de l’AMF, M. [Y] fait valoir que l’onglet dénommé « Valorisation de Rothschild », introduit dans la quatrième version du document intitulé « Grand [R]-Operating Model », tente de reconstituer la valorisation optimiste de SPML à laquelle un banquier d’affaires peut se livrer. Il indique que l’introduction de ce nouvel onglet, le 27 janvier 2016, à la suite de sa rencontre avec M. [P] [U], ne remet nullement en cause le fait qu’il avait déjà acquis, avant cette rencontre, la conviction d’une sous-valorisation boursière de SPML, compte tenu de ses propres travaux.
125.S’agissant de l’évaluation du patrimoine immobilier de SPML, il conteste l’existence d’une prétendue contradiction de sa part. En outre, il soutient qu’il n’appartient pas à la Cour de s’assurer de la justesse des valorisations auxquelles il s’est livré mais de déterminer quelles étaient à l’époque ses convictions. À cet égard, il explique en quoi il était persuadé que l’information sur la sous-valorisation de ce patrimoine apparaîtrait tôt ou tard sur le marché, compte tenu de l’expiration prochaine des contrats de distribution de SPML (fin juin 2016).
126.Enfin, il conteste la thèse de l’AMF selon laquelle il lui appartiendrait de démontrer que des éléments extérieurs à ladite information privilégiée justifient, à eux seuls, sa décision d’investissement ; selon lui, il appartient au contraire à l’AMF de démontrer que ladite information, à elle seule, a conduit à l’investissement litigieux, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce selon le requérant.
127.Dans ses observations, l’AMF fait valoir, en premier lieu, sur l’indice relatif à existence d’un circuit plausible de transmission de l’information, que, si la réunion du 27 janvier 2016 avait été sollicitée par la société de gestion à une date antérieure à celle à laquelle l’information en cause avait acquis un caractère privilégié, il n’en demeure pas moins que sa finalité était, pour cette société, un possible investissement et, pour M. [U], de recueillir l’avis d’un analyste financier. Elle estime que les arguments avancés par M. [Y] pour mettre en doute cet indice reposent sur de simples conjectures et ne remettent pas en cause le fait que la réunion a eu lieu à une date à laquelle son interlocuteur détenait l’information privilégiée et dans le but précis de discuter de SPML.
128.En deuxième lieu, s’agissant des notes prises par M. [Y] sur cette réunion, elle relève que certains des éléments y figurant ne pouvaient provenir que d’une personne associée de près aux négociations en cours : les détails sur l’évolution du mandat confié à Rothschild, le fait que la famille était prête à céder le contrôle, les conditions de vente discutées par elle concernant le poste de directeur général de SPML et la villa des cèdres. Elle estime que les éléments de prix y figurant également sont particulièrement troublants : ils correspondent à ceux évoqués dans le courriel adressé par Mme [C] [R], le 6 janvier 2016, à certains membres de sa famille, dont M. [U] était en copie, ainsi que lors de la rencontre du 19 janvier suivant, entre certains membres de la famille et le président de Campari, de sorte qu’il ne s’agit pas, comme le prétend le requérant, d’opinions purement personnelles qui seraient fondées sur la comparaison entre le cours de l’action et son appréciation de la véritable valeur de SPML. À cet égard, l’AMF observe que la mention selon laquelle « il faut résoudre les problèmes familiaux en premier » n’est pas directement rattachée à la problématique de la cession de contrôle de SPML puisqu’elle figure dans une rubrique « autres », distincte de celle intitulée « vente de blocs/prix », comprenant la mention aux termes de laquelle « la famille est prête à céder le contrôle ». Selon elle, il résulte de ces notes que MM. [U] et [Y] ont évoqué la possibilité d’une cession d’une partie du capital de SPML, ainsi que les différents intérêts en présence, et que le premier a fourni au second des informations sur les noms des éventuels repreneurs, le prix et la restructuration du capital, ainsi que sur les chances raisonnables d’aboutir de la cession du contrôle de SPML, dont se déduisait nécessairement un projet d’OPA.
129.En troisième lieu, sur les explications avancées par le requérant pour justifier de son investissement dans SPML, l’AMF observe, tout d’abord, s’agissant de la valorisation de SPML, que, s’il ressort de l’un de ses documents de travail (intitulé « Grand [R]-Operating Model ») que celui-ci avait effectivement cherché à valoriser SPML, en comparant certains indicateurs de performance à ceux de ses concurrents, et s’était attaché, à partir du mois de janvier 2016, à rassembler quelques éléments publiquement disponibles sur SPML, la quatrième version de ce document de travail, enregistrée le 27 janvier 2016 ‘ à la suite de sa rencontre avec M. [U] ‘ mentionne, dans l’onglet « Valorisation de Rothschild », d’une part, un multiple de calcul de la valorisation de SPML dont la source, expressément visée, implique que cet élément provient de sa discussion lors de ladite rencontre (« [P] dit 12-13x. Rothschild dit 20X ») et, d’autre part, un niveau d’indice financier (EBIDTA, indice d’origine américaine, correspondant à l’excédent brut d’exploitation) pour 2015 supérieur de cinq millions à celui attendu selon les données alors disponibles (avant la publication des comptes de SPML pour l’exercice clos le 31 décembre 2015), ce « gain d’EBIDTA » découlant vraisemblablement de la même source. Elle en tire la conséquence que ce document a été complété par le requérant d’informations confidentielles communiquées par M. [U], permettant d’aboutir à une valorisation de SPML (sans l’immobilier) supérieure de plus de 20 % à celle qu’il avait déterminée par ses propres moyens, ce qui contredit sa thèse selon laquelle il se serait uniquement fondé sur ses propres travaux pour prendre sa décision d’investissement.
130.S’agissant ensuite du patrimoine immobilier de SPML, l’AMF relève une contradiction entre le montant de la valorisation que le requérant avait indiquée lors de son audition par les enquêteurs et celui résultant du document précité. Elle considère, en outre, que la valeur du patrimoine que le requérant semblait avoir découverte devant, selon lui, n’être révélée que plusieurs années après, cette prise de conscience ne permet pas d’expliquer de façon convaincante qu’il ait acquis des titres SPML à quelques jours seulement de sa rencontre avec M. [U]. Au surplus, elle estime que le contact dont se prévaut le requérant avec un courtier, le 26 janvier 2016, ne permet pas d’affirmer que celui-ci aurait pris sa décision d’investir avant la réunion précitée (du 27 janvier 2016).
131.En conclusion, l’AMF considère que les indices tenant à l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée de M. [U] à M. [Y], et à l’analyse des notes prises par ce dernier à l’issue de leur rencontre, en l’absence d’explications convaincantes permettant de justifier de son investissement sur les titres SPML autrement que par la détention d’une information privilégiée, sont graves, précis et concordants, et qu’il en résulte, sans équivoque, que seule cette détention permet d’expliquer les interventions du requérant.
132.Le ministère public partage la même analyse que l’AMF sur l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information et sur les notes de M. [Y] concernant la réunion du 27 janvier 2016, mais s’en écarte sur l’appréciation des explications avancées par celui-ci pour justifier de son investissement, dans le même sens que le rapporteur devant la Commission des sanctions. Sur ce point, il estime que le requérant a démontré l’existence, dès avant sa rencontre avec M. [P] [U], d’éléments de nature à justifier que sa décision d’investir, étayée par ses démarches auprès d’agents immobiliers spécialisés le 21 janvier 2016 et auprès d’un courtier le 26 janvier suivant aux fins de déterminer s’il pouvait trouver un bloc d’actions à acquérir, n’a pas été dictée par l’existence et la seule détention de l’information privilégiée, mais par son intérêt avéré pour le titre SPML, dans son secteur d’activité professionnelle des vins et spiritueux, conforté par ses recherches et travaux personnels de valorisation de ce titre, retracé dans ses notes antérieurement à sa rencontre du 27 janvier 2016, notamment, le 22 janvier, à la suite de son rendez-vous avec M. [Z] [U], lui-même également analyste financier, qui serait également spécialisé dans le même secteur. Le ministère public en tire la conséquence que le manquement reproché à M. [Y] n’est pas caractérisé.
Sur ce, la Cour :
133.L’article 622-1, alinéa 1er, du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, disposait :
« Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers ou les produits de base auxquels se rapporte cette information, au moyen de contrats commerciaux ou d’instruments financiers auxquels ces instruments ou ces contrats commerciaux sont liés ».
134.L’article 622-2 du RGAMF, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, auquel renvoie l’article précité, disposait également :
« Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’émetteur ;
2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ;
3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ;
4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou délits.
Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée. (‘) ».
135.Ces dispositions, qui assuraient la transposition des articles 2 et 4 de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de cours (abus de marché), ont été abrogées à la suite de l’entrée en vigueur du règlement MAR, dont les dispositions en la matière ne s’appliquent pas rétroactivement en l’espèce, en l’absence de dispositions moins sévères que celles précitées du RGAMF.
136.Il convient de rappeler qu’à défaut de preuve matérielle directe, la détention et l’utilisation d’une information privilégiée peuvent être établies par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, dont il résulte, sans équivoque, que seule cette détention permet d’expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé. Il convient également de rappeler que l’AMF n’est pas tenue d’établir précisément les circonstances dans lesquelles l’information privilégiée est parvenue jusqu’à la personne qui l’a utilisée.
137.En l’espèce, il est constant que M. [Y] a, le 8 février 2016, acquis cinq titres SPML, au prix de 5 049 euros par titre, avant de les revendre le 17 mars 2016, soit le jour de la reprise de la cotation du titre, moyennant une plus-value de 16 525 euros.
138.Il importe donc de rechercher si, à défaut de preuve matérielle directe, il est établi, par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, qu’à la date d’acquisition des titres, soit le 8 février 2016, celui-ci détenait et a utilisé en conséquence, par cette acquisition, l’information privilégiée relative au projet de cession d’une participation dans le capital de SPML par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente. Il convient donc d’examiner les indices sur lesquels la Commission des sanctions s’est fondée pour retenir que tel était le cas.
139.En premier lieu, la Cour rappelle que, le 27 janvier 2016, dans l’après-midi, M. [Y] a rencontré M. [P] [U], à un moment où il est établi que ce dernier détenait l’information privilégiée pour avoir été mis en copie des échanges par courriel entre son épouse et le président de Campari (courriels précités du 26 janvier 2016), auxquels il a répondu par le courriel précité du 27 janvier 2016 au matin (à 9h08), ainsi que des échanges entre celle-ci et Rothschild le jour même, en tout début d’après-midi. En outre, il est constant que, lors de cette rencontre, MM. [Y] et [U] sont restés seuls pendant au moins une demi-heure. Au surplus, la Cour relève que, lors de cette réunion, les perspectives à venir de SPML étaient nécessairement au c’ur des échanges.
140.En effet, M. [Y], en sa qualité d’analyste financier spécialisé dans le secteur des vins et spiritueux, a sollicité ladite rencontre, auprès du directeur financier et directeur général adjoint de SPML, pour « mieux comprendre la stratégie de long terme de SPML » (courriel du 19 janvier 2016), en vue d’un possible investissement sur le titre par la société de gestion qui l’employait (comme en atteste son audition par le rapporteur). Quant à M. [U], lors de son audition par le rapporteur, il a expliqué avoir donné suite à cette demande en vue de recueillir, dans le contexte des discussions en cours concernant SPML, l’avis d’un analyste financier, son objectif essentiel étant de « cherche[r] à avoir des informations pour voir ce qui se disait sur le marché », « d’autant plus que (‘) [son fils] (‘) [lui] avait confirmé qu’il le connaissait ». En effet, son fils, M. [Z] [U] a connu M. [Y] dans un cadre professionnel, étant lui aussi analyste financier à Londres dans le même secteur, et se sont revus, le 22 janvier 2016, à la demande de M. [Y], pour discuter de SPML (comme en témoignent leurs auditions respectives par les enquêteurs).
141.Il en résulte l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée de M. [U] ([P]) à M. [Y]. À cet égard, il est indifférent que cette rencontre ait été programmée avant que l’information en cause n’ait acquis un caractère privilégié. Les autres circonstances invoquées par M. [Y] sont inopérantes pour remettre en cause le constat que la rencontre du 27 janvier 2016 constitue un vecteur possible et vraisemblable de transmission de l’information. Il existe donc un premier indice de détention de l’information par M. [Y].
142.En deuxième lieu, le document intitulé « Grand [R] – Consolided Notes », rédigé par M. [Y], comporte neuf pages, dont deux sont consacrées à la réunion avec M. [P] [U] le 27 janvier 2016 (pages 7 et 8).
143.Il explique avoir pris ces notes à la suite de cette rencontre, et non pas au cours de celle-ci, et d’y avoir intégré ses propres analyses et appréciations issues de son travail préalable à ladite rencontre.
144.Toutefois, plusieurs éléments mentionnés dans cette partie du document laissent penser qu’ils proviennent d’une personne proche des négociations en cours sur le projet de cession d’une participation dans le capital de SPML, par la famille [R], susceptible d’engendrer une OPA subséquente.
145.Il en va ainsi, tout d’abord, des précisions apportées, au début de la page 7, sous la rubrique intitulée « Rothschild », sur l’évolution progressive du mandat confié à cette banque, ce mandat étant présenté comme ayant été étendu de la recherche d’un distributeur à la vente d’un certain pourcentage de SPML (« Au départ, ils ont eu un mandat pour trouver un distributeur, mais celui-ci est progressivement devenu un mandat pour vendre X % de la société »). Cette présentation de l’évolution du mandat est, en outre, accompagnée de la mention de l’identité et des coordonnées de la personne en charge du dossier chez Rothschild.
146.Ces éléments s’inscrivent dans le prolongement des articles de presse du 2 décembre 2014, précités, qui évoquaient l’existence d’un mandat confié à Rothschild pour trouver un nouvel actionnaire en vue de distribuer les marques dans le monde entier (article de LSA) ou la recherche d’un distributeur mondial à qui SPML cédera une part de son capital, ainsi que la préparation d’une restructuration de son capital qui pourrait aboutir à une cession totale, un mandat étant confié en ce sens à la banque Rothschild (article du Figaro), ce qui a été en partie démenti par SPML dès le lendemain de ces publications (SPML « dément tout projet de cession de contrôle »).
147.Si la presse suggère ainsi, sans être démentie sur ce point, l’existence d’un mandat comportant à la fois une composante distribution et capitalistique, elle n’indique pas, contrairement à la mention figurant dans les notes de M. [Y], que le périmètre du mandat a évolué dans le temps.
148.En outre, à la date à laquelle ces articles de presse ont été publiés (le 3 décembre 2014), le mandat de Rothschild demeurait circonscrit, aux termes de la lettre de mission du 1er décembre 2013, précitée, à la « mise en place d’un partenariat à l’échelle mondiale avec une société de distribution, pouvant passer par la création d’une société commune détenue par SPML et le futur partenaire », ce qui excluait un mandat pour vendre SPML et a ainsi conduit la famille à décider, dès le 26 janvier 2016, d’étendre le mandat en ce sens, comme en attestent les courriels échangés le lendemain, en début d’après-midi, entre Mme. [C] [R] et la banque, dont M. [P] [U] a été mis en copie.
149.L’information sur l’extension du mandat de la distribution à la vente venait donc probablement d’une personne proche des négociations en cours sur le projet concernant SPML.
150.Il en va de même de certaines informations concernant des entreprises mentionnées sur la même page du document, sous la rubrique intitulée « Acheteurs potentiels ». Parmi la liste des onze personnes physiques ou morales qui y sont mentionnées, figurent Moët Hennessy et Campari. Si ces deux entreprises étaient aisément identifiables comme acheteurs potentiels par M. [Y], en sa qualité d’analyste financier spécialisé dans le secteur des vins et spiritueux, c’est la première fois qu’elles sont mentionnées dans ses notes de travail (ses notes en page 3 du document, sous le titre « 01/01/2016 – 1er Contact », se bornent à mentionner Pernod, Diageo et Cointreau) et identifiées comme présentant des chances de réaliser l’opération, contrairement à la quasi-totalité desdits autres « acheteurs potentiels » : « (‘) Moet Hennessy : Encore possible avec eux (‘) Campari : possible avec eux (‘) ». Cette information sur l’identité des entreprises présentant des chances de réaliser l’opération provenait probablement d’une personne proche des négociations en cours précisément avec ces deux entreprises, les négociations engagées avec d’autres entreprises n’ayant pas été poursuivies (ainsi que cela ressort du tableau chronologique des principales étapes de l’opération).
151.Il en va également ainsi de la circonstance, mentionnée au bas de la page du même document, dans une rubrique intitulée « Vente de blocs/prix ». Il y est indiqué que « la famille est enfin prête à céder le contrôle – depuis 2 semaines. Mais à certaines conditions », concernant, notamment, la préservation d’un poste de direction à la famille et le maintien du « droit de rester cinq ans dans la villa des cèdres ».
152.En effet, cette précision, qui fait écho à l’annonce la veille au soir d’un accord familial sur la « structure générale » (courriel adressé par Mme [C] [R] au président de Campari, dont M. [U] était mis en copie), relate une évolution fondamentale de la situation par rapport à celle résultant du communiqué de presse publié par SPML le 3 décembre 2014, lequel démentait précisément l’existence de tout projet de cession de contrôle. Quant aux conditions particulières auxquelles ce projet était mentionné comme associé, elles avaient été effectivement discutées par la famille puis avec le président de Campari (comme cela a déjà été indiqué). Si ces conditions s’inscrivent dans le prolongement des notes de M. [Y] sur sa rencontre avec M. [Z] [U], du 22 janvier 2016, aux termes desquelles « certains [de la famille [R]] ne sont pas vendeurs car ils veulent être CEO, et car fiscalement, c’est compliqué », la précision selon laquelle « la famille est enfin prête à céder le contrôle » est totalement nouvelle.
153.Cette précision provient très probablement d’une personne associée de près aux négociations en cours sur le projet concernant SPML.
154.C’est en vain que M. [Y] oppose à cette mention deux autres mentions, figurant au début de la page 8 du document, dans une rubrique intitulée « Autres », à savoir :
‘ « [c]e n’est pas quelqu’un d’extérieur qui va débloquer la situation. Il faut résoudre les problèmes familiaux en premier » et ;
‘ « [u]n contrat de distribution serait rapide à signer : quelques jours suffiraient. Mais là, ils sont à poil ».
155.En effet, si, comme le prétend M. [Y], la première mention procède d’une déduction de sa part à partir des indications de prix figurant juste avant, à la page précédente, dans la rubrique « Vente de blocs/titres », cette éventuelle déduction ne saurait priver d’effet utile la mention selon laquelle la famille était « enfin prête à céder le contrôle », dont se déduit l’existence d’un accord familial sur le principe même d’une cession de contrôle, l’existence d’un tel accord de principe n’étant pas incompatible avec la poursuite des discussions sur la détermination du prix.
156.Quant à la seconde mention, si, comme l’explique M. [Y], elle met en évidence qu’il serait plus rapide de signer un simple contrat de distribution que de procéder à une cession de contrôle, cette circonstance ne saurait remettre en cause la mention selon laquelle la famille était « enfin prête à céder le contrôle ». L’accord familial sur le principe même d’une cession de contrôle, permettait, au contraire, de considérer que le projet avait des chances raisonnables d’aboutir à brève échéance, parallèlement à la conclusion d’un contrat de distribution (avant l’échéance des contrats de distribution en cours, fin juin 2016).
157.Enfin, s’agissant du prix, il est indiqué en page 7 du document, dans la rubrique intitulée « Vente de blocs/titres », juste après la mention que la famille était prête à céder le contrôle, que :
« À 10 000 [euros], tout le monde vend pour sûr. Mais, en fait à 8 000 [euros], quasiment tout le monde vend déjà.
Le bloc de 30 % des boulets pourrait partir à 7 000 [euros] ».
158.La Cour constate que les prix de 7 000 et 10 000 euros correspondent à ceux évoqués par Mme [C] [R] dans un courriel adressé à la famille le 6 janvier 2016, dont M. [P] [U] avait été mis en copie, ainsi que lors de la réunion du 19 janvier 2016 entre certains membres de la famille (dont celle-ci) et le président de Campari, telle que relatée par ce dernier dans un courriel interne du lendemain.
159.En outre, il ressort du dossier que, contrairement à ce que suggère M. [Y], le prix de 10 000 euros ne résulte ni de ses propres travaux, ni de la discussion qu’il a eue avec M. [Z] [U] le 22 janvier 2016.
160.En effet, lors de son audition par les enquêteurs, M. [Z] [U] a déclaré que le prix le plus élevé qu’il avait annoncé à M. [Y], le 22 janvier 2016, était de 8 000 euros, ce qui est corroboré par les notes de ce dernier sur leur rencontre, figurant dans le document précité, selon lesquelles « un banquier aurait valorisé la société 8000 euros/action ».
161.De son côté, lors de son audition par les enquêteurs, M. [Y] a expliqué : « Quand j’ai demandé à [Z] s’il y avait des blocs à acheter, j’étais étonné des prix annoncés des actions, à savoir 6000 à 8000 euros. Pour moi, cela n’avait aucun sens, compte tenu de la valeur de l’action dans le marché, malgré mes analyses précédentes. Un bloc ne serait jamais vendu à ce prix-là ».
162.Ces explications ne font nullement mention d’un prix de 10 000 euros. Il en va de même de celles concernant ses « analyses précédentes » : « (‘) pour moi, si on prend tout le bloc de l’immobilier (terrains du Chili, siège [Adresse 9]), pas seulement les Cèdres, l’action devait atteindre 8 000 à 9 000 euros. (‘) Je savais néanmoins que vendre une telle villa prendrait en moyenne 4-5 ans et donc c’est le temps qui aurait été nécessaire pour que le prix de l’action s’ajuste ».
163.Il résulte de l’ensemble de ces mentions que, lors de leur rencontre du 27 janvier 2016, MM. [Y] et [U] ne se sont pas bornés à évoquer, de façon générale, les perspectives à venir pour SPML, mais ont discuté, plus précisément, d’un projet de cession d’une partie de son capital, par la famille [R], susceptible d’aboutir à une cession de contrôle.
164.Si aucune de ces mentions ne fait expressément référence à l’éventualité d’une OPA, cette simple éventualité pouvait se déduire de la mention selon laquelle « la famille est enfin prête à céder le contrôle », l’objectif poursuivi par une OPA (dont le déclenchement est obligatoire dès le dépassement du seuil de 30 % du capital et des droits de vote) étant précisément une prise de contrôle.
165.Le document contenant l’ensemble de ces mentions constitue donc un indice supplémentaire de détention de l’information privilégiée par M. [Y], provenant de la transmission de celle-ci par M. [P] [U].
166.Il convient donc à présent d’examiner si le rapprochement entre ces deux indices suffit à établir, sans équivoque, que seule la détention de l’information privilégiée permet d’expliquer l’achat par M. [Y], le 8 février 2016, de cinq titres SPML, au prix de 5 049 euros par titre.
167.Celui-ci apportant d’autres explications à son achat, il convient d’apprécier si ces explications sont de nature à écarter le jeu de ces deux indices.
168.Le requérant explique que cette opération repose sur sa forte conviction personnelle que le titre SPML était sous-valorisé, ce qui est plausible, et qu’il a acquis cette conviction après avoir réalisé un travail approfondi sur ce point, en sa qualité d’analyste financier spécialisé dans le secteur des vins et spiritueux, avant sa rencontre avec M. [P] [U], le 27 janvier 2016, ce dont il justifie de manière détaillée par diverses notes de travail (document précité « Grand [R]-Consolidated notes », pages 3 à 7, et document intitulé « Grand [R]-Operating model », dans ses trois premières versions, enregistrées avant cette date, comprenant plus de dix onglets), ainsi que par des échanges de courriels avec plusieurs agents immobiliers spécialisés de la région de [Localité 12] où se trouve la villa des cèdres.
169.La démarche qu’il a entreprise, dès le 26 janvier 2016, auprès d’un courtier, pour savoir si, malgré le peu de liquidité du titre sur le marché, il pouvait trouver des actions SPML à acquérir, ce qu’il n’a pas réussi à obtenir, conforte cette analyse (échanges figurant en annexe 5 de son audition par les enquêteurs).
170.La circonstance qu’il n’a procédé à un achat de seulement cinq titres que le 8 février 2016 (ce qui représentait selon le rapport d’enquête 100 % du volume durant cette séance) ‘ soit onze jours après la décision du gérant de la société de gestion pour laquelle il travaillait de ne pas investir dans le SPML après avoir assisté à une partie de la réunion avec M. [P] [U] ‘ ne remet pas en cause la crédibilité de ses explications circonstanciées selon lesquelles cet investissement reposait sur la forte conviction qu’il s’était forgée, avant ladite réunion, de la sous-valorisation du titre.
171.Il s’ensuit que cet achat de titre peut s’expliquer autrement que par la détention d’une information privilégiée.
172.Il convient donc, au bénéfice du doute, de mettre M. [Y] hors de cause.
B. Par M. [L], entre les 4 et 11 mars 2016
173.Aux paragraphes 128 à 149 de la décision attaquée, la Commission des sanctions, après avoir rappelé que M. [B], en tant que membre du conseil d’administration de Campari, avait participé à plusieurs réunions au cours desquelles il a été fait état du projet d’acquisition de SPML, a retenu que celui-ci, inscrit sur la liste d’initiés de Campari, détenait l’information privilégiée en cause dès le 1er février 2016 et que la transmission de ladite information à M. [L], et partant sa détention par celui-ci, était établie par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, tenant à l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information, au moment opportun des interventions de celui-ci, à leur caractère atypique par rapport à ses habitudes d’investissement, et à l’absence d’explications convaincantes permettant de les justifier. Au paragraphe 150 de sa décision, elle a estimé qu’il résulte de ces indices, notamment, du moment opportun auquel le mise en cause a ouvert son compte-titres et du caractère atypique de cet investissement par rapport à ses habitudes, que celui-ci ne pouvait ignorer que l’information qu’il détenait était privilégiée. Elle en a tiré la conséquence que le manquement d’initié qui lui a été notifié était caractérisé.
174.M. [L] conteste les trois premiers indices retenus par la Commission des sanctions, qu’il n’estime, ni précis, ni concordants.
175.Sur le premier indice, relatif à l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information, il fait valoir qu’il est un ami de longue date de M. [B] et que les relevés téléphoniques versés au dossier par les enquêteurs portent uniquement sur la période de septembre 2015 au 22 mars 2016, et non sur une période plus longue, ce qui ne permettrait pas de conclure que les relations entre eux se seraient intensifiées à un moment opportun et d’en tirer un prétendu indice d’intensification des contacts téléphoniques. Il prétend que le projet d’OPA de Campari sur SPML n’a jamais été abordé entre eux mais que, lors d’un dîner au domicile de M. [B], le 1er mars 2016, il a remarqué, de manière fortuite, la présence de documents confidentiels sur le bureau de ce dernier, dont il a déduit, sans les avoir lus, la possibilité d’une opération imminente, sachant que le monde des affaires et la presse parlaient de ce projet depuis des années.
176.Sur le deuxième indice, relatif au moment prétendument opportun de ses interventions, il conteste la date d’ouverture du compte-titres à partir duquel les opérations ont été réalisées (avant le 2 mars 2016 et non ce jour-là). En outre, il prétend n’avoir jamais réalisé d’investissements financiers avec M. [B] et considère que, s’il y avait eu collusion entre eux, il serait intervenu sur le titre SPML dès le 1er février 2016 (date à laquelle ce dernier était déjà détenteur de l’information privilégiée), au lieu d’attendre le mois de mars suivant.
177.Sur le troisième indice, relatif au prétendu caractère atypique de ses interventions, il soutient que ce caractère ne saurait découler de la simple circonstance qu’il a acquis pour la première fois le titre Grand [R]. En outre, il fait valoir que les montants qu’il a investis sont loin d’être atypiques.
178.En tout état de cause, il soutient qu’il ignorait avoir été détenteur d’une quelconque information privilégiée, ayant déduit de la présence des documents considérés la préparation d’une possible opération faisant l’objet de rumeurs depuis des années, sans connaître néanmoins les détails de l’opération envisagée. En outre, il fait valoir que s’il avait été détenteur d’une information privilégiée et animé d’une volonté de s’enrichir à partir de ladite information, il aurait engagé des sommes plus conséquentes et réalisé une plus-value plus importante.
179.Dans ses observations, l’AMF répond, en premier lieu, aux critiques adressées à chacun de ces indices.
180.Sur le premier indice, elle relève que l’intensification des contacts téléphoniques entre MM. [L] et [B] n’a pas été retenue par la Commission des sanctions comme un indice autonome de détention de l’information privilégiée. Elle rappelle leur amitié de longue date (de plus de quarante ans), ainsi que l’existence d’un dîner entre eux le 1er mars 2016. Le fait qu’ils aient déclaré au cours de la procédure que ce dernier ne parlait, de façon générale, jamais de son travail, et qu’ils ne discutaient jamais de sujets financiers, serait un élément indifférent à l’appréciation d’un possible circuit plausible de transmission.
181.Sur le deuxième indice, l’AMF précise que la date d’ouverture du compte-titres, à savoir le 2 mars 2016, soit le lendemain du dîner, est celle du contrat que M. [L] a conclu et signé avec la banque. Elle indique que les investissements de celui-ci ont commencé seulement deux jours après l’ouverture dudit compte et que ce dernier a servi uniquement à l’acquisition des titres SPML, entre le 4 et le 11 mars 2016.
182.Sur le troisième indice, elle rappelle que, du 31 août 2014 au 31 mars 2016, M. [L] ne disposait que d’un seul autre compte-titres (ouvert le 16 janvier 2013 auprès d’une autre banque) dont il était titulaire avec son frère, mais qui, selon ses propres déclarations, était à la disposition de leur mère et était géré par son frère, de sorte que les investissements réalisés sur ce compte-titres ne permettent pas d’évaluer les habitudes d’investissement du requérant. Elle précise qu’en tout état de cause, les relevés de ce compte-titres démontrent qu’entre 2014 et 2016, les seules valeurs détenues sur ce portefeuille concernaient des sociétés sans aucun lien avec l’activité de SPML.
183.En deuxième lieu, elle indique qu’aucune des explications avancées par M. [L] ne permettent de justifier ses interventions sur le titre SPML à un moment opportun, alors qu’il n’était jamais intervenu sur les marchés boursiers auparavant.
184.En troisième lieu, elle rappelle que la volonté d’enrichissement ou l’espoir de gain ne sont pas des éléments constitutifs du manquement d’initié.
185.En quatrième lieu, elle fait valoir que les indices relevés précédemment, notamment, le moment très opportun auquel M. [L] a ouvert son compte-titres, ainsi que l’atypicité de cet investissement par rapport à ses habitudes, sont des circonstances liées à l’acquisition des titres, qui témoignent de ce qu’il ne pouvait ignorer que l’information reçue de M. [B] était privilégiée.
186.L’AMF estime qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que le manquement d’initié reproché est caractérisé.
187.Le ministère public partage cette analyse.
Sur ce, la Cour :
188.Comme cela a déjà été indiqué, à défaut de preuve matérielle directe, la détention et l’utilisation d’une information privilégiée peuvent être établies par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, dont il résulte, sans équivoque, que seule cette détention permet d’expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé. Il convient également de rappeler que l’AMF n’est pas tenue d’établir précisément les circonstances dans lesquelles l’information privilégiée est parvenue jusqu’à la personne qui l’a utilisée.
189.En l’espèce, il est constant que M. [L] a, entre le 4 et le 11 mars 2016, acquis dix titres SPML, au cours moyen de 4 963 euros par titre, dont la revente lui a permis de réaliser une plus-value de 34 400 euros.
190.À défaut de preuve matérielle directe, il importe de rechercher s’il est établi, par un faisceau d’indices graves, précis et concordants, que pendant la période d’acquisition des titres, soit entre le 4 et le 11 mars 2016, celui-ci détenait et a utilisé en conséquence, par ces acquisitions, l’information privilégiée en cause.
191.Il convient donc d’examiner, en premier lieu, les indices retenus par la Commission des sanctions, critiqués par le requérant.
192.S’agissant du premier indice, il importe de rappeler que la Commission des sanctions ne s’est pas fondée sur l’intensification des relations entre MM. [L] et [B] à un moment opportun, en tant qu’indice autonome, contrairement à ce que suggère le requérant, mais, sur cet élément, parmi d’autres, pour retenir l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information, tenant à la fréquence de leurs contacts téléphoniques au début de l’année 2016, après avoir relevé que ceux-ci entretenaient une relation amicale depuis plusieurs décennies même si leurs rencontres ou contacts étaient moins fréquents. C’est donc en vain que le requérant critique l’absence d’éléments de l’enquête portant sur la période des relevés téléphoniques. En outre, il ressort de leurs auditions respectives qu’ils avaient dîné ensemble le 1er mars 2016, le jour même de la réunion du conseil d’administration de Campari au cours de laquelle une offre aux actionnaires familiaux de SPML a été décidée, à laquelle M. [B] a assisté. Ces différents éléments suffisent à établir l’existence d’un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée, entre M. [B] (dont il est établi qu’il était détenteur de l’information privilégiée dès le 1er février 2016) et M. [L]. Il s’agit d’un premier indice de détention de l’information par M. [L].
193.S’agissant du moment de réalisation des interventions de M. [L] sur le titre SPML, il ressort du dossier que le compte-titres à partir duquel il y a procédé, dès le 4 mars 2016, a été ouvert le lendemain de ce dîner, soit le 2 mars, et non auparavant, étant précisé que l’autre compte-titres dont il était titulaire avec son frère, ouvert avant cette date (le 16 janvier 2013), auprès d’une autre banque, n’a nullement servi à ces interventions. Ces éléments suffisent à considérer que ces interventions ont été réalisées au moment opportun. La circonstance, invoquée par le requérant, qu’il n’aurait jamais réalisé d’investissements financiers avec M. [B] et que, s’il y avait eu collusion entre eux, il serait intervenu sur le titre SPML dès le 1er février 2016, est indifférente. Le moment opportun de ses interventions constitue donc un deuxième indice de détention de l’information par M. [L].
194.S’agissant des habitudes d’investissements de M. [L], il est établi que, comme l’a relevé la Commission des sanctions, dans la décision attaquée (paragraphe 143), les acquisitions de titres SPML, en mars 2016, constituaient les premières interventions de celui-ci sur des valeurs cotées et qu’à cet effet, il a ouvert un compte-titres, lequel a exclusivement servi à ces interventions. Ce constat suffit à démontrer le caractère atypique de ses interventions. La circonstance que, comme il le suggère, les montants de celles-ci soient modestes par rapport à l’importance de son patrimoine, n’est pas de nature à remettre en cause leur caractère atypique. Il s’agit là d’un troisième indice de détention de l’information par M. [L].
195.Il existe donc un faisceau d’indices graves, précis et concordants, dont il résulte, sans équivoque, que seule la détention par M. [L] de l’information privilégiée permet d’expliquer ses interventions.
196.Les explications qu’il a avancées lors de son audition par le rapporteur, relatives aux circonstances dans lesquelles il aurait déduit la possibilité d’une OPA imminente, sont invoquées par le requérant, devant la Cour, pour contester sa connaissance du caractère privilégié de l’information en cause.
197.Ces explications, qui ne sont pas de nature à justifier ses interventions sur le titre SPML, ne sont pas davantage de nature à remettre en cause le fait qu’il ne pouvait ignorer qu’il s’agissait d’une information privilégiée, comme en témoignent le moment opportun de ses interventions, leur caractère atypique, ainsi que sa crainte, exprimée lors de son audition par le rapporteur, d’avoir abusé de la confiance de son ami. La circonstance qu’il ne connaissait pas, comme il prétend, les détails de l’opération envisagée, ne remet pas en cause cette analyse.
198.Il s’ensuit que M. [L] relevait de l’obligation, prescrite à l’article 662-1 du RGAMF, précité, d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée.
199.L’absence alléguée de volonté d’enrichissement de sa part est indifférente ; elle ne saurait l’exonérer de sa responsabilité à ce titre.
200.Dès lors, le manquement d’initié reproché à M. [L] est établi.
III. SUR LES SANCTIONS
201.S’agissant de M. [L], la Commission des sanctions a prononcé à son encontre une sanction de 100 000 euros, en se fondant sur l’importance des gains réalisés par ses interventions (34 000 euros) et sa situation financière et patrimoniale (décision attaquée, paragraphes 175 à 177).
202.Dans ses dernières écritures, M. [L] conteste le quantum de la sanction, au regard notamment des montants investis qu’il considère comme très faibles, et estime que celle-ci ne pourra qu’être ramenée à des proportions plus raisonnables, soit à un montant équivalent à celui de la plus-value réalisée (34 000 euros).
203.Dans son recours incident, le président de l’AMF demande que la sanction prononcée à l’encontre de M. [L], de 100 000 euros, soit portée à 120 000 euros. Il estime que la sanction prononcée à son encontre est insuffisante, en raison de l’importance de ses interventions au regard de la faible liquidité du titre (caractère massif des interventions réalisées, ayant pesé de manière conséquente sur le marché et ayant nécessairement causé un préjudice aux autres investisseurs, parties à une transaction déséquilibrée) et de l’étendue de son patrimoine (s’élevant à plusieurs dizaines de millions d’euros). Il relève que la sanction de 100 000 euros représente moins de trois fois la plus-value réalisée du fait du manquement commis et à peine deux fois son investissement initial.
204.Dans ses premières observations, l’AMF s’en remet, sur la sanction, aux écritures déposées par le président de cette autorité à l’appui de son recours incident. Dans ses observations complémentaires, l’AMF conteste la recevabilité du moyen développé par M. [L] sur la sanction, en raison de sa nouveauté, ce moyen ne figurant pas dans son exposé des moyens et ayant été invoqué pour la première fois à l’expiration du délai de quinze jours suivant le dépôt de la déclaration de recours, prévu à l’article R. 621-46, I, du code monétaire et financier. Elle fait valoir que ce moyen nouveau ne saurait être regardé comme ayant pour objet de répondre ni à ses propres observations ni au recours incident du président de l’AMF, ce dernier sollicitant l’aggravation de la sanction prononcée et non sa réduction.
205.Le ministère public estime ce moyen recevable, en raison du libellé de la déclaration de recours et de l’exposé des moyens. Il considère qu’en outre, le moyen pourrait être regardé comme étant en réponse au recours incident du président de l’AMF. Sur le montant de la sanction, il fait valoir que la sanction du manquement d’initié ne saurait être limitée au risque de devoir « rembourser » le montant du produit indûment retiré dudit manquement, sous peine pour la répression de ce type d’abus de ne présenter aucun caractère dissuasif. S’agissant du recours incident du président de l’AMF, il s’en rapporte à l’appréciation de la Cour sur la demande d’aggravation de la sanction à 120 000 euros.
Sur ce, la Cour :
206.Aux termes de l’article R. 621-46, I, du code monétaire et financier, lorsque la déclaration de recours déposée au greffe de la Cour ne comporte pas l’exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, déposer cet exposé au greffe dans les quinze jours qui suivent le dépôt de ladite déclaration.
207.Il s’ensuit que sont irrecevables tous les moyens développés dans les mémoires successivement déposés à l’appui du recours, lorsqu’ils ne figurent ni dans la déclaration de recours, ni dans l’exposé des moyens, lesquels fixent les termes du litige. Ne sont recevables que les moyens nouveaux qui n’ont d’autre objet que de répondre aux observations de l’AMF.
208.En l’espèce, il est constant que le moyen développé par M. [L] dans ses dernières écritures, pris du caractère disproportionné de la sanction prononcée à son encontre, et tendant à la réduction de son montant, est nouveau.
209.Il n’a pas pour objet de répondre aux observations de l’AMF, celles-ci s’en remettant, sur la sanction, aux écritures déposées par son président à l’appui de son recours incident. Il n’est pas davantage de nature à répondre audit recours incident, dès lors qu’il sollicite, sur le fondement de ce moyen, la réduction du quantum de la sanction, alors que le président de l’AMF demande au contraire son aggravation.
210.Il s’ensuit que le moyen développé par M. [L] sur le quantum de la sanction est irrecevable.
211.S’agissant du recours incident formé par le président de l’AMF, qui est en revanche recevable, il convient de rappeler que l’article L. 621-15, sous III ter, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, rétroactivement applicable aux faits comme étant plus favorable que le précédent texte, précise les critères à prendre en compte pour déterminer le montant de la sanction, selon les termes suivants :
« Dans la mise en ‘uvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :
‘ de la gravité et de la durée du manquement ;
‘ de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause ;
‘ de la situation et de la capacité financières de la personne en cause au vu notamment de son patrimoine et, s’agissant d’une personne physique de ses revenus annuels, s’agissant d’une personne morale de son chiffre d’affaires total ;
‘ de l’importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
‘ des pertes subies par les tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
‘ du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ;
‘ des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
‘ de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter la réitération du manquement ».
212.La loi encadre ainsi la mise en ‘uvre des sanctions, en prévoyant, à titre indicatif, un ensemble de critères destinés à assurer leur individualisation.
213.Il convient donc d’examiner si le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l’encontre de M. [L] par la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, est concrètement proportionné et suffisamment dissuasif, eu égard aux critères précités.
214.La Cour estime qu’au regard de la gravité et de la durée du manquement, qui a donné lieu à quatre interventions successives (le 4, le 9, le 10 et le 11 mars) s’élevant à la somme totale de 49 630 euros, du montant des gains réalisés (34 000 euros) et de la situation financière et patrimoniale de M. [L], que la Commission a précisément et exactement présentée dans la décision attaquée (paragraphes 176 et 177), ce qui n’est pas contesté, le montant de la sanction prononcée à son encontre, de 100 000 euros, qui représente deux fois le montant des interventions effectuées et quasiment trois fois celui des gains réalisés, est proportionné et suffisamment dissuasif.
215.Si la faible liquidité du marché a pu amplifier l’incidence des interventions de M. [L] sur le marché, dont le montant s’élevait à 49 630 euros, le dossier ne permet pas de déterminer les pertes subies par des tiers, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte pour fixer le montant de la sanction.
216.Il convient donc de rejeter le recours incident du président de l’AMF en ce qu’il est dirigé à l’encontre de M. [L].
217.M. [Y] étant mis hors de cause, il n’y a pas lieu de prononcer de sanction pécuniaire à son égard. En conséquence, il convient de rejeter le recours incident formé par le président de l’AMF en ce qu’il est dirigé à son encontre également.
IV. SUR LA DEMANDE D’ANONYMISATION DE LA PUBLICATION DE LA DÉCISION ET DE L’ARRÊT
218.Aux paragraphes 179 à 183 de la décision attaquée, après avoir rappelé le libellé de l’article L. 621-15, V, du code monétaire et financier, ainsi que les raisons invoquées, notamment, par MM. [Y] et [L], en faveur de la non-publication de ladite décision ou de sa publication sous forme non anonymisée, la Commission des sanctions a estimé que la publication de sa décision n’était ni susceptible de causer aux personnes en cause un préjudice grave et disproportionné, ni de nature à perturber gravement la stabilité du système financier ou encore le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours.
219.M. [Y] demande à la Cour, à titre subsidiaire, au cas où le manquement reproché serait jugé établi, de réformer la décision attaquée, en ce qu’elle a ordonné la publication de celle-ci de manière non anonymisée, et d’ordonner son anonymisation, ainsi que celle de l’arrêt à intervenir, en ce qui le concerne, en faisant valoir que la publication sans anonymisation de la décision attaquée lui a causé un préjudice considérable sur les plans professionnel et familial.
220.M. [L] demande à la Cour de réformer la décision attaquée concernant la publication non anonymisée de celle-ci et d’ordonner son anonymisation. Il fait valoir qu’une publication sans anonymisation lui causerait un préjudice grave et disproportionné compte tenu des fonctions philanthropiques qu’il occupe.
221.Dans ses observations, l’AMF rappelle que la publication nominative d’une décision de la Commission des sanctions n’est pas en elle-même excessive, dès lors qu’elle est prévue par la loi et résulte du principe général répressif de publicité des sanctions et de la diffusion de l’identité des personnes sanctionnées. En l’espèce, elle met en doute le préjudice grave et disproportionné dont se prévaut M. [Y], dans la mesure où il ne justifierait, ni n’alléguerait avoir été licencié par la société de gestion qui l’employait, et aurait créé sa société de conseil, sans interrompre sa carrière d’analyse financier. Elle estime qu’en tout état de cause les conséquences de la publication ne sont nullement disproportionnées au regard de la gravité du manquement commis, dans la mesure où, en tant qu’analyste financier, il est particulièrement sensibilisé et informé des obligations d’abstention d’utilisation d’informations privilégiées.
222.Le ministère public estime que la demande de M. [Y] serait sans objet au cas où la Cour retiendrait que le manquement en cause n’est pas établi. Quant à la demande de M. [L], il est d’avis de la rejeter, faute pour ce dernier d’expliquer en quoi cette publication sans anonymisation lui serait préjudiciable, alors que les fonctions dont il se prévaut sont en outre étrangères au domaine boursier.
Sur ce, la Cour :
223.L’article L. 621-15, V, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à compter du 11 décembre 2016, non modifiée dans un sens moins sévère, dispose:
« La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées.
La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d’une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :
a) Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d’une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ;
b) Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours.
(‘)
Lorsqu’une décision de sanction prise par la commission des sanctions fait l’objet d’un recours, l’Autorité des marchés financiers publie immédiatement sur son site internet cette information ainsi que toute information ultérieure sur le résultat de ce recours » (souligné par la Cour).
224.En l’espèce, il importe, en premier lieu, de relever que, le présent arrêt mettant hors de cause M. [Y], sa demande d’anonymisation de la décision attaquée et de réformation de celle-ci sur ce point, formée au cas où le manquement reproché serait jugé établi, est devenue sans objet. À titre surabondant, la Cour rappelle qu’en vertu des dispositions précitées, l’AMF devra publier immédiatement sur son site internet l’information portant sur sa mise hors de cause, s’agissant du résultat du recours qu’il a formé, devant la Cour, contre la décision de la Commission des sanctions. Pour la même raison, sa demande d’anonymisation de la publication du présent arrêt est également devenue sans objet. Au surplus, la Cour précise que cet arrêt sera diffusé sur le site de l’AMF comme sur celui de la Cour exclusivement de manière anonymisée, sous un format en « open data ».
225.S’agissant, en second lieu, de la demande d’anonymisation de la décision attaquée, formée par M. [L], il convient de la rejeter, le motif avancé à l’appui de sa demande n’étant pas de nature à caractériser l’existence d’un préjudice grave et disproportionné, au sens de l’article L. 621-15 V, précité.
V. SUR LA DEMANDE D’INDEMNISATION
226.M. [Y] demande, en tout état de cause, la condamnation de l’AMF à lui verser la somme de 50 000 euros à titre d’indemnisation de son préjudice moral. Il prétend que la Commission aurait traité son dossier avec légèreté et négligence et que la publication de la décision attaquée a eu un impact direct et immédiat à son encontre. Sur ce point, il indique avoir été mis à pied dès cette publication et s’être retrouvé dans la quasi-impossibilité de retrouver un emploi dans le secteur dans lequel il s’était spécialisé depuis dix ans. Il explique que, si rien ne lui interdit légalement d’exercer son métier en France, la réalité de l’industrie financière fait qu’aucune entreprise ne prendra le risque, pour des questions d’image et de réputation, d’embaucher une personne condamnée pour manquement d’initié, ce qui l’aurait conduit à créer sa propre structure de conseil pour poursuivre une activité professionnelle. Il fait valoir que la presse s’est largement fait l’écho de la sanction prise à son encontre, étant nommément désigné.
227.En réponse aux observations de l’AMF, M. [Y] indique qu’il est de jurisprudence constante que le contentieux de la responsabilité du fait des décisions des autorités administratives indépendantes placées sous le contrôle d’une juridiction judiciaire relève de cette même juridiction. Il fait valoir, en outre, que la mise en jeu de la responsabilité de l’AMF dans le cadre de son activité de sanction devant la juridiction judiciaire est soumise aux règles et principes de la responsabilité administrative par dérogation au principe de la liaison de la compétence et du fond, de sorte qu’il est exigé la preuve d’une faute lourde.
228.Dans ses observations, l’AMF relève que M. [Y] ne cite aucun fondement à sa demande d’indemnisation et que les articles L. 621-30 et R. 621-44 et suivants du code monétaire et financier, sur lesquels est fondé son recours, ne confèrent pas à la cour d’appel de Paris le pouvoir d’ordonner une telle indemnisation, son pouvoir étant limité à la confirmation, la réformation ou l’annulation des décisions de la Commission des sanctions.
Sur ce, la Cour :
229.Il convient tout d’abord de rappeler que l’article L. 621-30 du code monétaire et financier réserve à l’autorité judiciaire la compétence pour connaître des recours formés contre les décisions individuelles de l’AMF, autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 du même code et, par suite, il en va de même pour les actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions. (en ce sens,Tribunal des conflits, 2 mai 2011, pourvoi n° 11-03.766, dans le même sens que Tribunal des conflits, 22 juin 1992, n° 02671).
230.Il convient également de rappeler qu’en cas d’actions tendant à la réparation des conséquences nées de telles décisions, la mise en jeu de la responsabilité de l’AMF, devant la juridiction judiciaire, est soumise aux règles et principes de la responsabilité administrative, et partant à l’exigence d’une faute lourde (en ce sens, voir jurisprudence précitée, ainsi que Civ. 23 novembre 1956, affaire dite du Docteur Giry, Bull. civ. II, n° 407).
231.En l’espèce, la demande de M. [Y] en indemnisation du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait de la décision attaquée et, ainsi qu’elle l’a ordonné, de sa publication sans anonymisation, relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
232.À l’appui de sa demande, il soutient que la Commission des sanctions a traité avec légèreté et négligence son dossier, en violation de la présomption d’innocence, et des principes d’individualisation et de proportionnalité des sanctions :
‘ pour déterminer l’existence d’une information privilégiée (en donnant une portée très extensive et même en dénaturant le courriel envoyé par Mme [C] [R] au président de Campari le 26 janvier 2016) ;
‘ pour retenir l’existence d’un circuit plausible de transmission de la prétendue information privilégiée (en se fondant uniquement sur ses notes de travail, en les dénaturant, et en ignorant les autres éléments qui rendraient objectivement plus qu’improbable l’existence de ce circuit) ;
‘ pour écarter ses explications alternatives de nature à justifier son investissement (sans aucune motivation concernant l’ensemble des travaux qu’il avait réalisés sur SPML) ;
‘ pour ordonner la publication sans anonymisation de la décision attaquée (sans faire état de sa demande de non-publication de la décision, et de celle a minima d’anonymisation de sa publication, et en réservant le même sort à l’ensemble des mis en cause).
233.Ayant retenu la qualification d’information privilégiée, ainsi que l’existence d’un circuit plausible de transmission de celle-ci, la Cour ne saurait regarder la décision attaquée, statuant sur ces points, comme procédant d’une quelconque faute. Quant aux explications alternatives avancées par M. [Y], si la Cour a eu une appréciation différente de celle de la Commission des sanctions, laquelle a examiné les travaux dont il se prévalait (décision attaquée, paragraphe 98), cette différence d’appréciation n’est nullement de nature à engager la responsabilité de l’AMF. Enfin, si la Commission des sanctions a omis d’indiquer, dans la décision attaquée, les raisons invoquées par M. [Y] pour demander la non publication de celle-ci ou son anonymisation (comme en témoignent ses observations en réponse au rapport du rapporteur), cette omission ne suffit pas à engager la responsabilité de l’AMF.
234.Il convient donc de rejeter la demande d’indemnisation de M. [Y].
VI. SUR LES DEMANDES AU TITRE DE L’ARTICLE 700 DU CPC ET DES DÉPENS
235.En équité, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
236.Il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
ORDONNE la jonction des instances enrôlées sous les RG n ° 21/00887 et 21/00969 et dit qu’elles se poursuivront sous le numéro le plus ancien ;
REJETTE le recours formé par M. [W] [L] à l’encontre de la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 10 du 13 novembre 2020, en ce qu’elle a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 100 000 euros et ordonné la publication de celle-ci sur le site internet de l’Autorité et son maintien en ligne de manière non anonyme pendant cinq ans à compter de la date de son prononcé ;
RÉFORME ladite décision en ce qu’elle a prononcé à l’encontre de M. [S] [Y] une sanction pécuniaire de 50 000 euros ;
Statuant à nouveau, met ce dernier hors de cause ;
REJETTE le recours incident du président de l’AMF ;
REJETTE la demande d’indemnisation de M. [Y] ;
REJETTE les demandes d’anonymisation de la décision de la Commission des sanctions ;
DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVET
LA PRÉSIDENTE,
Frédérique SCHMIDT