Cobranding / Association de marques : 8 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19043

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Cobranding / Association de marques : 8 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19043
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 08 JUIN 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/19043 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGVUG

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Novembre 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2022048542

APPELANTES

S.A.S. CARREFOUR FRANCE, RCS de Caen sous le n°672 050 085, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

CARREFOUR WORLD TRADE société anonyme de droit suisse, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1] (SUISSE)

Représentées par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistées à l’audience par Me Kyum LEE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0202

INTIMEE

S.A. COOPERATIVE U ENSEIGNE, RCS de Créteil sous le n°304 602 956, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Assistée à l’audience par Me Richard RENAUDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Avril 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Thomas RONDEAU, Conseiller et Michèle CHOPIN, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSE DU LITIGE

Le 8 juin 2018, la société Carrefour France et la société Coopérative U Enseigne ont conclu un accord de coopération ayant pour objet ‘la négociation groupée de certains ‘améliorateurs’ pour certains produits de grande consommation auprès de certains grands fournisseurs de marques nationales et internationales alimentaires et non alimentaires, afin d’améliorer des conditions d’achat des produits concernés, et ce notamment afin de renforcer la compétitivité du groupe Carrefour et du Groupement Système U et leur permettre ainsi d’offrir aux consommateurs des produits de qualité à des prix compétitifs.’

Le 27 mars 2019, la société Carrefour World Trade (CWT) et la société Coopérative U Enseigne ont conclu un contrat de services, dans le cadre duquel CWT négocie auprès de fournisseurs internationaux des prestations internationales sous-traitées à Coopérative U Enseigne et rémunérées par ces fournisseurs internationaux.

Le terme de ces deux contrats a été fixé au 31 décembre 2023, avec possibilité de renouvellement par tacite reconduction.

Par avenant n°3 à l’accord de coopération du 8 juin 2018 (daté du 13 juin 2022) , les parties sont convenues de ne pas renouveler cet accord à son terme (31 décembre 2023), puis par avenant n° 4 (daté du 5 septembre 2022), elles sont convenues d’avancer ce terme au 31 décembre 2022. Elles ont en revanche décidé de poursuivre le contat de services jusqu’au 31 décembre 2026.

Le 19 septembre 2022, la société Coopérative U Enseigne a informé la société Carrefour France de son intention de ne pas exécuter le contrat de services au-delà du 31 décembre 2022, le considérant nul à cette date en application de l’article L.420-3 du Code de commerce, expliquant qu’il n’est pas pour elle envisageable de poursuivre l’exécution de ce contrat de services de manière dissociée de l’accord de coopération compte tenu des risques de sanctions encourus sur le fondement des articles L.420-1 et suivants du Code de commerce, qu’en effet les avantages consentis par les fournisseurs en contrepartie de services de prestations internationales ne sont susceptibles d’être intégrés dans le seuil de revente à perte que pour autant que ces services sont indissociables de la relation d’achat, ce qui signifie concrètement que la Coopérative U Enseigne ne serait plus en mesure, à compter du 1er janvier 2023, de réintégrer le seuil de revente à perte des avantages consentis par les fournisseurs internationaux à CWT et reversés en partie par CWT à la Coopérative U Enseigne dans le cadre de la sous-traitance de la réalisation de services.

Contestant cette analyse par lettre en réponse datée du 27 septembre 2022, la société Carrefour France a mis en demeure la société Coopérative U Enseigne d’exécuter ses obligations au titre du contrat de services jusqu’à son terme soit le 31 décembre 2026. Elle lui reproche d’avoir brutalement rompu avant son terme la relation contractuelle pour s’engager en septembre 2022 dans les liens d’un partenariat concurrent avec le groupe Epic Partners, cela en violation de la clause d’exclusivité à laquelle elle était soumise.

Une médiation a été mise en oeuvre, qui n’a pas abouti.

Par acte du 7 octobre 2022, les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade (CWT) ont fait assigner en référé la société Coopérative U Enseigne devant le tribunal de commerce de Paris, aux fins de voir :

– ordonner, sous astreinte de 150.000 euros par jour de retard, la poursuite de l’exécution de l’Accord de Coopération, dans ses stipulations relatives au Partenariat, et du Contrat de Services, à compter du 1er janvier 2023 et jusqu’à ce qu’intervienne une sentence arbitrale statuant au fond sur le désengagement de la Coopérative U annoncé dans sa notification du 19 septembre 2022 ;

– faire interdiction à la Coopérative U, sous astreinte de 150.000 euros par jour de retard, d’exécuter le partenariat international qu’elle a conclu avec Epic Partners et Everest jusqu’à ce qu’intervienne cette méme sentence arbitrale ;

– condamner la Coopérative U à payer aux sociétés Carrefour France et à Carrefour World Trade, prises ensemble, la somme de 100.000 euros au titre de l’anicle 700 du code de procédure civile ;

– condamner la Coopérative U aux entiers dépens de l’instance.

La société Coopérative U Enseigne a conclu à titre principal à l’irrecevabilité de l’action et à titre subsidiaire qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a :

– dit n’y avoir lieu à référé ;

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné en outre solidairement la société Carrefour France et la société Carrefour World Trade aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA ;

– rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration du 18 novembre 2022, les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 18 avril 2023, les appelantes demandent à la cour, au visa des articles 872 et 873 alinéa 1er du code de procédure civile, de :

– infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant de nouveau,

sur la fin de non-recevoir soulevée par la Coopérative U,

– à titre principal, confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté cette prétention ;

– à titre subsidiaire, rejeter cette fin de non-recevoir ;

pour le surplus,

– ordonner, sous astreinte de 150.000 euros par jour de retard, la poursuite de l’exécution de l’Accord, dans ses stipulations relatives au partenariat international, et du Contrat de Services jusqu’à ce qu’intervienne un accord amiable entres les parties ou une sentence arbitrale statuant au fond sur le désengagement de la Coopérative U annoncé dans sa notification du 19 septembre 2022 ;

– faire interdiction à la Coopérative U, sous astreinte de 150 000 euros par jour de retard, d’exécuter le partenariat international qu’elle a conclu avec l’Epic Partners jusqu’à ce qu’intervienne un accord amiable entres les parties ou une sentence arbitrale statuant au fond sur le désengagement de la Coopérative U annoncé dans sa notification du 19 septembre 2022 ;

– débouter la Coopérative U de l’intégralité de ses prétentions ;

– condamner la Coopérative U à payer aux sociétés Carrefour France et à Carrefour World Trade, prises ensemble, la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la Coopérative U aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 17 avril 2023, la société Coopérative U Enseigne demande à la cour de :

à titre principal,

– constater que les accords relatifs au Partenariat Carrefour World Trade ont pris fin au 31 décembre 2022 et juger en conséquence qu’il n’y a plus lieu à référé au jour où la Cour statue ;

– juger que les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade ne démontrent pas le caractère urgent de leurs demandes ;

– par conséquent, juger irrecevable l’intégralité des demandes des sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade et les en débouter ;

à titre subsidiaire,

– juger que les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade sollicitent en réalité des demandes d’injonction de faire qui requièrent l’absence de contestation sérieuse, conformément à l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;

– juger que la Coopérative U oppose une contestation sérieuse aux demandes des sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade tenant à la nullité du Partenariat Carrefour World Trade, en raison de son caractère anticoncurrentiel à compter du 1er janvier 2023, qui ne peut être tranchée par le juge des référés ;

– par conséquent, confirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 10 novembre 2022 en ce qu’il a relevé l’existence d’une contestation sérieuse et débouter en conséquence les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade de l’intégralité de leurs demandes ;

à titre infiniment subsidiaire,

– juger que la cessation anticipée, par la Coopérative U, du Partenariat Carrefour World Trade compte tenu de sa nullité n’est pas constitutive d’un trouble manifestement illicite pour les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade ;

– juger, en toute hypothèse, que la déloyauté des sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade s’oppose à la caractérisation d’un quelconque trouble manifestement illicite en l’espèce  ;

– par conséquent, confirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 10 novembre 2022 en ce qu’il a exclu tout trouble manifestement illicite et débouter en conséquence les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade de l’intégralité de leurs demandes au titre du trouble manifestement illicite ;

– juger que le dommage allégué par les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade n’est ni légitime, ni certain, ni immédiat, ni irréversible ;

– par conséquent, confirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 10 novembre 2022 en ce qu’il a exclu tout dommage imminent et débouter en conséquence les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade de l’intégralité de leurs demandes au titre du dommage imminent ;

en tout état de cause,

– juger que les mesures réclamées par les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade sont illimitées dans le temps ;

– juger que les mesures réclamées par les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade sont impossibles à réaliser en pratique ;

– juger, en toute hypothèse, que les mesures réclamées par les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade sont totalement disproportionnées et révèlent son intention de nuire à la Coopérative U ;

en conséquence,

– juger n’y avoir lieu à référé et renvoyer les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade à mieux se pourvoir au fond ;

– débouter les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

– condamner les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade, chacune, à payer à la Coopérative U la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner solidairement aux entiers dépens.

Pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Sur la fin de non-recevoir soulevée par l’intimée

La société Coopérative U Enseigne soulève l’irrecevabilité des demandes des sociétés Carrefour France et CWT au visa de l’article 448 alinéa 2 du code de procédure civile, au motif que du fait d’une clause d’arbitrage convenue entre les parties tant dans l’accord de coopération que dans le contrat de services, l’action en référé introduite par les sociétés Carrefour France et CWT aux fins de mesures provisoires ou conservatoires est subordonnée à l’existence d’une situation d’urgence, inexistante en l’espèce.

Les appelantes opposent, au visa de l’article 954 du code de procédure civile, que la cour n’est pas saisie de cette fin de non-recevoir, les conclusions de l’intimée ne contenant pas de ce chef de demande d’infirmation de l’ordonnance entreprise, qui a rejeté cette fin de non-recevoir.

L’intimée réplique qu’il ne peut lui être reproché de n’avoir pas sollicité l’infirmation de l’ordonnance sur ce point alors que le premier juge a omis de statuer sur la fin de non-recevoir.

Selon l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction de premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.

Selon l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Au visa de ces deux textes, la Cour de cassation juge que lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation des chefs du dispositif ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement.

En l’espèce, dans le dispositif de ses dernières conclusions, l’intimée ne sollicite ni l’infirmation de l’ordonnance entreprise ni son annulation sur la fin de non-recevoir tirée de l’existence d’une clause d’arbitrage et de l’absence d’urgence.

Si le premier juge n’a pas motivé sa décision sur cette fin de non-recevoir, en statuant sur le fond du référé et en disant dans son dispositif ‘rejetons toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties’, il a nécessairement rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la défenderesse, qu’il avait bien mentionnée en première partie de sa décision au titre des prétentions des parties.

L’intimée ne sollicitant ni l’annulation de la décision de ce chef ni son infirmation, mais seulement ‘juger que Carrefour France et CWT ne démontrent pas le caractère urgent de leurs demandes et par conséquent, juger irrecevable l’intégralité des demandes de Carrefour France et CWT et les en débouter’, la cour ne peut que confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a ‘rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties’, parmi lesquelles la demande d’irreevabilité de l’action en référé.

A titre surabondant, il sera relevé que tant dans l’accord de coopération que dans le contrat de services, les parties se sont expressément réservées la possibilité, nonobstant la clause d’arbitrage, la faculté d’agir en référé en toutes circonstances sur le fondement notamment des articles 145, 872 et 873 du code de procédure civile (article 18-6 de l’accord de coopération et article 11-6 du contrat de serices). Au demeurant, force est de constater qu’en agissant aux fins de poursuite des relations contractuelles auxquelles la société Coopérative U entendait mettre fin au 31 décembre 2022 avant le terme contractuel, les sociétés Carrefour France et CWT justifiaient bien d’une urgence, caractérisée par la très proche fin de la rupture des relations contractuelles, le premier juge ayant d’ailleurs autorisé les demanderesses à assigner d’heure à heure, ‘vu l’urgence’.

L’ordonnance entreprise sera ainsi confirmée en ce qu’elle a jugé l’action recevable en rejetant ‘toutes demandes plus amples ou contraires’.

Sur le fond du référé

Les sociétés Carrefour France et CWT agissent aux fins de poursuite de l’exécution du contrat de services et d’interdiction faite à la Coopérative U Enseigne d’exécuter le partenariat qu’elle a conclu avec un tiers, sur le fondement des articles 872 et 873 alinéa 1er du code de procédure civile en se prévalant de l’urgence, d’un trouble manifestement illicite et d’un dommage imminent.

Aux termes de l’article 872, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Selon l’article 873, il peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Il est constant que la société Coopérative U Enseigne a mis fin de manière anticipée au contrat de services conclu avec la société CWT, dont la poursuite avait été décidée par les parties jusqu’au 26 décembre 2023 nonobstant la cessation convenue de l’accord de coopération au 31 décembre 2022.

La société Coopérative U Enseigne soutient que la poursuite du contrat de services de manière dissociée du contrat de coopération crée une situation de pratique anticoncurrentielle prohibée, qu’elle explicite dans sa lettre de résiliation anticipée du 19 septembre 2022, le contrat de services encourant ainsi la nullité en application de l’article L.420-3 du Code de commerce.

Le 17 avril 2023, elle a saisi l’Autorité de la concurrence des pratiques anti-concurrentielles qu’elle reproche aux sociétés Carrefour France et CWT de mettre en oeuvre en cherchant à poursuivre l’exécution de ce contrat de services.

Selon l’article 1212 du code civil, ‘Lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme.’ Toutefois, la gravité du comportement d’une partie peut justifier que l’autre partie y mette fin de manière unilatérale à ses risques et périls.

Aussi, le refus pour une partie, qui argue de la nullité d’un contrat, d’exécuter ce dernier alors qu’aucune juridiction de fond n’a encore remis en cause la validité de la convention, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite dès lors que le comportement de cette partie remet en cause de manière flagrante le principe de la force obligatoire des contrats et est contraire au principe selon lequel nul ne peut se faire justice à soi-même. Toutefois, ce comportement peut perdre son caractère de trouble manifestement illicite si le comportement de l’autre partie est susceptible de constituer lui-même une illicéité flagrante.

En l’espèce, force est de constater que la poursuite de l’exécution du contrat de services de manière dissociée de l’exécution de l’accord de coopération, même si elle a été décidée d’un commun accord (la société Copérative U Enseigne indiquant cependant qu’elle a été hâtivement décidée), est sérieusement susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle au sens de l’article L 420-1 du code de commerce, laquelle peut être sanctionnée par la nullité du contrat en application de l’article L 420-3 du même code.

Selon l’article L 420-1 du code de commerce, sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

Selon l’article L 420-3 , est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L 420-1, L 420-2, L 420-2-1 et L 420-2-2.

D’abord, le contrat de services prévoit en son article 5.2 que le Contrat sera résilié de plein droit en cas de cessation de l’accord de coopération, pour quelque motif que ce soit, sauf accord expresse contraire des parties. En outre, il est indiqué à l’article 12.2 que les Parties reconnaissent que le Contrat (de services) et l’Accord de coopération sont indissociables et que le Contrat doit s’interpréter au regard de l’accord de coopération.

La convention des parties pose donc elle-même un principe d’indissociabilité entre le contrat de de coopération et le contrat de services.

Ensuite, dans une réponse aux préoccupations de l’Autorité de la concurrence relativement à la conclusion du contrat de services entre CWT et la Coopérative U Enseigne, suspecté d’être anti-concurrentiel, ces dernières ont notamment indiqué à l’Autorité : ‘La fourniture de services à travers CWT fait partie intégrante de la négociation à l’achat avec les fournisseurs’; ‘Les services rendus dans ce cadre aux fournisseurs sont indissociables de la négociation du prix d’achat des produits auprès de ces fournisseurs. Il est en effet évident qu’un fournisseur n’accepte d’acheter des services rendus par un distributeur que s’ils sont en relation de vente de produits avec ce distributeur.’; ‘L’accord entre CWT et Coopérative U s’analyse nécessairement comme l’un des aspects de la coopération à l’achat entre Carrefour et Coopérative U’ ; ‘La commercalisation de services internationaux est donc un élément de la négociation du prix d’achat et doit s’apprécier via la grille d’analyse des accords à l’achat. L’objectif de l’accord CWT est bien d’améliorer les services rendus à l’international aux fournisseurs afin que le prix convenu avec le fournisseur soit au final inférieur à ce que les parties auraient pu négocier séparément, ce qui est pro-concurrentiel.’ ‘D’ailleurs, le principe fixé dans le contrat-type CWT-fournisseur est que la rémunération des services internationaux est calculée, notamment, en pourcentage du montant des achats des distributeurs auprès des fournisseurs, et qu’en pratique les contrats signés avec les fournisseurs prévoient tous une rémunération calculée en pourcentage, ce qui confirme à nouveau que les services sont directement liés à l’achat des produits.’

Les sociétés défendaient ainsi la licéité de leur contrat de services au regard des règles de la concurrence par le caractère indissociable de leur accord de coopération et de leur contrat de services. Elles ont cependant mis fin à cette indissociabilité en faisant perdurer le contrat de services après le non-renouvellement de leur contrat de coopération.

Or, comme l’argument la Coopérative U Enseigne, du fait de la poursuite du contrat de services entre CWT et la Coopérative U Enseigne nonobstant la fin de l’accord de coopération entre Carrefour France et la Coopérative U Enseigne, la négociation de prestations internationales auprès de certains fournisseurs internationaux serait réalisée par la CWT de manière totalement indépendante et dissociée de la négociation des conditions auxquelles la Coopérative U Enseigne achèterait les produits de ces mêmes fournisseurs. Or, les avantages consentis par les fournisseurs en contrepartie de services de prestations internationales ne sont susceptibles d’être intégrés dans le seuil de revente à perte que pour autant que ces services sont indissociables de la relation d’achat, ce qui signifie que la Coopérative U ne serait pas en mesure de réintégrer dans le seuil de revente à perte les avantages financiers consentis par les fournisseurs internationaux à CWT. Or, un accord qui a pour effet d’augmenter artificiellement le seuil de revente à perte est anticoncurrentiel au regard del’article L.420-1 du code de commerce, qui prohibe les ententes qui tendent à faire obstacle à la fixation de prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

Si les sociétés Carrefour contestent cette anlayse dans leur lettre du 27 septembre 2022 répondant à la résiliation unilatérale du contrat de sercices par la société Coopérative U Enseigne le 19 septembre 2022, considérant au visa des artices L.442-5 alinéa 2 et L. 441-3 III du code de commerce que les avantages financiers consentis par les fournisseurs peuvent parfaitement être intégrés dans le seuil de revente à perte quand bien même seraient-ils indissociables de la relation d’achat-vente, il reste que la discussion du caractère anticoncurrentiel du contrat de services indépendamment de l’accord de coopération, qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher, apparaît tout à fait fondée, la question de la validité de ce contrat de services au regard des règles de la concurrence apparaissant, par voie de conséquence, elle-même fondée.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la résiliation unilatérale du contrat de services qui a été opérée par la société Coopérative U Enseigne constitue une violation manifeste de la règle de droit et, par suite, un trouble manifestement illicite, alors que la poursuite forcée du contrat de services, à la validité discutable au regard des règles de la concurrence, est elle-même susceptible de constituer une illicéité manifeste.

Le dommage imminent dont se prévalent les sociétés Carrefour (perte de la rémunération due au titre du contrat de services, perte des avantages financiers octroyés par les fournisseurs, préjuduce d’image auprès des fournisseurs) n’est pas plus caractérisé au sens de l’article 873 du code de procédure civile, étant rappelé qu’un dommage n’est pas susceptible d’être prévenu en référé s’il est légitime. Or les dommages invoqués résultant ici de l’inexécution d’une convention dont la validité est incertaine, ils sont potentiellement illicites.

L’action des sociétés Carrefour ne peut non plus prospérer sur le fondement de l’article 872 du code de procédure civile, les mesures sollicitées se heurtant à une contestation sérieuse sur la validité de la convention dont il est sollicité la poursuite, comme exposé ci-avant.

L’ordonnance sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé, sans nécessité de répondre aux moyens relatifs à la nature et à la proportion des mesures sollicitées dès lors que les conditions d’application des articles 873 et 873 du code de procédure civile ne sont pas remplies.

Sur les mesures accessoires

L’ordonnance sera également confirmée sur la charge des dépens et frais irrépétibles, exactement appréciée.

Perdant en leur appel, les sociétés Carrefour France et CWT seront condamnées aux entiers dépens de la présente instance.

Le sens du présent arrêt commande d’exclure l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise,

Y ajoutant,

Condamne les sociétés Carrefour France et Carrefour World Trade aux entiers dépens de l’instance d’appel,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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