Cobranding / Association de marques : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00947

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Cobranding / Association de marques : 6 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00947
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 SEPTEMBRE 2023

N° RG 22/00947

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCVW

AFFAIRE :

[B] [D]

C/

S.A.S. PRISMA MEDIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : F 19/00450

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sophie ROJAT

la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS

Expédition numérique délivrée à Pôle emploi le 06-09-2023

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [B] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie ROJAT, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 427

Représentant : Me Sabine CORDESSE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0893

APPELANTE

****************

S.A.S. PRISMA MEDIA

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurent KASPEREIT de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,

EXPOSE DU LITIGE.

Mme [B] [D] a été engagée par la société Prisma Media suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 9 mai 1988 en qualité de journaliste, chef du service beauté pour le journal Femme Actuelle, coefficient 133.

Suivant avenant à son contrat de travail du 16 janvier 1995, Mme [D] a été nommée chef de service à la rédaction du magazine Gala.

Suivant avenant à son contrat de travail du 15 janvier 2002, Mme [D] a été nommée rédactrice en chef adjointe.

Suivant avenant à effet au 1er juillet 2005, Mme [D] a eu comme fonction supplémentaire de collaborer aux déclinaisons numériques du titre Gala.

En dernier lieu, la salariée exerçait les fonctions de rédactrice en chef adjointe du titre Gala, coefficient 188.

Le 14 novembre 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 23 novembre 2018.

Le 29 novembre 2018, l’employeur a licencié la salariée pour insuffisance professionnelle.

Contestant son licenciement, le 8 février 2019, Mme [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de voir condamner la société Prisma Media à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

Le 15 novembre 2019, la commission arbitrale des journalistes a fixé à 248 213 euros l’indemnité totale due en application de l’article L. 7112-4 du code du travail à Mme [D].

Par jugement du 21 février 2022, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :

– condamné la société Prisma Media au paiement de la somme de 15 513,32 euros brut au titre du solde de la procédure de licenciement,

– débouté Mme [D] de ses autres demandes,

– dit n’y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– condamné la société Prisma Media aux dépens.

Mme [D] a interjeté appel de ce jugement le 21 mars 2022.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 2 novembre 2022, Mme [D] demande à la cour de réformer le jugement et statuant à nouveau de :

– dire recevables et non prescrites ses demandes du chef de la modification de son contrat de travail et du chef du motif fallacieux de son licenciement,

– dire que le conseil de prud’hommes a statué ultra petita quant au complément d’indemnité de licenciement,

– dire que son licenciement est fondé sur un motif fallacieux,

– dire que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

– dire que la société Prisma Media n’a pas respecté les règles relatives à la modification du contrat de travail,

– dire qu’elle a subi des agissements de harcèlement moral et que l’employeur n’y a pas remédié,

– en conséquence, condamner la société Prisma Media à lui payer les sommes suivantes :

42 704,22 euros à titre de dommages et intérêts pour motifs fallacieux,

42 704,22 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la modification de son contrat de travail sans son accord,

170 816,88 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

85 408,44 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture,

170 816,88 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– débouter la société Prisma Media de toutes ses demandes et la condamner à lui payer une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel, pouvant être recouvrés directement par Maître Rojat.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 11 août 2022, la société Prisma Media demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée ultra petita à payer à Mme [D] une somme de 15 513,32 euros ‘au titre du solde de la procédure de licenciement’ et statuant à nouveau de :

– dire que le conseil de prud’hommes a statué ultra petita en la condamnant à payer une somme de 15 513,32 euros ‘au titre du solde de la procédure de licenciement’,

– déclarer irrecevables car prescrites les demandes additionnelles de Mme [D] à titre de dommages et intérêts pour licenciement pour motif fallacieux, dommages et intérêts pour modification sans son accord de son contrat de travail,

– dire que le licenciement de Mme [D] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– débouter Mme [D] de ses demandes et la condamner à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIVATION

Sur la demande au ‘titre du solde de la procédure de licenciement’

Les parties relèvent que le conseil de prud’hommes a statué ultra petita en condamnant la société Prisma Media à payer à Mme [D] la somme de 15 513,32 euros au ‘titre du solde de la procédure de licenciement’.

La cour constate qu’aucune demande n’avait été faite à ce titre et que le conseil de prud’hommes a statué ultra petita.

Le jugement sera, par conséquent, infirmé en ce qu’il a condamné la société Prisma Media à payer à Mme [D] la somme de 15 513,32 euros au ‘titre du solde de la procédure de licenciement’.

Sur le moyen tiré de la prescription des demandes au titre du motif fallacieux du licenciement et de la modification du contrat de travail

L’employeur soulève la prescription des demandes de dommages et intérêts pour motif fallacieux et pour modification sans son accord de son contrat de travail, fins de non recevoir sur lesquelles le conseil de prud’hommes n’a pas statué.

Il soutient que la demande au titre du motif fallacieux du licenciement est postérieure de plus d’un an au licenciement et que la demande au titre de la modification du contrat de travail est postérieure de plus de deux ans à la rupture du contrat de travail.

La salariée indique que la demande au titre du motif fallacieux du licenciement est en lien avec la contestation du bien-fondé du licenciement et a été formée par conclusions communiquées le 19 février 2020. Elle ajoute que la demande au titre de la modification du contrat de travail est liée à la demande principale, qu’elle a saisi le conseil de prud’hommes dans les trois mois du licenciement et par conclusions du 19 février 2020, qu’elle a donc agi dans le délai légal.

Aux termes de l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.

Sur la demande au titre du motif fallacieux de licenciement

La prescription n’est interrompue que relativement au droit invoqué dans la citation. Cet effet relatif de l’interruption de la prescription est toutefois écarté lorsque deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent vers un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

En l’espèce, la salariée a été licenciée le 29 novembre 2018. Elle a saisi le conseil de prud’hommes par le 8 février 2019 en contestation de son licenciement et notamment en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, date à laquelle la prescription a été interrompue relativement à ce droit.

La demande de dommages et intérêts au titre du motif fallacieux du licenciement, tend vers le même but que la demande initiale en indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle a été formée par conclusions datées du 19 février 2020 et soutenues oralement à l’audience du 19 octobre 2021, soit plus d’un an à compter de l’interruption de la prescription le 8 février 2019. La fin de non recevoir tirée de la prescription de cette demande doit donc être accueillie et la demande de dommages et intérêts au titre du motif fallacieux du licenciement doit être déclarée irrecevable.

Sur la demande au titre de la modification du contrat de travail

La demande de dommages et intérêts pour modification du contrat de travail sans son accord a été formée par la salariée par conclusions soutenues oralement à l’audience du 19 octobre 2021. Il y a lieu de dire que la demande a été formée à cette dernière date, correspondant à la date où les conclusions ont été reprises oralement lors de l’audience de jugement, soit plus de deux ans après la saisine du conseil de prud’hommes le 8 février 2019.

La fin de non recevoir tirée de la prescription de cette demande doit donc être accueillie et la demande de dommages et intérêts au titre de la modification du contrat de travail doit être déclarée irrecevable.

Sur le harcèlement moral et la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée invoque les faits suivants dans le contexte de la création d’une ‘grande rédaction’ bi-média, comprenant le développement de la partie web du journal à l’encontre du rédacteur en chef M. [K] :

la déstructuration de l’organisation de Gala et le retrait de la gestion du service mode,

l’absence de réponses de son supérieur hiérarchique,

des objectifs intenables,

des humiliations répétées.

S’agissant du fait 1), la salariée expose que le projet de grande rédaction bi-média est totalement déstructuré, pour un retour à une organisation de pôles séparés ‘print’ et ‘web’. Elle indique que de nombreux mouvements ont eu lieu en interne, que le contrat de Mme [J], responsable mode, est rompu après dix ans de collaboration et qu’elle est remplacée par un jeune inexpérimenté en mode, sans qu’elle soit consultée. Cependant, aucune pièce n’est visée dans ses écritures à l’appui de ces éléments, de sorte qu’ils doivent être écartés.

La salariée ajoute que le secteur de la mode lui est retiré sans qu’elle soit consultée et sans motif. La salariée verse aux débats un organigramme montrant qu’en qualité de rédacteur en chef adjoint, elle avait la responsabilité des secteurs beauté/shopping, pratique et mode. Le fait que sous la responsabilité de la salariée, Mme [J], assumait, de 2009 à 2018 de nombreuses tâches de la rédaction du secteur mode est inopérant. Il en résulte que la responsabilité du secteur mode a été retirée à Mme [D] en novembre 2017, ce qui constitue une modification de son contrat de travail, sans que son accord ait été recueilli. Ce fait doit donc être retenu.

S’agissant du fait 2), la salariée produit des relances de demande de formation afin d’assurer la permanence ‘people’ sur le web par courriels en date des 13 et 20 juillet 2018 indiquant qu’elles sont demeurées sans réponse. La salariée expose également que des séances de ‘coaching’ se sont déroulées de mai à septembre 2018, qu’un compte-rendu de cette formation a révélé de très difficiles relations avec M. [K] et que ce dernier n’a pas répondu au compte-rendu. Cependant, l’analyse du courriel de compte-rendu envoyé le 9 octobre 2018 ne montre pas que celui-ci appelait une réponse formelle de M. [K] qui était informé des changements engagés et des changements proposés suite aux séances de ‘coaching’. Ce fait doit donc être écarté.

Le fait relatif à une demande de formation d’équipe pour la permanence ‘people’ sur le web demeurée sans réponse doit être retenu.

S’agissant du fait 3), la salariée indique que M. [K] lui a demandé début 2017 une avance de quatre numéros prêts alors qu’après la reprise du secteur mode par M. [K] en novembre 2017, l’avance rédactionnelle est retombée à deux numéros seulement. La salariée produit un support d’entretien annuel professionnel du 4 décembre 2016 dans lequel il est mentionné ‘lisser la copie afin d’avoir un mois d’avance sur les sujets du féminin’, le magazine étant un hebdomadaire, de sorte que ce fait doit être retenu.

S’agissant du fait 4), la salariée fait état de la modification par M. [K] de l’ours de Gala, numéro 1284 du 17 janvier 2018, sans l’en avoir informée et produit l’attestation de Mme [V] du 15 mai 2022 qui indique qu’elle avait vu que M. [K] avait changé le titre de la salariée dans l’ours du journal en janvier 2018. Ce fait doit donc être retenu.

Concernant la dégradation de son état de santé, la salariée produit un rapport du médecin du travail des visites de la salariée entre le 6 mars 2018 et le 6 novembre 2018 faisant état notamment de difficultés ressenties face à la suppression du secteur mode, d’anxiété et de troubles du sommeil, d’un traitement antidépresseur et plusieurs ordonnances de prescription par un médecin psychiatre le docteur [O] d’un antidépresseur et d’un anxiolytique, une lettre du médecin du travail du 6 mars 2018 interrogeant sa consoeur sur un arrêt maladie, un arrêt de travail à compter du 10 mars 2018 de son médecin généraliste pour dépression. Il s’en déduit que la dégradation de la santé psychologique de la salariée est directement liée à ses conditions de travail.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la salariée présente des faits 1) 2) 3) 4) qui pris dans leur ensemble, y compris la dégradation de son état de santé, laissent supposer l’existence d’un harcèlement de la part de M. [K] à son encontre.

S’agissant du retrait du secteur de la mode, l’employeur explique qu’il ne s’agissait pas selon lui d’une modification du contrat de travail de la salariée mais d’une simple modification de ses conditions de travail, le contrat de travail ne prévoyant pas l’attribution du secteur mode, cette modification ayant été expliquée lors de l’entretien annuel de 2018 ainsi que dans un courriel du 21 août 2018 de M. [K]. Cependant, l’employeur qui a retiré des responsabilités qui incombaient à la salariée en lui retirant le secteur mode, a en réalité, modifié son contrat de travail sans son accord.

S’agissant des faits 2), 3), 4), l’employeur se contente de critiquer de façon générale et imprécise les témoignages versés aux débats par la salariée ainsi que les éléments médicaux produits, ne démontrant pas que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement.

Il s’en déduit que l’employeur ne prouve pas que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision de retrait du secteur mode est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, la salariée a subi des agissements de harcèlement moral de la part de M. [K] son supérieur hiérarchique.

La salariée a subi un préjudice moral résultant des faits de harcèlement moral qu’il convient de réparer par l’allocation d’une somme de 10 000 euros, somme que la société Prisma Media sera condamnée à payer à Mme [D] en réparation.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

« Suite à l’entretien en date du 23 novembre 2018 pour lequel vous avez été convoquée par lettre en date du 14 novembre 2018, nous vous notifions par la présente votre licenciement en raison des faits suivants :

Vous exercez au sein de notre Société les fonctions de Rédactrice en Chef Adjointe, en charge du Pôle Beauté/Lifestyle du magazine Gala.

Ce Pôle est comme vous le savez hautement stratégique et prioritaire pour ce titre dans la mesure où il participe activement à la construction de son image de marque et représente le premier secteur annonceur s’agissant du domaine de la Beauté.

Dans l’environnement particulièrement dégradé dans lequel évolue la presse magazine, du fait de la baisse du nombre de lecteurs comme du marché publicitaire, ce secteur est déterminant de la réussite et donc de la pérennité du titre.

Or nous vous reprochons de ne pas avoir atteint le niveau de performance attendu dans la réalisation des importantes missions qui vous ont été confiées.

A cet égard et en premier lieu, nous vous reprochons d’importantes carences dans la détermination de la politique éditoriale du Pôle dont vous avez la charge.

Alors que ce Pôle est porteur d’enjeux essentiels, nous vous tenons ainsi rigueur de la formulation de stratégies éditoriales qui ne sont pas en adéquation avec nos besoins, qui ne sont pas à la hauteur des défis auxquels le titre doit faire face et insuffisamment concrètes pour permettre leur bonne réalisation.

Dans vos objectifs 2018, plusieurs fois discutés et envoyés en avril dernier, il vous a été demandé de rénover la rubrique Beauté sur le plan créatif et éditorial, c’est-à-dire de recommander et de mettre en ‘uvre une nouvelle vision différenciante sur laquelle nous pourrions communiquer.

Vos seules propositions se résument à deux phrases partagées avec votre Rédacteur en Chef il y a quelques jours et avec vos équipes le 19 novembre, soit trois jours après que nous vous ayons adressé une lettre vous convoquant à un entretien préalable à licenciement et donc trop tardivement au regard des enjeux du titre.

Vos propositions stratégiques intitulées simplement « la marge de la Beauté » et « la Beauté plurielle » ne sont pas des concepts stratégiques, ou alors des concepts pas assez travaillés et développés pour faire la différence sur le marché.

Une stratégie prévoit la manière dont on peut déployer notre expertise sur les différents médias, une stratégie ne se résume pas à un seul aspect visuel mais prévoit d’ancrer la Beauté dans un nouveau discours et des nouvelles applications digitales. Une stratégie éditoriale consiste aussi à évaluer les moyens pour l’appliquer.Comment faire évoluer les angles, l’iconographie, comment on le traduit en vidéo. Comment on va l’impacter en social média. En fait c’est la traduction d’une promesse éditoriale qui n’est jamais arrivée. Comment la magie se traduit sur le digital ‘ Qu’est-ce qui va changer demain dans la production ‘ Et que veut-on faire évoluer dans la promesse pour le lecteur ‘

Concernant les événements comme les Gala Spa Awards, il vous a été demandé dès avril 2018 d’ouvrir le projet à plus de marques et de proposer des nouveaux événements sur votre secteur. Il n’en a rien été et nous sommes dans l’obligation de mettre fin aux Gala Spa Awards par manque de rentabilité.

Dans le même sens, nous vous reprochons de ne pas avoir suffisamment investi le domaine de la décoration alors que le développement de ce secteur constituait pourtant l’un de vos objectifs.

Vous n’avez ainsi pas suffisamment pris de contacts ce qui a entravé nos perspectives dans ce secteur pourtant prisé pas notre lectorat et nos annonceurs.

Les rares annonceurs décoration sont venus de la part de votre Chef de service Lifestyle et d’une pigiste et vous n’avez déclenché aucun rendez-vous, vous en remettant aux bons vouloirs de vos équipes.

Le recentrage de vos fonctions sur ces domaines visait pourtant précisément à vous permettre de vous impliquer nettement plus dans le développement de cette rubrique qui ne peut se résumer à la réalisation de quelques pages ou quelques dossiers non suivi d’effets.

Outre ces carences sur le plan éditorial, nous vous reprochons également votre insuffisance professionnelle dans le domaine du management et de la conduite des équipes placées sous votre responsabilité.

Ces dernières se sont tout d’abord illustrées dans votre manque d’exemplarité en ne contribuant pas suffisamment à la rédaction d’articles et en vous contentant de trop déléguer dans ce domaine.

A titre d’illustration de ces manquements, peut être tout d’abord citée votre absence de propositions concrètes et pouvant être utilement mises en ‘uvre à l’occasion de l’élaboration des hebdomadaires et notamment numéros des Spécial Beauté, lesquels sont pourtant majeurs pour nos opérations publicitaires. Les sujets avancés par vos soins n’ont en effet été accompagnés d’aucun plan précis de réalisation et, exprimés sous la simple forme d’idées, ils ont obligé les équipes à devoir réaliser l’intégralité du travail de conception qui vous incombait aussi.

Nous vous reprochons donc de ne pas assez vous impliquer dans la rédaction et réalisation des projets éditoriaux. [R] [U], Chef de service Beauté et ses équipes ont pourtant grandement besoin de votre aide pour les accompagner.

A titre d’exemple vous n’avez pas écrit le moindre article dans le Spécial Beauté, ni même proposé de rédiger l’éditorial ou encore un éditing de couverture.

Enfin vos difficultés dans vos fonctions managériales et dans la nécessaire exemplarité qui en résulte se sont également manifestées dans votre insuffisante participation aux actions de transformation digitale du titre qui nécessitent une présence accrue sur Internet et donc une participation active de l’ensemble de l’équipe éditoriale.

Vous êtes la seule rédactrice en Chef Adjointe à demander encore aujourd’hui l’assistance des journalistes du Web pour vous aider à tenir des permanences le midi. Votre équipe est la seule de la rédaction à ne pas suivre le rythme de la transformation digitale pourtant demandé dès avril 2018 à contribuer comme tous les autres Rédacteurs en Chef Adjoints de Gala, quotidiennement aux publications digitales de vos services.

Vous avez certes participé à deux permanences week-end où il s’agissait en réalité de coordonner des pigistes. Mais de quelle manière ‘ La première fois, je vous ai assisté’la deuxième fois je vous ai remplacé le dimanche matin car il me semblait difficile que vous puissiez assumer aussi un bouclage sur le print prévu ce jour-là également. Je précise que vos homologues [Z] [Y] et [I] [S] le font.

Enfin et toujours sur le plan managérial, nous vous reprochons un mode de communication insuffisamment empreint de mesure, de tempérance et de professionnalisme dans les échanges, et donc préjudiciable à la qualité des relations de travail au sein de l’équipe. Nous avons ainsi eu de nombreux échanges à ce sujet qui ont notamment conduit à la mise en place d’une action de coaching en vue de cous améliorer. Cette action de coaching faisant suite à plusieurs formations dans le domaine du management.

L’ensemble de ces éléments nous conduit à devoir constater une insuffisance professionnelle au poste de Rédactrice en Chef Adjointe que vous occupez, les explications fournies au cours de votre entretien préalable ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits”.

Sur le bien fondé du licenciement, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il juge utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

L’insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L’insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.

La lettre de licenciement énonce en substance les sept griefs suivants:

des carences dans la détermination de la politique éditoriale,

des insuffisances de management et de conduite des équipes sous sa responsabilité,

un manque de rentabilité sur les ‘Gala spa awards’,

un investissement insuffisant dans le domaine de la décoration,

une défaillance managériale et un manque d’implication dans la rédaction et la réalisation des projets éditoriaux,

l’absence de participation aux actions de transformations digitales,

un manque de professionnalisme, de tempérance et de communication empreinte de mesure.

L’employeur produit, au soutien de ces sept griefs, les objectifs 2016 et 2017 définis pour la salariée afin de calculer sa rémunération variable, le compte-rendu des entretiens annuels d’évaluation pour les années 2015 et 2018, la liste des formations suivies par la salariée et six courriels échangés entre le 4 octobre 2017 et le 21 août 2018.

Il en ressort que la salariée a perçu une large partie de sa rémunération variable : 9 850 euros pour l’exercice 2016 et 12 000 euros pour l’exercice 2017.

Ainsi, l’employeur a considéré que la salariée avait en 2016 totalement rempli ses objectifs concernant le prix de la page sur une moyenne annuelle et rempli ses objectifs à 52 % pour les ventes au numéro, aux 2/3 pour la mise en place de la stratégie de contenus élaborée (lissage de la production, exclusivités et nouvelle formule print, accélération digitale), et aux 2/3 également pour être un relais actif du rédacteur en chef dans la mise en oeuvre de la stratégie éditoriale et managériale, et pour réussir la ‘digitalisation’ de l’équipe (suivi des performances, suivi des formations, motivation des équipes).

L’employeur a considéré que la salariée avait en 2017 totalement rempli ses objectifs pour le prix de la page sur une moyenne annuelle et pour les ventes au numéro, à 82 % pour le maintien de la qualité du magazine, le respect de la ligne éditoriale, assurer le bon fonctionnement des shootings, proposer des évolutions si nécessaire et les piloter, suivre notamment les évolutions, être le relais du rédacteur en chef, assurer les délais du flux de copie et aux 2/3 pour le management de l’équipe, la réalisation des entretiens dans les délais impartis par la direction, la validation des objectifs annuels, des formations, la gestion des absences et des contrats à durée déterminée, être garant d’un bon climat social.

En 2015, elle est évaluée globalement au niveau ‘bon résultat’ , ‘[B] fait face à trois chefs de service à la forte personnalité. Ce qui complique parfois toute installation de nouveautés ou d’innovations. Je note la bonne volonté de [B]. Je note aussi parfois la réticence de [B] à pousser le curseur de la créativité trop loin. Il faudrait oser plus’.

En 2018, elle est évaluée globalement ‘succès partiel’ sans commentaire de la part de l’évaluateur.

La salariée produit le compte-rendu des entretiens annuels d’évaluation pour les années 2007, 2010 et 2013 où elle a été évaluée globalement ‘bonne performance’, ‘excellent’, ‘bon résultat’.

Concernant les réalisations de l’année 2018, elle verse aux débats un dossier Cuisine-Forme-Beauté réalisé en partenariat avec la marque Clarins, les remerciements de la directrice de la communication de Clarins ‘encore un grand merci pour notre magnifique partenariat et ce sublime dossier dont nous sommes tous très fiers !’.

La salariée indique avoir proposé de nouveaux concepts beauté, M. [K] n’ayant pas répondu à ses propositions en dépit de ses relances.

Au vu de ces éléments, les griefs 1), 2), 5), ne sont pas établis, les évaluations de la salariée ainsi que la rémunération variable qui lui a été versée au vu des objectifs fixés montrant au contraire des compétences en matière de définition de politique éditoriale, en matière de management et de conduite des équipes sous sa responsabilité, l’absence de défaillance managériale et une implication dans la rédaction et la réalisation des projets éditoriaux.

S’agissant des ‘Gala spa awards’ 3), l’employeur déplore une absence de rentabilité du projet. Cependant, la salariée produit aux débats une lettre de M. [C], de Lalique Parfums, mentionnant les félicitations publiques de M. [K] lors de la remise des ‘Gala Spa Awards’. Cette insuffisance n’est donc pas caractérisée.

S’agissant du domaine de la décoration 4), l’employeur reproche à la salariée une absence de contacts pour obtenir des annonceurs, tout en reconnaissant que des nouveaux annonceurs sont venus de la part de son chef de service ou d’une pigiste. La salariée indique qu’il lui est surtout tenu rigueur de ne pas rapporter davantage de contrats publicitaires remplaçant les articles de fond. Ce grief est insuffisamment caractérisé et ne peut être retenu, plusieurs nouveaux annonceurs ayant été trouvés.

S’agissant des actions de transformations digitales 6), au vu des développements qui précèdent, la salariée a demandé une formation à plusieurs reprises en juillet 2018 sans obtenir de réponse et a participé à la permanence du week-end à compter de l’été 2018. Ce grief est donc insuffisamment caractérisé.

S’agissant du manque de professionnalisme, de tempérance et de communication empreinte de mesure 7), ce reproche formulé en terme imprécis et général, doit être mis en perspective avec une ancienneté de plus de trente ans au sein de la même société. En outre, la salariée verse aux débats de nombreux messages de remerciement de professionnels ayant travaillé avec elle, notamment des directeurs de marques, soulignant son professionnalisme. Ce grief n’est donc pas établi.

Au vu des éléments produits par chacune des parties, la preuve n’est pas rapportée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables que la salariée ait rencontré des difficultés à exercer correctement sa prestation de travail alors même que la salariée a évolué pour devenir rédactrice en chef adjointe après quatorze ans d’expérience au sein de l’entreprise et qu’elle présente une ancienneté de plus de trente ans au service du même employeur. Le licenciement n’est pas fondé sur une insuffisance professionnelle, il est, par conséquent, dénué de cause réelle et sérieuse.

Il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, puisqu’elles ne sont pas contraires au stipulations de l’article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 et que les stipulations de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, la salariée qui compte une ancienneté de plus de trente ans et qui est âgée de 63 ans lors de la rupture du contrat de travail a droit à des dommages et intérêts compris entre trois et vingt mois de salaire brut.

La salariée a bénéficié d’allocations pôle emploi jusqu’à sa retraite à compter du 1er août 2020.

Elle a effectué une mission d’un mois du 28 octobre 2019 au 22 novembre 2019 dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’usage pour la société Relaxnews.

La société Prisma Media sera, par conséquent, condamnée à payer à Mme [D] une somme de 150 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la demande au titre des circonstances vexatoires du licenciement

La salariée sollicite des dommages et intérêts en raison des circonstances brutales et vexatoires de la rupture, demande sur laquelle le conseil de prud’hommes n’a pas statué. Elle indique qu’alors qu’elle avait une ancienneté de plus de trente ans, il lui a été subitement reproché une insuffisance professionnelle dans le contexte d’un changement capitalistique du groupe.

L’employeur fait valoir que la salariée ne justifie pas des circonstances invoquées qui aient pu générer un préjudice distinct de celui résultant de son licenciement.

En l’espèce, la salariée ne justifie pas des circonstances brutales et vexatoires alléguées.

Au surplus, elle ne démontre pas l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant du licenciement déjà indemnisé.

Par conséquent, elle doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur l’application de l’article L. 1235-4 du code du travail

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Prisma Media aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à la salariée du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d’indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application de l’article 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et infirmé en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles.

La société Prisma Media succombant à la présente instance, en supportera les dépens d’appel qui pourront être recouvrés directement par Maître Rojat pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. La société Prisma Media devra également régler une somme de 4 000 euros à Mme [D] en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Prisma Media aux entiers dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Déclare irrecevable la demande de Mme [B] [D] de dommages et intérêts pour motif fallacieux,

Déclare irrecevable la demande de Mme [B] [D] de dommages et intérêts pour modification sans son accord de son contrat de travail,

Dit que Mme [B] [D] a subi des faits de harcèlement moral,

Dit que le licenciement de Mme [B] [D] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Prisma Media à payer à Mme [B] [D] les sommes suivantes :

10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Déboute Mme [B] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture,

Ordonne le remboursement par la société Prisma Media à l’organisme Pôle Emploi concerné des indemnités de chômage versées à Mme [B] [D] dans la limite de six mois d’indemnités,

Condamne la société Prisma Media aux dépens et dit que Maître Sophie Rojat pourra les recouvrer directement pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision,

Condamne la société Prisma Media à payer à Mme [B] [D] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller, pour le président empêché, et par Monsieur Nabil LAKHTIB, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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