Cobranding / Association de marques : 25 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/18836

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Cobranding / Association de marques : 25 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/18836
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 25 OCTOBRE 2023

(n° 178 , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/18836 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CESLD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Octobre 2021 – Tribunal de Commerce de Paris, 13ème – RG n° 2020015743

APPELANTE

S.A.S. ETABLISSEMENTS CHARLES CHEVIGNON prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 316 643 170

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

assistée de Me Olivier GUIDOUX, de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P221, avocat plaidant

INTIMEE

SCP PASCAL [C] – SCP DE MANDATAIRE JUDICIAIRE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège, prise en la personne de Me [Z] et Me [H], ès qualités de Liquidateur à la liquidation judiciaire de la société L’AMY

immatriculée au RCS de Lons-le-Saunier sous le numéro 441 331 758

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant

assistée de Me Guillaume SOUBIRAN, subttituant Me Judith VUILLEZ de l’AARPI CBR & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R139, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4

Madame Sophie Depelley, conseillère

Monsieur Julien Richaud, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Laure Dallery, présidente de la chambre 5.4 et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Etablissements Charles Chevignon exerce une activité principale de commerce d’habillement et d’accessoires en particulier sous les marques “Charles Chevignon” et “Chevignon” dont elle est propriétaire.

La SA L’AMY avait, jusqu’à sa liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Lons-le-Saulnier par jugement du 4 décembre 2020 après adoption le 2 novembre 2020 d’un plan de cession élaboré dans le cadre de son redressement judiciaire ouvert le 2 juin 2020, pour activité principale le design, la création, la production et la commercialisation de lunettes de soleil et de montures de lunettes optiques.

Par contrat du 18 juillet 1991, la société Charles Chevignon a concédé à la SA L’AMY, pour une durée de sept ans, une licence exclusive sur les marques “Charles Chevignon” et “Chevignon” pour fabriquer et vendre sous ces signes des montures optiques et des lunettes solaires, ainsi que tout objet s’y rapportant directement. Les relations commerciales se sont poursuivies dans le cadre de contrats de licences successifs conclus les 6 mai 1998, 12 octobre 2005 et 5 mai 2008 avec la société Naf Naf Distribution venant aux droits de la société Charles Chevignon, la dernière convention, conclue pour une durée de trois ans, étant prorogée à trois reprises, en dernier lieu par avenant du 25 juillet 2018 pour la période 2019 à 2021. Ce dernier stipulait un article 2 ainsi rédigé :

Les parties conviennent de prolonger le Contrat Modifié jusqu’au 31.12.2021, date à laquelle le Contrat Modifié prendra irrémédiablement fin.

Chaque Partie reconnait à l’autre la possibilité de dénoncer le Contrat Modifié de façon anticipée et sans pénalités sous réserve de notifier, par lettre recommandée avec accusé de réception, à l’autre Partie, au plus tard le 31.08.2019, sa volonté de rompre le présent accord pour l’année 2019, A défaut de notification dans les conditions de forme et de délai stipulées ci-dessus par l’une des Parties, le Contrat Modifié se poursuivra aux conditions stipulées jusqu’au 31 décembre 2021.

En exécution de ces contrats, la SA L’AMY s’engageait à verser une redevance de 7 % HT sur le chiffre d’affaires réalisé sur le territoire concédé avec un minimum annuellement garanti exigible chaque trimestre.

Par courrier du 28 août 2019 visant l’article 2 du contrat, la SAS Etablissements Charles Chevignon notifiait à la SA L’AMY la rupture du contrat de licence à compter du 31 décembre 2019. Par envoi du même jour, elle la mettait en demeure de lui payer la somme de 81 000 euros correspondant aux redevances dues depuis le troisième trimestre 2018.

En réponse, par lettre du 24 septembre 2019, la SA L’AMY dénonçait l’insuffisance du préavis accordé au regard notamment de la durée de la relation et du caractère saisonnier de son activité et mettait en demeure la SAS Etablissements Charles Chevignon de l’indemniser de son préjudice sur la base d’un préavis de douze mois.

Par courrier du 6 février 2020, la SAS Etablissements Charles Chevignon mettait à nouveau en demeure la SA L’AMY de lui payer les redevances dues portées à 126 000 euros, demande à laquelle s’opposait cette dernière au nom de la brutalité de la rupture.

Les échanges postérieurs n’ayant pas abouti au règlement amiable de ce litige naissant, la SA L’AMY a, par acte d’huissier signifié le 16 mars 2020, assigné la SAS Etablissements Charles Chevignon devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de ses préjudices, l’instance se poursuivant sur intervention volontaire de la SCP Pascal [C], liquidateur judiciaire de la SA L’AMY.

Par jugement du 25 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

– “Condamne la SAS ETABLISSEMENTS CHARLES CHEVIGNON à payer à la SCP PASCAL [C] pris en la personne de Me [Z] et Me [H] es qualité de liquidateur judiciaire de la SAS à associé unique L’AMY une indemnité de 233 093 € au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture ;

– Déboute la SCP PASCAL [C] prise en la personne de Me [Z] et Me [H] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS à associé unique L’AMY de sa demande de condamnation pour préjudice moral ;

– Condamne la SAS ETABLISSEMENT CHARLES CHEVIGNON à payer à la SCP PASCAL [C] pris en la personne de Me [Z] et Me [H] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS à associé unique L’AMY la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

– Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire ;

– Condamne la SAS ETABLISSEMENTS CHARLES CHEVIGNON aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,25 €, dont 19,16 € de TVA”.

Par déclaration reçue au greffe le 27 octobre 2021, la SAS Etablissements Charles Chevignon a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 juin 2023, la SAS Etablissements Charles Chevignon demande à la cour, au visa de l’article L 441-2 (ancien article L 442-6 I 5°) du code de commerce :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :

* condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon à payer à la SCP Pascal [C] prise en la personne de Maîtres [Z] et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, une indemnité de 233 093 euros au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture ;

o * condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon à payer à la SCP Pascal [C] prise en la personne de Maîtres [Z] et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu’il déboute la SAS Etablissements Charles Chevignon de ses demandes ;

* condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon aux dépens

– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SCP Pascal [C] prise en la personne de Maîtres [Z] et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, de sa demande de condamnation pour préjudice moral ;

– et statuant à nouveau, à titre principal, de :

* dire et juger que la SAS Etablissements Charles Chevignon n’a pas engagé sa responsabilité au regard des dispositions de l’article L 441-2 du code de commerce ;

* dire et juger que la Selarl MJ JuraLP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, n’a subi aucun préjudice compte tenu du préavis de 10 mois dont elle a bénéficié, en ce compris la période d’écoulement des stocks ;

* en conséquence, débouter la Selarl MJ JuraLP ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, de ses demandes ;

– à titre subsidiaire, sur le préjudice, si par extraordinaire la cour d’appel devait retenir que la responsabilité de la SAS Etablissements Charles Chevignon était engagée :

* de dire et juger que la marge brute réalisée par la SA L’AMY sur la période d’écoulement des stocks viendra en diminution de son préjudice ;

* d’enjoindre à la Selarl MJ JuraLP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, de communiquer un état détaillé et certifié de la marge brute réalisée par la SA L’AMY au titre des ventes réalisées sur l’exercice 2020 ;

* de débouter la Selarl MJ JuraLP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, de toutes demandes autres, plus amples ou contraires ;

– en tout état de cause :

* de condamner la Selarl MJ JuraLP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, à payer à la SAS Etablissements Charles Chevignon la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* de condamner la Selarl MJ JuraLP, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, au paiement des entiers dépens ;

* d’inscrire l’ensemble des frais et dépens de la présente instance à titre de frais privilégiés de justice.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 avril 2022, la SA L’AMY, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demande à la cour, au visa des articles L 441-2 (anciennement article L 442-6) et L 622-7 du code de commerce, les 1226 et 1240 du code civil et 13, 46, 68, 325 et 328 et suivants du code de procédure civile, de :

– mettre hors de cause la SCP Pascal [C] en son ancienne qualité de mandataire liquidateur de la SA L’AMY ;

– recevoir la Selarl MJ JuraLP, prise en la personne de Maître [T] [C] en qualité de mandataire liquidateur de la SA L’AMY intervenant en remplacement la SCP Pascal [C], en son intervention volontaire ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon à payer la SCP Pascal [C] prise en la personne de Maîtres [Z] et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, une indemnité de 233 093 euros au titre de la perte de marge brute subie en raison de la rupture ;

* condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon à payer à la SCP Pascal [C] prise en la personne de Maîtres [Z] et [H], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu’il déboute “la SAS Etablissements Charles Chevignon” de ses demandes ;

* condamné la SAS Etablissements Charles Chevignon aux dépens ;

* les condamnations prononcées devant être dites au profit de la Selarl MJ JuraLP, prise en la personne de Maître [T] [C] en qualité de mandataire liquidateur de la SA L’AMY en remplacement de la SCP Pascal [C] ;

– débouter la SAS Etablissements Charles Chevignon de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner la SAS Etablissements Charles Chevignon à verser à la Selarl MJ JuraLP, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SA L’AMY, la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– condamner la SAS Etablissements Charles Chevignon aux entiers dépens dont distraction pour ceux d’appel au profit de la Selarl BDL Avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Etablissements Charles Chevignon expose que, si la relation commerciale était effectivement établie, sa rupture était conforme aux stipulations contractuelles et était prévisible au regard du terme et de la faculté de résiliation anticipée stipulés à l’article 2 de l’avenant du 25 juillet 2018, tous les contrats étant à durée déterminée et ayant systématiquement été renouvelés après de nouvelles négociations et non reconduits tacitement. Elle ajoute que le défaut de paiement des redevances dues par la SA L’AMY malgré ses relances justifiait la rupture immédiate, peu important qu’un préavis ait été accordé dans une logique d’apaisement. Elle estime par ailleurs le préavis de quatre mois contractuellement prévu et accordé suffisant au regard de la durée de la relation, de l’absence d’exclusivité bénéficiant à son partenaire qui n’a procédé à aucun investissement spécifique pour les besoins de l’exécution des contrats et de la faiblesse du volume d’affaires dégagé en son occasion, la SA L’AMY ayant en outre bénéficié d’une période de six mois pour écouler ses stocks. Subsidiairement, elle explique que l’indemnisation de la SA L’AMY doit être amputée de la marge brute réalisée à compter du 1er janvier 2020 jusqu’à écoulement des stocks.

En réponse, la SA L’AMY expose que la rupture avant terme n’était pas prévisible, la stipulation d’une faculté de résiliation anticipée étant sur ce point indifférente et ne faisant pas obstacle à l’application des dispositions d’ordre public de l’article L 442-1 du code de commerce, et que la relation, encadrée par des contrats à durée déterminée régulièrement reconduits, était stable et suivie et avait généré un chiffre d’affaires significatif. Elle ajoute n’avoir commis aucune faute fondant la rupture, le courrier de notification n’y faisant pas référence, aucune mise en demeure n’ayant été préalablement envoyée et l’octroi d’un préavis étant incompatible avec l’invocation d’une faute dont la gravité n’est de surcroît pas établie. Elle estime qu’elle avait droit à un préavis de neuf mois non réduit par la période d’écoulement des stocks, son indemnisation devant être calculé sur la base des exercices non affectés par la rupture brutale.

Réponse de la cour

En application de l’article L 442-1 II du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur le caractère établi de la relation commerciale

La relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n’implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n’est soumise à aucun formalisme quoiqu’une convention ou une succession d’accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d’un simple courant d’affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu’elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu’elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l’avenir, une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque “la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale”).

La SAS Etablissements Charles Chevignon, tout en ne contestant pas le caractère établi des relations commerciales, estime la rupture prévisible, à raison de la stipulation d’un terme dans l’ultime avenant, point qui sera examiné infra, mais également en ce que le partenariat avait pour support des contrats à durée déterminée successifs renouvelés par des avenants négociés et non par tacite reconduction.

La relation a été initiée par un contrat de licence exclusive de marque du 18 juillet 1991 (pièce 4 de la SA L’AMY) conclu pour une durée de sept ans pour tous les pays à l’exception du Japon. Elle s’est poursuivie sans interruption dans le cadre de contrats de licence successifs conclus les 6 mai 1998, 12 octobre 2005 et 5 mai 2008, la dernière convention, conclue pour une durée de trois ans, étant prorogée à trois reprises, en dernier lieu par avenant du 25 juillet 2018 pour la période 2019 à 2021 (pièces 6, 7 et 9 à 12 de la SA L’AMY). Ainsi, au jour de la notification de la rupture du 28 août 2019 (pièce 14 de la SA L’AMY), la relation a duré 28 ans à des conditions pour l’essentiel reconduites, modification du minimum garanti et du calcul des redevances exceptée.

Durant cette longue période, la SAS Etablissements Charles Chevignon ne conteste pas que le volume d’affaires était significatif en valeur absolue et stable. Aux termes de l’attestation du commissaire aux comptes de la SA L’AMY (sa pièce 43), qui révèle sur la période récente une régularité du flux d’affaires, le chiffre d’affaires généré dans le cadre du partenariat commercial était de 3 409 230 euros entre 2016 et 2019 à raison de 960 746 euros en 2016, 730 674 euros en 2017, 785 027 en 2018 et 932 783 euros en 2019, pour un chiffre d’affaires global avoisinant 34 millions d’euros en 2018.

Ces éléments combinés suffisent à caractériser une relation établie.

Tous les contrats conclus stipulaient, à l’exception du dernier avenant, un terme fixe et conditionnaient leur renouvellement à la formation d’un nouvel accord sur les pourcentages de redevance, les minima garantis et le chiffre d’affaires minimum annuel. S’il est exact que l’absence de clause de renouvellement tacite stipulée dans des contrats à durée déterminée successifs est un facteur d’instabilité de la relation commerciale (en ce sens, Com. 21 juin 2017, n° 15-20.101), la reconduction systématique des conventions à des conditions globalement identiques et sans mise en concurrence pendant 28 ans permettait à la SA L’AMY d’anticiper raisonnablement leur poursuite, au moins jusqu’au dernier avenant conclu (pour une relation constituée de contrats à durée déterminée successifs sans clause de renouvellement tacite, Com., 5 avril 2018, n° 16-26.568). Aussi, la stipulation d’un terme dans chacun des contrats et la nécessité d’une renégociation à leur échéance, qui a manifestement été aisée et systématiquement fructueuse pour les parties par le passé, n’est pas de nature à rendre juridiquement précaire une relation aussi stable et consistante dans les faits.

Sur l’imputabilité et la brutalité de la rupture

L’article L 442-1 II du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l’agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l’absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s’apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l’ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, l’éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu’une modification contractuelle négociable et non imposée n’est pas la marque d’une rupture partielle brutale).

Au regard de la fonction du préavis, période nécessaire à l’entreprise subissant la rupture pour aménager la poursuite de son activité malgré la perte de son partenaire commercial, la date d’appréciation de la durée du préavis suffisant est celle de la notification de la rupture qui correspond à l’annonce faite par un cocontractant à l’autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d’organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Par courrier du 28 août 2019 visant l’article 2 de l’avenant du 25 juillet 2018, la SAS Etablissements Charles Chevignon a notifié la rupture totale de la relation commerciale à compter du 31 décembre 2019, soit avec un préavis de quatre mois.

Cette clause, qui constitue l’unique fondement de la cessation du partenariat, stipule un terme fixé au 31 décembre 2021 avec une faculté de résiliation anticipée à exercer avant le 31 août 2019 pour le 31 décembre 2019. Le fait que la rupture en cours d’exécution soit possible en droit n’implique pas qu’elle soit prévisible en fait, la durée, la continuité et la stabilité de la relation déjà examinées permettant au contraire à la SA L’AMY de croire raisonnablement que cette voie ne serait pas, comme par le passé, empruntée. Cette espérance légitime n’est pas anéantie par la référence à une rupture “irrévocable” à l’échéance puisque cet adjectif était déjà employé dans les contrats des 12 octobre 2005 et 5 mai 2008 (article 6) et qu’une faculté de résiliation anticipée était aménagée par l’avenant du 9 décembre 2015 (article 2), stipulations en dépit desquelles la relation a invariablement perduré. Ainsi, la rédaction de cette clause, qui ne peut quoiqu’il en soit faire obstacle à l’application des dispositions d’ordre public de l’article L 442-1 II du code de commerce, n’était pas de nature à rendre la rupture prévisible au regard du contexte spécifique de la relation et de ses modalités de constitution et de persévérance sur la longue durée. Aussi, la SA L’AMY pouvait anticiper une poursuite des relations au moins jusqu’au terme stipulé et la rupture est en ce sens, quoique conforme aux stipulations contractuelles, soudaine.

Pour la justifier, la SAS Etablissements Charles Chevignon invoque désormais la faute grave de son cocontractant résidant dans un défaut de paiement des redevances depuis le troisième trimestre 2018, tout élément postérieur à la notification de la rupture étant en revanche indifférent (en ce sens, par analogie avec l’appréciation de la brutalité de la rupture, Com., 5 juillet 2017, n° 16-14.201, cité par l’intimée). Si cet impayé est reconnu et confirmé en sa mesure par les factures produites (factures des 7 novembre 2018 et 21 juin 2019 pour des montants respectifs de 33 000 euros, 33 000 euros et 15 000 euros en pièce 8 de l’appelante, montant majoré d’une somme de 45 000 euros selon facture du 5 février 2020 en pièce 13) et que cette faute contractuelle revêt une certaine gravité intrinsèque en ce qu’elle porte sur l’obligation essentielle pesant sur le licencié, celle-ci est significativement tempérée par les éléments suivants :

– elle n’a été précédée d’aucune alerte préalable prouvée autre qu’un échange rapide et non comminatoire de courriels en juillet 2019 (pièce 9 de l’appelante : ” Sauf erreur de ma part, je n’ai toujours pas eu de retour quant au paiement. Pouvez-vous revenir vers moi asap “), l’unique mise en demeure versée au débat ayant été adressée à la SA L’AMY le même jour que le courrier lui notifiant la résiliation anticipée. Aussi, cette dernière, qui a bénéficié d’une tolérance prolongée sans interpellation claire, n’a pas été en mesure de régulariser sa situation en temps utile. Or, si ses difficultés financières étaient réelles (fin de la licence Kenzo le 31 décembre 2018, placement en liquidation judiciaire de Sonya Rykiel le 25 juillet 2019), elle avait néanmoins la capacité d’apurer sa dette, ce qu’elle a fait partiellement dès le 19 juillet 2019 à hauteur de 48 000 euros (sa pièce 16) et totalement le 10 mars 2020 (pièce 20 de l’appelante), certes contrainte par une mesure de saisie-conservatoire pratiquée le 3 mars 2020 et la délivrance le 4 mars 2020 d’une assignation en référé pour l’audience du 1er avril 2020 (pièce 19 de l’appelante), sa résistance, quoique injustifiée, s’expliquant toutefois par le tour conflictuel qu’avait pris la relation ;

– il est exact que l’octroi d’un préavis ne prive pas per se l’auteur de la rupture de la faculté d’invoquer postérieurement une faute grave la fondant (en ce sens, cité par l’appelante, Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, revenant sur Com., 10 février 2015, n° 13-26.414). Cependant, l’appréciation de la faute doit être objective, au regard de l’ampleur de l’inexécution et de la nature l’obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie. Or, l’absence de toute évocation de la faute, pourtant consommée, dans la lettre de notification de la rupture ainsi que le choix de la fonder exclusivement sur l’article 2 de l’avenant du 25 juillet 2018 et non sur l’article 16 du contrat du 5 mai 2008, qui autorise, comme son article 4.5, une résiliation anticipée en cas de violation de ses obligations par une partie mais la conditionne à l’envoi préalable d’une mise en demeure laissant un délai de trente jours au contractant défaillant pour régulariser la situation, garantie dont a été privée la SA L’AMY, révèle que l’inexécution contractuelle opposée n’avait le caractère de gravité que lui prête rétrospectivement la SAS Etablissements Charles Chevignon. De fait, l’argument tiré d’une volonté, louable en elle-même, de pacification de la rupture dans le choix opéré pour la motiver et dans l’octroi d’un préavis n’est ici pas pertinent puisqu’aucun élément ne traduit l’émergence du moindre litige avant l’envoi du courrier du 28 août 2019, la relation commerciale, pourtant longue, n’ayant été émaillée d’aucun incident.

En pareilles circonstances, la faute imputable à la SA L’AMY n’est pas suffisamment grave pour fonder une rupture brutale de la relation commerciale établie. Un préavis d’une durée suffisante devait ainsi lui être accordé.

Sur la durée du préavis éludé et l’indemnisation

Le préavis suffisant au sens de l’article L 441-2 II du code de commerce s’entend du temps nécessaire au partenaire victime pour réorienter son activité en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d’un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414 déjà cité). Or, outre le fait qu’elle est une conséquence systématique de la fin de la relation contractuelle au sens de l’article 1134 du code civil dans sa version applicable et bénéficie à la SA L’AMY quelles que soient, hors hypothèse de la faute, les circonstances et les modalités de la rupture, la période d’écoulement des stocks ne correspond pas au maintien de la relation à des conditions identiques. La SA L’AMY était durant celle-ci, conformément à l’article 6 de l’avenant n° 1 au contrat du 5 mai 2008, soumise à d’importantes restrictions justement relevées par le tribunal de commerce, peu important qu’elles aient été effectivement et totalement appliquées ou non (interdiction de la poursuite de la fabrication, obligation de vendre la totalité du stock dans les six mois de la rupture). Etrangère à la notion de préavis au regard de sa fonction et de ses modalités concrètes, cette phase post contractuelle n’a pas à être prise en compte dans la détermination de sa durée et du quantum de l’indemnisation éventuellement due. Aussi, le seul préavis accordé et effectivement exécuté est celui de quatre mois notifié le 28 août 2019.

Ainsi qu’il a été dit, la relation a été particulièrement longue (28 ans) et a généré un chiffre d’affaires non négligeable de 3 409 230 euros entre 2016 et 2019 à raison de 960 746 euros en 2016, 730 674 euros en 2017, 785 027 en 2018 et 932 783 euros en 2019, pour un chiffre d’affaires global avoisinant 34 millions d’euros en 2018, soit un ratio de 2,31 %.

A ce titre, l’état de dépendance économique, pour l’essentiel défini pour les besoins de l’application de l’article L 420-2 du code de commerce qui n’est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d’élément d’évaluation de la durée du préavis éludé, s’entend de l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s’apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur, ainsi que de l’impossibilité pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d’une solution équivalente s’entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l’entreprise de développer des relations contractuelles avec d’autres partenaires, de substituer à son donneur d’ordre un ou plusieurs autres donneurs d’ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Ce taux de 2,31 % ne traduit aucune dépendance économique de la SA L’AMY à l’égard de la SAS Etablissements Charles Chevignon. Sous cet angle, les possibilités de redéploiement de son activité dans un délai relativement bref étaient sérieuses, peu important les difficultés structurelles rencontrées par la SA L’AMY auxquelles la SAS Etablissements Charles Chevignon est étrangère (réorientation des différents acteurs du secteur, perte du marché Renzo qui représentait 35 % de son chiffre d’affaires, liquidation judiciaire de la société Sonya Rykiel – pièces 36 et 39 de l’intimée), ces dernières révélant la nécessité d’une réorientation générale de l’activité indépendamment de la rupture litigieuse. Par ailleurs, la SA L’AMY, simple licenciée qui n’était tenue à aucune exclusivité, ne justifie d’aucun investissement spécifique assumé pour les besoins de la poursuite de la relation.

Enfin, si le défaut de paiement imputable à la SA L’AMY ne caractérise pas une faute grave, son importance et sa durée (un an) sont de nature à réduire la durée du préavis qui lui était dû, de telles difficultés ne pouvant lui permettre d’espérer une poursuite inconditionnelle de la relation jusqu’à son terme normal sans réaction de son cocontractant à moyen terme.

Au regard de ces éléments appréciés globalement, c’est par de justes motifs que le tribunal a fixé la durée du préavis éludé à neuf mois et estimé en conséquence l’insuffisance de préavis à cinq mois.

Le préjudice subi par la SA L’AMY est constitué de son gain manqué qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d’affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. En l’absence de débat entre les parties sur ce point, la marge brute de la SA L’AMY sera néanmoins retenue, telle qu’elle est établie par son commissaire aux comptes (sa pièce 43). Le préjudice correspond ainsi à sa perte de marge brute durant cinq mois, et ce sans égard pour les fruits tirés de l’écoulement des stocks pour les raisons déjà exposées, la demande d’injonction présentée par la SAS Etablissements Charles Chevignon, inutile à la solution du litige, devant de ce fait être rejetée. Le chiffre d’affaires auquel appliquer le taux de marge brute est celui correspondant aux exercices non affectés par la rupture, seuls représentatifs.

C’est par de justes motifs qui sont adoptés et des calculs exacts que le tribunal a fixé l’indemnisation de la SA L’AMY à la somme de 233 093 euros. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SAS Etablissements Charles Chevignon, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d’appel, qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à la SA L’AMY prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Constate que la mission de la SCP Pascal [C], mandataire judiciaire de la SA L’AMY, a pris fin en exécution du jugement prononçant la liquidation judiciaire de cette dernière, et qu’elle n’est plus partie à l’instance depuis son remplacement par la Selarl MJ JuraLP en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SA L’AMY ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à préciser que les condamnations qu’il a prononcé le sont désormais au profit de la SA L’AMY prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la Selarl MJ JuraLP (Maître [T] [C]) ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS Etablissements Charles Chevignon au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Etablissements Charles Chevignon à payer à la SA L’AMY prise en la personne de son liquidateur judiciaire la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Etablissements Charles Chevignon à supporter les entiers dépens d’appel qui seront recouvrés directement par la Selarl BDL Avocats conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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