Détournement de Savoir-faire : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 23/00038

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Détournement de Savoir-faire : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 23/00038
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28 septembre 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
23/00038

République Française

Au nom du Peuple Français

C O U R D ‘ A P P E L D E D O U A I

RÉFÉRÉ DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 28 SEPTEMBRE 2023

N° de Minute : 114/23

N° RG 23/00038 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U2AT

DEMANDEURS :

Monsieur [M] [P]

né le 11 avril 1982 à [Localité 5]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

SAS WEBEN FRANCE

dont le siège est situé [Adresse 1]

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentés par Me Isabelle MEURIN, avocate au barreau de Lille

DÉFENDERESSE :

S.A.R.L. [N] AUTOMATION FRANCE

dont le siège est situé [Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Marie-Hélène LAURENT, avocate au barreau de Douai

et Me Françoise SITTERLE, avocate au barreau de Paris

PRÉSIDENTE : Hélène CHATEAU, première présidente de chambre désignée par ordonnance du 20 juillet 2023 du premier président de la cour d’appel de Douai

GREFFIER : Christian BERQUET

DÉBATS : à l’audience publique du 11 septembre 2023

Les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’ordonnance serait prononcée par sa mise à disposition au greffe

ORDONNANCE : contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe le vingt-huit septembre deux mille vingt-trois, date indiquée à l’issue des débats, par Hélène CHATEAU, Présidente, ayant signé la minute avec Christian BERQUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire

38/23 – 2ème page

EXPOSE DU LITIGE

La S.A.R.L. [N] automation France, créée le 15 juillet 2003, a de par ses statuts mis à jour le 7 décembre 2018 une activité d’étude et de réalisation d’automatisme et d’automation pour machine de production industrielle automatique ou robotisée, de négocier fabrication de pièces pour automatismes ou automation, d’assemblage d’automatismes et d’automation, d’intégration des machines industrielles automatiques ou robotisées, d’étude et conception des moyens de production industrielle, participation à toute entreprise société, créer ou à créer, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social ou à tous objets similaires ou connexes, notamment aux entreprises ou sociétés dont l’objet serait susceptible de concourir à la réalisation de l’objet social, et ce, par tout moyen, notamment par voie de création de sociétés nouvelles d’apport, fusion, alliance société en participation, et plus généralement toutes opérations industrielles, commerciales ou financières mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social et à tous objets similaires ou connexes.

Elle est une émanation française de la société [N] automation GMBH qui est associée majoritaire titulaire de 80% des parts sociales, les 20% restants étant répartis par moitié entre MM. [O] [N] et [M] [P].

En mars 2012, M. [P] est devenu le gérant de la société [N] automation France.

Par décision du 20 novembre 2019 de l’assemblée générale extraordinaire de la société [N] automation, M. [P] a été révoqué de sa qualité de gérant de cette société.

Par courrier du 25 novembre 2019, la société [N] automation France a notifié à M. [P] son licenciement pour faute grave. Ce licenciement a été contesté par M. [P] qui a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes le 19 novembre 2020.

Par actes des 14 et 15 décembre 2020, la société [N] automation France a fait assigner la SAS Weben France et M. [P] devant le tribunal de commerce de Valenciennes aux fins notamment de voir constater qu’ils ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son détriment et de voir réparer les préjudices causés par ces actes.

Dans un premier jugement rendu contradictoirement entre les parties en date du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Valenciennes a notamment rejeté les exceptions de nullité soulevées par M. [P] et la société Weben France à l’encontre des constats d’huissier produits par la société [N] automation France.

Dans un second jugement rendu contradictoirement entre les parties le 27 septembre 2022, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

”’ accueilli partiellement la demande de la société [N] automation France concernant les actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par la société Weben France et M. [P] à son détriment’;

”’ rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société Weben France et M. [P]’;

”’ en conséquence, condamné solidairement la société Weben France et M. [P] à verser à la société [N] automation France la somme de 5 000 000 euros au titre d’indemnités pour les actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis à son détriment’;

”’ débouté la société [N] automation France de ses autres demandes’;

”’ débouté la société Weben France et M. [P] de leurs demandes’;

”’ ordonné la publication de la décision aux frais de la société Weben France dans un quotidien de diffusion nationale et, pendant une période de 6 mois, sur la page d’accueil de son site internet’;

”’ dit que la publication devra être rédigée comme suit «’par jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 27 septembre 2022, la société Weben France et M. [P] sont solidairement condamnés à verser à la société [N] automation France la somme de 5 000 000 euros outre accessoires pour les actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis à son détriment’;

”’ rappelé que la décision est assortie de l’exécution provisoire de droit’;

”’ condamné solidairement la société Weben France et M. [P] à payer à la société [N] automation France la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

”’ condamné solidairement la société Weben France et M. [P] aux entiers frais et dépens, les frais de greffe étant liquidés à la somme de 191,24 euros.

Par déclarations en date du 7 décembre 2022,’ la SAS Weben France et M. [P] ont interjeté appel de ces deux jugements.

38/23 – 3ème page

Par acte du 16 mars 2023, la société Weben France et M. [P] ont fait assigner la société [N] automation France devant le premier président de la cour d’appel de Douai, afin d’obtenir au visa de l’article 514-3 du code de procédure civile, l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du 27 septembre 2022 et de réserver à ce stade les frais et dépens.

L’affaire appelée le 3 avril 2023 a été renvoyée à deux reprises à la demande des avocats des parties, au 22 mai 2023, puis au 11 septembre 2023.

A cette date, M. [P] et la SAS Weben France ont maintenu leurs demandes.

Ils exposent qu’il existe des moyens sérieux de réformation du jugement du 27 septembre 2022 dès lors que’:

”’ le tribunal a estimé à tort que le jugement du 29 mars 2022, rejetant l’exception de nullité qu’ils avaient soulevée contre les constats d’huissier produits par la [N] automation France, était définitif, alors que cette décision ne leur a jamais été notifiée’;

”’ il n’existe pas de concurrence directe entre les sociétés Weben et [N] automation France, cette dernière étant dans le domaine de la fabrication d’automatismes et non de robots’;

”’ la société [N] automation France n’a pas démontré l’utilisation par la société Weben de secret de fabrication ou d’un savoir-faire’;

”’ la société [N] n’a pas démontré l’existence de copies et de reventes à bas coûts de produits par la société Weben, cette dernière ayant des clients intervenant dans des secteurs qui sont étrangers à la société [N]’;

”’ la société [N] n’a pas démontré de détournement de clientèle, et la société Weben a communiqué l’identité de ses clients, qui n’ont jamais été ceux de la société [N]’;

”’ la société [N] n’a pas démontré l’existence d’un démarchage fautif de sa clientèle, d’un détournement de commande ou de fichiers techniques, d’une imitation de produits, d’un quelconque parasitisme ou débauchage prémédité et fautif de ses salariés’;

”’ c’est à tort que le tribunal a condamné M. [P] solidairement avec la société Weben France, alors que l’huissier n’a constaté chez lui aucun des éléments visés dans la mission qui avait été définie par le tribunal judiciaire de Valenciennes’;

”’ le constat d’huissier dressé le 15 octobre 2020 est nul car il ne correspond pas aux investigations qui ont été menées chez M. [P]’;

”’ l’huissier a consulté les courriels personnels de M. [P] sans y avoir été missionné, il a ainsi outrepassé sa mission’;

”’ la condamnation de M. [P] est infondée puisque si des actes de concurrences déloyales avaient effectivement été commis, seule la société Weben en aurait tiré un bénéfice’;

”’ la société [N] automation France n’a’ prouvé ni l’existence ni l’étendue de son préjudice’;

”’ le tribunal a lui-même reconnu l’absence de lien de causalité entre la prétendue faute de la société Weben et le prétendu préjudice de la société [N].

Ils ajoutent que l’exécution provisoire du jugement risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives compte tenu’:

”’ du montant de la condamnation prononcée égal à 5 000 000 euros’;

”’ de la situation financière de M. [P] qui perçoit un revenu mensuel de 4 654,58 euros et dont l’épouse perçoit mensuellement 2 572 euros alors que leurs dépenses mensuelles incompressibles s’élèvent à 4 775,82 euros’;

”’ du fait que la société [N] est preneuse d’un bail portant sur un immeuble appartenant à la S.C.I. [P] immobilier, dont M. [P] est associé, et réalise de son propre chef une compensation qui aggrave la situation financière de M. [P]’;

”’ du fait que M. [P] n’est pas en capacité de payer la somme mensuelle de 2 450 euros à la société [N]’;

”’ de la situation financière de la société Weben France, en cours de formation, qui ne lui permet pas non plus d’exécuter le jugement, étant précisé que le chiffre d’affaires réalisé en 2021 ne permet pas à lui seul d’apprécier sa situation financière et que son résultat net comptable est négatif en 2022.

La société [N] automation France demande au premier président, au visa des articles 514, 514-1 et 514-3 du code de procédure civile, de’:

”’ débouter la société Weben et M. [P] de leur demande tendant à voir prononcer l’arrêt de l’exécution provisoire de droit attachée au jugement du 27 septembre 2022′;

”’ condamner solidairement la société Weben et M. [P] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

38/23 – 4ème page

Elle expose qu’en première instance, M. [P] et la société Weben n’ont pas su démontrer que l’exécution provisoire du jugement était incompatible avec la nature de l’affaire.

Elle ajoute qu’ils ne démontrent pas l’existence de moyens sérieux d’annulation ou de réformation du jugement car’:

”’ le constat d’huissier réalisé chez M. [P] n’a permis la saisie d’aucun document et le constat d’huissier réalisé au siège de la société Weben a été réalisé dans le respect des limites de la mission assignée à l’huissier’;

”’ les actes de concurrence déloyale et de parasitisme sont établis par les nombreuses pièces qu’elle a versées’;

”’ le chiffre d’affaires généré en 2021 par la société Weben, qui s’est élevé à plus de 2,5 millions, un an à peine après sa création, ne peut être que le fruit du détournement massif de savoir-faire, de projets et de clientèle’;

”’ son préjudice, résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, a été précisément quantifié.

Enfin, elle fait valoir que M. [P] et la société Weben ne démontrent pas que l’exécution provisoire risque d’entrainer des conséquences manifestement excessives, la société Weben ayant un chiffre d’affaires en 2021 de 2,5 millions d’euros et M. [P] ayant, parmi ses revenus mensuels, une disponibilité de 2 450,76 euros pour exécuter le jugement.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la recevabilité de la demande d’arrêt d’exécution provisoire

Il ressort des dispositions de l’article 514-3 alinéa 1er du code de procédure civile, applicables aux instances introduites après le 1er janvier 2020, ce qui est le cas de l’espèce, qu’en cas d’appel, le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de la décision lorsque celle-ci risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives et lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation de la décision de première instance.

L’alinéa 2 du même article dispose que :

‘La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d’observations sur l’exécution provisoire n’est recevable que si, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.’

En l’espèce, il résulte de la seule lecture du jugement du 27 septembre 2022 du tribunal de commerce de Valenciennes que M. [M] [P] et la SAS Weben-France avaient bien sollicité en première instance que le tribunal ne prononce pas l’exécution provisoire ; ils sont donc en conséquence recevables à solliciter l’arrêt de l’exécution provisoire de ce jugement au vu de circonstances manifestement excessives quand bien même celles-ci existaient antérieurement à la décision de première instance, la présente juridiction devant apprécier la pertinence de ces circonstances, au vu des moyens soulevés devant elle et non au vu de la teneur des observations présentées en première instance pour voir écarter l’exécution provisoire.

2. Sur l’existence de circonstances manifestement excessives

2.1 Relativement à M. [P]

M. [P] justifie de ses ressources et charges ainsi que celles de son épouse, étant précisé qu’ils ont trois enfants à charge ; la société [N] Automation France en conclut qu’avec 2450,76 euros par mois de disponible, il aurait pu commencer à exécuter le jugement et proposer un échelonnement de sa dette.

C’est oublier que le règlement d’une somme de 2450 euros, par mois soit 29 400 euros par an ne couvrirait même pas un dizième des seuls intérêts annuels engendrés par la somme de 5 000 000 euros au paiement de laquelle il a été condamné solidairement avec la SAS Weben France, de sorte que M. [P] peut raisonnablement arguer de ce que l’exécution provisoire d’une telle condamnation entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives et qu’il ne peut proposer un échelonnement viable lui permettant de continuer à subvenir aux besoins de sa famille.

38/23 – 5ème page

2.2. Relativement à la SAS Weben France

La SAS Weben France justifie en versant aux débats une attestation de son expert-comptable en date du 5 septembre 2023 que si elle a eu un chiffre d’affaires HT passant de 329 600 euros à 2 583 337 euros de 2020 à 2021, celui-ci est redescendu à 1 793 195 euros HT en 2022 et surtout que si les résultats nets comptables étaient passés de 4139 euros à 13 770 euros de 2020 à 2021, ils sont devenus négatifs en 2022 comme étant de ‘ 387 205 euros. De ces éléments comptables, il peut en être déduit qu’elle ne peut honorer une dette de 5 000 000 euros, sans mettre en péril sa survie, alors même qu’elle a été récemment créée.

3. Sur l’existence de moyens sérieux de réformation de la décision

Doit être considéré comme ‘moyen sérieux d’annulation ou de réformation’ au sens de l’article 514-3, le moyen qui, en violation manifeste d’un principe fondamental de procédure, ou d’une règle de droit, serait retenu par la cour d’appel comme moyen d’infirmation de la décision de première instance sans contestation sérieuse sur le fond.

A cet égard, apparaît comme moyen sérieux le fait pour la SAS Weben France et M. [P] de soutenir que :

– le tribunal de commerce de Valenciennes ne pouvait retenir que le jugement du 29 mars 2022 était définitif en ce qu’il avait rejeté les moyens de nullité qu’ils avaient soulevés, alors qu’il apparaît que ce jugement n’a pas été signifié et que ne statuant pas au fond, il ne pouvait être frappé d’appel indépendamment du jugement sur le fond du 27 septembre 2022, les deux appels étant en effet intervenus le 7 décembre 2022,

– en évaluant à 5 000 000 euros le préjudice de la SARL [N] Automation France, le tribunal a réalisé une estimation en l’absence de toute preuve ;

en effet, la présente juridiction note que le tribunal a rappelé que pour fixer le préjudice, il convenait de se référer aux dispositions de l’article L 152-1 du code de commerce qui prévoit que la juridiction prend en considération distinctement :

1. Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée y compris la perte de chance,

2. le préjudice moral causé à la partie lésée,

3. les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret, y compris les économies d’investissements intellectuels matériels et promotionnels que celui-ci a retirés de l’atteinte.

Or le tribunal poursuit en indiquant que le préjudice subi par la société [N] Automation France ne ressort ni du chiffre d’affaire de cette dernière, ni du chiffre d’affaires de la société Weben-France de 330 000 € en 2020 ; pourtant, le tribunal a cru pour calculer les préjudices pouvoir s’appuyer sur des chiffres provisionnels et donc incertains notamment de 3 732 000 euros en 2022, puis de 4 292 000 euros sur les trois années suivantes et surtout une marge brute de 37% sur chaque année de 2021 à 2025, qui ne correspond nullement à la réalité économique de la SAS Weben qui a eu en 2022 eu un chiffre d’affaires de 1 793 195 euros et un résultat net comptable négatif de 387 205 euros.

Ainsi la SAS Weben France et M. [P] justifient de moyens sérieux de réformation de la décision quant à l’évaluation du préjudice.

Les deux conditions de l’article 514-3 du code de procédure civile étant réunies, il convient de faire droit à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire du jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 27 septembre 2022.

Chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance et la SARL [N] Automation France sera déboutée de sa demande d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Ordonne l’arrêt de l’exécution provisoire de la décision du tribunal de commerce de Valenciennes du 27 septembre 2022,

Déboute la SARL [N] Automation France de sa demande d’indemnité d’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera à sa charge les frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance.

Le greffier La présidente

C. BERQUET H. CHÂTEAU

 


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