Harcèlement du salarié : le refus de diligenter une enquête
Harcèlement du salarié : le refus de diligenter une enquête
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Le refus de diligenter en enquête sur les faits de harcèlement dénoncés par une salariée caractérise un manquement par l’employeur à son obligation de prévention à l’égard de la salariée.



N° RG 22/01200

N° Portalis DBVM-V-B7G-LJHU

N° Minute :


la SELARL ACTIVE AVOCATS



la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D’APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 03 OCTOBRE 2023





Appel d’une décision (N° RG F 20/00019)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTELIMAR

en date du 27 janvier 2022

suivant déclaration d’appel du 22 mars 2022





APPELANTE :



Madame [C] [H]

née le 20 Novembre 1976 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]



représentée par Me Thierry MONOD de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Quentin BRISSON, avocat au barreau de LYON,





INTIMEE :



S.A.S. CARRE BLEU INTERNATIONAL – CBI, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 1]



représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Géraldine BOEUF de la SELARL SELARL LEGI AVOCATS SOCIAL, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON, substituée par Me Natacha RODRIGUEZ, avocat au barreau de LYON,





COMPOSITION DE LA COUR :



LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,





DÉBATS :



A l’audience publique du 26 juin 2023,

Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente chargée du rapport, et Mme Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère faisant fonction de Présidente, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, en présence de Mme Fabienne DURBEC et M. Yannis ENSAAD, auditeurs de justice, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;





Puis l’affaire a été mise en délibéré au 03 octobre 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.



L’arrêt a été rendu le 03 octobre 2023.

Exposé du litige




Exposé du litige :



La SAS Carré bleu international ‘ CBI est une société appartenant au groupe FIJA.



Mme [H] a été embauchée par la SAS Carré bleu international – CBI selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 2010 en qualité d’assistante commerciale et marketing.



Par courrier du 6 novembre 2018, la SAS Carré bleu international – CBI a annoncé à Mme [H] la suppression de son poste d’assistante commerciale et marketing en raison de difficultés économiques rencontrées par la société, et lui a proposé quatre postes de reclassement dans une autre société du groupe.



Le 22 janvier 2019, la SAS Carré bleu international – CBI a convoqué Mme [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.



Le contrat de travail de Mme [H] a pris fin le 25 février 2019 à la suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle.



Le 12 février 2020, Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Montélimar aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement pour motif économique, et obtenir la condamnation de son ancien employeur à lui payer diverses indemnités afférentes à la rupture de la relation de travail.



Par jugement du 27 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Montélimar a :


Dit et jugé que le licenciement de Mme [H] repose bien sur un motif économique,

En conséquence,

Débouté Mme [H] de l’intégralité de ses demandes,

Débouté la SAS Carré bleu international – CBI de sa demande reconventionnelle basée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamné Mme [H] aux dépens de l’instance.




La décision ainsi rendue a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec avis de réception.



Mme [H] en a relevé appel par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 22 mars 2022.



Par conclusions du 23 novembre 2022 transmises par voie électronique, Mme [H] demande à la cour d’appel de :


Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Montélimar du 27 janvier 2022 en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée aux dépens de l’instance,

Et statuant à nouveau,

Condamner la SAS Carré bleu international – CBI au règlement de la somme de 65 000 euros net, sauf à parfaire, et représentant environ 18 mois de salaires, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et de nul effet,

A titre subsidiaire,

Condamner la SAS Carré bleu international – CBI au règlement de la somme de 32 049 euros net, sauf à parfaire, et représentant 9 mois de salaires, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En toute hypothèse,

Débouter la SAS Carré bleu international – CBI de l’ensemble de ses demandes,

Condamner la SAS Carré bleu international – CBI au règlement de la somme de 7 122 euros au titre de l’indemnité de préavis outre la somme de 712,20 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,

Condamner la SAS Carré bleu international – CBI au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.




Par conclusions du 7 juin 2023 transmises par voie électronique, la SAS Carré bleu international – CBI demande à la cour d’appel de :


Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Montélimar le 27 janvier 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Par conséquent,

Débouter Mme [H] de l’intégralité de ses demandes,

Subsidiairement, et si la cour devait considérer que le licenciement de Mme [H] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

Limiter les dommages et intérêts alloués à Mme [H] à la somme de 8 902,50 euros brut, à charge pour la salariée de s’acquitter de sa participation aux charges salariales,

A titre infiniment subsidiaire, et si la cour d’appel devait considérer que le licenciement de Mme [H] était nul,

Limiter les dommages et intérêts pour licenciement nul dans les plus strictes proportions et pour un montant brut, à charge pour la salariée de s’acquitter de sa participation aux charges salariales,

En tout état de cause,

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [H] au versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,

Par conséquent,

Condamner Mme [H] au versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.




La clôture de l’instruction a été prononcée le 13 juin 2023.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.





MOTIFS DE LA DECISION :



Sur la nullité du licenciement résultant d’une situation de harcèlement moral :

Moyens




Moyens des parties,



Mme [H] soutient à titre principal que son licenciement est nul car il est intervenu alors qu’elle subissait un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique.



La salariée fait ainsi valoir que :


Elle a dû subir un comportement hostile et oppressant de [T] [M], son supérieur hiérarchique, depuis sa nomination en janvier 2018, alors qu’elle avait de très bonnes relations de travail avec son prédécesseur,

Elle a fait l’objet de dénigrements et de propos vexatoires, notamment sur ses compétences professionnelles, qui n’ont jamais été étayés par des éléments objectifs,

Elle a pris soin de signaler à de nombreuses reprises le comportement injustifié et agressif dont elle a fait l’objet, sans que ces alertes ne trouvent de suites,

Par courrier en date du 3 juillet 2018, l’inspection du travail a retenu que les agissements mis en ‘uvre à son encontre et la dégradation de ses conditions de travail caractérisaient une situation de harcèlement moral,

Aucune enquête n’a été diligentée par la société CBI pour vérifier si les faits de harcèlement moral dénoncés étaient avérés,

Quelques jours après son alerte, elle s’est vue pour la première fois reprocher de ne pas avoir respecté une prétendue procédure interne de demande de prise de jours de congés, alors même que ses précédentes demandes n’avaient présenté aucune difficulté,

Elle a été écartée des réunions, notamment d’équipe, auxquelles elle participait jusqu’alors,

Le 24 janvier 2018, elle a été convoquée à un entretien lors duquel était présent [A] [I], représentant légal de la société FIJA, président de la société CBI, [F] [R], DRH de la société FIJA, et [T] [M], et au cours duquel a été acté et confirmé la suppression prochaine de son poste de travail,

Pour seule option, lui a été proposé un poste impliquant une mobilité en Ille-et-Vilaine (35), soit à plus de 700 kilomètres, et pour des fonctions éloignées de celles qu’elle occupait jusqu’alors, poste qu’elle ne pouvait que refuser,

Par la suite, elle s’est vue retirer une partie voire la quasi-totalité de ses attributions, de surcroit sans concertation ni information préalable,

Ces différents agissements vexatoires et répétés opérés à son encontre pendant plusieurs mois ont eu pour effet d’entrainer sa mise à l’écart et la dégradation de ses conditions de travail, et ont porté atteinte à ses droits, à sa dignité et à son état de santé,

La décision de la licencier s’inscrit dans la poursuite des agissements mis en ‘uvre à son encontre, dont le motif économique n’a été imaginé que pour masquer une situation de harcèlement moral dont la requérante a été l’objet.




La SAS Carré bleu international – CBI fait valoir pour sa part que :


La salariée ne communique aucune pièce à l’appui de ses allégations, de sorte que ses seuls écrits, qui ne sont corroborés par aucun autre élément, ne permettent pas d’apporter la preuve d’une situation de harcèlement moral,

Il est de principe que nul ne peut se faire de preuve à soi-même ; or, la salariée ne produit aucun autre élément que ses propres correspondances,

La salariée s’est placée dans une situation de défiance à l’égard de son nouveau supérieur hiérarchique, ce qu’elle démontre en produisant les courriels que celui-ci lui a adressés,

Son supérieur hiérarchique était fondé à lui demander de respecter la procédure de demande de congé, et il a par ailleurs accédé à sa demande de congés payés,

L’inspecteur du travail s’est contenté de « relater » les faits énoncés par la salariée et de rappeler les obligations de l’employeur en matière de harcèlement moral, tout en invitant la SAS Carré bleu international – CBI à lui faire part de ses observations, ce qu’elle a fait,

Postérieurement à cette réponse, l’inspection du travail n’a jamais accompli la moindre action dans ce dossier, ni sollicité d’explications complémentaires, ni même répondu à la proposition d’échanges formulée par la SAS Carré bleu international – CBI,

La salariée affirme avoir été exclue des réunions d’équipe sans préciser ni les dates, ni la nature desdites réunions,

S’agissant du prétendu retrait de certaines tâches qui lui étaient dévolues, la salariée est malvenue à soutenir que ses fonctions auraient été réduites alors même qu’elle s’est plainte, en janvier 2018, d’une prétendue surcharge de travail, ce qui l’a d’ailleurs conduite à décider seule de réduire ses tâches,

Contrairement à ce que la salariée soutient, la décision de la licencier n’a jamais été prise en janvier 2018.






Moyens des parties,



Aux termes des articles L. 1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.



Suivant les dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait constitutifs selon lui un harcèlement moral, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.



En outre, aux termes des dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.



Mme [H] expose qu’elle a subi une situation de harcèlement moral sur son lieu de travail caractérisée par :


Un comportement hostile et oppressant de son supérieur hiérarchique, qui a par ailleurs tenu à son encontre des propos désobligeants,

Un reproche infondé de son supérieur hiérarchique sur le non-respect de la procédure interne de demande de prises de congés,

Des man’uvres de son supérieur hiérarchique visant à l’exclure ou à la mettre à l’écart,

L’absence d’enquête diligentée à la suite de la réception d’un courrier de l’inspection du travail concernant sa situation,

Le retrait d’une grande partie de ses fonctions.




S’agissant du comportement de son supérieur hiérarchique, Mme [H] verse aux débats :




Un courrier du 22 juin 2018 adressé par la salariée à M. [I], président du groupe FIJA et de la SAS Carré bleu international – CBI, dans lequel elle indique entre autres que M. [M] lui a reproché par « des propos désobligeants et laissant planer un sentiment de fort suspicion » à son encontre le fait d’avoir restitué des affaires personnelles à un collègue de travail ayant quitté l’entreprise sans lui avoir faire part de cette démarche,





Un courrier du 3 juillet 2018 de M. [P], inspecteur du travail, adressé à la SAS Carré bleu international – CBI, dans lequel celui-ci indique que la salariée lui a relaté des faits d’acharnement et de menaces verbales de son supérieur hiérarchique direct, M. [M], et qu’elle se sentait ignorée (isolement vis-à-vis des autres collègues de travail, réduction des tâches, négation de la personne’), M. [P] demandant à l’employeur de prendre toutes les mesures pour faire cesser ces agissements susceptibles de caractériser un harcèlement moral.




Toutefois, la salariée, qui reste évasive et imprécise sur les propos désobligeants que lui auraient tenus M. [M] auxquels elle fait référence dans le courrier susvisé du 22 juin 2018, ne verse aux débats aucun autre élément permettant d’étayer ses allégations. Pris ensemble, ces deux éléments sont insuffisants pour établir que M. [M] avait un comportement hostile et oppressant à son égard et aurait tenu des propos désobligeants à son encontre. Ce fait n’est pas établi.



S’agissant du non-respect de la procédure interne de demande de prise de congés reproché à la salariée, Mme [H] verse aux débats un courriel du 26 juin 2018 que lui a adressé M. [M], dans lequel celui-ci lui rappelle la procédure à suivre pour faire une demande de prise de congés, à savoir lui adresser directement la demande et respecter un certain délai entre la demande et les jours demandés, et un courriel du 27 juin 2018 en réponse, dans lequel la salariée indique à M. [M] qu’elle est surprise de ce changement de procédure, alors que depuis son arrivée dans l’entreprise les demandes étaient toujours adressées à la personne en charge du décompte des congés, y compris depuis la prise de fonction de M. [M], et qu’à sa connaissance aucun délai n’a jamais été exigé entre la date de la demande et la date des congés, Mme [H] s’interrogeant sur le « changement de posture » de M. [M] à son égard qui n’exigeait pas, à ses dires, un tel formalisme de sa part auparavant.



Ces éléments sont suffisamment précis pour retenir que M. [M] a bien reproché à la salariée de ne pas avoir respecté la procédure de demande de congés en vigueur dans l’entreprise, et que la salariée a contesté que cette procédure était en vigueur dans l’entreprise, ayant toujours selon elle procédé différemment sans que cela ne lui soit reproché. Ce fait est établi.



S’agissant des démarches de son supérieur visant à la mettre à l’écart, Mme [H] produit :




Le courrier susvisé du 22 juin 2018 adressé par la salariée à M. [I], président du groupe FIJA, dans lequel elle indique que M. [M] ne l’a volontairement pas conviée à une réunion avec le concessionnaire de l’entreprise basée en Suisse, M. [U] [Y] : « Ce dernier m’a informé, il y a plus de trois semaines de la mise en ‘uvre d’une réunion pour revoir les modalités du suivi de son activité suite aux différents problèmes rencontrés depuis la mise en place de la relation en direct avec FJA. Il a souhaité, étant son interlocutrice, ma présence lors de cette réunion. Or, à ma grande surprise à aucun moment M. [T] [M] ne m’a fait part de cette réunion et encore moins ne m’y a convié, préférant solliciter Mme [B] [K] et M. [O] [V], qui n’étaient pas en charge de la relation au quotidien, d’où l’étonnement de M. [U] [Y]. A l’issue de cette réunion, aucune personne chez Carré Bleu et encore moins mon supérieur, M. [T] [M], ne m’a fait part de son contenu. Seul M. [U] [Y] a pris soin de m’appeler et de m’en faire le résumé »,





Un courriel du 16 janvier 2019 adressé à M. [M], M. [I] et Mme [D], responsable des ressources humaines au sein du groupe FIJA, dans lequel elle reproche à M. [M] de ne pas l’avoir conviée à une réunion organisée ce jour avec l’ensemble de l’équipe,





Un courrier du 23 janvier 2019 adressé par la salariée à Mme [D], dans lequel la salariée répond à un courriel de cette dernière du 22 janvier 2019 portant sur les raisons de son absence à la réunion du 16 janvier 2019, la salariée indiquant que la réunion s’est faite sans elle, qu’elle n’y a pas été conviée, raison pour laquelle elle est restée dans son bureau, et qu’elle a régulièrement quitté son poste de travail à 17h30 sans pouvoir saluer ses collègues de travail car la porte de la salle de réunion était fermée ; la salariée ajoute que M. [M] aurait justifié son absence auprès des collègues présents par le fait que la salariée ne ferait plus partie des effectifs à la fin du mois de janvier 2019.




Ces différents courriers, qui font état de deux réunions auxquelles la salariée n’a pas été conviée par son supérieur hiérarchique direct, sont suffisamment précis et détaillés, nonobstant l’absence de date pour la réunion avec M. [Y], pour retenir que les faits invoqués par la salariée sont établis.



S’agissant de la dénonciation de faits de harcèlement moral auprès de son employeur, Mme [H] verse aux débats un courrier du 22 juin 2018 adressé à M. [I], président de la SAS Carré bleu international – CBI, portant mention « copie à l’inspection du travail », dans lequel elle qualifie explicitement de harcèlement moral plusieurs comportements qu’elle reproche à M. [M] (« isolement, réduction progressive des tâches, négation de la personne en refusant de la saluer »).

Ce fait est établi.



S’agissant du retrait d’une grande partie de ses fonctions, la salariée verse aux débats :


Un courriel du 20 juin 2018 de Mme [G], responsable communication, indiquant qu’une campagne Google Adwords est en cours,

Un ensemble de courriels du mois d’avril 2017 échangés entre la salariée et d’autres salariés de la société, desquels il ressort que Mme [H] était en charge de cette campagne au titre de l’année 2017,

Deux courriels de la société Orange adressés à Mme [H] en date des 20 février 2018 et 15 mars 2018, desquels il ressort que le site de la société CBI a fermé,

Différents courriels de Mme [H] à M. [X], ancien Directeur général de la SAS Carré bleu international – CBI, desquels il ressort que la salariée a réalisé des fichiers PowerPoint en vue de réunions au cours de l’année 2016, et qu’elle réalisait par ailleurs des statistiques par famille de produits,

Différents document internes faisant état de la mise en place d’un nouveau site intranet à compter des mois d’avril et mai 2018,

Un courriel du 19 avril 2018 de Mme [G], responsable communication de la SAS Carré bleu international – CBI, concernant la mise en place d’une nouvelle procédure d’achats directs auprès des fournisseurs extérieurs.




Pris ensemble, ces éléments sont suffisants pour établir que la salariée s’est vue privée d’une partie de ses fonctions dans le courant de l’année 2018 en raison notamment de la mise en place de nouvelles procédures d’achat et de la mise en place de nouveaux outils de travail.

Ce fait est établi.



Il résulte de l’examen des faits établis susvisés pris dans leur ensemble, des éléments précis et concordants permettant de supposer que Mme [H] a subi des agissements répétés de la part de son employeur pouvant caractériser un harcèlement moral ayant engendré une dégradation importante de ses conditions humaines, matérielles et relationnelles de travail avec pour conséquence un état dépressif.



Il incombe dès lors à l’employeur de démontrer que les faits établis sont étrangers à tout harcèlement moral.



S’agissant du non-respect de la procédure de demande de prise de congés reproché à la salariée par le supérieur hiérarchique de Mme [H], il est sans incidence que celui-ci ait accédé à la demande de la salariée, le fait visé par la salariée portant uniquement sur le reproche de ne pas avoir respecté la procédure de demande de prises de congés, alors qu’elle n’avait pas été informée de sa mise en place.



Il n’est pas contestable que la salariée a fait une demande de congés un mardi pour un congé débutant le jeudi matin, et que les précédentes demandes que la salariée a transmise à M. [M] pour établir qu’elle n’a jamais respecté la procédure demandée par ce dernier ont été faites au minimum quinze jours avant le début de la période de congés demandés.



Toutefois, la SAS Carré bleu international – CBI ne produit aucun élément permettant à la cour de constater qu’il existait une procédure en vigueur dans l’entreprise impliquant, comme le soutient M. [M] dans son courriel précité, d’une part, que les demandes devaient lui être adressées directement et non à la personne chargée du décompte des salariés comme le soutient la salariée, d’autre part, qu’il existait bien un délai minimum à respecter entre la date de la demande et le début de la période de congés, ce délai n’étant au demeurant pas mentionné dans le courriel susvisé de M. [M] et l’employeur n’apportant aucune précision sur ce point dans ses écritures.



La SAS Carré bleu international – CBI ne produit pas davantage d’éléments permettant à la cour de se convaincre que cette procédure était respectée par les autres salariés de l’entreprise.



Dès lors, il ne peut qu’être retenu que la SAS Carré bleu international – CBI ne démontre pas par des raisons objectives à tout harcèlement moral le reproche adressé par M. [M] à la salariée de ne pas avoir respecté une procédure dont celle-ci n’avait manifestement pas connaissance, peu important qu’il ait malgré tout accédé à sa demande de congés payés.



S’agissant de l’absence de convocation aux réunions, la SAS Carré bleu international – CBI n’apporte aucune précision sur l’absence de convocation de la salariée à la réunion avec M. [Y], l’employeur ne contredisant notamment pas la salariée sur le fait qu’elle était bien l’interlocutrice du concessionnaire basé en Suisse, et qu’une réunion a bien été organisée avec lui dans les circonstances précises relatées par la salariée dans son courrier susvisé du 22 juin 2018.



La SAS Carré bleu international – CBI échoue ainsi à justifier par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral l’absence de convocation de la salariée à cette réunion.



S’agissant de la réunion d’équipe portant sur le déménagement du 16 janvier 2019, il est sans pertinence, comme le soutient l’employeur dans ses écritures, que cette réunion ait été informelle, et qu’elle ait été organisée de manière impromptue ce jour-là, la cour relevant que la SAS Carré bleu international – CBI ne contredit pas les allégations de la salariée dans son courrier du 23 janvier 2019, selon lesquelles deux salariés situés sur d’autres sites ([Localité 6] et [Localité 5]) étaient présents, impliquant, selon elle, qu’ils auraient été informés en amont de cette réunion.



La SAS Carré bleu international – CBI, qui produit un courriel en réponse adressé à Mme [H] de Mme [D], n’allègue ni ne démontre que la tenue de la réunion aurait été annoncée à l’ensemble des salariés, y compris à Mme [H].



Dès lors, elle ne peut valablement soutenir que Mme [H] aurait décidé de son propre chef de se tenir à l’écart et refusé de rejoindre les autres membres de l’équipe pour y participer, le fait que l’ensemble des autres salariés y auraient participé, ce que la SAS Carré bleu international – CBI ne démontre pas au demeurant, ne pouvant à lui seul établir le refus de la salariée.



Il est sans effet que la SAS Carré bleu international – CBI ait par la suite organisé une réunion officielle sur le déménagement des locaux de l’entreprise, à laquelle la salariée aurait été officiellement conviée.


Motivation

Dès lors, il y a lieu de retenir que la SAS Carré bleu international – CBI échoue à justifier par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral l’absence de convocation de la salariée à la réunion du 16 janvier 2019.



S’agissant de la dénonciation des faits de harcèlement moral auprès de son employeur, la SAS Carré bleu international – CBI verse aux débats un courrier en réponse de M. [I] adressé à la salariée en date du 13 juillet 2018 dans lequel celui-ci réfute les faits reprochés par la salariée à M. [M] et impute à la salariée l’entière responsabilité de la situation qu’elle dénonce, M. [I] indiquant notamment que la salariée « semble vouloir persister dans (sa) position de recherche de conflit permanente », et que « la teneur de (ses) courriers révèle une volonté de remise en cause persistante de (son) nouveau responsable hiérarchique ».



En outre, la SAS Carré bleu international – CBI produit un courrier de M. [I] du 18 juillet 2018 adressé à l’inspection du travail dans lequel celui-ci indique qu’« à ce jour, aucun élément concret ne vient étayer (les) propos de (Mme [H]), lesquels ne correspondent en rien aux informations qui nous ont été transmises par les personnes du site. Je démens et réfute avec force les accusations de harcèlement moral portées par Madame [C] [H] à l’encontre de Monsieur [T] [M]. Depuis la prise de fonction de Monsieur [T] [M] à ses fonctions de Directeur Général en janvier 2018, il semble que Mme [C] [H] adopte une démarche conflictuelle à son égard ».



Il ressort de l’ensemble des éléments produits par la SAS Carré bleu international – CBI que celle-ci n’a diligenté aucune enquête à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral par la salariée dans son courrier susvisé du 22 juin 2018, et qu’elle a imputé à la salariée l’entière responsabilité de la situation qu’elle dénonçait.



La SAS Carré bleu international – CBI échoue ainsi à justifier par des raisons objectives à tout harcèlement moral son refus de diligenter en enquête sur les faits dénoncés par la salariée, la cour relevant que cette omission, caractérise par ailleurs un manquement par l’employeur à son obligation de prévention à l’égard de la salariée.



S’agissant du retrait de tâches relevant de ses fonctions, la SAS Carré bleu international – CBI ne produit aucun élément permettant à la cour de constater que les tâches liées au site marchand, la campagne Google Adwords, la préparation des statistiques mensuelles, le suivi des commandes, l’établissements de devis et la facturation auprès des fonctionnaires, ainsi que le traitement des demandes d’achat des fournisseurs, ne lui ont pas été retirées avant son départ de la société, contribuant à vider son emploi de sa substance, ou que Mme [H] se serait vue confier d’autres tâches compatibles avec son emploi en lieu et place de celles qui lui ont été retirées.



La salariée ne conteste pas qu’elle a, en janvier 2018, refusé de poursuivre, au motif d’une surcharge de travail, l’accomplissement de tâches supplémentaires qu’elle avait acceptées d’accomplir un an plus tôt, à la suite du départ d’une assistante commerciale, Mme [N]. Toutefois, ce fait ne peut justifier par ailleurs que l’employeur ait décidé de retirer les tâches originellement confiées à la salariée dans le cadre de son travail.



Dès lors, il doit être retenu que la SAS Carré bleu international – CBI échoue à justifier par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral le retrait des tâches susvisées.



Il résulte de ces constatations que Mme [H] a subi des comportements imputables à son employeur caractérisant un harcèlement moral.



Il ne peut être valablement soutenu par la SAS Carré bleu international – CBI qu’il n’existe aucun lien entre le harcèlement moral subi par Mme [H] et la décision de procéder à son licenciement pour motif économique, dès lors que la mesure de réduction des effectifs, concomitante des faits susvisés, a concerné deux salariés sur sept, dont Mme [H].



Par ailleurs, la SAS Carré bleu international – CBI ne fournit aucune explication à la cour lui permettant de se convaincre que le retrait des tâches confiées à la salariée qui ont précédé son licenciement est sans lien avec la décision de la licencier.



La SAS Carré bleu international – CBI n’explique pas davantage en quoi la position adoptée par celle-ci de tenir Mme [H] pour unique responsable des difficultés relationnelles avec son supérieur direct sans avoir diligenté d’enquête après la dénonciation par la salariée des faits de harcèlement moral, et l’absence de convocation à deux réunions, dont une réunion concernant le déménagement des locaux, seraient sans aucun lien avec la décision de licencier la salariée.



Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il ne peut qu’être retenu qu’il existe un lien entre le harcèlement moral subi par Mme [H] et la décision de la licencier, ce dont il résulte que le licenciement de Mme [H] doit être déclaré nul, par infirmation du jugement déféré de ce chef.



Il est de principe qu’en l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle n’a pas de cause et l’employeur est alors tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées.



En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, à hauteur de 7 122 euros brut, le calcul de ce montant n’étant pas contredit par l’employeur, outre 712,20 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents, par infirmation du jugement entrepris.





Aux termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4.





Il ressort des pièces versées aux débats par la salariée, qui avait neuf ans d’ancienneté au moment de la rupture de la relation de travail, que celle-ci, après avoir perçu une allocation de Pôle emploi dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle, a retrouvé un emploi peu de temps après son licenciement. Eu égard à son ancienneté et aux circonstances dans lesquelles le licenciement de Mme [H] est intervenu, le préjudice qu’elle a subi en conséquence de son licenciement nul sera justement réparé par la condamnation de la SAS Carré bleu international – CBI à lui payer la somme de 38 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, par infirmation du jugement entrepris de ce chef.



Il y a lieu, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, d’ordonner d’office à l’employeur le remboursement des allocations chômages perçues par la salariée du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n’étant pas intervenus à l’audience et n’ayant pas fait connaître le montant des indemnités versées.



Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction.





Sur les demandes accessoires :



Le jugement déféré est infirmé sur les dépens.



Au titre de la première instance, il y a lieu de condamner la SAS Carré bleu international – CBI aux dépens.



En cause d’appel, la SAS Carré bleu international – CBI, partie perdante, est condamnée aux dépens et à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, cette condamnation emportant nécessairement rejet de sa prétention formulée à ce titre.




Dispositif

PAR CES MOTIFS,



LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,



INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté la SAS Carré bleu international – CBI de sa demande reconventionnelle basée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



DIT que la salariée a subi un harcèlement moral sur son lieu de travail,



DECLARE le licenciement de Mme [H] nul,



CONDAMNE la SAS Carré bleu international – CBI à payer à Mme [H] les sommes suivantes :


7 122 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

712,20 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

38 000 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,




ORDONNE d’office à la SAS Carré bleu international – CBI le remboursement des allocations chômages perçues par Mme [H] du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, en vertu des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, les organismes intéressés n’étant pas intervenus à l’audience et n’ayant pas fait connaître le montant des indemnités versées,



DIT qu’une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi à la diligence du greffe de la présente juridiction,



CONDAMNE la SAS Carré bleu international – CBI aux dépens de première instance et d’appel.



Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.



Signé par Madame Gwenaëlle Terrieux, Conseillère, en remplacement de Madame Valéry Charbonnier, Conseillère faisant fonction de Présidente légitimement empêchée, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La Greffière, La Conseillère,


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