Jeux et Paris > Litiges : 3 décembre 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/05537

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Jeux et Paris > Litiges : 3 décembre 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/05537
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3 décembre 2020
Cour d’appel de Versailles
RG n°
19/05537

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 35A

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 DECEMBRE 2020

N° RG 19/05537 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TLT5

AFFAIRE :

SA LA FRANCAISE DES JEUX

C/

SARL KERNEVADEZ AR JEU

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 09 Mai 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 05

N° Section :

N° RG : 2013F03846

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Oriane DONTOT

Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS DECEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SA LA FRANCAISE DES JEUX

N° SIRET : 315 065 292

[…]

[…]

Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 19/05577 (Fond)

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20190661

Représentant : Me Vanessa BENICHOU du PARTNERSHIPS KING & SPALDING INTERNATIONAL LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0305 –

APPELANTE

****************

SARL KERNEVADEZ AR JEU

N° SIRET : 439 587 783

[…]

[…]

Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 19/05577 (Fond)

Représentant : Me Pascale REGRETTIER-GERMAIN de la SCP HADENGUE et Associés, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 – N° du dossier 1900477 – Représentant : Me François MOREL de la SCP MOREL CHADEL MOISSON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0105

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Décembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat Honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,,

Mme Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat Honoraire ,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSÉ DU LITIGE

Le contexte

La société anonyme d’économie mixte, la Française des jeux (la FDJ) a bénéficié, au titre de décrets successifs, d’un monopole légal sur l’organisation et la gestion des loteries et paris sportifs. Son capital a été détenu à hauteur de :

– 72% par l’Etat français, jusqu’à l’ouverture de son capital en novembre 2019,

– 20 % par les «Emetteurs», principalement des associations d’anciens combattants, lesquels ont mis en place la vente de dixièmes de billets de loterie par l’intermédiaire de distributeurs,

– 5% par les salariés,

– 3% par les courtiers-mandataires, via la société Soficoma.

Jusqu’en 2014, la distribution des jeux d’argent a reposé principalement sur deux acteurs indépendants :

– les détaillants, essentiellement des commerces de proximité, qui commercialisent les jeux auprès du public en qualité de mandataires de la FDJ,

– les courtiers-mandataires, qui prospectent et gèrent les réseaux des détaillants dans un secteur géographique déterminé, assurent leur approvisionnement en tickets, collectent les mises, paient les gains et bénéficient d’un droit sur la clientèle des détaillants. Ils agissent au nom et pour le compte de la FDJ, qui les rémunère par commissions. Ils sont regroupés régionalement au sein de groupements d’intérêt économique (GIE) afin de faciliter l’organisation de leur activité.

Les relations entre la FDJ et les courtiers-mandataires ont été,depuis 1987, organisées dans le cadre d’un contrat qualifié de mandat d’intérêt commun par la jurisprudence, dont les termes sont identiques pour tous les courtiers-mandataires et négociés au niveau national.

En 1991, un nouveau contrat, actuellement en cours, a été conclu, et, se substituant au précédent, a fait l’objet de plusieurs avenants.

Ce nouveau contrat a confié à chaque courtier mandataire dans un secteur déterminé, avec clause d’exclusivité réciproque, la distribution des produits moyennant un droit de commission, par l’intermédiaire d’un réseau de détaillants. Ce contrat à durée indéterminée, en principe incessible mais réservant un droit de présentation, n’était, à l’origine, résiliable conventionnellement que pour faute.

Aux termes du dernier avenant, signé en 2003, les courtiers-mandataires, dans le cadre d’une réorganisation des secteurs de distribution, se sont vus proposer d’exercer avant le 15 juillet 2003 le choix suivant : (i) la poursuite de leur activité de courtage aux conditions de ce nouvel avenant, lequel prévoyait une réduction du taux de leurs commissions en contrepartie de l’octroi de certains avantages ou (ii) la cessation de leur activité en bénéficiant d’une indemnisation renforcée (0,45) en sus de celles contractuellement fixées à 1,65 fois le montant des commissions perçues par le courtier mandataire au titre de l’exercice précédent. Les secteurs vacants dans le cadre de cette réorganisation, ont été réaffectés à d’autres courtiers-mandataires existants ou à des filiales de la FDJ.

Le 6 octobre 2003, la FDJ a transmis à son réseau de distribution des «principes de resectorisation» fondant sa politique commerciale, qui fixaient notamment des objectifs de redécoupage des secteurs.

Les relations entre la FDJ et les courtiers-mandataires se sont dégradées. En décembre 2007 les courtiers-mandataires, reprochant à la FDJ d’avoir conservé une dizaine de secteurs sous son contrôle par l’intermédiaire de ses filiales, ont déposé une plainte devant l’Autorité de la concurrence dont ils se sont finalement désistés.

Des négociations en vue d’un nouvel avenant ont été engagées en 2008 entre la FDJ et l’UNDJ, organisation représentant les courtiers-mandataires au niveau national, et un programme de travail a été signé le 7 septembre 2009 entre les parties. Ces négociations portaient notamment sur la resectorisation de la distribution dans un objectif de réduction des coûts de distribution de la filière. Ces négociations ont finalement échoué, les courtiers-mandataires refusant de ratifier un projet d’accord adressé par la FDJ les 29 avril et 27 juillet 2011.

Par courriers des 13 octobre 2011 et 17 février 2012, la FDJ a informé les courtiers-mandataires de son intention de réorganiser sa distribution intermédiaire. Les courtiers-mandataires ont alors introduit plusieurs instances à l’encontre de leur mandante, directement ou par l’intermédiaire de l’UNDJ.

Par lettre du 22 mai 2014, la FDJ a notifié à chaque courtier mandataire la résiliation de son contrat sur le fondement de l’article 7 de l’avenant de 2003, avec préavis variant entre 18 et 30 mois selon l’ancienneté du contrat et versement de l’indemnité de 1,65 fois le montant des commissions de l’année précédente. Cette résiliation a elle aussi donné lieu à des contestations devant les juridictions judiciaires.

En l’espèce,

M. T… I…, a conclu un contrat de courtier-mandataire avec la FDJ le 19 mai 1991 aux termes duquel il s’est vu confier un secteur géographique en Bretagne, devant ainsi représenter sa mandante auprès de l’ensemble des détaillants de ce secteur.

Par deux avenants des 24 mars 1994 et 15 juillet 1998, le contrat initial a été modifié sur le calcul des commissions.

Suivant accord de la FDJ du 1er octobre 2001, le contrat de courtier-mandataire de M. T… I… a été apporté, par acte du 30 octobre 2001, à la société Sarl Kernevadez AR Jeu (la société Kernevadez), dont le gérant, associé majoritaire, est M. T… I….

Le contrat de courtier-mandataire devait prendre fin initialement le 17 décembre 2010, M. T… I… ayant atteint la limite d’âge contractuelle de 66 ans, mais il a été prorogé, à plusieurs reprises et d’un commun accord, jusqu’au 30 septembre 2012.

Par lettre du 27 janvier 2012, M. U…, courtier mandataire limitrophe, a présenté à la FDJ et au GIE BRETAGNE sa candidature en vue de la reprise du secteur géographique de la société Kernevadez Ar Jeu, dans les conditions proposées par la FDJ.

Par lettre du 24 avril 2012, la FDJ a informé le GIE des courtiers mandataires de Bretagne (le GIE) de la date prochaine de cessation d’activité de M. T… I… et a demandé au GIE de proposer des candidats à sa reprise.

Le 26 mai 2012 , le GIE a proposé à la FDJ la candidature de M. S… , fils de M. I…, celle de M. F… A…, fils d’un autre courtier mandataire de la région Bretagne ainsi que celle de M. M… G…, courtier mandataire limitrophe.

Le 12 juin 2012, ces candidatures ont fait l’objet d’un refus, les deux premières aux motifs qu’elles ne répondaient pas à la nouvelle politique commerciale et la troisième parce que la FDJ entendait privilégier un schéma de reprise permettant une meilleure répartition géographique des secteurs.

Le 27 juin 2012, la FDJ a informé la société Kernevadez de son refus des candidatures proposées par le GIE, confirmé la date de cessation des activités au 30 septembre 2012, et annoncé le versement de l’indemnité contractuelle (article 10 du contrat), ajoutant que M. E… U… reprendra le secteur exploité.

Le 2 août 2012, la FDJ a confié par contrat à la société La Finistérienne des jeux dont M. E… U…,est le gérant, le secteur de la société Kernevadez.

Le 3 octobre 2012, M. T… I… a contesté les conditions de la reprise de son secteur et a mis en demeure la FDJ de lui verser la somme de 1.519.495 euos à titre de dommages et intérêts, ce que la FDJ a refusé proposant une somme de 478.197,14 euros ,correspondant à la moitié de la somme prévue en application de la clause indemnitaire du contrat.

La somme complémentaire de 481.497,22 euros a été réglée par la FDJ le 3 novembre 2012, la société Kernevadez ayant assigné la FDJ en référé le 2 novembre 2012 à cette fin.

Le 29 octobre 2013, la société Kernevadez a assigné la FDJ sur le fondement de l’article 1134 ancien du code civil et a sollicité la réparation de son préjudice évalué alors à la somme de 518 631 euros à titre de dommages et intérêts soutenant que la FDJ avait commis une faute en violant la procédure de cession prévue par l’article 10 du contrat.

Par jugement du 9 mai 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :

– dit que la société d’économie mixte Française des jeux a commis une faute en ne justifiant pas de son obligation contractuelle de rechercher un cessionnaire à la Sarl Kernevadez AR Jeu ;

– condamné la société d’économie mixte Française des jeux à payer à la société Sarl Kernevadez AR Jeu la somme de 65.000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2012;

– ordonné la capitalisation des intérêts par année entière en application des dispositions de l’article 1154 anciens du code civil ;

– débouté la société d’économie mixte Française des jeux de ses demandes reconventionnelles ;

– condamné la société d’économie mixte Française des jeux à payer à la société Sarl Kernevadez AR Jeu la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire ;

– condamné la société d’économie mixte Française des jeux aux dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l’appel interjeté le 25 juillet 2019 par la société FDJ du jugement sous le n° RG 19/05537

Vu l’appel limité interjeté le 29 juillet 2019 par la société Kernevadez du jugement sous le n° RG 19/05577

Vu l’ordonnance de jonction du 18 juin 2020 enrôlant les deux procédures sous le seul n° RG 19/05537.

Vu les dernières conclusions notifiées le 28 août 2020 par lesquelles la Française des jeux prie la cour de :

Vu l’article 1134 du code civil dans son ancienne version en vigueur,

Vu l’article 10 du contrat de courtier-mandataire,

Vu les principes de resectorisation du 6 octobre 2003,

Vu le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 mai 2018,

– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 mai 2018 en ce qu’il a :

– dit que FDJ était libre d’organiser sa politique commerciale,

– dit que FDJ n’avait commis aucune faute ni aucun abus en refusant d’agréer les candidats qui lui avaient été présentés,

– dit que le préjudice subi par la société Kernevadez ne pouvait s’analyser en un gain manqué,

– Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 mai 2018 en ce qu’il a :

– dit que FDJ avait commis une faute en ne respectant pas son obligation contractuelle de désigner un cessionnaire,

– condamné FDJ à payer à la société Kernevadez une somme de 65.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– débouté FDJ de sa demande reconventionnelle à l’égard de la société Kernevadez,

– condamné FDJ à payer à la société Kernevadez une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné FDJ aux dépens,

Statuant à nouveau,

– Dire et juger que les trois propositions de reprises présentées par le GIE Bretagne en accord avec la société Kernevadez par lettre datée du 26 mai 2012 mais reçue le 30 mai 2012 sont irrecevables car présentées hors délai,

– Dire et juger que FDJ a parfaitement respecté les termes de l’article 10 du contrat de courtier-mandataire en :

– ayant refusé d’agréer les candidats présentés sur le fondement de ses principes de resectorisation, connus et revendiqués par les courtiers-mandataires,

– constatant qu’il était impossible de désigner un cessionnaire au courtier partant compte tenu du contexte de réorganisation du réseau en cours,

– versant l’indemnité de résiliation contractuelle de 1,65 fois les commissions N-1,

– proposant à Monsieur U…, courtier-mandataire en exercice, de reprendre le secteur libéré dans le cadre d’un nouveau contrat, distinct du contrat de courtier-mandataire, ce que ce dernier a accepté,

– Dire et juger que la société Kernevadez n’a subi aucun préjudice indemnisable,

– Dire et juger que l’indemnité contractuelle de 1,65 fois les commissions est destinée à pallier l’absence de possibilité de céder le contrat de courtier-mandataire en dehors de la procédure d’agrément,

– Dire et juger que le montant de cette indemnité a été fixé d’un commun accord entre les parties et correspond au prix du marché,

– Dire et juger que cette indemnité n’est pas de nature à léser les courtiers-mandataires,

– Dire et juger que même dans l’hypothèse où le contrat de la société Kernevadez aurait été résilié, seule l’indemnité contractuelle de 1,65 fois les commissions est applicable, par application de l’article 7 de l’avenant de 2003,

– Dire et juger que la société Kernevadez s’est volontairement affranchie des instructions de FDJ en cas de départ d’un courtier-mandataire,

– Dire et juger que FDJ a subi des préjudices financier et moral en raison des man’uvres de la société Kernevadez,

– Condamner la société Kernevadez à verser à FDJ une somme de 13.250 euros à titre de dommages et intérêts en raison des préjudices financier et moral qu’elle a subis ;

– Débouter la société Kernevadez de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

En tout état de cause :

– Condamner la société Kernevadez au paiement d’une somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– La Condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Maître Oriane DONTOT, JRF AVOCATS, Avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2020 par lesquelles la société Sarl Kernevadez AR Jeu demande à la cour de :

– L’accueillir en ses moyens et prétentions,

– Débouter la Française des Jeux de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– En conséquence, la débouter de son appel,

– Infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 9 mai 2018, en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes tendant à entendre :

Dire et juger que la FDJ a violé la procédure de cession du contrat de la SARL Kernevadez, telle que fixée à son article 10, en :

1. Résiliant le contrat de la société Kernevadez, pour signer avec Monsieur U… un contrat lui permettant de reprendre l’exploitation de ce secteur sans payer de prix de cession, alors que les deux parties étaient en cours de négociation pour le rachat de ce secteur,

2. En refusant de chercher et de désigner un cessionnaire à la société Kernevadez et ne justifiant pas en quoi cette recherche était rendue impossible,

3. A désigné Monsieur U…, en dehors de toute cession de contrat, alors que ce dernier était en négociation pour la cession du contrat de la société Kernevadez.

Dire et juger que la FDJ a détourné la procédure d’agrément de son objet et qu’elle n’a pas respecté ses critères de sélection, alors qu’elle :

1. N’a pas mis en place la concertation prévue avec le GIE BRETAGNE. Les candidatures présentées par le GIE n’ont pas fait l’objet d’un examen en comité commercial.

2. Disposait de la candidature de courtiers mandataires en activité qui répondaient à ses critères de sélection et à sa politique commerciale et qui étaient prêts à acquérir le secteur de la société Kernevadez.

Mais aussi de l’avoir déboutée de sa demande en condamnation de la FDJ:

1. A lui payer la somme de 518 631 € à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit à compter du 3 octobre 2012, date de la mise en demeure,

2. A lui payer la somme de 30 000 €, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau :

Constatant la violation par la FDJ de l’article 10 du contrat de courtiers mandataire et des principes de sectorisation, à l’occasion du départ de Monsieur I… à la retraite, (société Kernevadez) :

Condamner la FDJ à lui payer la somme de 518 631 € à titre de dommages et intérêts,

avec intérêts de droit à compter du 3 octobre 2012, date de la mise en demeure,

Confirmer la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l’article 1154 du code civil,

Condamner la FDJ aux entiers dépens de l’instance et la condamner à lui payer la somme de 20 000 €, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 septembre 2020 .

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement dont appel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, la cour, tenue par le seul dispositif des conclusions, rappelle qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes des parties tendant à «donner acte », « constater », « dire et juger », dans la mesure où elles ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile.

I- Sur l’irrecevabilité tirée de la présentation hors délai des candidatures

La FDJ sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré recevables les trois candidatures présentées par le GIE alors qu’elles ont été déposées plus d’un mois après le délai contractuel prévu à l’article 10. Elle soutient qu’elle a informé le GIE le 24 avril 2012, courrier réceptionné le 27 avril suivant, et qu’à cette date elle n’a reçu aucune correspondance du GIE l’informant des trois candidatures à la reprise du secteur de la société Kernevadez qui ne lui seront transmises que le 30 mai 2012.

La société Kernevadez affirme (p.48 de ses écritures) qu’il n’y a eu aucun retard et que la FDJ a traité ces trois candidatures.

La cour relève que le délai d’un mois a couru à compter du 27 avril 2012, selon l’accusé de réception de la lettre de la Française des jeux au GIE, l’informant du souhait de la société Kernevadez de céder son contrat. Le délai a expiré le 27 mai 2012. Le GIE, sous la signature de M. T… I… qui en est le président et également représentant légal de la société Kernevadez, a proposé les candidatures litigieuses par lettre simple reçue selon le cachet du destinataire le 30 mai 2012.

Les candidatures ont donc été présentées hors délai.

Toutefois, la cour relève que la FDJ a répondu au GIE le 12 juin 2012, sans faire état d’une éventuelle irrecevabilité des candidatures pour dépassement de délai, en motivant son refus de les agréer comme non conformes aux principes de sectorisation qu’elle a érigés ; par ailleurs, le délai d’un mois n’est sanctionné par aucune irrecevabilité des candidatures ni aucune autre sanction et qu’en faisant le choix – alors que rien ne l’y obligeait et qu’elle pouvait au contraire s’en tenir à refuser les candidatures tardives – de procéder à leur examen, elle a renoncé à se prévaloir de leur tardiveté.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

II- Sur les fautes imputées à la FDJ dans l’exécution du contrat

La FDJ critique le jugement en ce qu’il a dit qu’elle avait commis une faute en ne respectant pas les dispositions contractuelles de désignation prévues au contrat de courtier mandataire.Elle soutient qu’elle a respecté les dispositions de l’article 10 de ce contrat, les refus des candidatures proposées par le GIE étant fondés. Elle fait valoir qu’elle n’a qu’une obligation de moyens de désigner un cessionnaire et non de le rechercher ou de le présenter au courtier partant et qu’il lui était impossible de désigner un cessionnaire compte tenu de la réorganisation de son réseau

et de l’absence de candidat susceptible d’être agréé. A titre subsidiaire, elle fait valoir l’absence de préjudice de la société Kernevadez qui a déjà été indemnisée.

La société Kernevadez soutient que la FDJ n’a pas respecté la procédure de cession du contrat de courtier mandataire, et a, abusivement, agréé un successeur commettant ainsi une faute génératrice d’un préjudice qu’il convient de réparer.

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutés de bonne foi.

Les parties s’accordent à considérer que le litige porte sur la mise en ‘uvre des dispositions de l’article 10, amendé, du contrat intitulé “Cession du présent contrat” qui régit la procédure de cession et qui est ainsi libellé :

“10.1 Le courtier mandataire souhaitant cesser son activité ou céder une partie de celle-ci doit en informer [FDJ] par courrier recommandé avec demande d’avis de réception, avec un préavis d’au moins trois mois et préciser la date souhaitée de la cessation de son activité.

[FDJ] doit en informer immédiatement le GIE territorialement compétent qui dispose d’un mois pour proposer à [FDJ], en accord avec le courtier mandataire cédant, un ou plusieurs successeurs, personnes physiques représentant le nouveau courtier mandataire proposé.

10.2 ….

10.3 [modifié par l’avenant du 15 juillet 2003] Après trois refus successifs des candidats présentés, la Française des jeux doit, soit désigner elle-même un cessionnaire au courtier mandataire cédant, soit, si cette solution s’avère impossible, verser au courtier mandataire cédant, une indemnité fixée, sous réserve des dispositions de l’article 10.4 ci-après, à une fois, soixante cinq, la totalité des commissions du courtier mandataire au titre de l’année civile précédente, recalculé sur la base du taux de commission applicable à la date de la cessation d’activité, à savoir :

montant des enjeux jeux en temps réel enregistré par les détaillants sur le territoire contractuel du courtier mandataire au titre de l’année N -1 x (taux de commission je temps réel en vigueur à la date de cessation d’activité du courtier mandataire cédant) x 1.65

+

montant des enjeux jeux de grattage enregistré par les détaillants sur le territoire contractuel du courtier mandataire au titre de l’année N -1(taux de commission jeux de grattage en vigueur à la date de cessation d’activité du courtier mandataire cédant) x 1.65.

…”

10.4 Toutefois, le montant de l’indemnité ne peut excéder le prix le moins élevé proposé par le candidat cessionnaire présenté par le(s) courtier(s) mandataire(s) cédant(s) dont la candidature n’aura pas été agréée par [FDJ].

[FDJ] est alors libre de conclure un nouveau contrat avec le courtier mandataire de son choix.”

– sur le caractère prétendument abusif du refus

La société Kernevadez sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré que le refus opposé par la FDJ aux trois candidatures était légitime. Elle soutient que la FDJ a fait une application “détournée”, de mauvaise foi, des dispositions de l’article 10 du contrat. Elle fait valoir que la FDJ a commis des fautes dans le cadre de la procédure de cession et a refusé, sans en justifier, les trois propositions.

La FDJ sollicite la confirmation du jugement sur ce point. Elle soutient avoir respecté le formalisme de la procédure de cession prévue à l’article 10 du contrat. Elle fait valoir que le refus des propositions est justifié au regard des principes de sa politique commerciale portée à la connaissance des courtiers mandataires.

****

Un agrément, prévu contractuellement peut, par nature, être refusé à condition de ne pas dégénérer en abus de droit.

Les parties s’accordent à considérer que la procédure de cession est encadrée par les dispositions de l’article 10 du contrat ainsi que par celles de la lettre du 6 octobre 2003 définissant la politique commerciale de la FDJ à l’égard de ses courtiers mandataires.

Des dispositions de l’article 10 du contrat, il se déduit que le courtier-mandataire exprimant le souhait de cesser son activité (soit volontairement, soit par limite d’âge) est autorisé à céder celle-ci. Pour ce faire, il doit proposer, par l’intermédiaire du GIE concerné, des cessionnaires dont la candidature est soumise à l’agrément de la FDJ. En cas de refus de trois propositions par la FDJ, celle-ci doit désigner un cessionnaire. En cas d’impossibilité, la FDJ doit verser l’indemnité contractuellement prévue (art.10.3).

Les termes de la politique commerciale sont définis dans une note du 6 octobre 2003 qui présente les principes de sectorisation. “Ces principes doivent servir de cadre au courtage pour élaborer, en concertation avec les responsables régionaux, des propositions permettant d’homogénéiser et d’optimiser la carte de France des secteurs.”.

Ces principes s’appuient, notamment, sur la valorisation du métier de courtier par une bonne connaissance de la zone économique supposant un nombre de détaillants maximum ainsi qu’une superficie maximale ; sur l’efficacité par une taille de secteur suffisante ; sur la simplification de l’organisation commerciale : un courtier / une commune, sauf dans les grandes villes, avec harmonisation des limites avec celles du département si possible ; sur l’homogénéisation des tailles de secteurs ; sur l’atteinte de taille de secteurs “cible”, notamment par rachat de secteurs limitrophes et par recours à la mobilité et répartition du secteur laissé vacant ; sur l’équité entre courtiers en prenant connaissance de l’ensemble des propositions en vue d’une mise en cohérence nationale avec examen en comité commercial, en privilégiant les courtiers présents ayant choisi de poursuivre leur activité et en ne retenant pas l’hypothèse de l’arrivée de nouveaux courtiers ; sur la faveur donnée à un meilleur découpage du territoire avec un chiffre d’affaires annuel maximal de l’ordre de 75 à 80 millions d’euros, un volume annuel de commissions de l’ordre de 1,2 millions d’euros et un nombre de points de vente de 650 à 700.

La société Kernevadez affirme que le refus de candidature par la FDJ serait systématique depuis 2010 et, plus particulièrement, depuis le 22 mai 2014 date de résiliation de l’ensemble des contrats de courtiers-mandataires, et ce afin de priver ceux-ci d’un prix de cession négocié de gré à gré et dans le but de reprendre directement l’activité à son compte.

La seule production d’un tableau des courtiers partis entre 2010 et 2013 ne suffit pas à démontrer la volonté de la FDJ d’utiliser la procédure de cession à cette seule fin et notamment au cas d’espèce.

La cour relève que M.U… a fait valoir sa candidature le 27 janvier 2012 tant auprès du GIE, par lettre AR, à l’attention de M. I…, président du GIE et également représentant de la société Kernevadez, qu’auprès de la FDJ, par lettre AR du même jour.

Singulièrement par lettre du 26 mai 2012 reçue le 30, le GIE n’a pas proposé à la FDJ la candidature de M. U… mais celles de trois autres personnes : M. S… , fils de M. I…, M. F… A…, fils d’un autre courtier-mandataire ainsi que celle de M. M… G…, courtier-mandataire limitrophe.

Le refus des candidatures de M. S… et de M. F… A…

La FDJ a refusé la candidature de M. S… et de M. F… A…, au motif que “notre politique commerciale,…, consiste à homogénéiser la taille des secteurs et à réduire leur nombre. De ce fait [ces] candidatures extérieures …. ne permettent malheureusement pas de répondre à cet objectif…..” (lettre du 12 juin 2012).

Figure, parmi les principes de la resectorisation, celui de « privilégier les courtiers présents : les recettes théorisation actuelles doivent bénéficier au courtier ayant choisi de poursuivre leur activité. La conséquence logique de ce principe est de ne pas retenir, dans cet exercice, l’hypothèse de l’arrivée de nouveaux courtiers. » (page 2, principes de sectorisation, 2003)

Libre d’organiser son réseau, la FDJ peut refuser d’agréer la candidature de M. S… et de M. F… A…, au regard de la politique commerciale qui exclut l’arrivée de nouveaux courtiers, ces derniers n’ayant pas la qualité de courtier-mandataire en activité à la date du dépôt de leur candidature.

Le refus de la candidature de M.G…

La candidature de M. M… G… a également été refusée par même lettre, la FDJ expliquant que ‘compte tenu des deux départs [de Monsieur I… et de Monsieur A…, pères], nous avons choisi de privilégier les schémas de reprise permettant à terme une meilleure répartition géographique et homogène des secteurs, qui bénéficieront à des courtiers-mandataire de votre GIE mieux positionnés pour les reprendre ».

La FDJ soutient que ce refus se fonde sur la nécessité d’atteindre un objectif d’homogénéisation de la taille des secteurs ainsi que d’éviter une trop grande complexité dans les sectorisations en respectant une harmonisation géographique des secteurs.

La société Kernevadez fait valoir que M. G… était courtier-mandataire depuis plus de 20 ans avec un secteur limitrophe à celui de l’activité libérée.Il était donc « parfaitement positionné pour reprendre le secteur de Kernevadez ».

La politique commerciale définissant les principes de resectorisation a privilégié notamment la simplification de la lecture de l’organisation commerciale en insistant, en particulier, sur l’unicité du courtier par commune avec délimitation de secteurs correspondants aux limites départementales si possible. Ainsi la proposition conduisant à remplacer un secteur libéré (société Kernevadez) qui ne s’étendait que sur la moitié du département du Finistère par celui d’un courtier-mandataire (M. G…) s’étendant déjà sur deux départements (Finistère et Morbihan pour la majorité) ne pouvait correspondre à la politique commerciale de simplification et de cohérence de l’organisation alors que le secteur de M. U… ne s’étendait que sur le Finistère et sur son autre moitié, ainsi que cela résulte de la cartographie des secteurs (pièce 93 FDJ et pièce 105 société Kernevadez) de sorte que la réunion de ces deux secteurs formait un ensemble cohérent attaché au Finistère conforme aux principes de sectorisation sans qu’il soit besoin de comparer les chiffres d’affaires des secteurs concernés dont les montants sont contestés.

Il n’est pas contesté par la FDJ que le projet de cession n’a ni fait l’objet d’une concertation entre les responsables régionaux et les GIE, ni d’un examen en comité commercial contrairement à ce que prévoyait la politique commerciale. Ce principe de concertation vise, selon cette même politique commerciale, à assurer une équité entre courtiers candidats afin d’assurer une cohérence nationale. La société Kernevadez ne rapporte pas la preuve que cette absence de concertation a eu pour conséquence une rupture d’égalité entre courtiers au cas d’espèce alors que la FDJ a écarté les trois candidatures proposées.

La société Kernevadez ne rapporte pas la preuve que FDJ était informée des discussions intervenues entre MM.I… et U… relatives à la reprise du secteur. La société Kernevadez n’établit pas davantage qu’un prix de cession aurait été convenu ni même discuté entre eux comme elle le prétend.

De ce qui précède, il se déduit que la FDJ qui a refusé les candidatures proposées par leGIE en se fondant sur la politique commerciale, dont les principes n’ont pas été contestés par la société Kernevadez qui, au contraire, en a revendiqué l’application, n’a pas commis d’abus dans l’exercice de son droit d’agréer ou non les candidats à la reprise du secteur d’activité de la société Kernevadez.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

– sur l’obligation pour la FDJ de désigner un cessionnaire

Selon le contrat “Après trois refus successifs des candidats présentés, la Française des jeux doit, soit désigner elle-même un cessionnaire au courtier-mandataire cédant, soit, si cette solution s’avère impossible, verser au courtier-mandataire cédant, une indemnité ….”.

La désignation d’un cessionnaire au cédant permet à ce dernier de négocier de gré à gré le prix de cession qui peut se révéler plus avantageux que l’indemnité contractuelle prévue en cas d’impossibilité de désignation.

Après avoir refusé les candidatures par lettre du 27 juin 2012, la FDJ a informé la société Kernevadez de son refus des candidatures, annoncé en conséquence le versement de l’indemnité contractuelle (article 10 du contrat), confirmé la date de cessation des activités au 30 septembre 2012, ajoutant que M. E… U… reprendra le secteur exploité.

En proposant le versement de l’indemnité contractuelle, la FDJ a considéré qu’il lui était impossible de procéder elle-même à la désignation d’un candidat.

La FDJ ne soutient pas avoir désigné , ni même recherché, un cessionnaire avant de confirmer l’expiration du contrat de la société Kernevadez. Elle fait valoir qu’il lui était impossible de procéder à cette désignation compte tenu de la réorganisation, initiée depuis 2010 et toujours en cours, de son réseau de distribution devant conduire à la mise en place d’un nouveau protocole entre elle et les courtiers-mandataires (sa lettre du 27 juillet 2011).

Elle fait également valoir que désigner M.U… aurait conduit celui-ci à emprunter pour verser le prix demandé par M. I…, fragilisant financièrement celui-là alors que la FDJ envisageait de résilier à court terme l’ensemble des contrats des courtiers-mandataires compte tenu de la résistance de ces derniers aux changements qu’elle envisageait.

Or la FDJ ne peut justifier d’une impossibilité de respecter un engagement contractuel, déterminant pour son cocontractant, au seul motif d’une décision unilatérale de modifier sa propre politique commerciale, si nécessaire soit-elle à ses yeux et quand bien même elle en aurait informé la société Kernevadez, sauf à procéder à la résiliation de l’ensemble des contrats de courtiers mandataires, décision qu’elle ne prendra que le 22 mai 2014, la mise en place du protocole évoqué précédemment ayant échoué.

La cour constate, par ailleurs, que la FDJ a, le 2 août 2012, retenu comme successeur du secteur de la société Kernevadez, la société La Finistérienne des jeux dont M. E… U… est le gérant. Or celui-ci, dès le 27 janvier 2012, avant même les candidatures proposées par le GIE, avait proposé sa candidature de sorte que la FDJ pouvait le désigner loyalement comme successeur respectant ainsi les termes contractuels.

La cour constate, en outre, que par lettre du 17 février 2012, la FDJ a pris acte du refus des courtiers mandataires d’adhérer à cette nouvelle politique commerciale par la signature de ce protocole, en précisant que “dès lors, nos relations ne sont pas modifiées, votre contrat de courtier-mandataire continuant à s’appliquer dans toutes ses dispositions, dont celles de l’avenant de 2003”.

La cour observe, enfin, que l’argument d’une nouvelle réorganisation n’a pas été invoqué à l’appui du refus d’agrément, la FDJ ne se fondant que sur les principes de sa politique commerciale définie dans sa note du 6 octobre 2003, établie consécutivement à l’avenant contractuel du 15 juillet 2003.

La FDJ ne rapporte pas la preuve d’une impossibilité de désigner un cessionnaire à la société Kernevadez. Elle a donc commis une faute en procédant à la résiliation du contrat de courtier- mandataire sans avoir préalablement désigné un candidat cessionnaire alors qu’elle ne rapporte pas la preuve que cela lui était impossible.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

III- Sur le préjudice

La FDJ ayant commis un manquement à son obligation contractuelle, il lui appartient de réparer l’éventuel préjudice directement consécutif à celui-ci sous réserve pour la société Kernevadez d’en démontrer l’existence.

La société Kernevadez fait grief au jugement d’avoir considéré que le préjudice devait correspondre à la réparation d’une perte de chance. Elle soutient que le préjudice doit être évalué selon le gain manqué en l’absence de tout aléa, étant assurée de céder son activité si la FDJ n’avait pas commis de faute. Elle estime son préjudice à la somme de 518 631 € euros correspondant à la différence entre la valeur de l’entreprise (1.475.025 €) et l’indemnité de résiliation perçue (956.394 €).A titre subsidiaire, elle fait valoir l’existence d’une perte de chance.

La FDJ sollicite l’infirmation du jugement qui l’a condamnée à verser la somme de 65.000 euros. Elle fait valoir que l’indemnisation contractuelle, déjà versée, de 956.394 euros, résultant du coefficient contractuel de 1,65 appliqué au montant des commissions perçues au titre de l’exercice précédent la cession, est la seule applicable. Elle soutient que la société Kernevadez n’a subi ni gain manqué, ni perte de chance. Elle critique l’évaluation proposée par la société Kernevadez.

Sur ce,

Aux termes des articles 1142 et 1149 anciens du code civil, toute inexécution contractuelle se résoud par l’allocation aux créanciers de dommages et intérêts qui sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.

La seule désignation d’un cessionnaire par la FDJ, à supposer que celle-ci ait respecté cette obligation, n’assurait pas la société Kernevadez de sceller un accord de cession avec le cessionnaire désigné et d’obtenir un prix plus avantageux que la seule indemnité contractuelle.

Il s’en déduit que l’appréciation du préjudice doit être conduite selon la règle de la perte de chance, définie comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, et non celle du gain manqué.

L’indemnisation recherchée exclut toute demande à la hauteur de la totalité du gain manqué et doit se limiter à une somme correspondant à la seule chance perdue sans référence à l’indemnité contractuelle laquelle n’est applicable que lorsque la désignation d’un cessionnaire s’avère impossible ce qui n’est pas démontré au cas présent.

En l’espèce, l’absence de toute désignation d’un cessionnaire par la FDJ conduit la cour à considérer que la perte de chance est actuelle et certaine, le bénéfice de la désignation, dont la société Kernevadez a été privée, constituant une éventualité favorable à la cession de son contrat de courtier- mandataire.

La cour estime que la probabilité de conclure un accord de cession avec le cessionnaire s’il avait été désigné par la FDJ, était élevée (70%) dans la mesure où la FDJ a finalement contracté avec un candidat qui s’était présenté à la reprise du secteur litigieux auprès de M. I….

Il appartient à la cour de déterminer l’assiette correspondant à la valeur de cession de l’activité sur laquelle doit s’appliquer ce pourcentage de 70%.

La société Kernevadez fait valoir une valorisation de 1.475.025 euros, résultante d’une moyenne de valorisation alors que la FDJ expose que l’indemnisation à hauteur d’un coefficient de 1,65 fois les commissions de l’année précédente (conduisant à l’indemnité contractuelle déjà versée de 956.394 € euros HT) est la seule valeur à retenir en l’espèce.

La cour relève que si la FDJ avait désigné M. U… comme elle aurait dû le faire, ce dernier avait subordonné son offre aux conditions proposées par la FDJ et qu’il est peu probable que la société Kernevadez aurait pu obtenir une valorisation supérieure à ces conditions.

Les conditions proposées par la FDJ doivent se comprendre comme, d’une part, l’indemnisation de la société Kernevadez à hauteur du montant contractuellement prévu (1,65 des commissions N-1, soit 956.394 € euros HT) et,d’autre part, la proposition à M. U… d’un contrat de prestations de services à durée déterminée lequel ne prévoit pas d’apport financier de la part de l’une ou l’autre des parties au moment de la signature de ce contrat.

La cour retiendra la somme de 956.394 € euros HT comme assiette de valorisation sur laquelle le pourcentage de 70% doit s’appliquer.

Le montant de la condamnation réparatrice du préjudice soit 669.475 € (70% x 956.394 € euros) est inférieur à ce qu’a déjà perçu la société Kernevadez (956.394 €) de sorte qu’il n’y pas lieu de prononcer de condamnation à l’encontre de la FDJ.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

IV- Sur la demande reconventionnelle

La FDJ sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a écarté sa demande reconventionnelle visant à obtenir la condamnation de la société Kernevadez à la somme de 13.250 euros au dispositif de ses écritures, au titre d’un préjudice financier ce que conteste la société Kernevadez.

La société Kernevadez sollicite la confirmation du jugement sur ce point, contestant toute man’uvre de mauvaise foi de sa part dans le cadre de la cession de ses fonctions de courtier-mandataire.

La FDJ ne justifie pas de son préjudice, sa pièce n°75 (tableaux récapitulatifs des remboursements) étant insuffisante à cet égard.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

V – Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens de première instance sont confirmées.

La société Kernevadez qui succombe pour l’essentiel sera condamnée aux dépens d’appel.

Il n’y a pas lieu de condamner l’une ou l’autre des parties à une indemnité en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure.

Chaque partie sera déboutée de sa demande à cet égard.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du 27 mars 2018 rendu par le tribunal de commerce de Nanterre, sauf en ce qu’il a condamné La Française des jeux à la somme de 65.000 euros et à la capitalisation des intérêts,

Et statuant à nouveau,

Rejette toutes demandes plus amples,

Et y ajoutant,

Condamne la société Kernevadez Ar Jeu aux dépens d’appel,

Dit n’y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur François THOMAS, Président, et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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