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26 novembre 2003
Cour de cassation
Pourvoi n°
00-22.605
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2000), que saisi le 31 mars 1996 par la société Editions Montparnasse et par la société Citel de pratiques anticoncurrentielles imputées à la société Télévision française 1 (société TF1) dans le secteur de la production, de l’édition et de la publicité des vidéogrammes, le Conseil de la concurrence a estimé par décision n° 99-D-85 du 22 décembre 1999 que la société TF1 avait enfreint les dispositions des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 10 000 000 francs, lui enjoignant de supprimer dans ses contrats de coproduction audiovisuelle, la clause réservant à ses filiales l’exclusivité des droits de reproduction sur vidéogrammes, et de cesser de réserver à la société TF1 entreprises, sa filiale, un régime spécifique en matière de publicité télévisée; que la société TF1 a formé un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses huit branches :
Attendu que la société TF1 fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté son recours contre la décision n° 99-D-85 du 22 décembre 1999 du Conseil de la concurrence, alors, selon le moyen :
1 ) qu’il résulte de l’article L. 450-6 du Code de commerce qu’il appartient au rapporteur désigné par le Président du Conseil de la concurrence d’apprécier l’utilité de faire procéder à une enquête administrative et d’en définir les orientations ; qu’en décidant que la demande d’enquête adressée le 23 octobre 1996 par le Président du Conseil de la concurrence au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes était régulière sans avoir constaté que le rapporteur désigné était à l’origine de cette initiative et était effectivement l’auteur de la note d’orientation adressée par le Président du Conseil de la concurrence au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard du texte précité ;
2 ) qu’il résulte de l’article L. 463-2 du Code de commerce et de l’article 18 du décret du 29 décembre 1986 que l’acte définissant les griefs notifiés par le Conseil aux parties intéressées et le rapport doivent être établis par le rapporteur ; qu’il en découle que ces actes, qui doivent être certains quant à leur auteur et leur contenu, doivent être authentifiés par la signature de leur auteur, si bien qu’en retenant, en l’absence de toute signature, que la seule mention dactylographiée en première page de ces actes “établi par Jean-René Bourhis, rapporteur auprès du Conseil de la concurrence” était suffisante pour l’authentification desdits actes, la cour d’appel a violé les textes précités ;
3 ) que la société TF1 faisait valoir qu’en violation des dispositions de l’article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’instruction avait été menée uniquement à charge par le rapporteur, qui, notamment, n’avait pas procédé à l’audition des représentants du Syndicat national des éditeurs vidéo, ni des responsables des filiales des “majors” américaines qui concentrent dans leurs mains l’essentiel des parts de marché dans ce secteur, ni des responsables des filiales vidéo des télédiffuseurs, ni des responsables de ces mêmes télédiffuseurs sur la manière et les conditions dans lesquelles les chaînes finalisent leurs accords de coproduction avec les producteurs et les chaînes de télévision, de n’avoir procédé à aucune investigation sur les modalités de la commercialisation des droits vidéo par les éditeurs vidéo présents sur le marché, alors qu’ont été entendus à la demande des sociétés plaignantes les représentants des deux organisations syndicales défendant les intérêts des producteurs indépendants ; qu’en se bornant à énoncer que le rapporteur, qui dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à la conduite de ses investigations, n’est pas tenu d’entendre la totalité des intervenants sur un marché, et a pu considérer que les auditions complémentaires sollicitées par la société TF1 n’entraient pas directement dans le champ de l’enquête, sans vérifier elle-même si l’instruction avait été conduite de manière impartiale, à charge et à décharge, en conformité avec les exigences de l’article 6-2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) que pour les mêmes raisons, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
5 ) que selon l’article L. 463-1 du Code de commerce, l’instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires ; que le caractère contradictoire de la procédure implique la faculté pour les parties de prendre connaissance de toute observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter ; que la société TF1 avait soutenu que le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu en ce que le rapporteur et le rapporteur général avaient présenté en séance des observations développant des moyens de fait et de droit nouveaux qu’elle n’avait pu utilement discuter et qui ont été repris par le Conseil de la concurrence pour fonder sa décision de condamnation ; qu’en se bornant, pour rejeter ce moyen, à énoncer qu’aucune disposition de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ni celui du décret du 29 décembre 1986 n’impose que le rapport oral du rapporteur et celui du rapporteur général aient préalablement revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux parties, la cour d’appel a violé le texte précité et l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
6 ) qu’il résulte de l’article 6-3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme que tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui et de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, si bien qu’en retenant que la décision de condamnation pouvait être fondée sur des moyens de fait et de droit soulevés par le rapporteur et le rapporteur général lors de la séance du Conseil et qui n’avaient pas été préalablement portés à la connaissance de la société TF1, la cour d’appel a violé les textes précités ;
7 ) que le grief notifié à la société TF1 était relatif à un abus de position dominante sur le marché de la publicité télévisuelle, si bien qu’en retenant que le Conseil de la concurrence pouvait prononcer des sanctions à l’encontre de l’entreprise en raison d’un abus de position dominante sur le marché de la publicité télévisée des vidéogrammes sans avoir procédé à une notification du grief ainsi retenu, la cour d’appel a violé l’article L. 436-3 du Code de commerce ;
8 ) que selon l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, toute personne accusée d’une infraction a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, si bien qu’en retenant que le non-respect du principe de publicité des débats n’était pas contraire en l’espèce aux dispositions invoquées par la société TF1, la cour d’appel a violé les textes précités;
Attendu, en premier lieu, que l’arrêt constate que par lettre du 23 octobre 1996, le président du Conseil a demandé au directeur général de la concurrence et de la consommation, en application de l’article 50 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 alors applicable, de faire procéder à un enquête sur les faits dénoncés par les sociétés Citel et Editions Montparnasse “dont les orientations sont définies par la fiche jointe à ce courrier” et l’a informé qu’il avait “désigné pour rapporter cette affaire Jean-René Bourhis qui sera tenu informé du déroulement de l’enquête” ; que l’arrêt relève qu’à ce courrier est jointe une fiche non signée intitulée “orientation de l’enquête” énumérant les diligences demandées aux enquêteurs, M. Bourhis ayant été désigné le 15 juillet 1996 pour instruire le dossier ; que la cour d’appel, qui en a déduit qu’il résulte de ces éléments et du rappel de la procédure figurant au rapport que le président du Conseil a régulièrement adressé la demande d’enquête au directeur général de la concurrence et de la consommation après avoir désigné le rapporteur chargé de son déroulement, et qu’aucun élément ne permet de mettre en doute le fait que ce dernier a rédigé la note d’orientation litigieuse qui figure sur un document distinct même en l’absence de mentions l’identifiant expressément, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu’ayant relevé que la notification des griefs et le rapport sont suffisamment authentifiés par la mention, portée en première page de chacun d’eux, qu’ils ont été établis par M. Bourhis, rapporteur auprès du Conseil de la concurrence et s’étant ainsi assurée de l’identité de l’auteur des actes de la procédure, la cour d’appel a pu écarter le moyen tiré du défaut de signature de ces actes ;
Attendu, en troisième lieu, que l’audition de témoins est une faculté laissée à l’appréciation du rapporteur ou du Conseil de la concurrence, eu égard au contenu du dossier; qu’ayant retenu que le rapporteur a pu considérer que les auditions complémentaires sollicitées par la société TF1 n’entraient pas dans le champ de l’enquête, la cour d’appel qui en a déduit qu’en l’état du pouvoir d’appréciation reconnu au rapporteur dans la conduite de ses investigations, l’atteinte à la présomption d’innocence n’était pas établie, a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en quatrième lieu, qu’en l’état des éléments invoqués par la société TF1 et relatifs aux commentaires, formulés oralement par le rapporteur et le rapporteur général en séance, de la jurisprudence communautaire relative à l’application du droit de la concurrence dans le contexte particulier des contrats de production et d’exploitation des droits d’auteur, ainsi qu’aux arguments d’ordre économique examinés par le rapporteur général également en séance en réponse aux analyses économiques produites par la société TF1, ce dont il ressort qu’aucun élément nouveau n’était allégué à la charge de la société TF1, la cour d’appel qui constate qu’aucune disposition de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ni du décret du 29 décembre 1986 n’impose que le rapport oral du rapporteur et celui du rapporteur général aient préalablement revêtu une forme écrite et aient été communiqués aux parties, et dès lors qu’il n’était pas soutenu que la société TF1 n’avait pas pu elle-même répliquer à ces observations, a pu écarter le grief tiré de la violation du principe du contradictoire ;
Attendu, en cinquième lieu, qu’ayant retenu que l’analyse des marchés par le rapporteur se réfère à des éléments contradictoirement débattus et prend en compte les observations développées par la société TF1 et que cette société a disposé du délai de deux mois prévu par les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l’article L. 463-2 du Code de commerce à la suite de la notification du rapport pour présenter ses observations, ce dont il résulte que le Conseil, auquel il appartient de délimiter le marché pertinent, s’est prononcé, pour procéder à cette délimitation, sur des éléments tous soumis à la discussion contradictoire, la cour d’appel a statué à bon droit ;
Attendu, enfin, que le fait que les débats devant le Conseil, en application de l’article 25, alinéa 1er, de l’ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l’article L. 463-7, alinéa 1er, du Code de commerce, ainsi que le prononcé de la décision de celui-ci, ne soit pas public, ne saurait faire grief aux parties intéressées dès lors que les décisions prises par le Conseil subissent a posteriori le contrôle effectif d’un organe judiciaire offrant toutes les garanties d’un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ; qu’il s’en suit que l’arrêt n’encourt pas le grief de la huitième branche du moyen ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu’il est encore fait le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’il résulte des articles L. 122-1 et L. 132-24 du Code de la propriété intellectuelle que le contrat qui lie le producteur aux auteurs d’une oeuvre audiovisuelle, autre que l’auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte cession au profit du producteur de droits exclusifs de représentation et de reproduction de l’oeuvre ; qu’il résulte des articles L. 123-1 et L. 123-2 du même Code que le droit exclusif d’exploitation d’une oeuvre protégée, opposable à tous, bénéficie à l’auteur et à ses ayants droit pendant la vie de l’auteur et les soixante-dix années qui suivent l’année de son décès ou, pour les oeuvres de collaboration, l’année du décès du dernier vivant des collaborateurs, si bien qu’en retenant que la clause de contrat de coproduction réservant à l’un des coproducteurs l’exercice du droit de reproduction de l’oeuvre pendant une durée de sept à dix ans, était constitutive d’une pratique prohibée par l’article L. 420-1 du Code de commerce, la cour d’appel a violé les textes précités ;
Mais attendu que l’exercice d’un droit exclusif par son titulaire peut donner lieu à un comportement abusif ; que l’arrêt constate que la pratique reprochée consiste pour la société TF1 à subordonner par le moyen de clauses types insérées dans les contrats de coproduction, son engagement de financer les oeuvres audiovisuelles à l’acceptation du producteur délégué de confier, dès la signature de ces contrats, l’édition et la distribution de l’oeuvre sous forme de vidéogrammes à titre exclusif à une de ses filiales, pour une durée allant jusqu’à dix ans voire quinze à dix-huit ans sans pour autant prendre aucun engagement quant à l’exploitation effective de l’oeuvre sous cette forme;que l’arrêt relève que la société TF1 obtient ainsi une protection contre une exploitation de droits par une entreprise concurrente et que la société TF1 a cherché à entraver l’accès de tout compétiteur potentiel sur le marché dérivé de l’édition vidéographique et à garantir sa progression sur ce marché; que l’arrêt relève encore que cette pratique n’est justifiée ni par des nécessités particulières au secteur de la télévision ni par les exigences propres à l’activité d’édition des vidéogrammes ; que l’arrêt observe que la cessation de cette pratique résultant de l’injonction prononcée par le Conseil de la concurrence ne prive pas la société TF1 de ses droits de coproducteur et de diffuseur dès lors qu’elle perçoit sur toute exploitation de l’oeuvre coproduite sa quote-part de recettes telle que prévue au contrat de coproduction, que l’oeuvre soit exploitée sous forme vidéographique par elle-même ou par une autre entreprise et que ses droits d’auteur sont en tout état de cause préservés ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont il se déduit que la pratique contractuelle en cause ne constitue pas l’exercice normal des droits exclusifs de reproduction du coproducteur mais un abus de ce droit en vue de fausser la concurrence, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;