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26 mai 2010
Cour d’appel de Paris
RG n°
08/15425
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 26 MAI 2010
(n° , 05 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 08/15425
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2008 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 06/18128
APPELANTE
La société HACHETTE LIVRE, S.A.
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux
ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par la SCP MENARD – SCELLE-MILLET, avoués à la Cour
assistée de Me Patrice DE CANDE, avocat au barreau de Paris, toque L280
plaidant pour la SELARL MARCHAIS DE CANDE
INTIMÉE
La société 1633, S.A.
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour
assistée de Me Muriel COHEN ELKAÏM, avocat au barreau de Paris, toque D1505
plaidant pour la SELARL JACOB
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 31 Mars 2010, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mesdames Brigitte CHOKRON, et Anne-Marie GABER, conseillères chargées d’instruire l’affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère
Madame Anne-Marie GABER, Conseillère
Greffier, lors des débats : Melle Aurélie GESLIN
ARRÊT :- Contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l’appel interjeté le 29 juillet 2008 par la société HACHETTE LIVRE (SA), du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 17 juin 2008 dans l’instance l’opposant à la société 1633 (SA) ;
Vu les dernières conclusions de la société appelante, signifiées le 20 novembre 2009 ;
Vu les ultimes écritures de la société 1633, intimée, signifiées le 23 février 2010 ;
Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 16 mars 2010 ;
SUR CE, LA COUR ,
Considérant qu’il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure, au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu’il suffit de rappeler que :
– la société 1633, qui édite divers titres de la presse masculine au nombre desquels le magazine LUI, est propriétaire pour l’avoir acquise de la société HACHETTE FILIPACCHI PRESSE suivant contrat du 1er octobre 2002 inscrit au registre national des marques le 23 avril 2003, de la marque complexe française ‘LUI’, déposée le 30 septembre 1966 et régulièrement renouvelée depuis sous le n° 1 617 879 pour couvrir notamment les produits de l’imprimerie, en particulier les journaux et périodiques,
– la société HACHETTE LIVRE a fait paraître en octobre 2006 un ouvrage dédié au photographe [K] [H] réunissant, sous le titre ‘elles ont posé pour lui’, des photographies réalisées par ce dernier pour le magazine LUI,
– suivant acte du 14 décembre 2006, la société 1633 a assigné la société HACHETTE LIVRE devant le tribunal de grande instance de Paris aux motifs que l’insertion du mot ‘lui’ dans le titre ‘elles ont posé pour lui’ caractériserait une atteinte à ses droits privatifs de marque sur le signe ‘LUI’ , outre qu’elle traduirait la volonté délibérée de tirer indûment profit de la notoriété du magazine ‘LUI’ ,
– par le jugement déféré, les premiers juges ont retenu à la charge de la société HACHETTE LIVRE le grief de contrefaçon de marque, l’ont condamnée de ce chef à payer à la société 1633 la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et prononcé des mesures d’interdiction ainsi que de publication, ont écarté par contre le grief de parasitisme,
– poursuivant, sauf sur ce dernier point, l’infirmation de ce jugement, la société HACHETTE LIVRE prie la cour de rejeter comme non fondée l’action en contrefaçon de marque en faisant essentiellement valoir que l’usage d’un signe pour former le titre d’une oeuvre de l’esprit ne saurait être regardé comme constituant un usage à titre de marque, que l’usage du pronom personnel ‘lui’dans une phrase complète et cohérente ne saurait lui être interdit, qu’en toute hypothèse, la référence au magazine ‘LUI’ procède en l’espèce de la liberté d’information et de la liberté d’expression dès lors qu’il est constant que le photographe [K] [H] a longtemps collaboré avec le magazine ‘LUI’ ,
– la société 1633 soutient en réplique que l’enregistrement de la marque confère à son titulaire le droit d’interdire en toutes circonstances sa reproduction et qu’en l’espèce, en faisant usage du signe ‘LUI’ pour désigner un livre, produit pour lequel la marque est déposée et exploitée, la société HACHETTE LIVRE a commis un acte de contrefaçon au sens de l’article L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, poursuivant par ailleurs la réformation du jugement en ce qu’il a rejeté le grief de parasitisme, elle prétend que la société HACHETTE LIVRE a voulu tirer bénéfice de la notoriété du magazine ‘LUI’ et que, par sa faute, elle s’est trouvée contrainte de renoncer au projet d’éditer un recueil des plus belles photographies publiées dans ce magazine ;
Sur la contrefaçon,
Considérant, en droit, que la fonction essentielle de la marque est de garantir aux consommateurs l’identité d’origine du produit marqué en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance ;
Que, par voie de corollaire, le caractère exclusif du droit conféré au titulaire de la marque ne s’impose pas, contrairement à ce que prétend la société 1633, de manière absolue, mais ne se justifie que dans les cas dans lesquels l’usage d’un signe identique ou similaire par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à ses intérêts propres en tant que titulaire de la marque eu égard à la fonction essentielle de celle-ci qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ;
Qu’il convient, ceci étant posé, de rechercher en l’espèce, si, inséré dans le titre du livre ‘elles ont posé pour lui’, le signe ‘lui’ a fait l’objet d’un usage à titre de marque ;
Or considérant que, si les premiers juges ont relevé à raison que le livre est un produit du commerce et a, comme tel, vocation à être distingué par une marque qui apporte la garantie que tous les livres qui en sont revêtus sont publiés sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité, c’est à tort qu’ils ont regardé le titre de l’ouvrage comme constituant la marque du livre dans lequel s’incarne cet ouvrage ;
Qu’il importe en effet d’opérer une distinction entre l’oeuvre de l’esprit, incorporelle et unique, et le produit qui en constitue le support matériel, produit qui est ici un livre mais qui pourrait être aussi un vidéogramme ou un site internet ;
Or considérant que le titre ‘elles ont posé pour lui’ ne désigne, n’identifie et n’individualise que l’oeuvre elle-même, composée de clichés choisis dans le fonds photographique de [K] [H], sans avoir vocation, même s’il apparaît en page de couverture, à distinguer le livre dans lequel l’oeuvre est matérialisée, cette fonction étant assurée par le signe d’appartenance à une maison d’édition ou à une collection, en l’occurrence ‘Les Editions du Chêne’, seul de nature à garantir aux consommateurs la provenance du produit et, par voie de conséquence, à constituer une marque ;
Qu’il s’ensuit, par réformation du jugement déféré, que le signe ‘elles ont posé pour lui’, faute d’être utilisé à titre de marque, est exempt de toute atteinte aux droits exclusifs de marque de la société 1633 sur le signe ‘LUI’, de sorte que, l’action en contrefaçon fondée sur l’atteinte à de tels droits ne saurait prospérer ;
Sur le parasitisme,
Considérant que la société 1633 fait valoir, au soutien du grief de parasitisme, que la société HACHETTE LIVRE, aurait usurpé le titre du magazine LUI et cherché ainsi à tirer profit, sans bourse déliée, de la notoriété du magazine LUI, qu’elle aurait en outre fait échec à son projet de faire paraître un ouvrage regroupant les plus belles photographies publiées dans le magazine LUI ;
Mais considérant qu’il est constant que la société 1633 ne détient aucun droit sur le fonds photographique du photographe [K] [H], qu’il n’est pas démenti que la société HACHETTE LIVRE a procédé aux investissements nécessaires à l’édition de l’ouvrage incriminé et en premier lieu à l’achat des droits sur les clichés sélectionnés pour composer l’ouvrage ;
Qu’il n’est pas démontré, au regard de ces éléments, que la société HACHETTE LIVRE, se soit procuré un bénéfice sans bourse délier ;
Considérant qu’il n’est pas contesté par ailleurs que [K] [H] a entretenu de longue date une collaboration avec le magazine LUI qu’il a largement pourvu de ses oeuvres et dont il a ainsi contribué à la qualité et à la notoriété ;
Qu’il s’ensuit que le titre ‘elles ont posé pour lui’ , à supposer même qu’il ait pour seul objet de faire référence au magazine LUI, alors qu’il s’entend aussi, nécessairement, comme visant le photographe désigné ici par le pronom personnel ‘lui’, ne procède d’aucune usurpation mais de l’exercice légitime de la liberté d’expression et d’information dès lors qu’il repose sur un fait constant, de sorte qu’il ne peut être reproché à la société HACHETTE LIVRE d’avoir recherché, avec un tel titre, à bénéficier indûment de la notoriété du magazine LUI ;
Qu’il doit être à cet égard précisé, la société 1633 paraissant invoquer en outre un risque de confusion, que le signe ‘lui’ tel qu’il figure dans le titre de l’ouvrage, ne reproduit pas la police de caractères propre au titre du magazine LUI dont il ne reprend ni la forme particulièrement écrasée ni le volume disproportionné du point surplombant le I , que le livre mentionne distinctement l’identité de la société d’édition responsable de sa diffusion, de sorte que l’existence d’un risque de confusion sur l’origine du produit n’est pas caractérisée en l’espèce ;
Considérant enfin qu’il n’est aucunement démontré, au regard du principe de la libre concurrence, que la société HACHETTE LIVRE se soit comportée de manière déloyale à l’égard de la société 1633 en la privant de la possibilité de mettre en oeuvre le projet, au demeurant non justifié, de faire paraître un ouvrage sur les meilleures photographies du magazine LUI ;
Que le jugement mérite confirmation en ce qu’il a rejeté l’action fondée sur le parasitisme ;
Sur les autres demandes,
Considérant qu’il s’infère du sens de l’arrêt que les demandes de confiscation et de publication sont sans objet ;
Que l’équité commande de rejeter la demande formée au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile par la société 1633 et de la condamner en revanche, sur ce même fondement, à payer à la société HACHETTE LIVRE la somme de 15 000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il rejeté l’action fondée sur le parasitisme,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déboute la société 1633 de ses prétentions émises au fondement de la contrefaçon de ses droits de marque,
La condamne aux dépens de l’instance qui seront recouvrés, s’agissant de ceux afférents à la procédure d’appel , par les avoués de la cause conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile et à payer à la société HACHETTE LIVRE une indemnité de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,