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4 juin 2010
Cour d’appel de Paris
RG n°
08/19086
Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 04 JUIN 2010
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 08/19086.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 octobre 2005 du Tribunal de commerce de Bobigny – RG n° 2004F01124.
Mode de saisine : sur arrêt de renvoi de la Cour de cassation en date du 23 Septembre 2008 annulation et cassation d’un arrêt du 08 Novembre 2006 de la Cour d’appel de PARIS 4ème Chambre Section A (R.G. n° 05/20938).
DEMANDERESSE À LA SAISINE :
APPELANTE :
S.A.R.L. MGH – MANUFACTURE GENERALE HORLOGERIE
prise en la personne de son gérant,
ayant son siège [Adresse 5],
représentée par la SCP BOMMART-FORSTER – FROMANTIN, avoués à la Cour,
assistée de Maître Marc BENSIMHON de la SCP BENSIMHON & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P 410.
DEFENDERESSES À LA SAISINE :
INTIMÉES :
– S.A.S. L.G.E
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 3],
– Société de droit suisse GÉNÉRALE DE MARQUES ‘SGM’
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 4]),
représentées par la SCP NARRAT – PEYTAVI, avoués à la Cour
assistées de Maître Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E 804.
DEFENDERESSE À LA SAISINE :
INTERVENANTE COMME TELLE INTIMÉE :
SELAFA MJA
prise en la personne de Maître [S] [F],
ès qualité de liquidateur judiciaire de la Société Ets [D] [M],
ayant son siège [Adresse 1],
représentée par la SCP PETIT LESENECHAL, avoués à la Cour.
DEFENDERESSE À LA SAISINE :
INTIMÉE :
S.A. AUCHAN FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège [Adresse 2],
représentée par la SCP BERNABE – CHARDIN – CHEVILLER, avoués à la Cour,
assistée de Maître Jean-Louis GUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1626.
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 Avril 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Alain GIRARDET, président
Madame Sophie DARBOIS, conseillère
Madame Dominique SAINT-SCHROEDER, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Christelle BLAQUIERES
ARRÊT :Contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Alain GIRARDET, président et Monsieur Truc-Lam NGUYEN, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
La société SGM expose qu’elle est cessionnaire des droits d’auteur sur un modèle de montre dénommé ‘Time Square Convex’, commercialisé depuis 2003,que lui a cédé son créateur Monsieur [X] [E] , modèle dont l’originalité revendiquée réside dans la combinaison des caractéristiques suivantes :
– montre de géométrie très épurée , très fine et à rayon convexe,
– lunette de forme carrée, très large, comportant un remontoir apparent de couleur dorée,
– fond en nacre de différentes couleurs,
– 4 chiffres géants ,12, 3, 6 et 9, disposés aux quatre coins cardinaux du cadran , ces chiffres étant de couleur dorée et représentés partiellement,
– aiguilles Dauphine en or,
– présence de deux étages dont l’étage supérieur est plus large que l’étage inférieur,
– attaches apparentes ;
Ce modèle a par ailleurs fait l’objet d’un dépôt à l’INPI sous le n° 03 0948 et d’un dépôt international n° DM /064508 ;
La société SGM expose qu’il est la déclinaison d’un modèle précédent dénommé ‘Time square’, créé et commercialisé en 1998 , déposé à l’OMPI sous le n° DM/ 044441et qui présentait déjà le combinaison des caractéristiques suivantes :
– montre géométrique très épurée de forme rectangulaire,
– lunette large et entièrement sertie de diamants,
– cadran serti de diamants,
– présence de deux étages superposés dont l’étage supérieur est plus large que l’étage inférieur entièrement pavé de diamants ;
La Société ETS [D] [M] anciennement dénommée [X] [E], distributeur en France de la société SGM , a été donnée en location gérance à la société LGE laquelle exploite et commercialise la montre Time Square Convex.
La société MGH fabrique et commercialise des articles d’horlogerie distribués notamment par la société Auchan dont un des modèles, distribué pour la fête des mères en 2004, a fait l’objet de l’action en contrefaçon engagée devant le tribunal de commerce de Bobigny par les sociétés SGM, [X] [E] et LGE ;
Par jugement en date du 6 octobre 2005, cette juridiction condamna in solidum les sociétés MGH et Auchan à verser les sommes de 300 000 euros à la société SGM au titre de la contrefaçon de dessins et modèles et de droit d’auteur et de 150 000 euros aux sociétés [X] [E] et LGE sur le fondement de la concurrence déloyale, condamna la société MGH à garantir la société Auchan de l’ensemble des condamnations prononcées, et prononça les mesures d’interdiction, de publication et de destruction d’usage ;
Par arrêt du 23 septembre 2008, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 8 novembre 2006 partiellement confirmatif du jugement précité , au motif que ‘les critères de la contrefaçon par imitation de modèle, qui n’inclut pas le risque de confusion , s’apprécie au regard de l’observateur averti et non par rapport au consommateur moyennement attentif’ ;
Vu les dernières écritures en date du 7 avril 2010 de la société MGH qui oppose l’irrecevabilité des sociétés SGM , LGE et [D] [M] et, subsidiairement, conclut au rejet des prétentions de ces dernières en raison notamment de l’absence de nouveauté et d’originalité du modèle Time Square Convex et, en tous cas, à l’absence de reprise des caractéristiques revendiquées, comme à l’absence de concurrence déloyale ; elle sollicite à titre reconventionnel la condamnation solidaire des sociétés SGM et LGE à lui verser les sommes de 150 000 euros en préparation de son préjudice financier, de 150 000 euros en réparation de ses préjudices commercial et moral et 20 000 euros en réparation du caractère abusif de la procédure ;
Vu les conclusions dernières en date du 10 février 2010 de la société Auchan qui soutient également que les sociétés SGM, LGE et [D] [M] sont irrecevables, notamment parce que la preuve de la qualité d’auteur ne peut résulter de la simple mention d’un nom sur le formulaire de dépôt d’un dessin ou d’un modèle auprès de l’INPI, que la société SGM ne justifie pas en tous cas de la cession des droits que lui aurait consentie Monsieur [X] [E] et que la société [X] [E] ([D] [M]) ayant été donnée en location gérance à la société LGE à compter du mois de février 2004, serait dépourvue d’intérêt à agir ; elle conclut comme la société MGH, au caractère non contrefaisant du modèle incriminé, à l’absence d’acte de concurrence déloyale et subsidiairement, à l’absence de tout préjudice subi par le sociétés intimées ;
Vu les dernières écritures en date du 13 avril 2010 des sociétés LGE et SGM qui concluent à la confirmation de la décision entreprise sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts qu’elles demandent à la cour de fixer à hauteur de 3 700 000 euros au bénéfice de la société SGM au titre de la contrefaçon des droits d’auteur et de dessins et modèles et de 1 850 000 euros à la société LGE au titre de la concurrence déloyale, et la mesure de publication qu’elles demandent d’étendre à 10 journaux ;
Vu les conclusions en date du 1er avril 2009 de la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [S] [F] es qualité de liquidateur judiciaire de la société [D] [M], anciennement dénommée [X] [E], qui souligne l’irrecevabilité des demandes initialement formées à l’encontre de la société [X] [E] devenue ETS [D] [M] ;
Sur ce, la cour,
Sur les moyen d’irrecevabilité :
Considérant que les appelante font grief à la décision déférée d’avoir déclaré les sociétés LGE et MGH recevables en leurs demandes alors que les pièces qu’elles ont produites en première instance et en appel ne permettent pas d’attribuer à Monsieur [X] [E] la qualité d’auteur de la montre Time Square Convex, que la preuve n’est pas davantage apportée de la cession qu’aurait consentie [X] [E] à la société SGM de ses prétendus droits d’auteur sur ce modèle de montre ; que sur le fondement du droit des dessins et modèles , elles excipent du défaut de publicité des cessions intervenues ; que sur celui de la concurrence déloyale, les sociétés ETS [D] [M] et LGE n’établiraient pas leur qualité de distributeur; qu’enfin le modèle de montre n’étant ni original ni nouveau, les intimées n’ont pas qualité à exciper de droits exclusifs qu’elles ne peuvent détenir ;
Considérant, sur la qualité d’auteur de [X] [E], qu’il résulte des mentions portées au certificat de dépôt international du modèle de montre, en date du 6 août 2003, délivré par l’OMPI sous le n° DM/ 064 508, que le nom du créateur déclaré par le déposant, la société SGM , est Monsieur [X] [E] ; que la montre en cause est en outre diffusée sous le nom de [X] [E] et présentée sur le site internet éponyme ; qu’enfin de nombreux articles de presse parmi lesquels ‘La Revue des Montres’ de novembre 2003, attribue à [X] [E] la paternité de cette montre ;
Que les appelantes qui ne produisent aucun document contraire, ne sont dès lors pas fondées à contester la présomption qui naît à suffisance de l’ensemble des documents produits par les intimées sur la qualité d’auteur de [X] [E] et, partant, sur la recevabilité de la société SGM à se prévaloir des droits patrimoniaux d’auteur que lui a consentis [X] [E] par contrat du 23 janvier 2003 ;
Qu’en outre, les appelantes poursuivies en contrefaçon, et étrangères aux conventions que Monsieur [X] [E] a pu signer avec la société SGM, ne sont pas fondées à en contester la validité, d’autant que [X] [E] dans une attestation du 4 juin 2004 que rien ne commande de rejeter , précise qu’il a cédé à la société SGM l’ensemble de ses droits d’auteur, cession soumise à aucune publicité ;
Que s’agissant des dépôts de modèle invoqués, l’un national et l’autre international, leur publication témoigne que la société SGM en est titulaire ;
Considérant enfin que les factures versées aux débats démontrent que la société LGE commercialisait la montre Time Square Convex pendant la période durant laquelle les actes incriminés auraient été commis, situation corroborée par le fait que cette société est devenue le distributeur exclusif de la montre Time Square Convex à compter de février 2004, lorsqu’elle prit en location gérance le fonds de la société [X] [E] comme en atteste l’extrait de son K Bis ;
Qu’elle est donc pleinement recevable à agir en concurrence déloyale ;
Considérant que la recevabilité de la société SGM à agir en contrefaçon est fonction de la validité des droits dont elle se prévaut, laquelle sera examinée ci-après ;
Sur la validité du modèle déposé :
Considérant que pour être protégé un dessin ou modèle doit être nouveau et présenter un caractère propre ;
Considérant que les caractéristiques du modèle revendiqué, déposé en 2003, décrites dans la relation des faits constants, sont constituées d’une combinaison d’éléments ;
Considérant qu’au regard des exigences de l’article L 511-3 du CPI, un dessin ou modèle est nouveau si, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué ;
Considérant que les appelantes ne peuvent soutenir que les antériorités éparses dont elles se réclament sont de nature à ruiner la nouveauté du modèle en cause, chacune d’elles ne présentant en effet que certaines des caractéristiques prises isolément (par exemple le sertissage de diamants: Patek Philipp, lunette carrée : Tissot, cadre bombé : Gucci…), et se différenciant du modèle revendiqué de façon significative ; que la nouveauté de ce dernier est dès lors acquise ;
Considérant que, selon l’article L511-4 du CPI, un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué antérieurement ;
Considérant que force est de relever que le modèle Time Square Convex présente un tel caractère pour l’observateur averti, qui est doté d’une attention particulière, car aucun des modèles opposés ne présentent cette association d’une lunette de forme carrée et légèrement bombée, dont le fond est en nacre de différentes couleurs, avec 4 chiffres sur dimensionnés, disposés aux quatre points cardinaux, et représentés partiellement, car coupés verticalement pour les chiffres 9 et 3 et horizontalement pour les chiffres 6 et 12, avec des aiguilles dites Dauphine en or ;
Considérant en effet que si les principaux éléments, pris séparément, (lunette carrée , fond en nacré, chiffres sur dimensionnés…) sont connus et relèvent d’un fonds commun en horlogerie, en revanche leur combinaison, confère à ce modèle Time Square Convex un caractère propre qui le rend éligible à la protection au titre du Livre V ;
Sur l’originalité :
Considérant que cette même combinaison qui repose sur une association d’éléments épurés et fins (lunette, sertissage, aiguilles) avec des chiffres disproportionnés et fractionnés en bordure du cadran, porte l’empreinte de la personnalité du créateur du modèle et lui confère son originalité ;
Sur la contrefaçon :
Considérant que les opérations de saisie- contrefaçon diligentées dans les magasins AUCHAN le 11 juin 2004 et le catalogue saisi distribué à l’occasion de la fête des mères, établissent que le modèle incriminé, présente les caractéristiques suivantes :
– une forme géométrique épurée,
– une lunette de forme carrée très large avec remontoir apparent,
– un fond qui évoque la nacre,
– des aiguilles dorées style Dauphine,
– 4 chiffres, 12, 3, 6 et 9, sur dimensionnés de couleur dorée ou chromée, disposés aux quatre points cardinaux du cadran et partiellement coupés, verticalement pour les chiffres 3 et 9 , horizontalement pour les chiffres 6 et 12,
– des attaches apparentes ;
Considérant que ce faisant, ce modèle reprend l’essentiel de la combinaison des caractéristiques du modèle Time Square Convex ;
Qu’il est en effet indifférent qu’il n’ait pas les mêmes dimensions et ne soit pas pourvu d’un sertissage de diamants puisqu’il ne s’agit pas de caractéristiques principales et qu’il est constant qu’en matière d’horlogerie un même modèle soit décliné en différentes dimensions, avec ou sans diamants comme le rappellent les intimées ;
Considérant qu’il importe également peu que figure sur le cadran le signe ‘LIP’, la présence bien visible de celui-ci ne pouvant dissimuler la reprise des caractéristiques essentielles du modèle Time Square Convex qui fondent son originalité ;
Que la contemplation du modèle incriminé ne produira pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle du modèle Time Square Convex ;
Que les premiers juges ont donc à bon droit retenu l’atteinte qu’il portait aux droits d’auteur et de dessins et modèles de la société SGM ;
Sur les actes de concurrence déloyale :
Considérant que la société LGE , en sa qualité de distributeur exclusif, est bien fondée à solliciter la réparation que lui causent les actes de contrefaçon ;
Qu’en revanche la reprise de coloris des bracelets (beige et noire) n’apparaît pas fautive ;
Que s’agissant de l’atteinte à la notoriété, elle est appréhendée au titre de la contrefaçon ;
Quant au grief du vil prix, il ne peut à lui seul caractériser un acte distinct de concurrence déloyale ;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que le préjudice subi par la société SGM est fonction de l’atteinte portée à la valeur de ses droits et à la notoriété d’un modèle vendu à près de 25 000 euros l’exemplaire et présenté dans de nombreux supports de presse ;
Que cette atteinte est caractérisée non seulement par la commercialisation (888 exemplaires livrés à AUCHAN France) mais aussi par la diffusion de l’image du modèle contrefaisant sur un catalogue tiré à plus de 5,6 millions d’exemplaires ;
Que le modèle litigieux est offert à la vente par Auchan au prix de 30 euros ;
Que ces actes entraînent une vulgarisation du modèle et affectent l’image et l’intérêt que peut lui porter la clientèle, peu important à cet égard que la clientèle à laquelle s’adresse le modèle contrefaisant ne soit pas la même ;
Que le préjudice est subi tant par la société SGM titulaire des droits exclusifs que par la société LGE dont la commercialisation du modèle original – qu’elle avait en exclusivité -, n’a pu qu’être perturbée, sans pour autant que l’on puisse attribuer la chute des ventes de la montre Time Square Convex (91 exemplaires en 2002/2003 et 50 en 2003/2004) à cette diffusion ponctuelle dans les magasins Auchan ;
Considérant qu’au vu de ces éléments, il convient d’infirmer la décision déférée et de fixer aux sommes de 200 000 euros et de 150 000 euros le montant des dommages et intérêts au paiement desquelles les appelantes sont condamnées in solidum, les autres mesures réparatrices prononcées par les premiers juges restant inchangées ;
Considérant par ailleurs que la société MGH ne conteste pas devoir sa garantie à la société Auchan pour l’ensemble des condamnations prononcées à l’encontre de cette dernière ;
Sur l’article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que l’équité commande de condamner in solidum les appelantes à verser aux intimées la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
PAR CES MOTIFS,
Confirme la décision entreprise sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloué au titre de la contrefaçon,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés MGH et Auchan France à verser à la société SGM la somme de 200 000 euros en réparation des actes de contrefaçon et à la société LGE la somme de 150 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale,
Les condamne en outre, in solidum, à verser aux intimées la somme globale de 10 000 euros et à supporter les dépens y compris ceux de l’arrêt cassé qui seront recouvrés dans les formes de l’article 699 du même code.
Le greffier,Le Président,