Exclusivité : 20 novembre 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 15/18265

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Exclusivité : 20 novembre 2015 Cour d’appel de Paris RG n° 15/18265
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20 novembre 2015
Cour d’appel de Paris
RG n°
15/18265

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 20 NOVEMBRE 2015

(n° 72 , 19 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/18265

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Septembre 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2015039573

APPELANTE

SAS ARTCLAIR EDITIONS

agissant par son Président domicilié en cette qualité audit

siège

[Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 442 24 1 5 688

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée de Me Olivier D’ABO, avocat au barreau de PARIS, toque : B4852

INTIMEES

Société UMBERTO ALLEMANDI & C SPA

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1] / ITALIE

Société U. ALLEMANDI & CO PUBLISHING LIMITED prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]ES / ROYAUME-UNI

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Julien HAY, avocat au barreau de PARIS, toque : P534

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 novembre 2015, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre, et Mme Odette-Luce BOUVIER, Conseillère, chargées d’instruire l’affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre

Mme Odette-Luce BOUVIER, Conseillère

Mme Mireille de GROMARD, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Patricia PUPIER

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Annie DABOSVILLE, présidente et par Mme Patricia PUPIER, greffière présente lors du prononcé.

La société de droit italien UMBERTO ALLEMANDI SPA publie, en Italie la revue II Giornale dell’Arte et la société de droit anglais UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd publie en Angleterre la revue The Art Newspaper (les deux sociétés UMBERTO ALLEMANDI seront désignées ci-après les sociétés ALLEMANDI).

La société ARTCLAIR EDITIONS (ARTCLAIR) publie en France la revue Le Journal des Arts.

Aux termes d’un contrat conclu le 26 novembre 1993 entre les sociétés ALLEMANDI et la société ICS, aux droits de laquelle vient la SAS ARTCLAIR, cette dernière bénéficie du droit exclusif d’exploitation en langue française des titres « Le Journal de l’Art » et/ou « Le Journal des Arts » concédé par ALLEMANDI ‘déposés par elle auprès de l’INPI, du concept et des programmes correspondants’, d’un partenariat publicitaire avec exclusivité territoriale selon lequel la société ARTCLAIR démarche en France, en Belgique et en Suisse des publicités à paraître dans les revues des sociétés ALLEMANDI, à charge pour ces dernières de prospecter dans les autres pays des publicités à paraître dans « Le Journal des Arts » et enfin, un partenariat éditorial permettant à la sociéte ARTCLAIR d’exploiter le concept ainsi que le contenu éditorial des journaux Il Giordane dell’Arte et The Art Newspaper.

Chacune des sociétés perçoit la totalité du prix des annonces qu’elle a démarchées, à charge pour elle d’en réserver 65% à la revue qui les publie.

Les règlements entre les parties se font, aux termes de ce contrat, par compensation des factures réciproques, avec apurements périodiques des soldes débiteurs.

Ces décomptes ont donné lieu à des litiges entre les parties et abouti notamment au jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 mars 2013 et l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 29 janvier 2015.

Par lettre du 21 mai 2015, la société UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd a notifié à la société ARTCLAIR ‘la résiliation du contrat indéterminée du 26 novembre 1993, sous un préavis de six mois à compter de ce jour et précisé :

Cette résilisation deviendra donc effective à compter du 21 novembre 2015.

A cette date cette convention sera résiliée dans toutes ses dispositions.

Vous voudrez bien, notamment, prévoir de cesser d’exploiter le titre le Journal des Arts, à compter du 21 novembre 2015’.

La SAS ARTCLAIR EDITIONS, aux termes d’une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 7 juillet 2015, a été autorisée, en application des dispositions de l’article 485 du code de procédure civile, à assigner avant le 30 octobre 2015, sous peine de caducité de ladite ordonnance, les sociétés ALLEMANDI en référé à heure indiquée pour l’audience du 5 novembre 2015 aux fins notamment de constater la rupture brutale et fautive de la relation commerciale qu’elles entretenaient depuis près de 22 ans avec la société ARTCLAIR, laquelle a subi du fait du comportement illicite des sociétés ALLEMANDI, un trouble manifeste et un dommage réel qui continue à s’aggraver, justifiant une procédure de référé, d’ordonner aux sociétés défenderesses, sous astreinte, de poursuivre leur relation commerciale avec la société ARTCLAIR pendant une période de préavis ne pouvant être inférieure à 44 mois, de les condamner solidairement à verser à la société ARTCLAIR une somme globale de 266.248 euros au titre de la violation de la clause d’exclusivité territoriale.

Par ordonnance contradictoire rendue le 4 septembre 2015, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, retenant notamment que le territoire d’exclusivité d’ARTCLAIR est pour l’essentiel la France et que la prestation de services, objet du contrat, a été rendue en France ; que le fait dommageable consécutif à la résiliation du contrat est une perte d’activité pour la société ARTCLAIR, donc une perte de chiffre d’affaires et de marge, qu’il se produit au lieu de son siège social à [Localité 2] ; que sa compétence territoriale est retenue tant en matière de responsabilité contractuelle que de responsabilité délictuelle ; que les demandes au fond nécessitent toutes une analyse au fond ; que ceci excède les pouvoirs du juge des référés :

– s’est dit compétent ;

– a dit n’y avoir lieu à référé et renvoyé les parties à se mieux pourvoir,

– a réservé au juge du fond, éventuellement saisi, de statuer sur les demandes des parties, en ce comprises celles fondées sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

– a condamné SAS ARTCLAIR EDITIONS aux entiers dépens.

Par acte du 10 septembre 2015, la société ARTCLAIR EDITIONS a interjeté appel de cette décision.

Par ses conclusions transmises le 5 novembre 2015, la société ARTCLAIR EDITIONS, appelante, demande à la cour de :

constater que :

– tant en matière contractuelle que délictuelle le président tribunal de commerce de Paris était compétent ;

– tant en matière contractuelle que délictuelle, seule la loi française est applicable ;

– les sociétés ALLEMANDI ont, brutalement et de manière fautive, rompu la relation commerciale qu’elles entretenaient depuis de près de 22 ans avec ARTCLAIR ;

– les sociétés ALLEMANDI sont, pourtant, tenues de respecter un délai de préavis d’au moins quarante-quatre (44) mois à compter de la rupture, eu égard à la nature et à la durée de cette relation commerciale ;

– l’attitude déloyale des sociétés ALLEMANDI consistant à entraver l’activité d’ARTCLAIR, en plus de l’absence de délai de préavis, constitue une rupture brutale et fautive des relations commerciales au sens de l’article L.442-6 du code de commerce ;

– la rupture brutale des relations commerciales cause à ARTCLAIR un dommage imminent qu’il convient de prévenir ainsi qu’un trouble manifestement illicite auquel il convient de remédier dans les plus brefs délais ;

– en outre, ce comportement illicite a causé à ARTCLAIR un préjudice que cette dernière est en mesure de quantifier dans la mesure où celui-ci résulte de la violation régulière et continue par les sociétés ALLEMANDI de la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat.

En conséquence, de confirmer l’ordonnance rendue le 4 septembre 2014 par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a déclaré le président du tribunal compétent pour statuer sur le litige qui lui était soumis ;

De la réformer dans toutes ses autres dispositions ;

Et statuant à nouveau, de :

– dire la société ARTCLAIR recevable et bien fondée en ses demandes ;

– débouter les sociétés ALLEMANDI de l’intégralité de leurs demandes ;

– déclarer la loi française applicable au présent litige ;

– ordonner à ALLEMANDI spa et ALLEMANDI Ltd, sous astreinte du paiement d’une somme de cinq mille euros par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision, de poursuivre sa relation commerciale avec la société ARTCLAIR résultant du contrat pendant une période de préavis ne pouvant être inférieure à quarante-quatre mois et commençant à courir à compter de ‘l’ordonnance’ à intervenir, ladite durée ne pouvant, en tout état de cause, expirer avant la date de la décision au fond à intervenir entre les parties ;

– ordonner notamment à ALLEMANDI spa et ALLEMANDI ltd, pendant cette période, sous astreinte du paiement d’une somme de cinq mille euros par jour de retard à compter de l’expiration des délais visés ci-après, de :

– exécuter l’ensemble des obligations résultant du contrat,

et tout particulièrement,

– respecter la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat et donc de ne pas conclure de ventes directes avec des annonceurs relevant du territoire d’ARTCLAIR à savoir : la France, la Belgique et la Suisse ;

– et, par voie de conséquence, leur enjoindre de rediriger les annonceurs relevant du territoire d’ARTCLAIR vers cette dernière ;

– publier les ordres d’insertion qu’ARTCLAIR lui adressera pour le compte de ses clients.

– condamner solidairement les sociétés ALLEMANDI spa et ALLEMANDI Ltd à verser, à titre provisionnel, à ARTCLA1R une somme globale de 266.248 euros au titre de la violation de la clause d’exclusivité territoriale,

En tout état de cause, de :

– se réserver la liquidation des astreintes ;

– condamner solidairement les sociétés ALLEMANDI à lui verser à ARTCLAIR la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner solidairement ALLEMANDI spa et ALLEMANDI Ltd aux entiers dépens.

L’appelante soutient qu’est compétente la juridiction française car, si le Règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 affirme le principe de la compétence de la juridiction du lieu du domicile du défendeur, des exceptions, tant en matière délictuelle que contractuelle, sont prévues par l’article 7 du même Règlement, dispositions strictement indentiques à celles de l’article 5 du Règlement 44/ 2001 du 22 décembre 2000 ; que la question préjudicielle posée à la CJUE par une autre chambre de la cour d’appel de Paris au regard des dispositions de l’article 5.3 du Règlement 44/ 2001 porte ‘sur la qualification de l’action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies’ et non, de manière générale, sur les dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce ; qu’aucune disposition ne saurait au demeurant contraindre la cour à surseoir à statuer sur le présent litige dont l’urgence est démontrée.

La société ARTCLAIR fait valoir pour affirmer la compétence en matière délictuelle de la juridiction française, qu’elle a sollicité, sur le fondement de l’article L.442-6 1 5 et de l’article L. 442-6-IV du code de commerce, du juge des référés du tribunal de commerce de Paris qu’il ordonne la poursuite du contrat que les sociétés ALLEMANDI ont brutalement rompu ; que, par application de l’article 5 du Règlement n°44/2001 (identique à l’article 7 du Règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012),’est compétent le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » ; que selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, dans le cadre d’une rupture brutale de relations commerciales établies, ce lieu est le siège de la partie victime de la rupture (Cass. Com 20 mai 2014 n°12-26.705 ; Cass. 2 ème civ, 6 janv.2012 n°10-20.788).

Elle soutient qu’en ce qui concerne la compétence en matière contractuelle, dont relève la demande de provision au titre de la demande de provision qu’elle a formée, l’article 7 b) du Règlement UE édicte effectivement une compétence spéciale ; qu’ainsi, la juridiction compétente peut être celle du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ; qu’en l’espèce, le lieu d’exécution du contrat est la France.

La société ARTCLAIR fait valoir que les sociétés ALLEMANDI occultent le fait que, dans les litiges relatifs au contrat du 26 novembre 1993, elles ont engagé leurs actions devant le tribunal de commerce de Paris et la cour d’appel de Paris (arrêt du 29 janvier 2015), considérant qu’en matière contractuelle, la juridiction française était parfaitement compétente et la loi interne applicable ; qu’en tout état de cause, le contrat litigieux constitue bien un contrat de prestation de services au moins sur le partenariat publicitaire.

Elle soutient qu’en tout état de cause, l’arrêt BESIX de la CJUE cité par les intimées, ne peut s’appliquer à l’espèce car il concerne une obligation d’exclusivité générale et non limitée territorialement ;

qu’en revanche l’obligation d’exclusivité concernée par le présent litige est en effet principalement rattachée à la France ;

Elle fait valoir enfin qu’en ce qui concerne le présent litige, son action devant la juridiction des référés est fondée sur l’article 873 du code de procédure civile aux fins d’obtenir des mesures provisoires ; que l’article 35 du règlement UE n°1215/2012 prévoit que de telles mesures prévues par la loi d’un Etat Membre peuvent être demandées aux juridictions de cet Etat même si les juridictions d’un autre Etat Membre sont compétentes pour connaître le fond.

Elle soutient, sur l’applicabilité de la loi française à l’espèce, que le Règlement Rome II du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles désigne, à titre de principe général, la loi du pays où le dommage survient ; que selon la jurisprudence, en matière de rupture brutale de relations commerciales établies, le dommage est subi au lieu de siège social de la victime de la rupture ; que, peu important la loi qui aurait été désignée par les parties, la loi française a vocation à s’appliquer dès lors que le contrat a le territoire français pour principal lieu d’exécution ; qu’il est suffisamment rattaché à la France pour que l’article L. 442-6-I-5 du code de commerce, qui constitue une loi de police, s’impose aux relations entre les parties.

Elle fait valoir que que le juge des référés est compétent pour ordonner le maintien de la relation commerciale établie dans le cas d’une rupture brutale, sans aucun motif et sans référence à la clause résolutoire ; que la relation commerciale la liant aux sociétés ALLEMANDI constitue une relation durable, brutalement rompue ; que les intimées devront dès lors être condamnées à respecter un délai de préavis suffisant, eu égard à la durée et à la nature de leur relation commerciale avec ARTCLAIR ;

L’appelante indique que les sociétés ALLEMANDI ont été rachetées en 2014 par Mme [E] [R], femme d’affaires russe, dont l’entreprise dispose de moyens financiers colossaux et envisage à terme de gérer seule l’édition de l’ensemble des magazines ‘Journal de l’Art’.

Elle ajoute que la résiliation du contrat entraine l’arrêt pur et simple de l’exploitation et partant, de la publication du Journal des Arts dès le 21 novembre 2015 avec les graves conséquences financières que cela implique ; que les sociétés ALLEMANDI persistent à violer la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat en refusant notammment d’exécuter les ordres d’insertions publicitaires émis par ARTCLAIR, avant d’accepter de ‘revenir à de meilleures dispositions’ en persistant toutefois à démarcher directement les annonceurs relevant du territoire d’ARTCLAIR ; qu’au cours de la durée du préavis, qui courra à compter de la décision à intervenir, le contrat devra être exécuté dans les mêmes conditions que celles initialement prévues.

L’appelante fait valoir qu’en ce qui concerne sa demande de provision, les sociétés ALLEMANDI n’ont pas respecté la clause d’exclusivité territoriale en ne lui reversant pas la commission de 35% qui lui était due à ce titre ; que la demande provisionnelle ne porte que sur ce point et doit lui être accordée au titre des manquements contractuels par les sociétés ALLEMANDI, précisant notamment que ceux-ci résultent des ventes directes à des annonceurs appartenant au territoire exclusif d’ARTCLAIR et de la publication du supplément de Bâle et des ventes directes y afférant.

La société UMBERTO ALLEMANDI & C SPA, et la société U. ALLEMANDI & CO PUBLISHING LIMITED, intimées, par leurs conclusions transmises le 5 novembre 2015, demandent à la cour de :

Vu les dispositions de l’article 922 du code de procédure civile,

Prononcer la caducité de la déclaration d’appel de la société ARTCLAIR, au cas où la copie de l’assignation délivrée n’aurait pas été remise au greffe,

Vu les dispositions de l’article 98 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l’article 7-1 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012,

Vu l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980,

Vu le considérant n°55 de l’arrêt de la CJCE du 12 février 2002 dans l’affaire C-256/00,

– dire et juger que les juridictions françaises sont incompétentes pour ordonner à une société de droit italien et à une société de droit anglais de poursuivre l’exécution d’une obligation de concession exclusive d’un droit de propriété intellectuelle et qu’elles sont également incompétentes pour ordonner à ces deux sociétés étrangères de poursuivre l’exécution d’une exclusivité aux fins de prospection commerciale, ce à raison de la multiplicité des lieux d’exécution d’obligations de cette nature, comme l’a jugé la CJCE dans son arrêt du 12 février 2002 dans l’affaire C-256/00.

– dire et juger que les règles de compétence spéciales de l’article 7.1 du Règlement UE n°1215/2012 doivent en conséquence être écartées au profit du principe général de compétence de l’article 4-1 de ce Règlement, selon lequel les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet Etat membre.

– dire et juger qu’en vertu des dispositions des lois italiennes et anglaises, qui sont applicables au contrat du 26 novembre 1993, par application de l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, la France n’est pas le lieu d’exécution des obligations mentionnées ci-dessus, qui servent de base aux prétentions de la société ARTCLAIR,

– dire et juger que les juridictions françaises ne sont pas non plus compétentes à raison de la localisation du lieu d’exécution des obligations qui servent de base aux prétentions de la société ARTCLAIR – à supposer ce lieu unique – tel que ce lieu est déterminé par les lois italienne et anglaise, applicables au contrat du 26 novembre 1993 en vertu de la règle de conflits et qu’en conséquence les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de ces prétentions, conformément à la solution adoptée par la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 1976 (affaire 12-76).

– dire et juger que si les prétentions de la société ARTCLAIR fondées sur les dispositions de l’article L422-6-I-5° du code de commerce relèvent, en droit français, de la matière civile délictuelle, cette circonstance ne saurait en l’état fonder la compétence des juridictions françaises alors que, par arrêt du 7 avril 2015, la Cour d’appel de Paris a déjà saisi la CJUE d’une question préjudicielle relative à la qualification contractuelle ou délictuelle d’une telle action, au sens des dispositions de l’article 5.3 du Règlement CE 44/2001 qui sont identiques à celles de l’article 7-2 du Règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012, applicables en l’espèce.

– dire et juger que, compte tenu de la question préjudicielle déjà posée à la Cour de Justice européenne (CJUE) par la cour d’appel de Paris, il n’y a pas lieu de permettre au ‘demandeur’ de déroger à la compétence juridictionnelle générale dont il bénéficie par application des dispositions de l’article 4.1 du Règlement 1215/2012 qui lui permettent d’assigner les ‘défendeurs’ devant les juridictions des Etats membres où ils sont domiciliés.

Statuant sur l’incompétence, réformant en toutes ses dispositions la décision entreprise et, statuant à nouveau, déclarer incompétentes les juridictions françaises au profit :

– des juridictions italiennes en ce qui concerne les demandes formées à l’encontre de la société de droit italien ALLEMANDI SPA,

– des juridictions du Royaume Uni en ce qui concerne les demandes formées à l’encontre de la société de droit anglais ALLEMANDI LTD.

Subsidiairement, constater que la loi française n’est pas applicable au litige.

Plus subsidiairement encore, confirmer l’ordonnance déférée à la cour en ce que le premier juge a dit n’y avoir lieu à référé et débouter la société ARTCLAIR de l’intégralité de ses demandes.

La condamner au paiement d’une somme de 15.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés intimées soulèvent in limine litis l’incompétence de la juridiction française, faisant valoir notamment que la détermination de la juridiction territorialement compétente doit résulter de l’application des dispositions du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que le principe général à ce titre est celui de la compétence des juridictions de l’Etat du défendeur à l’instance ; que des règles de compétence dérogatoires dites spéciales, prévues de la section 2 du chapitre 2 dudit Règlement ne s’appliquent pas au présent litige.

Elles font valoir que, si l’action engagée par la société ARTCLAIR, au visa des dispositions de l’article L. 442-6-I-5 du code de commerce, est de nature civile délictuelle en droit national, ceci ne signifie nullement que cette action soit également qualifiée de délictuelle au sens des dispositions du Règlement communautaire ; que quant à l’action de la société ARTCLAIR au visa des dispositions de l’article 1134 du code civil, celle-ci ressort à l’évidence de la responsabilité civile contractuelle ; qu’il appartient en conséquence à la CJUE, saisie par une autre chambre de la cour d’appel de Paris, de dire si la responsabilité civile en cause est de nature délictuelle.

Les intimées invoquent la jurisprudence de la CJUE, notamment l’arrêt FALCO, aux termes duquel un contrat, par lequel le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle concède à son cocontractant le droit de l’exploiter en contrepartie du versement d’une rémunération, n’est pas un contrat de fourniture de services, l’arrêt TESSILI, par lequel la CJUE a jugé que le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande devait être déterminé par le juge saisi, par application de la loi désignée par la règle de conflit ; qu’aux termes de l’arrêt BESIX du 19 février 2002, la CJUE considère qu’une exclusivité contractuelle s’analyse en une obligation contractuelle de ne pas faire, et qu’à cause de la multiplicité des lieux d’exécution, il y a lieu d’évincer la règle de compétence spéciale en matière contractuelle et d’appliquer la règle de compétence de droit commun.

Elles font valoir que le juge français serait en toute hypothèse incompétent, même si la compétence juridictionnelle devait être déterminée par la cour en vertu de la règle de conflits, car en application de la Convention de Rome, la loi applicable à cette obligation est la loi italienne dans les relations entre ARTCLAIR et ALLEMANDI SPA et la loi anglaise dans les relations entre ARTCLAIR et la société ALLEMANDI LTD.

A ce titre, elles soutiennent que, si la CJUE devait qualifier de contractuelle l’action fondée sur les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, les obligations servant de base à la demande judiciaire d’exécution forcée seraient celles de concéder des droits exclusifs relevant de la propriété intellectuelle et un droit exclusif de représentation commerciale ; que la loi applicable à ces obligations serait également la loi anglaise dans les relations entre les sociétés ALLEMANDI LTD et ARTCLAIR et la loi italienne dans les relations entre les sociétés ALLEMANDI SPA et ARTCLAIR ; que selon ces législations, le lieu d’exécution des obligations ne serait pas la France.

Elles ajoutent que les demandes de la société ARTCLAIR ne constituent pas des mesures provisoires ou conservatoires au sens des dispositions du Règlement UE n°1215/2012.

Les sociétés ALLEMANDI font également valoir qu’en l’espèce, la loi française n’est pas applicable à la matière civile délictuelle ; que les demandes tendant à l’octroi d’un préavis supplémentaire sont fondées sur le droit interne de la responsabilité civile délictuelle alors que la loi applicable devrait alors être déterminée en vertu des dispositions du Règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles.

A ce titre, elles précisent que si le contrat du 26 novembre 1993 a bien été signé à [Localité 2], il ne désigne pas le droit français comme loi applicable, ni aucune autre juridiction étatique française comme juridiction compétente ; que font défaut deux des trois critères sur le fondement desquels la Cour de cassation, dans son arrêt du 25 mars 2014, a pu relever l’existence, avec la France de ‘ liens les plus étroits avec le fait dommageable’, formulation rigoureusement identique à celle de l’article 4-3 du Règlement Rome II.

Subsidiairement, elles font valoir que toutes les demandes de la société ARTCLAIR sont infondées, soutenant notamment que la rupture des relations entre les parties était prévisible depuis le 5 novembre 2014 ; que les manquements invoqués pendant le préavis en cours n’existent pas ; qu’elles n’ont commis aucune violation de la clause de cession de droits.

*****

A l’audience des plaidoiries du 5 novembre 2015, la cour, ayant relevé que les sociétés ALLEMANDI avaient demandé dans le dispositif de leurs conclusions transmises le 4 novembre 2015 à ce que soit prononcée ‘Vu les dispositions de l’article 922 du code de procédure civile”la caducité de la déclaration d’appel, au cas où la copie de l’assignation délivrée n’aurait pas été remise au greffe’ sans toutefois exposer dans le corps de leurs écritures les motifs de cette prétention, a renvoyé l’affaire à l’audience du 13 novembre suivant afin d’assurer, en matière de procédure écrite, le respect du principe de la contradiction et celui de la loyauté des débats et a invité les parties à présenter à l’audience de renvoi leurs conclusions écrites sur la caducité de l’appel alléguée et à communiquer toutes pièces utiles sur la question.

La société UMBERTO ALLEMANDI & C SPA, et la société U. ALLEMANDI & CO PUBLISHING LIMITED, intimées et appelantes incidentes, par leurs conclusions transmises le 12 novembre 2015, demandent à la cour :

Vu les dispositions du Règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007 et celles de l’article 922 du code de procédure civile,

– de constater que l’appelante n’a pas remis à la cour à la date du 5 novembre 2015, pour laquelle, le 22 septembre 2015, elle avait été autorisée à assigner à jour fixe, une copie d’une assignation qui aurait été délivrée aux intimées conformément aux dispositions du Règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007,

– de prononcer, en conséquence, la caducité de la déclaration d’appel de la société ARTCLAIR.

Les intimées soutiennent qu’est caduque la déclaration d’appel car, selon les dispositions de l’article 4 du Règlement (CE) n° 1393/2007, la signification des actes judiciaires ne peut intervenir, à l’initiative d’une partie, que par ‘l’entité d’origine’ à ‘l’entité requise’; qu’en vertu des dispositions de l’article 7 du même règlement, c’est à l’entité requise qu’il appartient de procéder à la signification de l’acte judiciaire ; qu’en l’espèce, il apparaît qu’à la date de l’audience de plaidoiries du 5 novembre 2015, les appelantes n’ont pas été en mesure de remettre à la cour la copie d’une assignation qui aurait été signifiée aux intimées en conformité avec ces dispositions du Règlement (CE) n° 1393/2007 ; qu’en matière de procédure à jour fixe, la cour d’appel est saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe, avant la date fixée pour l’audience sous peine de caducité de la déclaration constatée d’office.

La société ARTCLAIR, par conclusions transmises en réponse le 12 novembre 2015, demande à la cour de débouter les intimées de leur demande de caducité de la déclaration d’appel.

Elle fait valoir qu’il convient de prendre en compte, conformément aux dispositions de l’article 9 alinéa 2 du règlement (CE) No 1393/2007 du 13 novembre 2007 et de l’article 647-1 du code de procédure civile la date de l’acte de transmission ; qu’en l’espèce, par lettre du 22 octobre 2015, l’avocat postulant de l’appelante a procédé à la mise au rôle des actes de transmission des demandes de signification de l’assignation à jour fixe, concomitamment dénoncées à l’avocat postulant des intimées ; qu’elle a parfaitement respecté les dispositions de l’article 922 du code de procédure civile.

La société ARTCLAIR soulève enfin aux termes de ces conclusions l’irrégularité des écritures des intimées en application des dispositions des articles 960 et 961 du code de procédure civile, les sociétés ALLEMANDI n’indiquant, dans aucun de leurs actes, les organes qui les représentent et demande à la cour de déclarer en conséquence irrecevables lesdites écritures.

Le 13 novembre 2015 les sociétés intimées ont transmis des conclusions de régularisation quant aux organes les représentant et produisent contradictoirement à l’audience de renvoi du même jour la constitution de maître BAECHLIN, avocat au barreau de Paris, pour la société UMBERTO ALLEMANDI SPA et société UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd, prises en la personne de leurs représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège des sociétés.

******

La cour relève qu’aux termes de leurs écritures respectives du 12 et 13 novembre 2015, l’appelante et les intimées reprennent pour le surplus, dans leur intégralité et sans modification, leurs dernières conclusions transmises le 5 novembre précédent auxquelles il convient de se référer, étant précisé que les parties n’ont été autorisées à l’audience du 5 novembre 2015, afin de permettre aux intimées de motiver leur exception de recevabilité et d’assurer le respect du principe de la contradiction, qu’à transmettre pour l’audience de renvoi du 13 novembre 2015, leurs conclusions et pièces sur la seule question de la caducité alléguée de la déclaration d’appel.

SUR CE LA COUR

Sur la recevabilité des conclusions des sociétés intimées :

Considérant que la cour constate que les sociétés intimées ont régularisé pour l’audience de plaidoirie du 13 novembre 2015, des conclusions écrites du même jour, conformes aux dispositions des articles 960 et 961 du code de procédure civile ;

Qu’en conséquence de cette régularisation, il convient de déclarer recevables les conclusions transmises en appel par les sociétés intimées ;

Sur la caducité de la déclaration d’appel :

Considérant, sur les modalités d’assignation en justice d’un destinataire domicilié dans un Etat membre de de l’Union européenne, que s’applique à la présente espèce le règlement (CE) N° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale («signification ou notification des actes»), abrogeant le règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil, texte communautaire qui précise en son article 20 qu’il prévaut sur les conventions internationales, notamment la Convention de la Haye et sur la législation nationale ;

Considérant que l’article 9 dudit règlement intitulé « Date de la signification ou de la notification » dispose que :

‘1. Sans préjudice de l’article 8, la date de la signification ou de la notification d’un acte effectuée en application de l’article 7 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément à la législation de l’État membre requis.

2. Toutefois, lorsque, conformément à la législation d’un État membre, un acte doit être signifié ou notifié dans un délai déterminé, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par la législation de cet État membre.

3. Les paragraphes 1 et 2 s’appliquent également aux modes de transmission et de signification ou de notification d’actes judiciaires prévus à la section 2.’ ;

Considérant qu’il résulte du 2° de cet article applicable à l’espèce dès lors qu’il est constant que le magistrat délégataire du premier président de la cour d’appel de Paris a fixé un délai, par ordonnance du 22 septembre 2015, en autorisant la société ARTCLAIR à faire assigner à jour fixe à Turin la société de droit italien UMBERTO ALLEMANDI SPA et à Londres la société de droit anglais UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd en précisant que cet acte devra être délivré ‘avant le 30 octobre 2015 sous peine de caducité de l’ordonnance’, que les modalités de signification de l’assignation à heure déterminée devant la juridiction des référés de la cour d’appel de Paris sont régies par les dispositions combinées des articles 647-1 et 664-1 du code de procédure civile français ;

Considérant que l’article 664-1 du code de procédure civile francais prévoit que la date de la signification d’un acte d’huissier de justice, sous réserve de l’article 647-1, est celle du jour où elle est faite à personne, à domicile, à résidence ou, dans le cas mentionné à l’article 659 du même code, celle de l’établissement du procès-verbal ;

Que l’article 647-1, dans sa version applicable à l’espèce, précise que :

‘La date de notification, y compris lorsqu’elle doit être faite dans un délai déterminé, d’un acte judiciaire ou extrajudiciaire en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu’à l’étranger est, à l’égard de celui qui y procède, la date d’expédition de l’acte par l’huissier de justice ou le greffe ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent.’ ;

Qu’en l’espèce, il résulte de la lettre du conseil de l’appelante en date du 22 octobre 2015 produite à l’audience de renvoi du 13 novembre 2015 que l’huissier français, mandaté par la société ARTCLAIR a, le 21 octobre 2015, soit avant le délai fixé sous peine de caducité, transmis aux autorités compétentes britanniques, avec le formulaire européen, l’assignation à jour fixe et ses annexes à faire délivrer à la société UMBERTO ALLEMANDI & CO PUBLISHING LTD et aux autorités compétentes italiennes, avec le formulaire européen, l’assignation à jour fixe et ses annexes à faire délivrer à la société UMBERTO ALLEMANDI & C SPA ;

Que la cour constate que cette lettre du 22 octobre 2015 a régulièrement été transmise au greffe par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) avec en annexes les actes de transmission de la demande de signification du 21 octobre 2015 de l’assignation destinés aux deux intimées, en langue française et dans la langue des parties destinataires, avec copie de cette correspondance à leur conseil, la SCP Jeanne BAECHLIN ;

Qu’il résulte de ces constatations et énonciations que n’est pas caduque la déclaration d’appel de la société ARTCLAIR, étant relevé que les sociétés ALLEMANDI, qui n’ont pas formulé, dans leurs conclusions du 4 novembre 2015, les motifs de droit et de fait fondant leur demande de caducité et ce en violation des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile et du principe de la contradiction, ne sauraient utilement se prévaloir de la tardiveté de la production par l’appelante, à l’audience de renvoi, des pièces justifiant de la date de transmission au greffe de l’assignation à jour fixe, ces éléments figurant en tout état de cause sur le bureau virtuel de la cour et le renvoi de l’affaire ayant permis, au demeurant, aux intimées de formuler les motifs fondant leur demande ;

Que sera rejetée en conséquence la demande de caducité de la déclaration d’appel ;

Sur la compétence territoriale de la juridiction française :

Considérant qu’il est constant que la demande principale de la société de droit français ARTCLAIR dans la présente instance en référé est la prorogation du délai de préavis en raison d’une rupture brutale et fautive de la relation commerciale la liant depuis plus de vingt deux ans à la société de droit italien UMBERTO ALLEMANDI SPA et à la société de droit anglais UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd, résiliation contractuelle constitutive, selon la demanderesse, d’un trouble manifestement illicite ;

Que la seconde demande de la société ARTCLAIR tend au paiement provisionnel d’une indemnisation de la violation de la clause d’exclusivité territoriale prévue à l’article 13 du contrat du 26 novembre 2013 ;

Considérant que les sociétés de droit italien et de droit anglais intimées contestent la compétence territoriale de la juridiction française à connaître de l’instance en référé engagée par la société ARTCLAIR ;

Considérant qu’au préalable, la cour relève que le fait que par un arrêt du 7 avril 2015, la cour d’appel de Paris ait saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur la qualification, au sens des dispositions de l’article 5.3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000, identiques à celles de l’article 7-2 du Règlement (UE) 1215/2012 du Parlement européen du Conseil du 12 décembre 2012, de ‘l’action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies en cas de fournitures de marchandises pendant plusieurs années à un distributeur sans contrat cadre ni exclusivité’ ne justifie pas de surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir de la CJUE dès lors d’une part, que la demande principale de l’instance engagée par la société ARTCLAIR devant la juridiction des référés tend à l’adoption, en urgence, de mesures conservatoires de nature à faire cesser un trouble manifestement illicite causé par l’absence d’un délai de préavis suffisant avant la résiliation de la relation commerciale et d’autre part que la prétention accessoire tend à l’indemnisation provisionnelle de la violation alléguée d’une clause contractuelle et non à celle d’une rupture brutale et abusive de relation commerciale ;

Qu’en conséquence, il ne convient pas de surseoir à statuer ;

Considérant que le Règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ‘concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale’, applicable à l’espèce, s’il pose en son article 4 le principe général selon lequel les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre, prévoit des compétences spéciales en son article 7 qui dispose :

‘Qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :

– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ‘ ;

Considérant que la cour relève que ces dispositions spéciales s’appliquent à l’espèce dès lors qu’elles instaurent une option en matière de compétence territoriale pour le demandeur d’une action dirigée à l’encontre d’une personne domiciliées sur le territoire d’un État membre ;

Considérant que la société ARTCLAIR fonde l’instance en référé engagée à l’encontre des sociétés de droit anglais et de droit italien d’une part sur le trouble manifestement illicite résultant de la rupture brutale et abusive de leurs relations commerciales et d’autre part, sur les manquements des sociétés défenderesses à leurs obligations contractuelles découlant de la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat du 26 novembre 1993 ;

Considérant que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, engage, en vertu de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, la responsabilité délictuelle de son auteur ;

Que dès lors, la mesure conservatoire sollicitée devant la juridiction des référés par la demanderesse repose sur la responsabilité civile délictuelle des sociétés ALLEMANDI et tend à mettre fin, en application de l’article 873, alinéa 1, du code de procédure civile, au trouble manifestement illicite causé par la rupture brutale et abusive alléguée sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;

Considérant que le fait dommageable invoqué par la société ARTCLAIR qu’est la rupture brutale et abusive du contrat, est subi au siège, en l’occurrence au [Adresse 2] à [Localité 2], de ladite société qui allègue de la perte d’activité voire de sa cessation que risque d’entraîner cette résiliation en raison de l’état de dépendance économique dans laquelle elle se trouve envers les sociétés ALLEMANDI ;

Qu’il résulte de ces constatations, peu important dès lors la qualification des relations contractuelles liant les parties, qu’est territorialement compétente, en application de l’article 7-2 du règlement UE n° 1215/2012 12 décembre 2012, la juridiction parisienne saisie de la demande de mesure conservatoire ;

Considérant qu’en ce qui concerne la demande d’indemnisation provisionnelle formée en application de l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile devant la juridiction des référés, elle est fondée sur la violation par les sociétés défenderesses de la clause d’exclusivité territoriale prévue à l’article 13 du contrat liant les parties aux termes duquel ‘chaque journal assurera en exclusivité la prospection active de la publicité sur son territoire pour l’ensemble des journaux. Il y consacrera tous les moyens nécessaires et recevra en contrepartie une commission de 40% sur les montants encaissés à ce titre. Des tarifs de couplage seront établis de commun accord.’ ;

Considérant que, comme le relève l’arrêt rendu au fond le 29 janvier 2015 par la chambre commerciale de la cour d’appel de Paris, à l’encontre duquel les parties n’indiquent pas avoir formé un pourvoi en cassation, cette exclusivité territoriale de prospection publicitaire est répartie ‘dans les conditions suivantes : la société ARTCLAIR pour la France, la Belgique et la Suisse, les sociétés ALLEMANDI pour le reste du monde’ ; qu’au demeurant, ces dernières ont été condamnées, aux termes de cet arrêt, à payer à la société ARTCLAIR la somme de 50.000 euros au titre de la réparation du préjudice subi du fait de l’insertion par les sociétés ALLEMANDI dans le journal Le Monde d’une publicité et de ventes directes à des annonceurs français et de la perte par la société française des commissions correspondantes ;

Considérant que la société ARTCLAIR affirme à hauteur de référé, pour fonder sa demande de paiement à titre provisionel de la commission de 35% qui lui était contractuellement due que des ventes directes ont été réalisées par les sociétés ALLEMANDI auprès d’annonceurs relevant du territoire D’ARTCLAIR et la publication du supplément de Bâle et des ventes directes y afférant ;

Qu’est dès lors en cause la violation par les sociétés ALLEMANDI de la clause territoriale de la société française qui bénéficie à ce titre de la prospection exclusive et de la prise de commandes dans son territoire d’exclusivité d’annonces publiées dans la revue d’un autre pays ;

Qu’il s’en déduit que l’obligation d’exclusivité territoriale, qui sert de base à la demande de provision, est strictement délimitée et principalement rattachée à la France et que sont inopérants en conséquence les moyens des intimées tirés de la nature juridique de la convention liant les parties ou de l’existence d’une obligation de ne pas faire, applicable sans aucune limitation géographique et qui ne serait susceptible ni d’être localisée à un endroit précis ni d’être rattachée à une juridiction en raison de la multiplicité alléguée des lieux d’exécution de cette obligation ;

Qu’en conséquence la juridiction française est territorialement compétente en application de l’article 7 1) a) du règlement communautaire du 12 décembre 2012 pour connaître de la demande de sommes provisionnelles réclamées par ARTCLAIR au titre des commissions par elle non perçues ;

Qu’il se déduit de l’ensemble de ces constatations qu’il convient de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a retenu, tant en matière contractuelle que délictuelle, la compétence territoriale de la juridiction des référés du tribunal de commerce de Paris ;

Qu’en ce qui concerne la loi applicable, la cour retient que relève de la loi interne le présent litige dès lors d’une part, que le dommage résultant du trouble manifestement illicite invoqué sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, à savoir une perte du chiffre d’affaires et d’activités résultant de la brutalité de la rupture, est subi en France où se situe le siège social de la société ARTCLAIR et d’autre part, que la violation de l’obligation contractuelle qu’est la clause d’exclusivité territoriale, qui sert de base à la seconde demande de la société, est principalement rattachée au territoire français ;

Qu’il convient en conséquence, ajoutant à la décision de première instance, qui n’a pas statué sur la question en son dispositif, que la loi française est applicable au présent litige ;

Sur le trouble manifestement illicite :

Considérant qu’en application de l’article 873, alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Considérant que le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit  ;

Qu’il s’ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu’un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l’intervention du juge des référés ; que la constatation de l’imminence du dommage suffit à caractériser l’urgence afin d’en éviter les effets ;

Considérant que selon l’article 442-6 IV du code de commerce, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire ;

Considérant qu’en l’espèce, il n’appartient pas à la juridiction des référés d’apprécier le caractère fautif ou non des relations commerciales liant les parties qui impliquerait une appréciation des contentieux les ayant opposées et des griefs réciproques invoqués, éléments de fait et de preuve qui, en l’absence de l’évidence requise, relève du seul juge du fond ;

Considérant qu’en revanche, en ce qui concerne le caractère brutal de la résiliation, la cour relève que la convention liant les parties ne comporte pas de délai de préavis écrit et ce en violation de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, constituant une règle de fond ;

Considérant qu’en outre le délai de six mois consenti à compter de la lettre du 21 mai 2015 notifiée à la société ARTCLAIR avant la résiliation de la convention ‘en toutes ses dispositions’ et partant la cessation à la date du 21 novembre 2015 de l’exploitation du titre le Journal des Arts, est manifestement insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale non interrompue qui lie les parties depuis vingt-deux ans mais également en raison de l’état de dépendance économique de la société ARTCLAIR envers les sociétés ALLEMANDI dont justifie avec l’évidence requise en référé l’appelante dont le chiffre d’affaires réalisé au titre de la convention conclue en 1993 représente en moyenne 59% de son chiffre d’affaires et enfin de la situation économique difficile dans lequel se trouve le secteur de l’édition d’art ;

Que dès lors est caractérisé avec l’évidence requise en référé le trouble manifestement illicite au sens de l’article 809, alinéa 1, du code de procédure civile résultant du caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies, étant relevé que la demande de résiliation judiciaire de contrat formée par les sociétés ALLEMANDI à l’occasion d’un litige portant notamment sur les créances réciproques des parties, devant la cour d’appel de Paris par conclusions du 5 novembre 2014, demande rejetée comme irrecevable car nouvelle par l’arrêt du 29 janvier 2015, ne saurait caractériser la notification d’un préavis à la société cocontractante ;

Qu’au vu de ces circonstances de l’espèce, il convient de mettre un terme à ce trouble manifestement illicite et de prévenir le dommage imminent en résultant et de dire en conséquence que le préavis pour la société ARTCLAIR ne saurait être inférieur à vingt-quatre mois ;

Qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur ce chef de demande et, statuant à nouveau, d’ordonner la poursuite du contrat du 26 novembre 1993 aux conditions contractuellement prévues entre les parties, pendant une durée supplémentaire de dix-huit mois courant à compter du présent arrêt soit jusqu’au 20 mai 2017 et ce, sous astreinte dans les termes fixés au dispositif

Qu’il n’y a pas lieu en revanche de préciser que les sociétés ALLEMANDI sont tenues de ‘respecter la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat et donc de ne pas conclure de ventes directes avec des annonceurs relevant du territoire d’ARTCLAIR à savoir : la France, la Belgique et la Suisse et, par voie de conséquence, de leur enjoindre de rediriger les annonceurs relevant du territoire d’ARTCLAIR vers cette dernière de publier les ordres d’insertion qu’ARTCLAIR lui adressera pour le compte de ses clients’dès lors que ces prescriptions découlent de l’exécution de la convention dans les conditions contractuelles prévues ;

Considérant que la cour n’entend pas se réserver la liquidation de l’astreinte ;

Sur la somme provisionnelle :

Considérant qu’en application de l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1315 du code civil, c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ;

Considérant que la preuve est libre en matière commerciale ;

Qu’en l’espèce, la cour relève que l’appelante fait valoir que les sociétés ALLEMANDI n’ont pas respecté la clause d’exclusivité territoriale prévue à l’article 13 du contrat d’une part, en procédant à la vente directe de publicités à des annonceurs relevant de son territoire et d’autre part, en éditant un supplément spécial lors de la foire de Bâle du 18 au 21 juin 2015 ainsi que les ventes d’espace publicitaire en résultant et en ne lui reversant pas dès lors la commission de 35% qui lui était due à ce titre ;

Considérant toutefois qu’il ne résulte pas avec l’évidence requise en référé que sont établis les manquements contractuels invoqués par l’appelante ; que, l’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve soutenus par la société ARTCLAIR faisant l’objet de contestations sérieuses de la part des sociétés ALLEMANDI, relève dès lors du seul juge du fond ;

Qu’il convient en conséquence de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision ;

Considérant qu’il convient de débouter les parties du surplus de leurs demandes,

Considérant que l’équité commande de faire droit à la demande de la société ARTCLAIR présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; que les sociétés ALLEMANDI sont condamnées à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;

Considérant que, parties perdantes , les sociétés ALLEMANDI ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les dépens ;

PAR CES MOTIFS

Déclare recevables les conclusions transmises en appel par les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd,

Déboute les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd de leur demande de caducité de la déclaration d’appel de la société ARTCLAIR EDITIONS ,

Dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer,

Confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré le président du tribunal de commerce de Paris compétent et dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision et l’infirme en ses autres dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Ordonne aux sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd, ALLEMANDI SPA et ALLEMANDI Ltd, sous astreinte du paiement d’une somme de cinq cents euros par jour de retard à compter du prononcé de la présente décision, de poursuivre leur relation commerciale avec la société ARTCLAIR EDITIONS résultant du contrat conclu le 26 novembre 1993 aux conditions contractuellement prévues entre les parties pendant une période supplémentaire de préavis de dix-huit mois commençant à courir à compter de la présente décision, soit jusqu’au 20 mai 2017,

Dit n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens en première instance,

Et y ajoutant,

Déclare la loi française applicable au litige,

Déboute la SAS ARTCLAIR EDITIONS et les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd du surplus de leurs demandes,

Rejette la demande présentée par les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd à payer à la SAS ARTCLAIR EDITIONS la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum les sociétés UMBERTO ALLEMANDI SPA et UMBERTO ALLEMANDI & Co Publishing Ltd aux entiers dépens.

Le Greffier, Le Président,

 


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