Exclusivité : 25 novembre 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 16/19724

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Exclusivité : 25 novembre 2020 Cour d’appel de Paris RG n° 16/19724
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25 novembre 2020
Cour d’appel de Paris
RG n°
16/19724

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 25 NOVEMBRE 2020

(n° 2020/ , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/19724 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BZWHM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2016 -tribunal de commerce de PARIS – RG n° 2015075100

APPELANTES

SARL MAUREFILMS, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 5] (ILE DE LA REUNION)

N° SIRET : 420 996 704

SARL MASCAREIGNES KINO, prise en la personne de son représentan légal

[Adresse 1]

[Localité 5] (ILE DE LA REUNION)

N° SIRET : 435 063 797

SARL LORY, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 5] (ILE DE LA REUNION)

N° SIRET : 423 198 035

Représentées par Me Cyril TRAGIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0524

Représentées par Me Lucas DOMENACH, avocat au barreau de PARIS, toque : C1757

Représentées par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0524

INTIMÉE

SAS INVESTISSEMENT ET COMMERCE CINEMA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 407 753 623

Représentée par Me Sophie VICHATZKY de l’ASSOCIATION TREHET VICHATZKY, avocat au barreau de PARIS, toque : J119

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Octobre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambreM. Dominique GILLES, Conseiller

Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Sophie DEPELLEY dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Méghann BENEBIG

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Mathilde BOUDRENGHIEN, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Le groupe Etheve intervient sur l’île de la Réunion dans la distribution et la projection d’oeuvres cinématographiques à travers ses trois sociétés filiales, la société Maurefilms qui agit en qualité de distributeur de droits cinématographiques, et les sociétés Mascareignes Kino et Lory qui exercent une activité d’exploitation d’établissements de projection d’oeuvres cinématographiques, situés respectivement pour la première à [Localité 5] et [Localité 6] pour la seconde à [Localité 7].

La société Investissement et Commerce Cinema SAS (ci-après ‘la société ICC’), exerce également sur l’île de la Réunion une activité de distribution d’oeuvres cinématographiques et d’exploitation d’un réseau de salles de cinéma à [Localité 9], [Localité 8] et [Localité 7] de la Réunion.

Le groupe Ethève et la société ICC exercent les deux activités principales de distribution et d’exploitation d’oeuvres cinématographiques sur l’île de la Réunion.

Les sociétés Maurefilms et ICC dans le cadre de leur activité de distribution, acquièrent des droits exclusifs de représentation, limités territorialement et temporellement, sur des oeuvres cinématographiques auprès de sociétés de distribution nationales ou étrangères et procèdent à la distribution à titre exclusif desdites oeuvres sur l’île de la Réunion, moyennant un pourcentage sur les recettes des salles. Afin d’assurer la meilleure exploitation du film, les distributeurs proposent leur catalogue à l’ensemble des exploitants de l’île, avec lesquels ils concluent des contrats de concession de droits de représentation cinématographique ou ‘contrat de location’.

La société Maurefilms en sa qualité de distributeur est en relation commerciale avec la société ICC en qualité d’exploitant de salles. La société ICC en qualité de distributeur est en relation commerciale avec les sociétés Mascareignes Kino et Lory, toutes deux exploitantes de salles de cinéma sur l’île de la Réunion.

Les sociétés Maurefilms et ICC se font depuis plusieurs années des griefs réciproques relatifs à des manquements contractuels, des agissement anti-concurrentiels, et des refus de promotion ou de réservation d’oeuvres cinématographiques. Ces litiges ont à plusieurs reprises conduit à la saisine du médiateur du cinéma en application des dispositions des articles L.213-1 et suivants du code du cinéma et de l’image animée.

Un litige oppose notamment les sociétés Maurefilms et ICC quant à la promotion publicitaire accompagnant la distribution des oeuvres cinématographiques. Le médiateur du cinéma a été saisi en 2015 du litige opposant les deux sociétés.

C’est dans ce contexte que par acte du 24 décembre 2015, les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory ont assigné la société ICC devant le tribunal de commerce de Paris, en vue d’obtenir sa condamnation au paiement d’une somme totale de 208 986, 19 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.

La société ICC formait également une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 200 000 euros au titre de dommages-intérêts pour pratique commerciale discriminatoire.

Par jugement du 12 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

– dit que le caractère établi de la relation commerciale n’est pas caractérisé au sens de l’article L.442-6, I 5° du code de commerce et débouté la société Maurefilms, la société Mascareignes Kino et la société Lory de toutes leurs demandes,

– débouté la société ICC de ses demandes au titre du préjudice pour pratique commerciale discriminatoire,

– débouté toutes les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes plus amples ou contraires au présent jugement et en a débouté respectivement les parties,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– condamné les demanderesses à la moitié des dépens et le défendeur à la moitié des dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 126,91 euros dont 20,93 euros de TVA

Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 3 octobre 2016, les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory ont relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 19 juin 2019 de la Cour, un médiateur a été désigné et l’affaire a été renvoyée à la mise en état.

La fin de la médiation a été ordonnée par décision du 14 janvier 2020 et une ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2020.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 janvier 2020 par la voie électronique, par la société Maurefilms en la présence des sociétés Mascareignes Kino et Lory, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa notamment des articles L.442-6 et suivants du code de commerce, de :

– dire et juger la société Maurefilms recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

En conséquence, réformer le jugement entrepris, puis, statuant à nouveau’:

In limine litis ,

– déclarer irrecevables les conclusions n°3 après médiation et les pièces suivante s communiquées par la société ICC postérieurement à l’audience de clôture du 28 mai 2019 :

Pièce 30 : Jugement du Tribunal de commerce de paris du 10 septembre 2018.

Pièce 31 : Jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 septembre 2017.

Pièce 32 : Historique des refus d’accès au catalogue de Maurefilms de juillet 2015 à janvier 2016.

Pièce 33 : Livre blanc des distributeurs indépendants réunis européens p.13.

– déclarer irrecevables les pièces suivantes communiquées par la société ICC :

Pièce 1 : Relevés des conclusions du Médiateur du cinéma pages 2 et 3.

Pièce 17 : Mail du 4 août 2015 à la Médiatrice du cinéma.

Pièce 18 : Mail de la médiatrice du cinéma du 2 juillet 2015.

Pièce 19 : Mail de la secrétaire de la Médiatrice du 15 octobre 2015.

Pièce 20 : Mail du 14 décembre 2015 de ICC à la Médiatrice et Mail du 14 décembre 2015 du secrétariat de la Médiatrice.

Pièce 22=1 Lettre de la Médiatrice du 2 février 2016 et procès-verbal de conciliation.

Pièce 29 bis : Procès-verbal de réunion de conciliation du 28 juillet 2016.

Outre l’ensemble des faits et arguments développés dans les conclusions produites par ICC faisant état d’une médiation, sa saisine, la réunion ou le procès verbal.

En tout état de cause

– débouter la société ICC de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

En conséquence,

– dire et juger que la société ICC, par son refus injustifié d’exploiter des films distribués par la société Maurefilms et son déréférencement fautif a rompu de manière brutale et abusive ses relations commerciales établies ;

En conséquence,

– condamner la société ICC à payer à la société Maurefilms la somme totale de 158 986,19 euros TTC à titre de perte de chance de percevoir des recettes de distribution ;

– condamner la société ICC à payer à la société Maurefilms la somme forfaitaire de 50 000 euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice indirect de la rupture ;

– condamner la société ICC à payer à la société Maurefilms la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 23 janvier 2020, par la société ICC, par lesquelles il est demandé à la Cour, au visa des articles 56 du code de procédure civile, L.213-1 du code du cinéma, L.442-6, I, 5° du code de commerce, et 1147 ancien du code civil, de :

Au principal, statuant sur l’irrecevabilité omise par le premier juge,

– rejeter la demande des sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory, de déclarer irrecevables les pièces n° 1, 17, 18, 19, 20, 22 et 25 bis produites par la société ICC,

– constater que la procédure de conciliation initiée par la société ICC devant la médiatrice du cinéma a abouti à un accord de conciliation, et que cet accord a été confirmé et mis en application dès le 29 janvier 2016 par les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory (Cf. Pièce n° 23),

– constater que depuis le 29 janvier 2016, la société Maurefilms loue de manière régulière des films de son catalogue à la société ICC (Cf. Pièces 23, 24 et 25),

– constater dès lors que la présente action est devenue sans intérêt,

– dire les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory irrecevables en leur action pour défaut d’intérêt à agir eu égard à la conciliation devant la médiatrice du cinéma,

Subsidiairement,

– confirmer le jugement du 12 septembre 2016, en ce qu’il a

– dit que le caractère établi des relations entre la société ICC et les Sociétés appelantes n’est pas caractérisé.

– débouté les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory de toutes leurs demandes.

Plus subsidiairement, pour le cas où la Cour infirmerait le jugement frappé d’appel en ce qu’il a dit que le caractère établi des relations entre la société ICC et les sociétés appelantes n’est pas caractérisé,

– dire que la société ICC avait de justes motifs de contester les agissements de la société Maurefilms devant la médiatrice du Cinéma, et de surseoir à la location de films de la société Maurefilms dans l’attente du règlement du litige,

– constater que par ailleurs il est établi que Maurefilms refusait de manière fautive de louer des films de son catalogue à ICC sous de fallacieux prétextes (Cf. Pièces n° 18 et 32)’;

– dire et juger qu’aucune faute ne peut être reprochée à la SAS ICC dans ses relations avec les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory.

– constater que la société ICC n’a jamais manifesté la volonté de rompre ses relations avec la société Maurefilms,

– constater que la société ICC et la société Maurefilms sont toujours en relation à ce jour (Cf. Pièces 23, 24 et 25)’;

– débouter les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory de toutes leurs demandes.

Recevant la SAS ICC en son appel incident,

– juger que les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory ont engagé leur responsabilité à l’égard de la société ICC en pratiquant une promotion discriminatoire des films de leur catalogue et en refusant de livrer les films à la société ICC sous des prétextes infondés et abusifs pendant la période de juillet 2015 à janvier 2016 (Cf. Pièces n° 18 et 32),

– condamner en conséquence la société Maurefilms à payer à la société ICC la somme de 200 000,00 € (deux cents mille euros) à laquelle il convient d’évaluer le préjudice qui lui a été causé.

En tout état de cause,

– condamner in solidum les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory à payer à la société ICC la somme de 10 000,00 € au titre des frais irrépétibles.

– condamner les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory aux dépens de première instance et d’appel.

****

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande de la société Maurefilms de déclarer irrecevable des pièces produites par la société ICC

En premier lieu, la société Maurefilms demande à déclarer irrecevables les conclusions n°3 après médiation et les pièces n°30,31 et 32 communiquées par la société ICC postérieurement à l’audience de clôture du 28 mai 2019.

Une nouvelle ordonnance de clôture ayant été rendue le 28 janvier 2020 à la suite de l’ordonnance de fin de médiation rendue le 14 janvier 2020, la société Maurefilms est mal-fondée en sa demande.

En second lieu, la société Maurefilms sollicite l’irrecevabilité des pièces 1, 17,18,19, 20, 22=1 et 29bis, ainsi que des faits et arguments développés dans les conclusions de la société ICC, en ce qu’ils font référence à une procédure de conciliation confidentielle, en application des articles L.231-1 et suivants du code du cinéma et de l’image animée.

La pièce 1 est un procès-verbal de conciliation établi le 7 octobre 2008 en application de l’article 6 du décret n°83-86 du 9 février 1983 signé par le médiateur, la société Maurefilms et la société ICC et constatant un accord, opposable entre les parties et dès lors pouvant être produit aux débats.

Les pièces 17 à 20 sont des échanges de messages électroniques entre la société ICC et le service du médiateur de cinéma qui ne concernent pas directement une procédure de conciliation.

En revanche les pièces 22 et 29 bis concernant une lettre de la médiatrice du 2 février 2016 et deux-procès verbaux de réunion de conciliation des 2 février et 28 juillet 2016, sont des documents confidentiels relatifs à une procédure de conciliation devant le médiateur du cinéma qui n’ont pas été signés par les parties et n’ont pas fait l’objet d’une publication en application des articles L.213-3, L.213-4 et R213-6 à R213-11 du code du cinéma et de l’image animée, et doivent dès lors être écartées des débats.

Sur l’irrecevabilité de l’action des sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory

La société ICC soutient qu’en raison de la conciliation intervenue entre les parties devant le médiateur du cinéma, tel que cela ressort de la lettre du médiateur du cinéma du 2 février 2016, du procès-verbal de conciliation joint, du courriel de la société Maurefilms du 29 janvier 2016 et de la recommandation du médiateur du 20 mai 2016 et du procès-verbal joint, l’action initiée par la société Maurefilms est sans objet et que par conséquent celle-ci doit être déclarée irrecevable à agir par défaut d’intérêt.

La société Maurefilms reconnaît que les relations commerciales ont repris après la médiation de janvier 2016 (conclusions page 11) , mais soutient que le préjudice subi en 2015 sur une période de 6 mois n’a pas été réparé et constitue l’objet de la présente instance.

Les pièces invoquées à l’appui de la fin de non-recevoir ont été écartées des débats, et la société ICC ne justifie d’aucun accord formalisé par un procès-verbal de conciliation signé par les parties. La fin de non-recevoir opposée par la société ICC sera rejetée.

Sur les demandes de la société Maurefilms en réparation du préjudice subi pour rupture brutale des relations commerciales établies

Les sociétés s’opposent sur le caractère établie de la relation commerciale, l’existence de la rupture, son caractère brutal et les préjudices.

* sur le caractère établie des relations commerciales

Le tribunal de commerce ayant retenu que depuis 2010 les parties se font régulièrement et réciproquement des griefs relatifs à des agissements anti-concurrentiels, des refus de promotion ou de réservation de films, que ces litiges ont conduit à la saisine à plusieurs reprises du médiateur du cinéma, en a déduit que la relation commerciale entre ces deux sociétés ne revêtait pas un caractère établie au sens de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

A l’appui de son appel, la société Maurefilms soutient qu’avec les sociétés Mascareignes Kino et Lory, elles ont développé des relations commerciales régulières, stables, et suivies avec la société ICC depuis 1999. Elle explique néanmoins que si les sociétés Maurefilms, sociétés Mascareignes Kino, Lory et ICC sont des partenaires commerciaux, suivant qu’elles agissent selon la qualité d’exploitant ou de distributeur, elles sont également concurrentes au titre de ces deux activités. Elle prétend également qu’en raison de l’obligation de diffusion maximale des oeuvres cinématographiques, et de l’exclusivité territoriale qui s’attache aux droits de diffusion octroyés par les distributeurs de films nationaux et étrangers, à l’un ou l’autre des sous-distributeurs de l’île de la Réunion, les parties sont nécessairement en relation commerciale. Elle en déduit un principe selon lequel chaque titulaire de droits de diffusion sur l’île de la Réunion est tenu de proposer les films dont il dispose des droits à l’ensemble des exploitants de salles de cinéma de l’île. De ce fait, selon la société Maurefilms, la simple existence d’une mésentente entre les partenaires commerciaux, également concurrents, ne sauraient en aucune façon la priver du bénéfice des dispositions de l’article L.442-6 du code de commerce.

La société ICC sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a écarté l’existence d’une relation commerciale établie entre les parties.

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions de l’article L.442-6, I 5° dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s’entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial.

En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats et des explications des parties, que compte tenu de la spécificité de la distribution et de l’exploitation des oeuvres cinématographiques sur l’île de la Réunion, les parties sont depuis de nombreuses années en relation commerciale constante pour la location des oeuvres cinématographiques de leur catalogue respectif. Quand bien même cette relation commerciale est régulièrement émaillée de litiges à l’occasion de la négociation de chaque contrat de location de film et régulièrement portés devant le médiateur du cinéma, la particularité pour la société ICC et les sociétés du groupe Etheve d’exercer les activités principales de distribution et d’exploitation d’oeuvres cinématographiques sur l’île de la Réunion implique, pour la plus large diffusion des oeuvres, une continuité du flux d’affaires que chacune des parties peut raisonnablement attendre.

Dès lors, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, il existe des relations commerciales établies entre les parties au sens des dispositions de l’article L.442-6, I, 5° précité.

* sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Maurefilms prétend qu’à compter du 25 juin 2015, la société ICC n’a confirmé aucune de ses réservations pour l’ensemble des films distribués par la société Maurefilms, caractérisant ainsi une rupture brutale des relations commerciales établies. Elle soutient que la société ICC a tenté d’imposer sans aucun motif valable à son partenaire la prise en charge exclusive de ses frais promotionnels par la menace du déréférencement et par la cessation complète avérée de réservations sur une longue période de films du catalogue de la société Maurefilms. Elle estime que c’est à tort que la société ICC invoque un usage en ce sens, dès lors que cet usage n’est pas démontré, les seuls documents versés aux débats ne concernant que les pratiques en vigueur en métropole, et qu’aucune règle légale ou contractuelle n’impose à la société Maurefilms, en qualité de distributeur, d’assurer la promotion des salles exploitant les films distribués. Elle ajoute avoir toujours proposé à la location l’ensemble des films pour lesquels elle détenait des droits, conformément à ses engagements envers les distributeurs métropolitain (les Majors), de sorte que la société ICC ne saurait valablement soutenir que la société Maurefilms aurait refusé de lui livrer des films, alors même que cette dernière a refusé systématiquement de lui confirmer les réservations de films à compter de juin 2015.

La société Maurefilms explique que face à son opposition à se soumettre à ces conditions commerciales abusives, la société ICC a refusé de réserver plus de 20 films de son catalogue à compter de juin 2015, et qu’elle a subi un préjudice du fait de cette rupture brutale et abusive, ce dont elle demande réparation à hauteur de la somme de 158 986,19 euros TTC à titre de perte de chance de percevoir des recettes de distribution et de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice indirect de la rupture.

La société ICC affirme n’avoir jamais manifesté une quelconque intention de rompre les relations commerciales avec la société Maurefilms. Elle indique a contrario que la société Maurefilms a tardé à transmettre les informations sur les conditions d’exploitation sollicitées par la société ICC avant la réservation de films, de sorte qu’elle opposait à la société ICC la tardiveté de la réservation afin de refuser abusivement et de manière injustifiée la signature d’un contrat de location. En tout état de cause, elle soutient que les nombreux manquements contractuels imputables à la société Maurefilms étaient de nature à justifier amplement une rupture même sans préavis de la relation commerciales entre les parties. Elle explique que la société appelante a manqué à ses obligations contractuelles en procédant à une promotion discriminatoire de ses films au détriment de la société ICC. Elle souligne enfin que la relation commerciale a repris suite à la procédure de conciliation menée par le médiateur du cinéma en janvier 2016, ce qui est de nature à exclure une rupture brutale des relations commerciales.

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Il est rappelé que ce texte vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou l’insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné. Le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture est constitué du gain manqué pendant la période d’insuffisance du préavis et s’évalue en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

Or la société Maurefilms qui ne fait valoir aucun délai de préavis à l’appui de ses demandes ne caractérise pas la brutalité de la rupture alléguée. Elle se borne à réclamer sur le fondement de l’article L.442-6, la somme de 158 986,19 euros représentant 80% du chiffre d’affaires qui aurait pu être réalisé sur les 20 films non réservés et la réparation d’un préjudice indirect de la rupture suivant la somme forfaitaire de 50 000 euros, soit la réparation de préjudices non pas liés à la brutalité de la rupture, mais à la rupture elle-même.

En conséquence, la société Maurefilms doit être déboutée de toutes ses demandes. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory de toutes leurs demandes.

Sur la demande en paiement de la somme de 200 000 euros de la société ICC

La société ICC reproche à la société Maurefilm des agissements fautifs et de l’avoir privée de son catalogue pendant plus de six mois sous un prétexte fallacieux de rupture des relations commerciales. Elle estime qu’en procédant de la sorte, la société Maurefilms s’est arrogée l’exploitation exclusive des oeuvres cinématographiques en cause sur cette période à son détriment. Elle sollicite par conséquent la réparation du préjudice de la perte de chance d’exploitation des films du catalogue de la société Maurefilms. Elle évalue son préjudice en considération de la base de calcul adoptée par la société Maurefilms, de laquelle elle déduit qu’en qualité d’exploitant la société ICC aurait du percevoir 55% des recettes, soit sur la période concernée la somme de 200 000 euros.

La société Maurefilms réplique que la société ICC, qui n’invoque aucun fondement juridique, échoue à démontrer un quelconque agissement anticoncurrentiel à l’ensemble des sociétés du groupe Etheve, de même qu’aucun préjudice n’est établi ni dans son principe ni dans son quantum.

Les éléments de négociation pour l’ensemble des films sur la période litigieuse ne sont pas produits et les agissements fautifs allégués à l’égard de la société Maurefilms, ne sont pas démontrés par la société ICC. Celle-ci sera déboutée de sa demande en réparation d’un préjudice, qui par ailleurs n’est étayé par aucun élément de preuve. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile en appel

La société Maurefilms, qui succombe à titre principal en ses prétentions, sera condamnée aux dépens d’appel.

En application de l’article 700 du code de procédure civile à l’instance d’appel, la société Maurefilms sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société ICC la somme de 7 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

ÉCARTE des débats les seules pièces n° 22 et 29 bis communiquées par la société Maurefilms,

REJETTE la fin de non-recevoir de l’action des sociétés Maurefilms, Mascareignes Kino et Lory opposée par la société ICC,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a dit que le caractère établi de la relation commerciale n’est pas caractérisé au sens de l’article L.442-6, I 5° du code de commerce,

CONDAMNE la société Maurefilms aux dépens d’appel,

CONDAMNE la société Maurefilms à payer à la société ICC la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en appel,

REJETTE toute autre demande,

La Greffière, La Présidente,

Mathilde BOUDRENGHIEN Marie-Laure DALLERY

 


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