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26 janvier 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
20-14.000
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 janvier 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 71 FS-B
Pourvoi n° F 20-14.000
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 JANVIER 2022
La société ADLP Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° F 20-14.000 contre l’arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l’opposant :
1°/ au président de l’Autorité de la concurrence, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au ministre chargé de l’économie, domicilié direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de la société ADLP Holding, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat du président de l’Autorité de la concurrence, et l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l’audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, Mme Beaudonnet, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 20 février 2020), l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) a, par décision n° 16-D-15 du 6 juillet 2016 relative à des pratiques mises en uvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en Outre-mer, infligé, sur le fondement de l’article L. 420-2-1 du code de commerce, une sanction pécuniaire à la société General Import, en tant qu’auteur, solidairement avec la société ADLP Holding (la société ADLP), en sa qualité de société mère. Cette décision procédait d’une transaction intervenue dans le dossier enregistré sous le numéro 15/0107F, acceptée par ces sociétés à la suite de la notification d’un grief relatif à la mise en uvre de droits exclusifs d’importation pour la distribution des produits de la société Henkel France sur le territoire de [Localité 7].
2. Le 7 février 2018, les sociétés General Import et ADLP se sont vu notifier par le rapporteur général de l’Autorité, dans le cadre d’une saisine ouverte sur la plainte de la société Sodiwal, sous le numéro 15/0032F, à laquelle avait été jointe, puis disjointe, une saisine enregistrée sous le numéro 15/0029F, un grief, leur reprochant d’avoir bénéficié, entre le 6 août 2013 et le 11 juillet 2015, en violation de l’article L. 420-2-1 du code de commerce, de droits exclusifs sur le territoire de [Localité 7] pour l’importation de différents produits. Par décision n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de [Localité 7], l’Autorité a retenu que le grief était établi et a infligé aux sociétés General Import et ADLP une sanction pécuniaire et a prononcé une injonction.
3. Saisie d’un recours formé par la société ADLP contre cette seconde décision, la cour d’appel de Paris a réformé le montant de la sanction pécuniaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, et le troisième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches
Enoncé du moyen
5. La société ADLP fait grief à l’arrêt de rejeter le moyen pris de la violation de son droit à un procès équitable, de rejeter les moyens de réformation de l’article 1er de la décision de l’Autorité n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en uvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de [Localité 7], et de lui infliger, au titre de l’infraction visée à l’article 1er de la décision de l’Autorité de la concurrence, une sanction pécuniaire de 200 000 euros, cette réformation partielle profitant à la société General Import en raison de l’indivisibilité du litige, et de lui enjoindre, ainsi qu’à la société General Import, d’informer par un courrier, (…), chacun des fournisseurs concernés par les exclusivités prohibées, soit SunRice, Heinz, Campbell Arnott’s, Chelsea et Anchor, ainsi que les bureaux d’achats Demexport, Geoffrey Hughes Export & Fresha Export et le centre de distribution en gros Rabot SAS, qu’elles ont fait l’objet d’une condamnation de la part de l’Autorité en raison de l’exclusivité de distribution, contraire aux règles de concurrence, dont General Import a bénéficié, et qu’aucun refus de fourniture de ces produits ne peut être opposé sur le fondement de l’existence d’une telle exclusivité, alors :
« 1°/ que les exigences du droit au procès équitable et à la loyauté de la procédure imposent à l’Autorité d’informer de manière claire et complète, au cours de l’instruction, l’entreprise poursuivie sur la nature et l’étendue des poursuites dirigées contre elle ; qu’en l’espèce, la société ADLP faisait valoir que la notification des griefs qui lui avait été adressée le 12 février 2016, ainsi que la décision 16-D-15 de l’Autorité ne faisait aucune référence à la disjonction des procédures n° 15/0032F (ouverte sur plainte de la société Sodiwal) et 15/0029F (relative aux pratiques autres que celles mises en oeuvre par les sociétés Bolton Solitaire, Danone, Johnson & Johnson Santé et Beauté France ainsi que Pernod-Ricard) ni à la poursuite parallèle possible des poursuites dans le cadre de ces deux affaires ; que pour rejeter ce moyen d’annulation de la décision n° 18-D-21 de l’Autorité l’ayant condamnée dans la procédure n° 15/0032F solidairement avec sa filiale la société General Import au paiement d’une sanction pécuniaire de 250 000 euros, au titre de poursuites relatives à d’autres produits, la cour d’appel a retenu que dans la décision contestée, l’Autorité s’était exclusivement fondée sur des éléments postérieurs à la décision n° 16-D-15, et que la transaction signée dans le cadre de la procédure n° 15/0107F portait uniquement sur des pratiques relatives à la distribution des produits de la société Henkel France dans les collectivités d’Outre-mer, les pièces versées aux débats ne permettant pas d’établir que l’objet de la transaction avait un champ plus large que celui correspondant aux produits de cette société ; que la cour d’appel a également relevé que la décision n° 16-D-15 de l’Autorité mentionnait “les décisions de disjonction qui ont été prises, que le champ de la transaction était circonscrit aux produits Henkel, tandis que l’Autorité poursuivait l’instruction des procédures enregistrées sous les n° 10/0005F et 14/0078F, relatives à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l’ensemble des collectivités d’Outre-mer” ; qu’enfin, la cour d’appel a retenu que l’Autorité n’avait pas l’obligation d’informer l’entreprise poursuivie de toutes les enquêtes en cours portant sur d’autres faits, fussent-ils de même nature que ceux objet de la notification des griefs, et qu’au surplus, au jour de la signature du procès-verbal de transaction du 15 avril 2016, l’Autorité n’avait pas commencé l’instruction des faits objet des poursuites ayant donné lieu à l’arrêt attaqué ; qu’en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la circonstance que ni la notification des griefs notifiée le 12 février 2016, ni la décision n° 16-D-15 de l’Autorité, relatives à la procédure n° 15/0107F, ne faisaient référence à la disjonction des procédures n° 15/0032F et 15/0029F, ni n’indiquaient que des poursuites pouvaient encore être engagées au titre de ces deux affaires, n’était pas de nature à induire la société ADLP en erreur sur l’étendue d’une transaction dont elle avait pu légitimement croire qu’elle emportait, à titre de concessions réciproques, abandon de toutes les autres procédures ouvertes pour les mêmes faits, et si l’Autorité n’avait pas manqué a minima à son obligation de loyauté en s’abstenant de l’informer de la portée de cet accord, mais aussi en instruisant les poursuites dans l’affaire n° 15/0032F sur la base de documents ayant possiblement été recueillis dans le cadre de la procédure n° 15/0107F, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-2-1 et R. 463-3 du code de commerce, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;
2°/ que la décision de l’Autorité n° 16-D-15 du 6 juillet 2016, relative à des pratiques mise en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en Outre-Mer, se borne à rappeler dans ses visas la décision de la rapporteure générale adjointe du 31 mars 2015 procédant à une disjonction de l’instruction du volet des saisines 10/0005F et 14/0078F concernant les pratiques autres que celles mises en oeuvre par les sociétés Bolton Solitaire SA, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France et Pernod-Ricard et à l’ouverture d’un dossier distinct pour cette affaire sous le numéro 15/0029F, et la décision de la rapporteure générale du 23 novembre 2015, par laquelle il a été procédé à la disjonction de l’instruction du dossier 15/0029F pour la partie relative aux pratiques concernant la société Henkel France et a procédé à l’ouverture d’un nouveau dossier enregistré sous le n° 15/0107F ; qu’en énonçant qu’ “il ressort du rappel de la procédure exposé dans la décision n° 16-D-15, qui mentionne les décisions de disjonction qui ont été prises, que le champ de la transaction était circonscrit aux produits Henkel, tandis que l’Autorité poursuivait l’instruction des procédures enregistrées sous les n° 10/0005F et 14/0078F, relatives à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation dans l’ensemble des collectivités d’Outre-mer”, alors que la décision n° 16-D-15, au contraire, ne mentionne pas la disjonction des dossiers 15/0032F et 15/0029F et de la poursuite parallèle de l’instruction de ces deux affaires, la cour d’appel a dénaturé la décision n° 16-D-15 de l’Autorité, en violation de l’article 4 du code de procédure civile, ensemble le principe selon lequel les juges ne doivent pas dénaturer les documents de la cause ;
3°/ que la société ADLP faisait valoir qu’un certain nombre de documents issu du dossier n° 15/0107F, ayant abouti à la transaction du 14 avril 2016, étaient issus des autres procédures instruites par l’Autorité de la concurrence, et en particulier de la procédure n° 15/0032F ouverte à la suite de la plainte de la société Sodiwal ; qu’elle versait aux débats une lettre de la rapporteure de l’Autorité du 22 septembre 2015, constituant les cotes 393 à 396 du dossier n° 15/0107F, mentionnant en objet les saisines n°s 15/0029F et 15/0032F, portant sur une demande de renseignements adressée au conseil de la société Henkel France ; que ce document était la preuve même qu’en septembre 2015, l’instruction de l’affaire portant le n° 15/0032F avait déjà été ouverte ; qu’en jugeant qu’au 15 avril 2016, date de la signature du procès-verbal de transaction dans l’affaire n° 15/0107F, l’Autorité n’avait “pas commencé à instruire les faits dénoncés par la société Sodiwal et n’était donc, en tout état de cause, pas en mesure d’informer, à supposer qu’elle en ait eu l’obligation, la société ADLP que d’autres poursuites allaient être engagées ou seraient susceptibles d’être engagées contre elle pour des faits similaires”, la cour d’appel a méconnu l’objet du litige, en violation de des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
5°/ que les juges du fond doivent examiner, fût-ce sommairement, les éléments de preuve invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en s’abstenant d’examiner la lettre de la rapporteure de l’Autorité du 22 septembre 2015, constituant les cotes 393 à 396 du dossier n° 15/0107F, mentionnant en objet les saisines n° 15/0029F et 15/0032F, dont la société ACDP déduisait, d’une part, l’imbrication des procédures en cause révélée par leur attribution à un même rapporteur ayant procédé à une demande de renseignement susceptible d’intéresser indifféremment toutes les procédures, d’autre part, la preuve que des éléments intéressants la procédure s’étant soldée par une transaction avaient pu tout aussi bien avoir été versés à la procédure n° 15/0032F, en violation de la règle non bis in idem, et enfin, et en tout état de cause, l’absence d’information claire dont elle avait été privée sur l’étendue des poursuites dirigées contre elle, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ; qu’il en est d’autant plus ainsi que la signature de la transaction impliquait de l’entreprise signataire qu’elle ne conteste “ni la réalité de l’ensemble des pratiques en cause, ni la qualification juridique qu’en donnent les services d’instruction au regard des dispositions pertinentes du code de commerce et du TFUE, ni leur imputabilité”, de sorte qu’eu égard à sa portée, les sociétés ADPL Holding et Général Import n’auraient jamais accepté de signer une telle transaction si elles avaient été informées que les poursuites perduraient dans un autre volet de l’affaire précédemment disjoint, et portant sur des pratiques similaires. »