Ordre des licenciements : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/00774

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Ordre des licenciements : 25 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/00774
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25 mai 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
20/00774

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°218/2023

N° RG 20/00774 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QOGS

SARL SANITAL

C/

M. [H] [O]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 09 Janvier 2023

En présence de Madame [V] [Y], médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 25 Mai 2023 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 16 Mars 2023, au 30 Mars 2023 puis au 13 Avril 2023

****

APPELANTE :

SARL SANITAL Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-Armel NICOL de la SELARL DEBREU MILON NICOL PAPION, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC substitué par Me PAPION, avocat au barreau de Saint Brieuc

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [H] [O]

né le 14 Mai 1972 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Maxime MACE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Sanital dont le siège social est implanté à [Localité 4] (22), est spécialisée dans la fabrication de savons, détergents et produits d’entretien. Elle emploie un effectif de moins de 10 salariés (7) et applique la convention nationale collective de la chimie.

Mme [H] [O] a été engagée le 16 novembre 2009 en qualité de comptable par la SARL Sanital dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.

À compter du 12 décembre 2016, Mme [O] souffrant d’une polyarthrite, a été placée en arrêt maladie pour origine non professionnelle, prolongé jusqu’au 26 mars 2017.

Lors de la visite de reprise le 27 mars 2017, le médecin du travail a déclaré la salariée apte avec aménagement de son poste bureautique. ‘Un membre de l’équipe passera déposer du matériel en test’.

Le 28 avril 2017, Mme [O] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement pour motif économique fixé au 09 mai suivant.

Le 17 mai 2017, elle a été informée par écrit des motifs économiques conduisant l’employeur à envisager son éventuel licenciement.

La salariée a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 22 mai 2017.

Le 30 mai 2017, elle s’est vue notifier son licenciement pour motif économique en raison d’une baisse substantielle du résultat du bilan 2016, de difficultés majeures de trésorerie et d’une perte de clients significatifs, de la suppression de son poste et de l’absence de solution de reclassement.

Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Dinan par requête en date du 06 septembre 2017, afin de voir prononcer la nullité de son licenciement, obtenir des indemnités pour licenciement nul, un rappel de salaire et des dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et subsidiairement, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse en l’absence d’un motif économique, et très subsidiairement pour manquement de l’employeur à son obligation de recherche de reclassement.

La SARL Sanital a conclu au rejet des demandes de la salariée et a présenté une demande d’indemnité de procédure.

Par jugement en date du 7 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Dinan a :

– Débouté Mme [O] de sa demande de nullité de la procédure de licenciement économique.

– Condamné la SARL Sanital à verser à Mme [O] les sommes suivantes:

– 23 569,44 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciementsans cause réelle et sérieuse,

– l 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Débouté Madame [H] [O] du surplus des demandes.

– Débouté la Société Sanital de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée aux dépens de l`instance y compris en cas d’exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d’huissiers (article 696 du code de procédure civile).

La SARL Sanital a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 30 janvier 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 novembre 2022, la SARL Sanital demande à la cour de :

– Réformer le jugement:

‘ En ce qu’il condamne la Société Sanital à verser à Mme [O] la somme de 23 569,44 euros à titre de dommages – intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et la condamne aux dépens.

– Le confirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau,

– Dire le licenciement de Mme [O] fondé sur une cause réelle et sérieuse et non nul.

– Dire irrecevable, au visa de l’article 562 du code de procédure civile, la demande de Mme [O] au titre de sa demande indemnitaire pour manquement relatif à sa mise à l’écart ne figurant pas à sa déclaration d’appel.

– Dire irrecevable, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, la demande nouvelle de Mme [O] au titre de l’absence d’établissement d’un ordre des licenciements conformément à des critères légaux, et de sa demande consécutive tendant à demander de voir dire et juger que la société Sanital a manqué à son obligation d’établissement d’un ordre des licenciements conformément à des critères légaux, et la condamner à verser à Mme [O], compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l’entreprise et de l’effectif de celle-ci, et surtout de son état de santé et de sa maladie, la somme de 23 569,44 euros, correspondant à 12 mois de salaire.

– En tout état de cause, débouter Mme [O] de sa demande incidente et en conséquence de toutes ses demandes.

– Très subsidiairement, réduire ses demandes à de plus justes proportions.

– Y ajoutant, condamner Mme [O] au paiement de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et aux entiers dépens.

En l’état de ses dernières conclusions n°3 transmises par RPVA le 12 décembre 2022, Mme [O] demande à la cour de :

A titre principal,

– Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande tendant à la nullité du licenciement en raison d’une discrimination fondée sur son état de santé,

Et statuant de nouveau :

– Dire et juger que son licenciement est nul ;

– Condamner la société Sanital à lui payer :

– la somme de 23 569,44 euros en réparation du préjudice lié au licenciement nul,

– 1 964,12 euros brut par mois au titre du rappel de salaires dus depuis la notification du licenciement, jusqu’au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat, conséquence du licenciement nul ;

– Ordonner le remboursement par l’employeur aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées le cas échéant à la salariée;

À titre subsidiaire,

– Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit et jugé le licenciement dénué d’une cause réelle et sérieuse et qu’il a condamné la SARL Sanital au paiement de la somme de 23 569,44 euros;

En toute hypothèse,

– Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [O] au titre de sa mise à l’écart et de son préjudice moral afférent au licenciement

– condamner la société Sanital à lui verser les sommes de :

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de sa mise à l’écart,

-5 000euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral afférent au licenciement

– Confirmer le jugement en ce qu’il a mis à la charge de la société Sanital une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance,

– et y ajoutant, condamner la société Sanital au paiement de 3 000 euros supplémentaires sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 13 décembre 2022 avec fixation de l’affaire à l’audience du 9 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l’appel incident portant sur la demande de dommages-intérêts pour ‘mise à l’écart ‘

La société SANITAL soulève au visa de l’article 562 du code de procédure civile l’irrecevabilité de la demande de la salariée en paiement d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts relatifs à ‘sa mise à l’écart’, laquelle figurait pour la première fois dans ses conclusions n°2 du 1er décembre 2021, et reprises dans ses conclusions n°3, alors qu’une telle demande n’était pas visée dans les conclusions incidentes du 13 juillet 2020.

Il résulte de l’article 562 du code de procédure civile, que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Lorsqu’un jugement contient plusieurs chefs distincts et qu’une partie limite son appel principal à certains chefs, la partie intimée peut former un appel incident d’autres chefs de jugement à charge pour elle de conclure dans les délais fixés par l’article 909 du code de procédure civile.

En l’espèce, force est de constater que la demande indemnitaire de 5 000 euros présentée par Mme [O] sous l’intitulé ‘ dommages-intérêts pour préjudice moral fondée sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de préservation de la santé de la salariée’, n’était pas visée dans la déclaration d’appel de la société Sanital ; que les conclusions n°1 du 13 juillet 2020 de l’intimée ne comportaient aucun appel incident de ce chef.

La demande de dommages-intérêts présentée par la salariée dans des conclusions ultérieures prises au-delà du délai de l’article 909 du code de procédure civile, sera déclarée irrecevable par l’effet dévolutif devant la cour. Les dispositions du jugement l’ayant déboutée de cette demande sont donc définitives.

Sur la demande de nullité du licenciement pour discrimination en raison de l’état de santé

Les premiers juges ont rejeté la demande de nullité du licenciement au motif que l’employeur n’avait pas modifié les tâches du contrat de travail et qu’il n’avait pas placardisé la salariée ; que la société ayant pris les mesures pour assurer la sécurité de la salariée à son retour d’arrêt maladie en procédant à un aménagement du poste du travail, validé par le médecin du travail le 14 avril 2017 et accepté par la salariée, l’employeur n’a pas licencié Mme [O] pour un motif lié à son état de santé.

Mme [O], reprochant au conseil des prud’hommes de ne pas avoir recherché la cause véritable de son licenciement au-delà des énonciations de la lettre, soutient que la procédure de licenciement pour motif économique a été engagée en réalité à raison de l’état de santé de la salariée, qui s’était dégradé depuis plusieurs mois, et à son retour en poste après plus de 3 mois d’absence et à raison de sa volonté de réduire la masse salariale. Au soutien des faits présentés fondant sa demande de nullité pour discrimination liée à son état de santé, elle soutient que :

– l’employeur avait organisé son licenciement durant son arrêt maladie en redistribuant les tâches de la salariée entre le dirigeant, son épouse et le centre de gestion,

– il a convoqué la salariée le lendemain de la clôture des comptes,

– il lui a fait grief de ne plus participer au ménage dans les bureaux, compte tenu de la maladie de la salariée (polyarthrite) et des risques de déformation,

– elle a accepté, alors que le médecin du travail préconisait un repose poignet, une installation en bois moins onéreuse posée par l’employeur.

La société conclut au rejet de cette demande de nullité, contestant tout agissement de discrimination envers Mme [O] au retour de son arrêt maladie alors que :

– la salariée chargée de la comptabilité et non du suivi de la facturation n’a subi aucune modification de son contrat de travail : il lui a été demandé à son retour de se consacrer aux opérations urgentes notamment celles correspondant à la finalisation du bilan 2016; la salariée ne détenant pas une procuration sur les comptes de l’entreprise, ne pouvait pas la revendiquer à son retour ; les opérations bancaires ne ressortant pas de ses compétences prévues dans le contrat de travail, elle ne pouvait pas considérer comme anormal que les virements bancaires soient passés par M.[E], le gérant, ou par son épouse, compte tenu de la taille limitée de l’entreprise familale ; ces derniers ont dû s’organiser en recourant durant la période d’absence de la salariée à l’externalisation des fiches de paie et des déclarations sociales.

– les aménagements du poste de travail de Mme [O] prescrits par le médecin du travail ont été effectués par l’entreprise et validés par les services du médecin du travail,

– aucun reproche n’a été fait à la salariée de ne plus participer au ménage depuis le licenciement pour motif économique de la femme de ménage.

– la salariée sous couvert d’une prétendue discrimination du fait de son état de santé ‘réinvente toute l’histoire’ en se victimisant mais ne prouve aucun fait allégué. Il ne suffit pas qu’il existe une concordance entre les difficultés économiques de l’entreprise et des difficultés de santé de la salarié pour qu’il y ait discrimination.

L’article L 1132-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit faire l’objet d’une mesure de discrimination.

Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement , d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

En cas de litige relatif à l’application du texte précédent, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse, au vu des ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La salariée se borne à invoquer le court délai entre son retour d’arrêt maladie, le 27 mars 2017, et l’engagement de la procédure de licenciement pour motif économique le 28 avril 2017 et à produire une seule pièce se rapportant aux faits allégués de discrimination en raison de son état de santé.

La pièce produite correspond à un courriel du 14 avril 2017 du dirigeant M.[E] (pièce 5) en réponse à un précédent courriel de la salariée- non communiqué par elle- aux termes desquels l’employeur rappelait à Mme [O] les tâches impératives et urgentes qu’elle devait faire depuis son retour, à savoir du rangement dans les archives et la régularisation des écritures du bilan 2016 à clôturer, et qu’enfin, elle devait s’adresser directement au chef d’entreprise, et non à ses collègues, pour être dispensée de faire du ménage dans les bureaux pour des motifs médicaux. Le dirigeant observait qu’il n’avait reçu aucun document de son médecin ou de la médecine du travail prévoyant une impossibilité physique de faire du ménage. Le courriel du dirigeant s’analyse comme un rappel à l’ordre du dirigeant d’être informé directement en cas de problématiques posées dans l’exécution des missions confiées à la salariée, s’agissant des tâches de ménage réparties entre les salariés de l’entreprise depuis le départ de la femme de ménage en décembre 2016. Contrairement à ce qui est soutenu par la salariée, la teneur de ce message ne s’interprète pas comme un reproche en lien avec l’état de santé de la salariée.

S’agissant de l’aménagement du poste de travail, les allégations de la salariée concernant l’insuffisance des mesures prises par l’employeur sont contredites par le courrier du médecin du travail adressé à la société SANITAL ( pièce 9) selon lequel:

– l’avis d’aptitude de la salariée du 27 mars 2017 prévoyait un aménagement de son poste bureautique ‘ un membre de l’équipe passera déposer du matériel de test’

– des conseils ont été prodigués sur le site le 5 avril 2017 en présence du dirigeant et de la salariée, un repose avant -bras a été laissé en test.

– le 14 avril 2017, l’infirmier de la santé au travail a constaté que l’aménagement avait été réalisé et qu’il était validé par la salariée.

La matérialité du fait invoqué par la salariée au titre de la discrimination n’est donc pas établie.

Le délai écoulé entre le retour de la salariée après un arrêt maladie et l’engagement de la procédure de licenciement pour motif économique ne permet pas à lui seul de supposer l’existence d’une discrimination de la salariée en raison de son état de santé.

En l’absence d’élément de nature à laisser présumer l’existence d’une discrimination, Mme [O] sera déboutée de sa demande de nullité de son licenciement et de ses demandes financières subséquentes par voie de confirmation du jugement.

Sur le motif économique du licenciement

La société SANITAL demande l’infirmation du jugement, considérant qu’à l’issue d’une analyse erronée des pièces communiquées, il a écarté l’existence des difficultés économiques de l’entreprise se traduisant par une baisse considérable du résultat 2016 par rapport à l’année précédente, des résultats bruts d’exploitation négatifs, une perte de deux gros clients, et des difficultés majeures de trésorerie;

que les premiers juges ont cru déceler une légèreté blâmable de la part du dirigeant remontant au moment du rachat par lui des parts sociales des membres de sa famille après le départ à la retraite de son père en 1995, alors que la preuve d’une telle légèreté, supposant une décision de l’employeur prise de manière inconsidérée, n’est pas rapportée au moment de la mise en oeuvre du licenciement de la salariée, ce qui ressort des prêts à répétition conclus depuis 2015, d’une renégociation nécessaire des prêts liés à l’acquisition des parts sociales en 2017 au regard des difficultés de trésorerie rencontrées. Elle ajoute que le poste de comptable a été bel et bien supprimé, avec redistribution des tâches au sein de l’entreprise et établissement des fiches de paie par le CER.

La salariée conclut à la confirmation du jugement en considérant que la motivation elliptique du motif économique énoncée dans la lettre de licenciement est insuffisante et se contente de lister des difficultés économiques telles qu’une baisse de résultat et la perte de clients ne correspondant pas aux critères légaux de l’article L 1233-3 1° du code du travail, que les difficultés alléguées viennent exclusivement des nombreux prêts contractés par le dirigeant, que l’employeur a agi avec une légèreté blâmable en accroissant son patrimoine personnel au détriment de la société et a exposé des frais de publicité plus importants. Elle ajoute que son poste n’a en réalité pas été supprimé en ce que ses tâches ont été redistribuées entre le dirigeant, son épouse recrutée depuis 2014 en qualité de secrétaire commerciale et le centre de gestion. Elle précise que le motif réel de son licenciement est lié, outre celui de diminuer la masse salariale, à sa personne au regard de son arrêt maladie et de sa mésentente avec Mme [E].

Aux termes de l’article L 1233-3 du code du travail dans sa rédaction en vigueur, constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs, non inhérents à la personne du salarié, résultant d’une suppression ou transformation d’un emploi ou d’une modification refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail consécutives notamment :

-1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a)un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés (..)

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité.(..)

La matérialité de la suppression, de la transformation de l’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Pour satisfaire aux exigences de ces textes et à celle de motivation de la lettre de licenciement, cette dernière doit énoncer à la fois l’une des causes économiques admises pour justifier le licenciement pour motif économique mais aussi l’incidence de cette cause économique sur l’emploi ou le contrat de travail de la salariée.

Les difficultés économiques constituant un motif économique de licenciement, il suffit que la lettre de rupture fasse état de ces difficultés et de leur incidence sur le contrat de travail.

En l’espèce, la société a motivé, dans la lettre de licenciement du 30 mai 2017, la suppression du poste de comptable, occupé par Mme [O], par ‘les difficultés économiques rencontrées par l’entreprise se traduisant par les éléments suivants :

– Baisse substantielle du résultat du bilan 2016,

– Difficultés majeures de trésorerie,

– Perte de clients significatifs.’

Cette lettre comportant la référence aux difficultés économiques rencontrées par la société et aux conséquences se traduisant par la nécessité de supprimer le poste de comptable, le défaut de motivation de la lettre de licenciement n’est pas établi et le moyen soulevé par la salariée doit être écarté.

L’exercice comptable de la société étant clôturé au 31 octobre de chaque année, il convient d’apprécier le motif économique du licenciement à la date de sa notification, à savoir le 30 mai 2017. C’est donc à tort que les premiers juges ont procédé à une analyse comparative des résultats de l’entreprise par rapport à l’exercice comptable clôturé au 31 octobre 2017 pour en déduire une amélioration de la situation des comptes.

A l’inverse, il résulte des documents notamment comptables produits par l’employeur que l’entreprise connaît de sérieuses difficultés économiques se traduisant par une dégradation très nette de ses résultats comptables et financiers figurant dans le bilan clôturé au 31 octobre 2016:

– un chiffre d’affaires passé de 728 326 euros fin 2014, à 634 763 euros fin 2015 et 640 891 euros fin 2016,

– un excédent brut d’exploitation en baisse passant de 96 946 euros fin 2015, à 23 946 euros fin 2015 à 18 889 euros fin 2016,

– la perte de deux clients importants au cours de l’année 2016 (Pizza Sprint et la ville d'[Localité 3]) représentant plus de 50 000 euros HT de chiffre d’affaire,

– un résultat avant impôt passé de 81 335 euros ( fin 2014), à 39 469 euros ( fin 2015) puis 18 889 euros ( fin 2016),

– des insuffisances de trésorerie nécessitant des prêts à court terme , tel que le prêt BPO du 24 novembre 2016 de 20 000 euros ‘ besoin en fonds de roulement ‘, le prêt Crédit agricole de 15 000 euros conclu le 8 juin 2017 ‘ trésorerie, créances sur clients nationaux’,

– des créances impayées, par exemple Sarl FRCI (créance de 20 847 euros pour une livraison du 15 février 2017), nécessitant la mise en oeuvre d’une procédure d’injonction de payer.

Ces éléments établissent la réalité et l’ampleur des difficultés économiques de l’entreprise à l’époque du licenciement de la salariée notifié le 30 mai 2017.

Les pièces produites à l’appui des critiques de la salariée concernant les décisions hasardeuses du dirigeant de recourir à un endettement et d’effectuer des dépenses de publicité importantes (15 665 euros, soit + 5517 euros par rapport à 2015 pièce 19), ne permettent pas de caractériser une prétendue légèreté blâmable de la part du dirigeant, au regard des difficultés objectives rencontrées par l’entreprise qui était confrontée à la perte de clients anciens et à des créances impayées. S’agissant du prêt contracté en 2013 pour le rachat des parts sociales à la suite de la reprise de l’entreprise paternelle, la salariée ne démontre pas le lien existant entre la procédure de licenciement économique notifiée le 30 mai 2017 et la décision prise par le dirigeant de financer le rachat de l’entreprise, près de quatre ans plus tôt. Il ne résulte pas des pièces produites, la preuve d’éventuelles erreurs de gestion de l’employeur de nature à entraîner les difficultés économiques constatée et à établir que le licenciement économique de la salariée soit en lien direct avec de quelconques carences de l’appelante. Le moyen soulevé par la salariée tiré de la légèreté blâmable de l’employeur n’est donc pas fondé contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.

Mme [O] avait en outre, de par ses fonctions de comptable, parfaitement connaissance des difficultés économiques persistantes de la petite entreprise qui l’employait et qui était confrontée à des factures impayées et à une trésorerie insuffisante, comme le confirme l’échange de courriels du 13 octobre 2016 avec le dirigeant, soit plusieurs mois avant le licenciement de la salariée. ( pièce CA 13)

L’employeur justifie que le poste de comptable a été supprimé après le départ de Mme [O] et que l’effectif a diminué progressivement depuis le licenciement pour motif économique le 21 décembre 2016 de Mme [B], femme de ménage, suivi de celui de Mme [O] le 30 mai 2017. Même si cette suppression de poste s’est accompagnée de la redistribution des tâches confiées précédemment à la salariée entre le dirigeant et une autre salariée, Mme [E], avec recours au centre de gestion comptable pour l’établissement des fiches de paye et des déclarations sociales, la preuve de la suppression effective du poste est établie au sens de l’article L 1233-3 1° du code du travail.

Le moyen soulevé par la salariée selon lequel son licenciement aurait un motif inhérent à sa personne, ne repose sur aucun élément objectif et concret, alors que la prétendue discrimination en raison de son état de santé n’a pas été admise par la cour pour les motifs développés précédemment et que Mme [O] ne démontre pas en quoi la mésentente alléguée avec sa collègue Mme [E], épouse par ailleurs du dirigeant, serait à l’origine de son licenciement pour motif économique. Le ton cordial des messages échangés le 2 janvier 2017 entre la salariée et les époux [E] ne permet pas de conforter les dires de l’intéressée.

Il résulte de ces éléments que la preuve du motif économique du licenciement de Mme [O] est établie par l’employeur.

Sur le manquement à l’obligation de reclassement

Mme [O] reproche à son employeur de ne pas avoir justifié de ses recherches et tentatives de reclassement, indépendamment de la petite taille de l’entreprise et de sa fragilité financière.

La société appelante soutient que compte tenu de la suppression du poste de comptable, les cinq autres postes n’étaient pas disponibles et n’étaient pas accessibles par une formation allant au-delà de l’adaptation. Elle confirme qu’elle ne pouvait pas proposer à la salariée, seule comptable au sein de l’entreprise, un poste de reclassement et rappelle qu’elle n’était pas tenue de créer un poste.

L’obligation de reclassement dans le cadre d’un licenciement économique est prévue à l’article L. 1233-4 du code du travail qui dispose :

– Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. [‘]

– le reclassement ne peut être opéré que sur des emplois disponibles ;

– sur un emploi relevant de la même catégorie que celui que le salarié occupe ou emploi équivalent avec rémunération équivalente, ou à défaut d’une catégorie inférieure avec accord exprès du salarié .

Il résulte des pièces produites et notamment du registre du personnel que l’entreprise comptait seulement 6 salariés au moment du licenciement: un responsable qualité, un magasinier, un technico-commercial, un technicien SAV, une secrétaire commerciale exerçant des fonctions de vendeuse et une comptable.

Au regard de la taille restreinte de l’entreprise et alors qu’est démontrée l’absence d’un quelconque poste disponible, la société Sanital rapporte la preuve suffisante qu’elle n’était pas en mesure de proposer un poste de reclassement à Mme [O], unique salariée à exercer des fonctions de comptable et dont le poste était supprimé.

Ces éléments permettant de considérer que la société a satisfait à son obligation de recherche de reclassement de la salariée en l’absence d’un poste de reclassement disponible et compatible avec ses capacités et son expérience, il convient de rejeter la demande de Mme [O] tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la débouter de ses demandes subséquentes, par voie d’infirmation du jugement.

Sur les dommages-intérêts pour non-respect de la procédure afférente aux critères d’ordre du licenciement

Mme [O] présente en cause d’appel une demande subsidiaire, au demeurant non chiffrée, de dommages-intérêts pour violation de la procédure afférente aux critères d’ordre de licenciement sur le fondement des articles L 1233-5 et 1233-7 du code du travail. Elle soutient que sa demande nouvelle est recevable en ce qu’elle tend aux mêmes fins que sa demande d’indemnisation des dommages alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société appelante soulève l’irrecevabilité de cette demande nouvelle en appel, et sur le fond au rejet de cette demande, la salariée étant seule dans sa catégorie professionnelle et ne pouvant pas se voir proposer un autre poste sans formation allant au-delà d’adaptation. Elle ajoute que la salariée n’apporte aucun élément pour justifier le préjudice allégué du fait de l’inobservation des règles relatives aux critères d’ordre.

L’article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

La demande formée au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour violation de la procédure afférente aux critères d’ordre de licenciement, tendent à l’indemnisation des conséquences du licenciement que la salariée estime injustifié. Ces demandes tendant aux mêmes fins même si elles ont des fondements juridiques distincts, il en résulte que la demande nouvelle présentée par la salariée de dommages-intérêts pour violation de la procédure afférente aux critères d’ordre de licenciement doit être déclarée recevable en appel.

Sur le fond, le respect des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements devant s’apprécier au sein de la catégorie professionnelle dont relève la salariée au sens de la convention collective, il ne peut pas être fait grief à l’employeur de n’avoir pas établi et respecté un ordre des licenciements au sens des articles L 1233-7 et L 1233-5 du code du travail lorsqu’il s’agit d’un salarié seul dans sa catégorie professionnelle.

En l’espèce, Mme [O] était la seule salariée à occuper le poste supprimé de comptable, s’agissant non d’un emploi administratif mais d’un emploi nécessitant des compétences et une qualification professionnelle spécifique, comme la salariée en justifiait ( BTS et diplôme DECF 1995). Au vu de son curriculum vitae (pièce 25), des tâches énumérées dans son contrat de travail et de sa description de ses attributions essentiellement comptables (pièce 23), elle ne rapporte pas la preuve qu’elle exerçait les mêmes fonctions que Mme [E], occupant un poste de ‘sécrétaire commerciale’, recouvrant à la fois des tâches administratives et commerciales, comme le confirme l’intitulé de son bulletin de salaire ‘ vendeuse terrain/sédentaire'(pièce 10).

Dans ces conditions, Mme [O], seule salariée concernée par la suppression du poste de sa catégorie professionnelle, n’est pas fondée à se prévaloir de la violation par l’employeur de la procédure afférente aux critères d’ordre de licenciement et sera déboutée de la demande, au demeurant non chiffrée, formulée de ce chef.

Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral

Mme [O] maintient la demande de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, dont elle a été déboutée.

Toutefois, la salariée n’articule pas sa demande indemnitaire, elle ne justifie ni de la faute, ni du préjudice invoqué et sera donc déboutée de sa demande par voie de confirmation du jugement.

Sur les autres demandes et les dépens

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais non compris dans les dépens. Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives à l’indemnité allouée à la salariée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La salariée, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts présentée par Mme [O] au titre de sa mise à l’écart ;

– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande de nullité de son licenciement, de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et qu’il a rejeté la demande d’indemnité de procédure présentée par la société SANITAL

– Infirme les autres dispositions du jugement,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

– Déboute Mme [O] de l’intégralité de ses demandes,

– Déboute la société Sanital de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamne Mme [O] aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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