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18 septembre 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/08056
8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°292
N° RG 19/08056 –
N° Portalis DBVL-V-B7D-QKQX
SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES
C/
M. [R] [O]
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le : 18 sept 23
à :
Me Mathieu HERVE
Me Anne-Laure BELLANGER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L’HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 Mai 2023
devant Monsieur Philippe BELLOIR, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
La SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Mathieu HERVE de la SELAS FIDAL, Avocat au Barreau de NANTES
INTIMÉ :
Monsieur [R] [O]
né le 28 Novembre 1973 à [Localité 6] (85)
demeurant [Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Anne-Laure BELLANGER, Avocat au Barreau de NANTES
M. [O] a été engagé par la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES le 5 février 1996 par contrat à durée indéterminée, en qualité de fraiseur.
M. [O] exerçait un mandat au sein de la délégation unique du personnel.
La convention collective métallurgie de Loire-Atlantique s’applique à la relation de travail.
La SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES intervient dans le secteur de la construction des équipements industriels pour la génération et la conversion d’énergie, qui se compose d’une activité de construction de chaudière industrielles et de systèmes de combustion.
La SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES est intégrée au groupe ALTAWEST, lequel en 2016 était composé, sur le même secteur d’activité, de la société LEROUX ET LOTZ MAINTYS, la société INOVA CONSTRUCTION, et la société EUROBIOMASS.
Le 19 janvier 2017, l’inspection du travail a autorisé le licenciement de M. [O].
Le 30 janvier 2017, la société LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES a notifié au salarié son licenciement pour motif économique et impossibilité de procéder au reclassement.
M. [O] a adhéré au congé de reclassement.
Le 28 novembre 2017, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes de Nantes aux fins essentiellement de :
‘ Dire et juger que les règles concernant les critères d’ordre n’ont pas été respectées,
‘ Condamner la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à lui verser la somme de 70.000 € nets à titre de dommages et intérêts en raison du manquement relatif aux critères d’ordre des licenciements.
La cour est saisie de l’appel régulièrement formé le 16 décembre 2019 par la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES contre le jugement de départage du 14 novembre 2019 par lequel le Conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Rejeté des débats l’attestation de Mme [X],
‘ Condamné la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à verser à M. [O] les sommes suivantes :
– 58.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement aux critères d’ordre de licenciement,
– 800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Fixé le salaire moyen mensuel de M. [O] à la somme de 2.645,46 € bruts,
‘ Débouté la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamné la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES aux dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 9 novembre 2022, suivant lesquelles la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES demande à la cour de :
A titre principal,
‘ Juger recevable l’attestation de Mme [X],
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté des débats l’attestation de Mme [X],
‘ Juger que la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES a respecté l’ensemble de ses obligations en matière d’ordre des licenciements,
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser à M. [O] au titre de dommages et intérêts pour manquement relatif aux critères d’ordre de licenciement la somme de 58.000 € nets,
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire,
‘ Débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes,
A titre subsidiaire, sur la caractérisation et l’évaluation d’un supposé préjudice du salarié, si par extraordinaire la Cour venait à juger qu’elle n’a pas respecté les règles relatives aux critères d’ordre de licenciement,
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser M. [O] la somme de 58.000 € nets au titre de dommages et intérêts pour manquement relatif aux critères d’ordre de licenciement,
‘ Apprécier dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires du salarié au titre de l’indemnisation de l’éventuel préjudice résultant de la non application des critères d’ordre,
En tout état de cause,
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à verser au salarié la somme de 800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES aux dépens,
Statuant à nouveau
‘ Condamner le salarié à lui verser la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner le salarié aux dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 11 juin 2020 par M. [O] suivant lesquelles il demande à la cour de :
‘ Confirmer en son principe et en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes du 14 novembre 2019,
‘ Condamner la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la même en tous les dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.
Par application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l’attestation de Mme [X]
Le Conseil de prud’hommes de Nantes a jugé irrecevable l’attestation de Mme [X] versée aux débats par l’employeur.
Le salarié demande que soit rejetée des débats l’attestation établie par Mme [X], Directrice des Ressources Humaines de la société, au motif qu’elle émane d’une partie.
Aux termes de l’article 199 du code de procédure civile, ‘Lorsque la preuve testimoniale est admissible, le juge peut recevoir des tiers les déclarations de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance. Ces déclarations sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales’.
Et suivant l’article 202 du code précité ‘l’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. Elle mentionne [‘] s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, collaboration ou de communauté d’intérêts avec elle’.
Il sera rappelé qu’en matière prud’homale la preuve est libre et que rien ne s’oppose à ce que le juge prud’homal examine une attestation établie par un salarié ayant représenté l’employeur lors de l’entretien préalable, il appartient seulement à ce juge d’en apprécier souverainement la valeur et la portée.
En l’espèce, l’attestation de Mme [X] a été établie selon la forme légalement requise et mentionne précisément le lien de subordination existant entre le témoin et la société.
Mme [X] a précisé dans le corps de son attestation qu’elle disposait de la qualité de directrice des Ressources Humaines de la société, de sorte qu’aucun doute ne pouvait exister quant à la réalité de ses fonctions.
Il s’ensuit que cette attestation est recevable et la Cour en appréciera ultérieurement la portée.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le non respect de l’ordre des licenciements
M. [O] fait valoir en substance que la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES aurait dû recourir aux critères d’ordre et comparer sa situation à celle d’autres salariés pour procéder au licenciement, alors que l’employeur objecte que le salarié étant le seul de sa catégorie professionnelle, il ne pouvait être comparé et qu’il n’y avait donc pas lieu d’établir un ordre des licenciements dès lors que tous les emplois de la catégorie dont relevait le salarié avaient été supprimés.
Selon l’article L.1233-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel. Ces critères prennent, notamment, en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celle des parents isolés ;
2° l’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.
Il convient d’apprécier le respect des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements par référence aux catégories d’emploi et aux fonctions réellement exercées. La catégorie professionnelle qui sert de base à l’établissement de l’ordre des licenciements concerne l’ensemble des salariés qui exercent dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
Par ailleurs, il sera rappelé que les salariés exerçant des fonctions similaires pouvaient être comparés dans le cadre des critères d’ordre à leurs collègues des lors qu’ils pouvaient acquérir les qualifications nécessaires pour occuper l’emploi de ceux-ci dans le cadre d’une formation complémentaire relevant de l’obligation d’adaptation de l’employeur.
L’employeur doit communiquer au juge les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s’est appuyé pour arrêter, selon les critères définis pour déterminer l’ordre des licenciements, son choix quant aux personnes licenciées pour motif économique.
L’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette illégalité entraîne un préjudice, pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de l’emploi, qui doit être intégralement réparé, selon son étendue, par des dommages-intérêts.
En l’occurrence, les catégories professionnelles retenues par la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES comme étant différentes des catégories professionnelles des autres salariés de l’entreprise sont les suivantes : aléseur, fraiseur, tourneur, mécanicien, tourneur fraiseur et chef d’atelier mécanique.
Il est établi que l’atelier de fabrication comprenait sept unités, dont l’atelier mécanique et 45 salariés y étaient employés, pour la plupart ouvriers, auquel s’ajoutait l’atelier de la maintenance.
L’employeur produit des descriptions et définitions concernant les métalliers et chaudronniers qui, en dépit de leur caractère général, sont probantes, précises et objectives.
Il sera observé que les parties s’accordent pour considérer que les fonctions de soudeur, telles qu’exercées au sein de la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES, requièrent une technicité très particulière qui en fait une catégorie professionnelle à part.
De ce fait, il incombe à l’employeur, pour les fonctions d’ouvriers et de techniciens d’atelier, de fournir les éléments précis et vérifiables permettant de les distinguer des salariés licenciés.
M. [O], défini comme l’un des deux fraiseurs de sa catégorie professionnelle dans l’entreprise, qui comprenait au 31 mai 2016, 167 salariés permanents, fait valoir que l’employeur ne justifie pas en quoi des salariés des autres ateliers et du service maintenance ne pourraient entrer dans sa catégorie.
Il ressort des pièces versées que le contrat de travail du salarié ne stipule pas une spécificité en ‘atelier de mécanique’ et que son bulletin de paie mentionne un coefficient élevé issu de la convention collective applicable.
En outre, M. [O] produit un bulletin de paie mentionnant qu’il a effectué du montage.
Il justifie par un document intitulé ‘contrôle de temps’ qu’il a réalisé des heures d’ajustage et de tournage.
Le salarié verse une attestation de M. [D] qui a dirigé l’atelier de mécanique de 2002 à 2016 et qui précise la polyvalence des membres en ces termes : ‘L’équipe de la mécanique était amenée à faire d’autres tâches que celles de l’usinage à la demande de la société LLT qui demandait une polyvalence à l’équipe d’usinage’ et en particulier pour le salarié, écrit qu’il a ‘participé aux montages des machines TECHNIP’, qu’il a été ‘en intervention sur le site de [Localité 5] pour le montage d’un autoclave’ et en ‘mission sur site DENS (montage du berceau moteur sous marin) et sur le site de l’Ile Longue avec l’équipe de montage’.
Le salarié verse également une attestation de M. [P], qui s’il a quitté l’entreprise en 2012 demeure opérante, dans laquelle il précise: ‘L”atelier de mécanique a régulièrement participé à des opérations de montage de sous-ensembles et de pièces telles que moto-réducteurs, roulements, boîte de vitesse, arbres, pignons sur des machines complexes en particulier destinées à la fabrication de câbles sous-marins, réacteurs d’unité de fabrication de graisse ainsi qu’à des revanpings et des missions pour DCN Brest’.
Il résulte de ces attestations et pièces que le listing des tâches par l’employeur n’est pas exhaustif et ne saurait constituer un élément de preuve précis de la catégorie professionnelle.
La cour relève, comme les premiers juges, que le salarié est titulaire d’un CAP Fraiseur et d’un bac pro ‘production option mécanique’ en alternance. Il a également exercé comme tourneur et opérateur presse.
Or, la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES ne verse pas les éléments utiles, objectifs, précis et vérifiables sur la formation et fonctions des autres ouvriers et techniciens d’atelier qui permettraient une comparaison objective.
L’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais entraîne un préjudice pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de l’emploi qui doit être intégralement réparé.
Au jour de la rupture, M. [O] âgé de 43 ans bénéficiait d’une ancienneté de 21 ans au sein de la société. Il percevait un salaire mensuel brut de 2.801,78 bruts.
En l’état de l’ensemble de ces éléments, l’entier préjudice subi par le salarié résultant de l’inobservation par l’employeur des règles régissant l’ordre des licenciements sera fixé à la somme de 40.000 €. Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
Condamnée aux dépens, elle sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande en revanche de la condamner, sur ce même fondement juridique, à payer au salarié une indemnité d’un montant de 1.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
DÉCLARE recevable l’attestation de Mme [X] ;
INFIRME partiellement le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à verser à M. [O] la somme de 40.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour manquement aux critères d’ordre de licenciement ;
RAPPELLE que les sommes à caractère indemnitaire, en application de l’article 1231-7 du code civil, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce ;
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
et y ajoutant,
CONDAMNE la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES à verser à M. [O] la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre la somme déjà allouée en première instance sur ce fondement ;
DÉBOUTE la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS LEROUX ET LOTZ TECHNOLOGIES aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché
Ph. BELLOIR, Conseiller