Discrimination en matière de formation : 13 juillet 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08443

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Discrimination en matière de formation : 13 juillet 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/08443
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13 juillet 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/08443

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 13 JUILLET 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/08443 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZ74

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F15/13064

APPELANTE

S.A. SNCF VOYAGEURS

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Aurélie CORMIER LE GOFF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

INTIMÉ

Monsieur [T] [N]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Clélie DE LESQUEN-JONAS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0006

EN PRÉSENCE

DÉFENSEUR DES DROITS

[Adresse 2]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représenté par M. [W] [B], muni d’un mandat

Présentant des observations écrites conformément à l’article 33 de la loi organique n°2011-333 du 29 Mars 2011 relative au Défenseur des droits.

EN PRÉSENCE

MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté lors des débats par Monsieur Antoine PIETRI, substitut général, qui a fait connaître son avis.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 18 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise SALOMON, Présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, Conseillère

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Françoise SALOMON dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Pauline BOULIN

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPELS DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Société Nationale des Chemins de Fer Français, dénommée SNCF Mobilités depuis le 1er janvier 2015, a été créée par la signature de la convention du 31 août 1937 approuvée par décret- loi du même jour conclue entre l’Etat et des compagnies ferroviaires privées. La loi du 30 décembre 1982 lui a conféré le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial.

Elle emploie deux catégories d’agents : d’une part, les agents statutaires ou agents du cadre permanent, relevant du ‘Statut des Relations Collectives entre SNCF Mobilités et son Personnel’ régi par le décret n°506637 du 1er juin 1950 jusqu’en 2014 relatif aux conditions de recrutement, à la classification et aux évolutions de carrière et d’un régime spécial de retraite, et d’autre part, les agents contractuels ou ‘agents auxiliaires’ qui relèvent du code du travail, de textes réglementaires spécifiques dénommés PS21, puis PS 25 et depuis 2005 RH0254, et du régime général des retraites.

En 1963, le Maroc a signé avec la France une convention bilatérale sur la main d’oeuvre qui a notamment permis à la SNCF de recruter des salariés marocains pour exercer en France des fonctions d’exécution. Des salariés de nationalité algérienne et sénégalaise ont également été engagés à cette fin.

Ces embauches étaient précédées de visites médicales et d’un stage de douze mois au sein d’un établissement SNCF à l’issue duquel les travailleurs qui avaient donné satisfaction et remplissaient les critères de sélection étaient engagés en qualité d’agents contractuels, l’accès au cadre permanent étant alors, conformément au texte réglementaire applicable, réservé aux personnes de nationalité française. Ils étaient soumis à l’annexe A1, qui régit les agents contractuels occupant un emploi permanent au sein de SNCF Mobilités correspondant aux qualifications A à D, telles que répertoriées dans le Dictionnaire des filières. Ce texte précise les règles applicables en matière de classification et de rémunération aux salariés qui occupent un emploi du Dictionnaire des filières mais qui ne remplissent pas les conditions pour être cadres permanents.

Le 1er janvier 2002, M. [N] , de nationalité marocaine, a été engagé par la SNCF en qualité d’agent de logistique, en tant qu’agent contractuel.

Le contrat a pris fin le 19 octobre 2010, dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude.

Il a liquidé sa retraite le 1er janvier 2015.

Le 12 novembre 2015, s’estimant victime d’une discrimination fondée sur la nationalité en matière de déroulement de carrière, de formation et de retraite, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes en réparation de ses préjudices, à l’encontre de la SNCF, de la SNCF Voyageurs venant aux droits de SNCF Mobilités, et de SNCF Réseau.

Par jugement du 23 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, en formation de départage, a déclaré les demandes pour discrimination au titre de la carrière, de l’inaction de l’employeur dans le traitement du dossier, et au titre de la formation professionnelle irrecevables comme prescrites et condamné la SNCF Voyageurs à verser au salarié les sommes suivantes :

– 7 482 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en lien avec les droits à pension de retraite,

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.

Il a condamné l’employeur aux intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud’homale pour les sommes ayant la nature de salaire et à compter du jugement pour les sommes ayant la nature de dommages et intérêts, a ordonné l’anatocisme et, déclaré le jugement opposable à la caisse de retraite et de prévoyance de la SNCF, condamné la SNCF à verser au salarié la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Le 7 décembre 2020, la SNCF Voyageurs a formé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 mai 2022, la SNCF Mobilités demande à la cour de :

A titre principal,

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes au titre de la carrière, de la formation professionnelle et au titre de l’inaction dans le traitement du dossier,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser les sommes de 7 482 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de retraite et 2 000 euros au titre du préjudice moral en ce qu’il a déclaré la demande relative au préjudice moral recevable,

A titre subsidiaire,

– infirmer le jugement et débouter le salarié de ses demandes,

A titre plus subsidiaire,

– allouer à l’agent au titre du préjudice de carrière : 11 565 euros,

à titre subsidiaire : 8 772 euros,

à titre plus subsidiaire : 17 880 euros,

– allouer à l’agent au titre du préjudice de retraite : 3 470 euros,

à titre subsidiaire : 2 632 euros,

à titre très subsidiaire : 6 258 euros.

En tout état de cause, elle lui demande d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à verser au salarié la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, de le confirmer en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l’inaction de l’employeur dans le traitement du dossier et au titre de la formation professionnelle.

Elle demande à la cour de condamner l’agent à lui verser la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 avril 2022, la partie intimée demande à la cour de le confirmer en ce qu’il a condamné la SNCF Voyageurs à lui verser des dommages et intérêts au titre de la discrimination pour les droits à la retraite et au titre du préjudice moral sauf sur le quantum, de l’infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes de dommages et intérêts en matière de discrimination de carrière, de formation et d’inaction dans le traitement du dossier, et statuant à nouveau de :

– condamner la SNCF Voyageurs à lui verser les sommes suivantes à titre de :

– dommages et intérêts pour discrimination dans l’évolution de carrière : 29 855 euros,

à titre subsidiaire : 68 367, 60 euros,

à titre infiniment subsidiaire : 68 637, 60 euros,

– dommages et intérêts pour discrimination au titre des droits à la retraite : 45 105 euros,

à titre subsidiaire : 35 886, 15 euros,

à titre infiniment subsidiaire : 23 928, 66 euros,

-dommages et intérêts pour discrimination dans le droit à la formation : 30 000 euros,

-dommages et intérêts pour préjudice moral : 30 000 euros,

-dommages et intérêts pour inaction dans le traitement du dossier : 25 000 euros.

Elle sollicite la condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’instance et d’appel.

Le Défenseur des droits a présenté ses observations écrites par décision du 4 mars 2022.

Le ministère public a communiqué ses observations écrites le 29 avril 2022.

L’instruction de l’affaire a été clôturée le 17 mai 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 18 mai 2022 au cours de laquelle le Défenseur des droits, les parties et le ministère public ont présenté leurs observations.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes relatives à la discrimination en matière de carrière, de formation et au titre de l’inaction dans le traitement du dossier

La SNCF Voyageurs venant aux droits de SNCF Mobilités soulève la prescription de l’ensemble des demandes. Elle affirme que la prescription est trentenaire pour les contrats rompus avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, de sorte qu’en application des dispositions transitoires de cette loi, le salarié devait engager son action avant le 19 juin 2013, et quinquennale pour les contrats rompus postérieurement au 19 juin 2008.

Elle précise que le point de départ de la prescription en matière de discrimination liée à l’évolution pendant la carrière correspond à la date de rupture du contrat de travail, date à laquelle la discrimination a été révélée au salarié.

Le point de départ de la prescription des demandes pour inaction dans le traitement du dossier et pour préjudice moral doit être fixé à la date de rupture du contrat de travail, cette demande se rattachant à l’exécution du contrat de travail.

Le point de départ du délai de prescription de la demande relative à la formation, s’agissant d’une demande ayant trait à l’exécution du contrat soumise à la prescription biennale, correspond à la date de rupture du contrat de travail.

Enfin, elle soutient que le droit à un procès équitable ne peut être utilement invoqué pour solliciter le report du point de départ de la prescription au-delà de la rupture du contrat de travail lorsque le salarié invoque une discrimination dans la carrière.

La partie intimée soutient que les actions ne sont pas prescrites. Se prévalant des dispositions de l’article L.1134-5 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, elle affirme que le délai de l’action ne court qu’à compter de la révélation de la discrimination.

Elle conclut en premier lieu à l’absence de prescription des demandes relatives à l’évolution de carrière, la révélation de la discrimination n’intervenant que lorsque les salariés disposent des éléments de comparaison leur permettant d’apprécier la réalité et l’étendue des préjudices. Elle affirme que, malgré les sommations de communiquer qui lui ont été adressées, la SNCF Voyageurs n’a produit aucun élément de comparaison probant permettant de connaître l’étendue exacte de la discrimination subie et d’établir une comparaison avec les homologues du cadre permanent. Elle en déduit que le délai de prescription n’a pas commencé à courir.

Elle soutient qu’au moment de la rupture du contrat de travail, les salariés n’ont eu communication d’aucun élément leur permettant de comparer leur situation avec celle de leurs homologues du cadre permanent et prétend que la cessation, au moment de la rupture du contrat de travail, des actes de discrimination relatifs à la carrière ne signifie pas leur révélation. En outre, elle fait valoir que la SNCF Voyageurs ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la révélation des discriminations au moment de la rupture des contrats de travail.

Subsidiairement, elle considère que la publication des 821 jugements du 21 septembre 2015 du conseil de prud’hommes de Paris, qui s’est prononcé pour la première fois dans ce contentieux, a constitué un événement ultérieur caractérisant la révélation.

Plus subsidiairement, elle soulève l’interruption de la prescription du fait de la reconnaissance par la SNCF Voyageurs des discriminations subies dans une correspondance du 7 décembre 2007 du ‘pôle relation et animation Rh’ de la direction de [Localité 7] Est de la SNCF et lors de l’organisation par l’employeur d’une garantie de passage des agents contractuels de nationalité marocaine à la filière commerciale leur permettant d’accéder à la classe D.

Le Défenseur des droits a présenté ses observations selon lesquelles le droit au procès équitable commande que le point de départ de la discrimination soit reporté au jour où le salarié a une connaissance complète de la discrimination.

Sur le délai de prescription

Avant la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, publiée le 19 juin 2008 portant réforme de la prescription, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrivait par trente ans.

Aux termes de l’article L.1134-5 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Ce délai n’est pas susceptible d’aménagement conventionnel.

Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination pendant toute sa durée.

Ces dispositions ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge dès lors que le délai de prescription qu’elles instaurent a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud’homale.

Par ailleurs, il résulte de l’article 26-II de la loi du 17 juin 2008 que les dispositions qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Pour les contrats rompus avant le 19 juin 2008, soumis à la prescription trentenaire, un nouveau délai de prescription de 5 ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008.

Pour les contrats rompus après le 19 juin 2008, le délai de prescription de 5 ans court à compter de la révélation de la discrimination.

Sur le point de départ de la prescription des demandes relatives à la discrimination pendant la carrière

Le salarié fait valoir que la discrimination dont il se prétend victime a commencé dès son embauche et s’est poursuivie tout au long de sa carrière en termes d’évolution professionnelle, tant salariale que personnelle.

Compte tenu du régime probatoire spécifiquement aménagé en matière de prescription par l’article L.1134-1 du code du travail et du fait que l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés, l’agent soutient vainement que le refus de déférer aux sommations de communiquer de la SNCF a empêché le délai de prescription de courir.

Il ressort de la déclaration de candidature à un emploi d’auxiliaire, remplie par l’agent qui n’était pas de nationalité française, dont il reconnaît avoir pris connaissance, des bilans sociaux produits par l’employeur aux termes desquels la situation de l’agent contractuel était clairement distinguée de celle des salariés permanents, que le salarié était informé dès la date de son embauche qu’il relevait d’un régime différent de celui des agents statutaires.

La différence de traitement dans l’évolution de sa carrière par rapport à celle des agents statutaires découle d’une série d’actes et de décisions concrets qui se sont étalés dans le temps jusqu’au terme de la relation contractuelle, cette différence de traitement se déduisant notamment du procès-verbal de réunion ‘Table ronde’ en 1992 ayant eu lieu en présence des syndicats représentatifs relatant la différence de règles en matière d’évolution de carrière, de retraite, de prévoyance entre les agents contractuels et ceux du cadre permanent, des accords collectifs conclus le 1er octobre 1999 et le 1er octobre 2004 intitulés ‘ mesures particulières relatives aux conditions de fin de carrière de certains personnels contractuels’ concernant ‘les agents qui remplissaient les conditions d’âge normal d’accès au cadre permanent au moment de leur entrée à la SNCF, mais qui n’ont pas pu réglementairement en bénéficier’ et ‘notamment les agents de nationalité étrangère’ et instaurant au profit de ces derniers des conditions de départ à la retraite équivalentes à celles des agents du cadre permanent.

Cette différence de traitement dans l’évolution de la carrière s’est poursuivie jusqu’au terme de la relation contractuelle, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié se fonde ont cessé de produire effet et la discrimination dans la carrière s’est révélée.

Selon l’article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription. Cette reconnaissance peut être expresse ou tacite et résulte de tout fait impliquant sans équivoque l’existence du droit du créancier.

En l’espèce, dans un courriel du 7 décembre 2007, le pôle ‘relation et animation relations humaines de la direction Paris Est’ de la SNCF a indiqué à propos de la mise en place d’un ‘éventail qui recouvre l’ensemble des filières et des niveaux, l’Entreprise ne le souhaite pas, car l’Annexe A1 ne comprend pas d’emplois des collèges maîtrise et cadres, l’appartenance à ces collèges implique un effort de promotion accompagné d’examens professionnels qui ont été maintenus dans la grille des agents du Cp’.

Ce courriel n’emporte pas reconnaissance par la SNCF de l’existence dans son principe d’un droit à réparation du salarié lié à des discriminations.

L’organisation par l’employeur à compter de 2007 d’une garantie de passage des agents contractuels de nationalité marocaine à la filière commerciale trois mois avant leur départ en retraite leur permettant d’accéder à la classe D ne caractérise pas davantage la reconnaissance par la SNCF des droits du créancier, susceptible d’interrompre la prescription.

Le contrat de travail ayant été rompu le 19 octobre 2010, et le conseil de prud’hommes ayant été saisi le 12 novembre 2015, la cour confirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour discrimination en matière d’évolution de carrière.

Sur la prescription des demandes relatives à la discrimination en matière de formation et d’avantages durant la carrière

L’employeur oppose la prescription applicable en matière d’exécution du contrat de travail.

Le salarié soutient avoir été victime d’une discrimination en raison de la nationalité en matière de formation, d’accès aux soins, aux prestations sociales et aux facilités de circulation.

La détermination du délai de prescription dépendant de la nature de la créance objet de la demande, cette action est soumise au délai de cinq ans de l’article L.1134-5 du code du travail.

Le point de départ du délai de prescription se situe à la date de la rupture du contrat de travail, date à laquelle les faits sur lesquels le salarié fonde sa demande ont cessé de produire effet.

En conséquence, compte tenu de la date de rupture du contrat et de la date de saisine du conseil de prud’hommes, la cour confirme le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour discrimination en matière de formation et d’avantages durant la carrière.

Sur la prescription des demandes de dommages et intérêts pour inaction dans le traitement du dossier et préjudice moral

La partie appelante soutient que ces demandes, indissociables de celles formées au titre du préjudice de carrière, sont prescrites.

La partie intimée soutient avoir été cantonnée aux tâches les plus pénibles au cours de sa carrière, sans reconnaissance de la part de l’employeur qui l’a exclue de toute chance de promotion sociale, de l’accès aux soins et aux facilités de circulation en train. Elle lui reproche d’avoir tardé à prendre des mesures pour compenser les disparités entre les deux catégories d’agent, ce retard étant à l’origine d’un préjudice moral dont il doit réparation.

Ces demandes se rattachent à celle formulée au titre du préjudice de carrière qui a été déclarée prescrite.

En conséquence, la cour infirme le jugement en ce qu’il a déclaré la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral recevable et condamné la SNCF Mobilités à verser à M. [N] la somme de 2 000 euros et déboute le salarié de sa demande, et le confirme en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts pour inaction de l’employeur dans le traitement du dossier.

Sur la discrimination en matière de droits à la retraite

La SNCF Voyageurs ne conteste pas la différence de régime de retraite entre les agents contractuels et les agents du cadre permanent mais explique qu’elle résulte du statut de la SNCF qui inclut une clause de nationalité qui est licite.

Elle conclut que l’article L.1132-1 du code du travail ne s’applique à la SNCF qu’à compter du 1er mai 2008 à la suite de la loi de ratification du 21 janvier 2008 et n’est donc pas opposable à l’employeur au moment du recrutement et pendant la quasi-totalité de l’exécution du contrat de travail de l’agent.

Subsidiairement, l’employeur soutient que les agents statutaires étaient soumis à un statut administratif réglementaire et que les agents contractuels relevaient du contrat de travail et des conventions collectives.

Plus subsidiairement, il fait valoir que le salarié ne démontre pas l’existence d’un traitement plus défavorable que celui réservé aux agents du cadre permanent.

Le salarié soutient ne pas avoir été affilié au régime spécial de retraite réservé au cadre permanent, plus favorable que le régime général, en raison de sa nationalité étrangère.

Il conteste la licéité de la clause de nationalité.

Sur l’existence de la discrimination

L’article L.1132-1 du code du travail, applicable à la SNCF lors de la liquidation des droits à la retraite du salarié, prohibe toute discrimination liée notamment à la nationalité.

L’article L.1134 -1 du code du travail énonce que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, le salarié évoque les faits suivants’:

– compte tenu de sa nationalité étrangère, il ne relevait pas du régime spécial de retraite du cadre permanent réservé aux personnes de nationalité française, mais du régime général,

– la SNCF a appliqué un traitement différent en matière de retraite selon que le salarié appartient ou non au cadre permanent et le régime appliqué aux agents contractuels est moins favorable que celui réservé au cadre permanent : l’âge de départ à la retraite du salarié contractuel est de 65 ans voire 40 ans, alors que les agents du cadre permanent partent à la retraite à 50 ou 55 ans, la durée de cotisations des agents contractuels est de 160 à 165 trimestres contre 150 trimestres pour les agents statutaires, les agents contractuels subissent en cas de départ anticipé une décote de 10% contre 0, 6% pour le régime spécial, les modalités de calcul des pensions, le taux de cotisations et l’indexation des pensions de retraite sont plus avantageux pour les agents du cadre permanent par rapport aux dispositions applicables aux agents contractuels.

Ces éléments de fait établis par les bilans sociaux, les règlements, annexes et statut laissent supposer l’existence d’une discrimination.

En premier lieu, l’employeur justifie la différence de traitement entre les retraités par la clause de nationalité et explique que le cadre permanent a été réservé aux nationaux pour des impératifs de sûreté nationale, la SNCF participant à une mission d’intérêt général.

Toutefois, les deux catégories d’agents ont indistinctement occupé les mêmes fonctions, de sorte que ce motif n’est pas pertinent.

En deuxième lieu, l’employeur soutient que la différence de traitement s’explique par le fait que les agents statutaires sont soumis à un statut administratif réglementaire alors que les agents contractuels relèvent du code du travail et des conventions collectives. Il fait valoir que la distinction de règles applicables aux agents statutaires et aux agents non statutaires au sein d’une même entreprise publique découle de l’article L.1211-1 du code du travail.

L’article L.1211-1 du code du travail énonce que les dispositions du code du travail sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés. Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques, employé dans les conditions du droit privé sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

En l’espèce, la discrimination alléguée procède de la différence de traitement en matière d’application des régimes de retraite qui s’applique uniquement selon que l’agent appartient ou non au statut du cadre permanent, exclusivement réservé aux personnes de nationalité française, alors qu’il a occupé tout au long de la relation contractuelle un emploi du dictionnaire des filières, comme les agents du cadre permanent.

Dès lors, l’existence de deux réglementations ne constitue pas un élément objectif et pertinent pour justifier une différence de traitement en matière de droit à retraite.

En dernier lieu, la SNCF Mobilités soutient avoir compensé les différences de régime entre les catégories de salariés.

Si l’employeur justifie avoir notamment permis aux agents contractuels de partir à la retraite à l’âge de 55 ans dans le cadre des accords des 10 septembre 1999 et 30 septembre 2004, ces mesures n’ont que partiellement atténué les différences de traitement entre les deux catégories d’agents tout en maintenant un système de retraite plus avantageux au profit du cadre permanent que celui prévu pour les agents contractuels notamment en terme de décote ou d’années de référence pour le calcul de la pension.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour considère que la SNCF Voyageurs ne prouve pas que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu’il a retenu l’existence d’une discrimination du salarié dans les droits à la retraite.

Sur le préjudice

Le salarié soutient que son préjudice doit être intégralement réparé. Il fait valoir que son préjudice correspond à la différence entre le montant de la pension qu’il aurait perçu s’il avait été affilié au régime spécial de retraite, en prenant comme base de calcul, le reclassement auquel il pouvait prétendre, et le montant de la pension qu’il perçoit au titre du régime général à laquelle il applique le barème de capitalisation 2016, et il applique le pourcentage de 52, 49 % au préjudice de carrière pour tenir compte des économies de cotisations réalisées par l’employeur.

Subsidiairement, il demande à la cour d’appliquer la méthode [F] retenue par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 31 janvier 2018 en retenant un pourcentage de 35%.

L’employeur conteste la base de calcul et la fiabilité des chiffres retenus par le salarié. Il soutient que le préjudice du salarié correspond aux droits à la retraite supplémentaires qui auraient été générés dans le régime général si le salarié avait perçu une rémunération supérieure durant sa carrière, en l’absence de discrimination. Les calculs du salarié ne sont pas fiables notamment en ce qu’ils prennent en compte une qualification que le salarié n’aurait jamais pu atteindre et n’incluent pas le montant des pensions complémentaires perçu.

Il propose d’appliquer la méthode de calcul retenue par la cour d’appel de Paris du 31 janvier 2018 selon la méthode [F] en incluant l’ensemble des éléments de rémunération perçus par le salarié ou subsidiairement de retenir la méthode de calcul retenue par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 31 janvier 2018 en la corrigeant par la prise en compte du 13 ème mois, selon la méthode retenue par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 27 mai 2021.

En l’espèce, au regard des éléments produits et du panel de référence de la SNCF retenu par la cour d’appel de Paris dans ses précédents arrêts, en prenant en compte le pourcentage de chance du salarié de terminer sa carrière dans une classe supérieure à celle à laquelle il a fini sa carrière (classe C), la cour détermine le salaire moyen pondéré en fonction des pourcentages suivants :

55, 23% de chances de terminer en C,

40, 76% de chances de terminer en D,

1, 09% de chances de terminer en E,

2, 08 % de chances de terminer en F,

0,68 % de chances de terminer en G,

0, 16% de chances de terminer en H.

Compte tenu du montant du salaire moyen de chaque classe à la date de rupture du contrat, ( 1 763 euros en classe A, 1 946 euros pour la classe B, 2 238 euros pour la classe C, 2 554 euros pour la classe D, 2 614 euros pour la classe E, 3 203 euros pour la classe F, 3 793 euros pour la classe G et 4 505 euros pour la classe H) appliqué aux pourcentages de chances retenus, le salaire moyen pondéré s’élève à 2 405, 17 euros.

Le dernier salaire mensuel brut du salarié, majoré pour y intégrer le 13 ème mois qu’il percevait chaque année, comparé au salaire moyen pondéré tel qu’il figure dans les bilans sociaux de la SNCF qui inclut le 13 ème mois, s’élève à 2 324, 01 euros.

Le préjudice de carrière est égal au salaire moyen pondéré moins le dernier salaire de base majoré du 13 ème mois multiplié par 12 mois, divisé par 2 pour tenir compte du caractère linéaire de l’évolution de carrière et du fait que l’écart de rémunération résultant de l’écart de qualification est nul en début de carrière et total en fin de carrière, et enfin multiplié par l’ancienneté.

En l’espèce, il s’élève à 51 389 euros ( 2 405, 17 – 2 145, 63) X12/2 X 33.

Après application de la méthode [F] corrigée et du pourcentage de 35% qui est retenu pour prendre en compte l’ensemble des avantages de retraite dont ont bénéficié les seuls agents du statut, la cour, par infirmation du jugement sur le quantum, condamne la SNCF Voyageurs à verser au salarié la somme de 17 986 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de retraite.

Sur les autres demandes

Il est rappelé que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jugement.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

L’équité commande d’allouer au salarié la somme nouvelle de 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Confirme le jugement rendu le 23 octobre 2020 sauf en ce qu’il a déclaré recevable la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et condamné la SNCF Voyageurs à verser à M. [N] les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêt pour préjudice moral et 34 890 euros au titre de la retraite ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

– Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

– Condamne la SNCF Voyageurs à verser à M. [N] la somme de 17 986 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de retraite ;

– Rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jugement ;

-Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

– Condamne la SNCF Voyageurs à verser à M. [N] la somme nouvelle de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la SNCF Voyageurs aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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