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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 01 MARS 2023
(n° 2023/ , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07203 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSAB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/05254
APPELANT
Monsieur [V] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222
INTIMÉE
S.A. CRITEO
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 10 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. [V] [Y] a été engagé par la société Criteo à compter du 31 octobre 2016, selon contrat de travail à durée indéterminée, au poste de seniors opérations Engineer (ingénieur opérations confirmé) position 3. 1 coefficient 170, statut cadre.
La société Criteo est spécialisée dans le secteur d’activité du conseil en systèmes et logiciels informatiques. Elle développe une activité de « retargeting » (publicité en ligne : affichage de bannières de publicité sur les sites).
M. [Y] occupait un poste d’informaticien au sein du service SRE (site reliability engeening) et exerçait pour partie à la production, pour partie en tant que développeur.
L’objet de son travail était de maintenir en conditions opérationnelles et d’améliorer l’infrastructure logiciel.
Il percevait, en dernier lieu, un salaire fixe de 5.914,67 € bruts.
Sur les 12 derniers mois de la collaboration (octobre 2017 ‘ septembre 2018), M. [Y] a perçu un salaire moyen de 7.366,95 euros bruts.
Le 24 mai 2018, la société Criteo lui a remis une convocation à entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture du contrat de travail et l’a mis à pied à titre conservatoire à effet immédiat.
L’entretien préalable s’est déroulé le vendredi 1er juin 2018.
Par lettre adressée le 15 juin 2018, la société a notifié à M. [Y] son licenciement pour faute.
Le 17 juin 2019, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement d’heures supplémentaires et de dommages-intérêts.
Par jugement du 17 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– condamné la société Criteo à verser à M. [Y] en derniers ou quittances les sommes de :
– 6 506,14 € à titre de rappel de rémunération variable, du 1er janvier au 15 juin 2018
– 650,61 € au titre des congés payés afférents,
avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,
– débouté M. [Y] de ses autres demandes,
– débouté la société Criteo de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de ses demandes reconventionnelles,
– condamné la société Criteo aux dépens.
M. [Y] a interjeté appel le 22 octobre 2020.
Selon ses dernières conclusions, remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 28 novembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [Y] demande à la cour de :
Déclarer M. [V] [Y] recevable et bien fondé en son appel
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 17 juillet 2020 en ce qu’il a condamné la société Criteo à verser à M. [V] [Y] une somme de 6506,14 € à titre de rappel de rémunération variable du 1er janvier au 15 juin 2018, ainsi que 650,61 € à titre de congés payés afférents,
Infirmer le jugement pour le surplus,
Statuer à nouveau
1. Prononcer l’inopposabilité de la convention de forfait jours figurant dans le contrat de travail de M. [V] [Y], sur le fondement des articles L. 3121-39 et L. 3121-43 du code du travail,
Prononcer l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées, effectuées par M. [Y]
En conséquence
Condamner société Criteo à verser à M. [Y] les sommes suivantes :
‘ 13 153,71 € à titre de rappel d’heures supplémentaire, ainsi que 1 315 ,37 € de congés payés afférents.
‘ 535 € à titre de rappel sur indemnité de licenciement,
‘ 52 695 € nets (6 mois) à titre d’indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l’article L. 8223-1 du code du travail.
‘ 26 348 € nets (3 mois) à titre de dommages intérêts spécifiques, sur le fondement des articles L. 3121-39, L. 3121-43 et L. 1222-1 du code du travail.
2. Prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement notifié par la société Critéo à M. [Y] par lettre du 15 juin 2018,
En conséquence
Condamner société Criteo à verser à M. [Y] une somme de 52 695 € nets (6 mois) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, le conseil (sic) écartant le plafond du barème comme contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ratifié par la France le 16 mars 1989 et à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996.
3. Dire et juger que dès lors que le motif de licenciement ne justifie pas de mesures conservatoires, la dispense d’activité notifiée à M. [Y] dès sa convocation à entretien préalable est abusive,
En conséquence
Condamner la société Criteo à verser à M. [Y] une somme de 26 348 € nets (3 mois) à titre de dommages et intérêts pour condition vexatoire de la rupture et atteinte à la liberté du salarié de se défendre,
4. Dire et juger que la société Criteo n’a pas versé à M. [Y] sa rémunération variable pour l’année 2018,
En conséquence
Confirmer la condamnation de la société Criteo à verser à M. [V] [Y] une somme de 6 506,14 € à titre de rappel de rémunération variable du 1er janvier au 15 juin 2018, ainsi que 650,61 € à titre de congés payés afférents,
Condamner la société Criteo à verser à M. [Y] les sommes suivantes :
‘ 3 548,81 € à titre de rappel de rémunération variable durant le préavis, ainsi que 354,88 € de congés payés afférents.
‘ 8 782,45 € nets (1 mois) à titre de dommages et intérêts spécifiques, sur le fondement de l’article L. 3242-1 du code du travail, et 1134 et 1147 du code civil.
5. Dire et juger que du fait de son licenciement, M. [Y] a perdu la possibilité de bénéficier d’une attribution d’actions gratuites (RSU)
En conséquence
Condamner société Criteo à verser à M. [Y] une somme de 12 178,41 € à titre de dommages intérêts spécifiques pour perte de chance d’obtenir la dotation en actions RSU.
En tout état de cause
A titre principal
6. Débouter la société Critéo de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire
Prononcer la limitation de la somme due par M. [Y] à la société Criteo au titre des JRTT prétendument indûment versés à la somme de 1 €, sur le fondement de l’article 1302-3 du code civil, compte tenu de la faute de la société Criteo à l’origine de l’inopposabilité de la convention de forfait jours,
Débouter la société Critéo de l’ensemble de ses autres demandes, fins et conclusions,
7. Condamner la société Critéo à délivrer à M. [Y] des bulletins de paie, et des documents sociaux conformes au jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document,
8. Se réserver le contentieux de la liquidation de l’astreinte,
9. Dire que les condamnations prononcées seront assorties des intérêts au taux légal, et anatocisme conformément à l’article 1343-2 du code civil
10. Condamner la société Criteo à verser à M. [Y] une somme de 5 000 € au titre au de l’article 700 du code de procédure civile,
11. Condamner la société Criteo aux entiers dépens ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution.
Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 28 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Criteo demande à la cour de :
A titre principal :
– Juger que le licenciement pour faute simple est justifié ;
– Juger que M. [Y] n’apporte pas la preuve de l’illicéité de sa convention de forfait jours ou à défaut, dire qu’il n’apporte pas de commencement de preuve pour obtenir le paiement d’heures supplémentaires ;
– Juger que M. [Y] n’apporte pas la preuve d’une exécution de mauvaise foi du contrat de travail ;
– Donner acte à la société Criteo du paiement de la rémunération variable ;
En conséquence de :
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes et en conséquence débouter M. [Y] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner M. [Y] à verser à la société Criteo une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
A titre subsidiaire :
– Juger que l’article L.1235-3 du code du travail est conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT ratifié par la France le 16 mars 1989 et à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 ;
– Fixer le salaire moyen de M. [Y] à 7.366,95 € ;
– Limiter à 1 mois de salaire (7.366,95 €) les dommages et intérêts selon le barème Macron
– Condamner M. [Y] à verser à la société Criteo 5.050,86 € bruts au titre des JRTT indûment versés et en conséquence débouter M. [Y] de sa demande visant à limiter la somme à 1 € sur le fondement de l’article 1302-3 du code civil ;
Confirmer le jugement pour le surplus et par conséquent :
– Débouter M. [Y] de ses demandes dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat, ou réduire leur montant à hauteur des préjudices constatés ;
En tout état de cause :
– Condamner M. [Y] à verser à la société Criteo une indemnité de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 novembre 2022.
MOTIFS :
Sur la convention de forfait jours :
En vertu de l’article L3121-58 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l’article L. 3121-64 :
1° Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
Il appartient au juge de vérifier en cas de litige, que les fonctions effectivement exercées par le cadre ne lui permettent pas d’être soumis à l’horaire collectif de travail.
L’accord d’entreprise du 18 mars 2016 dispose en son article 5.1 que ‘Les parties constatent que, compte tenu de l’activité et de l’organisation de l’entreprise, il existe des cadres qui disposent d’une large autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein du service ou de l’équipe auquel ils appartiennent. (‘)
Au sein de la Société, les fonctions suivantes sont notamment concernées :
‘ Vice-président des équipes Business Development, Commerciale, Business Intelligence, Finance, Juridique, Ressources Humaines, Implémentation et Support, Produit, Marketing, R&D, informatique Interne, Production, Webdesign
‘ Directeur des équipes Business Developmnent. Commerciale, Business Intelligence, Finance, Juridique, Ressources Humaines, Implémentation et Supporl, Produits, marketing, R&D,
informatique interne, Production, Webdesign,
‘ Responsable des équipes Business Development, Commerciale, Business intelligence, Finance, Juridique. Ressources Humaines, Implémentation et Support, Produit, Marketing, R&D,
Informatique interne, Production, Webdesign disposant d’une autonomie et d’une expérience suffisante
‘ Managers ou Lead des équipes Business Development, Cornmerciale, Business Intelligence, Finance, Juridique, Ressources Humaines, Implémentation et Support, Produit, Marketing, R&D, Informatique interne, Production, Webdesign disposant d’une autonomie et d’une expérience suffisante
‘ Les salariés Seniors contributeurs Individuels des équipes Business Development, Cornmerciale, Business Intelligence, Finance, Juridique, Ressources Humaines, Implémentation et Support, Produit, Marketing, R&D, Informatique interne, Production, Webdesign disposant d’une autonomie et d’une expérience suffisante.’
En l’espèce, M. [Y] conteste disposer de l’autonomie requise pour relever du régime du forfait jours et soutient que son poste ne figure pas dans la liste des postes désignés comme cadres autonomes dans l’accord d’entreprise.
Au regard des pièces produites, son emploi d’ingénieur opérations confirmé ne figure pas dans la liste établie par l’accord collectif de travail du 18 mars 2016 désignant les cadres autonomes éligibles au forfait jour.
L’employeur soutient que le poste de Senior Opérations Engineer (Ingénieur Opérations Confirmé) qu’occupait M. [Y] faisait de lui un « Senior contributeur individuel de l’équipe R&D » au sens de l’accord d’entreprise, emploi référencé comme cadre autonome. Toutefois, aucune des pièces produites ne décrit l’emploi occupé et son degré d’autonomie ni ne précise dans quelle mesure l’emploi d’ingénieur opération confirmé relève de la catégorie de « Senior contributeur individuel de l’équipe R&D » ni ne décrit l’organisation du travail. L’autonomie alléguée de M. [Y] dans son travail n’est pas caractérisée de sorte que les conditions d’application à son temps de travail du forfait jours ne sont pas réunies.
Le régime du forfait jours ne lui est donc pas opposable.
M. [Y] ayant été soumis à tort à un forfait annuel en jours peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre conformément aux dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail.
Sur les heures supplémentaires :
L’article L3171-2 prévoit que lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Le comité social et économique peut consulter ces documents.
Selon l’article L3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
M. [Y] expose qu’il travaillait 40 heures par semaine, effectuait une heure supplémentaire par jour et produit un décompte des heures supplémentaires dont il sollicite le paiement.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
L’employeur répond que la rémunération contractuelle de M. [Y] était supérieure de 40% au minimum conventionnel afin de compenser l’absence de paiement des heures supplémentaires.
Si un tel dispositif peut être convenu s’agissant d’un forfait en heures, le juge devant alors vérifier si la rémunération contractuelle versée par l’employeur en exécution du forfait irrégulier n’a pas eu pour effet d’opérer le paiement des heures accomplies au delà de la durée légale de 35 heures, tel n’est pas le cas pour un salarié soumis à un forfait en jours.
Dès lors, la rémunération convenue de gré à gré entre les parties ne peut être considérée comme compensant les heures supplémentaires dont M. [Y] demande le paiement dans le cadre de la présente instance.
Au regard des éléments soumis à son appréciation, la cour a la conviction que M. [Y] a réalisé les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement. La société Critéo est en conséquence condamnée à lui payer la somme de 13 153,71 euros au titre des heures supplémentaires et la somme de 1 315,37 euros de congés payés y afférents.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur la demande reconventionnelle relative à des JRTT indûment versés :
L’inopposabilité de la convention de forfait jours rend indus les jours de réduction du temps de travail dont a bénéficié le salarié et justifie sa condamnation à en rembourser les journées payées.
C’est vainement que M. [Y] invoque un temps de travail de 36,5 heures par semaine et 10 jours de RTT annuels applicables aux salariés hors forfait dès lors qu’il a procédé à un calcul d’heures supplémentaires sur la base de la durée légale de 35 heures.
La somme due au titre des jours de RTT payés s’élève donc à 5 050,86 euros bruts.
Il n’est en outre pas démontré que l’employeur ait commis une faute en appliquant à M. [Y] le régime du forfait-jours.
En l’absence de faute de l’employeur, il n’y a pas lieu à réduction du paiement au sens de l’article 1302-3 du code civil.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de la société.
Sur les dommages-intérêts pour travail dissimulé :
En vertu de l’article L8221 – 5 du code du travail,’Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’application d’une convention de forfait à un salarié qui ne répond pas aux critères d’autonomie dans le travail ne caractérise pas le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé.
En l’absence de preuve d’une intention de dissimulation d’heures de travail, la demande indemnitaire formulée au titre d’un travail dissimulé est rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur le licenciement :
En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable en l’espèce, l’administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l’entreprise et justifier le licenciement du salarié, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement est libellée comme suit :
‘Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien préalable du 1er juin 2018, auquel vous avez été dûment convoqué par lettre remise en main propre en date du 24 mai 2018, et lors duquel nous vous avons exposé les motifs qui nous amenaient à envisager votre éventuel licenciement.
Vos explications ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation de la situation, nous avons décidé de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute.
Vous avez intégré notre Société le 31 octobre 2016 et exercez en dernier état en qualité de « Senior Operations Engineer », statut cadre, position 3.1, coefficient 170, selon la convention collective applicable IDCC 1486 – Bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs – conseil et sociétés de conseil.
Pour rappel des faits, le jeudi 24 mai 2018, à la fin de la réunion d’équipe « stand-up » qui a lieu comme chaque jour dans l’openspace, Monsieur [O] [M], votre responsable direct, vous a demandé de lui fournir la liste des pairs auxquels vous souhaitiez demander un retour dans le cadre du processus d’évaluation de la performance alors en cours.
Sans aucune raison valable, vous avez alors purement et simplement refusé de vous conformer à cette demande, arguant que vous étiez contre ce processus d’évaluation et que vous ne vouliez pas que votre travail et vos résultats puissent d’une manière ou d’une autre apporter du crédit à M. [U] [S], responsable du département SRE («Site Reliabiliy Engineering»),auquel vous appartenez. Selon vos propres propos, tenus en présence de l’équipe et en plein openspace, vous avez indiqué que Monsieur [U] [S] était un « connard » et que, dans la mesure où vous étiez sur le point de démissionner, ce processus d’évaluation était donc inutile.
Monsieur [O] [M], tentant d’apaiser la situation, vous a proposé d’en rediscuter lors d’un point individuel. En réponse, vous vous êtes adressé à lui de manière particulièrement déplacée avec un ton empreint d’une certaine agressivité, lui demandant ce qu’il n’avait pas compris à vos premiers propos, ajoutant que ce point était inutile puisque vous n’aviez « rien à cacher » et que « tout te monde devait savoir que Monsieur [U] [S] était un mauvais manager et nul techniquement ».
A la fin de la réunion d’équipe, tous les membres de votre équipe ont traversé l’openspace pour regagner leurs postes de travail respectifs. Monsieur [O] [M] vous a alors à nouveau demandé de” le suivre pour rediscuter avec lui de l’incident qui venait de se produire. Vous avez refusé de le suivre en lui précisant à nouveau que vous n’aviez rien à cacher et, mettant les mains en porte-voix, vous avez alors dit à haute et distincte voix en plein openspace et devant d’autres équipes présentes « [U] est un connard, il ne faut pas travailler pour lui ».
Puis, après avoir finalement accepté de discuter seul à seul avec Monsieur [O] [M], sans toutefois décolérer pendant ces 20 minutes de discussion, vous vous êtes ensuite absenté de votre poste de travail pendant environ une heure, ce sans autorisation.
A votre retour, votre responsable direct ainsi que son responsable, Monsieur [K] [E], embarrassés par la situation et votre comportement, ont souhaité discuter avec vous au calme, afin notamment de ne pas perturber vos collègues.
Après plusieurs refus, vous avez finalement daigné accepter cette discussion et, à cette occasion, vous avez réitéré vos critiques à l’encontre de Monsieur [U] [S], indiquant qu’il était « nul » et que c’était un « très mauvais manager ».
Monsieur [K] [E] vous a proposé de prendre un ou deux jours de repos pour vous permettre de prendre un peu de recul. Celui-ci insistant un peu compte tenu de votre attitude, vous lui avez répondu de façon menaçante « et qu’est-ce que tu vas faire si je ne pars pas ‘ », que vous n’alliez pas en rester là et que tout le monde devait savoir que Monsieur [U] [S] était incompétent.
A votre retour de pause déjeuner. Madame [Z] [P], Responsable RH, a souhaité vous voir, ce que vous avez refusé à plusieurs reprises en lui précisant qu’elle n’était pas votre responsable et que vous n’aviez pas à lui obéir. Madame [Z] [P] vous a alors demandé si vous préfériez qu’elle fasse appel à votre management, ce à quoi vous avez répondu « Ils peuvent venir, je leur dirai non aussi comme ça vous pourrez me virer ».
Vous avez donc fait preuve à plusieurs reprises d’insubordination, outrepassé votre liberté d’expression et dénigré publiquement votre hiérarchie et la société, ce que nous ne pouvons tolérer. L’ensemble de ces faits sont en effet contraires à nos règles et procédures internes ainsi qu’à l’attitude la plus élémentaire qu’il convient d’adopter dans le cadre professionnel.
Compte tenu de ce comportement inacceptable, il vous a été notifié une convocation à entretien préalable assortie d’une mise à pied conservatoire.
Lors de l’entretien préalable du 1er juin dernier, vous avez confirmé ces faits, réitéré l’ensemble des critiques déjà exprimées à rencontre de votre hiérarchie en précisant que vous jugiez plus largement la stratégie du pôle « Recherche & Développement » comme inexistante, confirmant ainsi votre posture d’opposition négative.
Compte tenu de ces éléments étayés par vos propres déclarations, nous sommes donc contraints de prononcer par la présente votre licenciement pour faute.
La date de première présentation de la lettre de licenciement marquera le point de départ de votre préavis d’une durée de trois mois que nous vous dispensons d’effectuer, mais qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances normales de paye.’
Le salarié conteste avoir tenu les propos qui lui sont reprochés mais admet avoir exprimé sa ‘réticence’ concernant le mode d’évaluation et son ‘insatisfaction concernant l’organisation du travail’, avoir déclaré qu’il envisageait de démissionner et avoir indiqué clairement qu’il ne voulait plus travailler avec M. [U] [S], son N+3, ‘compte tenu des problèmes relatifs à la prise de décision’.
M. [T] et M. [M] attestent que M. [Y] a dit de manière à être entendu par tous dans l’open space ‘[U] [S] est un connard’. Ces propos injurieux formulés à l’égard de son N+3 et devant ses collègues et N+1 sont fautifs.
Le fait que M. [Y] désapprouve le mode d’évaluation appliqué au cours de la société ne saurait justifier de tels propos qui excèdent la liberté d’expression.
Les témoins attestent d’un premier refus de M. [Y] de s’entretenir en aparté avec son N+1 puis avec la représentante du services des ressources humaines manifestant son attitude protestataire confinant à l’insubordination.
Même si M. [Y] n’avait aucun antécédent disciplinaire et produisait un travail de qualité, son comportement d’opposition à tout travail avec son N+3 et de discrédit des compétences de son supérieur, en ce qu’il a été réitéré et exprimé par des propos violents et injurieux, est constitutif d’une faute de nature à justifier son licenciement.
Le fait que le licenciement de M. [Y] soit intervenu alors qu’il avait exprimé son mal-être concernant les processus de décision et avait émis le souhait de participer à l’évaluation de son N+3 n’est pas de nature à rendre ce licenciement déloyal contrairement à ce qu’il soutient dès lors qu’il ne lui est pas reproché l’expression d’un désaccord mais l’abus de sa liberté d’expression par l’usage de propos injurieux.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, cette sanction n’est pas disproportionnée. Le licenciement est donc justifié. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture et atteinte à la liberté de se défendre du salarié :
M. [Y] soutient que la dispense d’activité lui a causé un préjudice distinct par son caractère vexatoire, ayant été contraint de quitter l’entreprise du jour au lendemain, sans pouvoir préparer son départ, et sans pouvoir saluer ses collègues. Il ajoute qu’en étant dispensé d’activité, il ne pouvait plus accéder à son poste de travail, rencontrer ses collègues et donc préparer sa défense. Il soutient que cette dispense d’activité constitue une atteinte à son droit d’organiser sa défense qui n’est pas proportionnée au but recherché, à savoir, le licenciement du salarié pour faute.
Si M. [Y] a été mis à pied le 24 mai 2018, l’employeur ayant retenu une faute simple et non une faute grave, il a, dans le cadre du solde de tout compte, rémunéré la période de mise à pied de sorte que M. [Y] n’a pas subi de préjudice financier.
S’il n’a pas été en mesure de saluer ses collègues avant son départ ni d’accéder à son poste de travail, compte tenu de la nature des faits qui lui étaient reprochés à savoir des injures en présence des autres salariés, la mise à pied disciplinaire était la seule mesure de nature à faire cesser son comportement. Cette décision de l’employeur n’est donc ni fautive ni disproportionnée et ne saurait en conséquence justifier l’allocation des dommages-intérêts sollicités.
La demande est en conséquence rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de rappel de rémunération variable :
L’article 5 du contrat de travail stipule que ‘En contrepartie de son travail, le salarié percevra une rémunération annuelle brute de 69 000 euros versée sur 12 mois soit 5 750 euros mensuels bruts.
5.1 Le salarié est éligible au versement éventuel d’une rémunération variable en application du Plan Criteo Performance Bonus mis en place au sein de l’entreprise, sous réserve de l’atteinte des objectifs unilatéralement définis par le plan, pouvant aboutir au versement d’un bonus à hauteur de 20% de son salaire de base annuel.
5.2 Le salarié déclare par la signature du présent contrat de travail avoir reçu en main-propre la politique de rémunération de Criteo Performance Bonus.
5.3 Le plan, Criteo Performance Bonus sera applicable dès (sic) au titre de l’exercice au cours duquel est conclu le présent contrat. Il est précisé que les objectifs fixés par le plan sont révisables chaque année’
M. [Y] soutient que sa rémunération variable pour l’année 2018 ne lui a pas été versée. Il sollicite la somme de 6 506,14 euros au titre de la période du 1er janvier 2018 au 15 juin 2018 outre 650,61 euros de congés payés y afférents et la somme de 3 548,81 euros pour la durée du préavis et 354,88 euros de congés payés y afférents.
L’employeur justifie du paiement d’une somme de 5 678 euros bruts au titre de la paie de juillet 2018 et d’une somme de 4 376,95 euros bruts soit 3 004,14 euros nets par virement le 8 juillet 2020 soit une somme totale de 10 054,95 euros bruts.
La demande est en conséquence rejetée et le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts pour versement tardif de la rémunération variable :
Si l’article L3242-1 du code du travail prévoit le paiement mensuel du salaire, le versement de la part variable de la rémunération n’est pas soumise à cette obligation.
En attendant pour procéder au paiement que M. [Y] sollicite le paiement du solde du bonus 2018 devant le conseil de prud’hommes, demande portée à la connaissance de la société Criteo le 26 septembre 2019, celle-ci a manqué à son obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Le préjudice subi à ce titre sera réparé par l’allocation de la somme de 100 euros. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance d’obtenir la dotation en actions RSU :
Le 1er mars 2017, le conseil d’administration de la société Criteo a attribué gratuitement à M. [Y] un droit à recevoir 1 000 actions ordinaires de la société d’une valeur nominale de 0,025 euro chacune à l’issue d’une période d’acquisition.
La notification d’attribution mentionnait que la période à l’issue de laquelle l’attribution serait effective et définitive était fixée à quatre ans à compter de la date d’attribution à raison de 50% des actions acquises au deuxième anniversaire de la date d’attribution puis 6,25% par période de trois mois pendant les deux années suivantes. A l’issue de la période d’acquisition, les actions sont définitivement acquises à moins que le salarié ne cesse d’exercer toutes les fonctions (salariées et/ou mandataire social) au sein du groupe Criteo pour quelque raison que ce soit pendant la période d’acquisition sous réserve d’une acquisition partielle en cas de rupture du contrat plus d’un an après la date d’attribution des actions.
En l’espèce, M. [Y] a été licencié le 15 juin 2018 mais est sorti des effectifs le 17 septembre 2018 soit au cours de la période d’acquisition de 4 années ayant débuté le 1er mars 2017 et plus d’un an après la date d’attribution. Il avait acquis 386 unités des 1000 RSU promis.
Il n’a en revanche pas acquis 614 RSU. Il demande réparation de cette perte de chance. Toutefois, celle-ci est consécutive à son licenciement lequel lui est imputable à faute. M. [Y] ne peut donc obtenir réparation d’une perte qui n’est pas imputable à son employeur.
Sa demande est en conséquence rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil, les créances salariales sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
En vertu de l’article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
S’agissant des créances de M. [Y], les intérêts échus sur une année entière produiront eux-mêmes des intérêts à compter de la demande formée par lui.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de rejeter les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande de paiement d’heures supplémentaires et de congés payés y afférents, la demande de rappel de rémunération variable, de dommages-intérêts pour versement tardif de la rémunération variable et la demande reconventionnelle en répétition des jours de réduction du temps de travail,
CONDAMNE la société Criteo à payer à M. [V] [Y] les sommes de :
– 13 153,71 euros au titre des heures supplémentaires et 1 315,37 euros de congés payés y afférents,
– 100 euros à titre de dommages-intérêts pour versement tardif de la rémunération variable,
REJETTE la demande de rappel de rémunération variable,
DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la notification de la demande à l’employeur et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus sur une année entière,
CONDAMNE M. [V] [Y] à payer à la société Criteo la somme de 5 050,86 euros bruts en répétition des jours de réduction du temps de travail indûs,
REJETTE les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT