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CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 juin 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 409 F-D
Pourvoi n° T 19-24.104
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUIN 2021
M. [F] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-24.104 contre l’arrêt rendu le 24 septembre 2019 par la cour d’appel d’Angers (chambre A – civile), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Ouest-France, société anonyme à directoire, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d’appel d’Angers, domicilié en son parquet général, Palais de justice, Place du général Leclerc, rue Waldeck Rousseau, 49000 Angers,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M], de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Ouest-France, après débats en l’audience publique du 7 avril 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon-Dubuquet, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Angers, 24 septembre 2019), la société Ouest-France, s’estimant injuriée par des propos tenus par M. [M], maire de la ville de Cholet, au cours d’une séance publique du conseil municipal et d’une réunion publique de quartier, organisées les 11 juillet et 31 août 2016, a assigné celui-ci en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. M. [M] a opposé la nullité de l’assignation, l’irrecevabilité de la demande de la société et l’exception de provocation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. M. [M] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’irrecevabilité, pour défaut de qualité ou d’intérêt à agir, de la société Ouest-France du chef des injures suivantes : « une presse totalitaire », « leur manière de traiter l’information est vraiment à vomir et je leur vomis dessus », « Boycottons ces torchons », alors :
« 1°/ que l’action en réparation d’une atteinte à la considération ou à l’honneur n’est ouverte qu’à la personne visée par les propos supposément diffamatoires ou injurieux ; qu’en l’espèce, il résulte des constatations de l’arrêt attaqué que lors d’une séance publique du conseil municipal de Cholet qui s’est tenue le 11 juillet 2016, M. [M] a tenu les propos suivants : « De la même façon l’autre jour un compte-rendu sur une affaire qui porte sur une personne de notre service avec laquelle nous avons eu maille à partir à plusieurs reprises, Et la personne qui a signé l’article, une ordure ! Et je pèse mes mots, une ordure, une ordure ! La personne qui a signé l’article est une ordure parce qu’elle a inventé toute une histoire dans ce dossier qui n’existe pas et qui en plus porte atteinte à la vie privée d’élus, en la déformant qui plus est (…). Donc je le dis cette personne pour moi est une ordure, pas plus (…). En tout cas cette personne aura à répondre de ces faits devant la justice parce que c’est intolérable, intolérable qu’on invente une histoire qui n’existe pas ! Et ça j’appelle ça une presse totalitaire » ; que, pour dire que la société Ouest-France était recevable à agir sur le fondement de l’injure publique, au titre des propos « une presse totalitaire », la cour d’appel a retenu que si le journaliste non cité nominativement était traité « d’ordure » et seul à pouvoir se plaindre en justice de cette désignation injurieuse, et s’il était fait référence à la famille [R] pour dénoncer les conditions dans lesquelles elle aurait acquis le journal Ouest- France après guerre, la désignation de « presse totalitaire » vise sans ambiguïté la société Ouest-France qui était parfaitement identifiable, et que le contexte dans lequel les propos en cause ont été prononcés permettait de déduire que l’organe de presse visé pouvait être identifié comme le journal Ouest-France ; qu’en statuant de la sorte, quand l’invocation par M. [M] d’une « presse totalitaire » faisait suite à la critique d’un article écrit par un journaliste non dénommé auquel il était reproché d’avoir « invent[é] une histoire qui n’existe pas », et ne visait donc pas la société Ouest-France contre laquelle aucune critique précise n’était articulée, mais les méthodes employées par le journaliste dans la confection de l’article en cause, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l’article 31 du code de procédure civile, ensemble 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que la cour d’appel a constaté que lors d’une séance publique du conseil municipal de Cholet qui s’est tenue le 11 juillet 2016, M. [M] a tenu les propos suivants : « De la même façon l’autre jour un compte-rendu sur une affaire qui porte sur une personne de notre service avec laquelle nous avons eu maille à partir à plusieurs reprises, Et la personne qui a signé l’article, une ordure ! Et je pèse mes mots, une ordure, une ordure ! La personne qui a signé l’article est une ordure parce qu’elle a inventé toute une histoire dans ce dossier qui n’existe pas et qui en plus porte atteinte à la vie privée d’élus, en la déformant qui plus est (…). Donc je le dis cette personne pour moi est une ordure, pas plus (…). En tout cas cette personne aura à répondre de ces faits devant la justice parce que c’est intolérable, intolérable qu’on invente une histoire qui n’existe pas ! Et ça j’appelle ça une presse totalitaire. Alors je sais comment la famille [R] a récupéré Ouest-France après la guerre ! [B] ils peuvent se donner des grands prix de vertu mais soyons sérieux, il y a un moment leur manière de traiter l’information c’est vraiment à vomir et je leur vomis dessus ! » ; qu’en jugeant que la société Ouest-France était recevable à agir pour injure publique au titre de ces derniers propos, quand il résultait de ses constatations qu’ils visaient un journaliste non dénommé à raison d’un article jugé mensonger, ainsi que la « famille [R] », non le journal Ouest-France, la cour d’appel a encore violé l’article 31 du code de procédure civile, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. » ;
Réponse de la Cour
3. L’arrêt relève que l’analyse des déclarations de M. [M] faites le 11 juillet 2016 dont sont extraits les propos « une presse totalitaire » et « leur manière de traiter l’information, c’est vraiment à vomir et je leur vomis dessus », la mention par celui-ci de la famille [R], fondatrice du journal et le contexte dans lequel ils ont été prononcés, caractérisé par la publication d’articles à cette époque par ce même journal, permettent d’identifier sans ambiguïté la société Ouest-France.
4. En l’état de ces énonciations, qui procèdent de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve, pour partie extrinsèques, qui lui étaient soumis, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que la société Ouest-France était visée par ces propos.
5. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. M. [M] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en nullité de l’assignation du 10 octobre 2016 , sur le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, alors « qu’à peine de nullité la citation délivrée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit mentionner les faits poursuivis, leur qualification et la peine applicable ; que, pour rejeter le moyen de nullité de l”assignation introductive d’instance, tiré du visa dans cet acte de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, sans indication de la peine effectivement applicable, la cour d’appel a retenu qu’il ne faisait aucun doute à la lecture de l’assignation que les propos reprochés à M. [M] sous la qualification d’injures publiques ne pouvaient relever que de la sanction prévue au deuxième alinéa de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, au titre des injures contre les particuliers ; qu’en statuant de la sorte, quand l’assignation délivrée à M. [M] se bornait à viser l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, lequel édicte différentes peines applicables en fonction de la teneur des propos en cause, et renvoie à d’autres articles de la loi du 29 juillet 1881 non mentionnés dans l’assignation, ce dont il résulte qu’il existait une incertitude sur la nature exacte de la peine encourue par M. [M], la cour d’appel a violé les articles 33 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. »