Humour | Parodie : 30 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01936

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Humour | Parodie : 30 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/01936
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ARRÊT DU

30 Juin 2023

N° 922/23

N° RG 21/01936 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T6KX

PS/CH

Jonction avec

RG : 22/151

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

07 Octobre 2021

(RG F 19/00452 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 30 Juin 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

Mme [Y] [H]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Laurence BONDOIS, avocat au barreau de LILLE, substitué par Me Seham EL MOKHTARI, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. WHITE RABBIT PICTURES

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Thomas NORMAND, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Séverine STIEVENARD

DÉBATS : à l’audience publique du 11 Avril 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 mars 2023

FAITS ET PROCEDURE

La SARL WHITE RABBIT PICTURES (WRP), spécialisée dans la production audiovisuelle, employait lors des faits litigieux moins de 5 salariés oeuvrant sous l’autorité des cogérants, MM [V] et [X]. Le 12 avril 2016 elle a engagé Mme [H] en qualité de stagiaire avant de pérenniser son emploi de graphiste à compter du 1er mars 2017. Suite à deux entretiens les 19 et 24/7/2018 les parties ont conclu une rupture conventionnelle ultérieurement homologuée par l’administration.

Le 14 mai 2019 Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille de demandes au titre de l’exécution du contrat de travail et d’une annulation de la rupture conventionnelle. Elle en a été déboutée par jugement l’ayant condamnée à payer à la société WRP la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [H] a formé appel principal par déclaration du 9/11/2021 complétée le 3/2/2022.

Dans ses conclusions du 2 février 2023 elle demande à la cour de :

«prononcer la nullité de la rupture conventionnelle, juger que la rupture du contrat s’analyse en un licenciement nul et subsidiairement sans cause, condamner la société WRP à verser les sommes suivantes :

3.518,00 € bruts d’indemnité compensatrice de préavis, outre 351,80 € de congés payés afférents,

15.000,00 € de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

8.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct,

5.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité

996,94 € bruts à titre de rappel de salaire, outre 99,69 € de congés payés afférents,

10.554,00 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

4.500,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Débouter la Société WHITE RABBIT PICTURES de l’ensemble de ses demandes

Ordonner la communication du certificat de travail, de l’attestation Pôle Emploi et du solde de tout compte modifiés sous astreinte de 50,00 € par jour et par document

juger qu’en application de l’article 1231-7 du Code Civil, les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts à compter de la date de convocation ou, subsidiairement, à compter de la date du prononcé, avec capitalisation…»

Par conclusions du 13 mars 2023 la société WRP demande la confirmation du jugement à l’exception du rejet de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive au titre de laquelle elle réclame une certaine somme outre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Pour une bonne administration de la justice il convient d’ordonner la jonction des affaires enregistrées sous les numéros 21/1936 et 22/151.

La demande au titre des heures supplémentaires

Aux termes de l’article L 3171-2 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées prétendument accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre en produisant ses propres éléments.

Conformément au contrat de travail Mme [H] travaillait 39 heures par semaine, dont 17,33 majorées comme heures supplémentaires. Elle soutient avoir travaillé systématiquement de 10 à 19 heures, soit 40 heures par semaine après déduction d’une heure de pause méridienne. Elle ajoute que le récapitulatif des heures prestées entre juillet 2016 et septembre 2018, étayé notamment par des attestations de collègues, suffit à fonder sa réclamation.

Sur ces éléments suffisamment précis l’employeur indique que le décompte adverse repose sur des données forfaitaires non crédibles, qu’il ne prend pas en considération les nombreux retards de la salariée à la prise de service et qu’elle a bénéficié d’autorisations ponctuelles d’absences n’ayant pas donné lieu à retenues de salaires.

Sur ce,

La salariée était soumise à l’horaire collectif de 39 heures mentionné au contrat de travail. Ses bulletins de paie font apparaître le paiement mensuel systématique de 17,33 heures supplémentaires majorées de 10 %, outre d’autres heures supplémentaires majorées selon le cas de 25 ou de 50 %. Tel a été le cas septembre 2017. Dans son décompte du mois considéré l’intéressée mentionne 31 heures supplémentaires mais cette assertion est contraire à la réalité puisqu’au total plus de 40 heures supplémentaires majorées lui ont été réglées. Son tableau récapitulatif, établi a posteriori pour les besoins de la cause, ce qui ne lui confère pas la même force probante que s’il s’agissait de relevés échelonnés établis au fur et à mesure, est donc émaillé d’incohérences. Il n’est du reste pas parfaitement concordant avec les attestations de personnels objectivant quelques retards à la prise de service et l’octroi d’autorisations d’absence ponctuelles sans retenue de salaire.

Vu l’ensemble de ces éléments sa demande sera rejetée.

La demande d’indemnité de travail dissimulé

Il ressort des bulletins de paie que toutes les rémunérations ont été assujetties aux cotisations sociales de sorte que n’est caractérisée aucune volonté de l’employeur d’échapper à ses obligations en la matière. Plus généralement, rien ne met en évidence une soustraction de sa part à ses obligations alors même qu’il n’a été destinataire d’aucune réclamation portant sur le temps de travail et qu’il n’existe aucune créance d’heures supplémentaires. Par ailleurs, il n’est ni établi ni même soutenu que l’emploi n’ait pas été régulièrement déclaré aux autorités compétentes ni que l’employeur ait méconnu ses obligations déclaratives. L’article L 8223-1 du code du travail réservant le bénéfice de l’indemnité pour travail dissimulé aux seuls salariés auxquels l’employeur a eu recours en violation des articles L 8221-3 et L 8221-5 du code du travail, ce qui dans la présente affaire n’est pas avéré faute de dissimulation, la demande sera rejetée.

Les demandes au titre du harcèlement et de l’obligation de sécurité

à l’appui de ses demandes Mme [H] soutient en substance que :

– elle a subi des conditions de travail traumatisantes, les associés instaurant un climat délétère lié à des remarques et propos à caractère sexuel ou sexiste

– les faits ont porté atteinte à sa dignité et créé une situation intimidante, hostile et offensante

– elle n’a eu d’autre choix que d’accepter les invitations de l’équipe hors temps de travail

– elle a dénoncé auprès de M. [X] les agissements inacceptables de son coassocié

– elle a été contrainte de se mettre en arrêt-maladie après un passage aux urgences le 29 mars 2018, compte tenu de son état d’asthénie et d’angoisse

– durant son arrêt-maladie elle a constaté que son employeur lui cherchait activement un remplaçant

– à son retour, le 28 mai et à bout, elle a sollicité la rupture conventionnelle

– par mesure de rétorsion les gérants ont changé l’angle de la caméra de surveillance en la braquant directement sur son bureau.

Sur ce,

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Par ailleurs, le harcèlement sexuel est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Il est également constitué :

a) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée

b) Lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition

Est assimilée au harcèlement sexuel toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Il est de règle que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que les agissements ainsi établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [H] verse aux débats un nombre important de messages sur les réseaux sociaux adressés tant par les gérants, principalement M. [V], que par des collègues et des intervenants extérieurs. Ces écrits, de caractère selon le cas grivois, blagueur, potache, sexiste et parfois sexuel, étaient courants dans l’entreprise. Ils émanaient selon le cas des gérants, des salariés eux-mêmes et des freelance extérieurs à l’entreprise. Mme [H] en a été destinataire et elle a longtemps participé sans réticence à ce type d’échanges. Dans un courriel au cogérant [X] rédigé quelques mois après son entrée en fonction elle l’a informé du comportement pesant de son coassocié ; l’intéressé lui a répondu :

«Hello [Y], merci de te confier, j’ai tout lu et je comprends ce que tu veux dire. J’espère que ça va s’arranger. [M] m’a parlé de sa réflexion sur les hormones, c’est effectivement bizarre. Le côté femme enceinte est totalement déplacé sauf si c’était une blague.»

Le témoignage du freelance G.B résume l’ambiance de travail dans son courriel adressé à M. [V] le 17/12/2018 :

«j’ai beaucoup réfléchi à cette histoire qui me semble particulièrement puante et très triste. Triste car je sais que vous partagez des valeurs de vivre ensemble, une volonté de “faire bien” & d’entretenir des rapports sains avec vos collaborateurs. Triste car je sais que [Y] a fait un burnout, que ça n’était pas du chiqué et qu’il n’y a pas de fumée sans feu. La psychiatriser outre mesure pour jeter le discrédit sur sa personne me semble hors de propos. Valider d’un trait ses accusations me semble tout autant déplacé. Je fais un constat, froidement : la plupart des acteurs de l’équipe WRP partageaient alors des valeurs communes autour d’un humour borderline off limits. Sur base de cet accord tacite ont fusé des réflexions abjectes, misogynes, racistes et tutti quanti. A travers mon prisme, j’ai perçu ces délires comme absurdes & stériles, dans la mesure ou j’estimais justement que la violence des propos tenus était proportionnelle à leur absence de sens. …Blague à part, je n’ai cependant aucun mal à imaginer que la récurrence de certains thèmes pouvait éroder les oreilles les plus sensibles. De fait, j’ai aussi ressenti à plusieurs reprises que cette absence de limites pouvait élimer la frontière pro/privée nécessaire selon moi à une relation stable dans le cadre d’un contrat de travail. Je me souviens avoir constaté parfois des questions personnelles à J qui me paraissaient hors cadre professionnel et avoir regretté une telle absence de distance. Je me souviens de rires étouffés quand ça dépassait les bornes. Je me souviens avoir parfois ressenti tes réflexions comme brutales voire humiliantes vis a vis de son travail. Je te l’ai dis plusieurs fois à l’époque, je trouvais que tu n’étais pas tendre avec elle et que tu ne la complimentais que trop peu. Je me souviens lorsque tu demandais à J. de te prêter sa voiture quelques minutes avant 19h, et me souviens du malaise lorsqu’elle acceptait platement, sans que tu ne semble discerner qu’en réalité elle n’osait pas refuser, ce qui me semblait limpide au vu de son air abattu… Bien sur, ce n’est que mon avis & tout cela est facile à dire. Je n’avais pas tes responsabilités et n’avais pas à manager une équipe et tout en tenant un bateau à flots (les métaphores marines sur le monde de l’entreprise sont les meilleures) j’en suis bien conscient. Je n’ai d’ailleurs personnellement pas eu trop de difficultés à composer avec tes éléments de langage parfois brutaux, étant rodé à l’exercice (je te rappelle qu’A est mon ami de longue date, et qu’il y a un parallèle évident entre la brutalité de ses jugements péremptoires & ta capacité à exprimer des appréciations radicales sur tel ou tel sujet). mais je comprends que [Y] ai eu tant de difficultés à composer avec ta personnalité…

Toujours est-il que je n’ai certainement pas été témoin d’un acharnement délibéré sur sa personne, jamais constaté que J. avait été prise pour cible par qui que ce soit…

J’espère naïvement que vous trouverez une issue juste dans cette histoire. Je ne sais pas ce qu’elle vous demande, ce que vous risquez, ni si un arrangement amiable est envisageable ou que tout ça va s’envenimer gravement…»

L’employeur ne conteste ni l’authenticité ni la pertinence des preuves rapportées par la salariée, précisant même que :

«ce dossier regorge d’échanges à connotation sexuelle, de réflexions graveleuses, d’échanges intimes et personnels, de photos, de photos-montages, d’explosions de joie, de rigolades, de franche camaraderie, de services rendus, de remerciements, de confidences, de discussions post travail jusque 2h/3h du matin entre certains membres de la société WRP…»

Le dossier ne révèle cependant aucune proposition ou acte de nature sexuelle envers la salariée.

L’analyse des éléments médicaux du dossier révèle qu’elle a consulté son médecin-traitant en raison d’un syndrome anxieux le 6 avril 2018, puis un psychiatre le 12 avril. Elle a été admise aux urgences en journée le 29 mars 2018 pour état grippal, l’urgentiste ayant posé un diagnostic d’asthénie et d’anxiété «sans caractère de gravité». Elle a été jugée apte à la poursuite de son travail par le médecin du travail le 25/6/2018 peu de temps avant la conclusion de la rupture conventionnelle. Il n’existe pas d’autre élément attestant d’une aggravation de l’état de santé de la salariée sauf à préciser que des témoins ont fait état de sa difficulté à assumer son importante charge de travail. Il n’en demeure pas moins que vu l’ensemble de ces éléments le harcèlement moral et sexuel est présumé.

La société WRP explique que :

– la cour devra constater le consentement explicite de Madame [H] dès les premiers jours de son stage au sein de la société WRP à l’humour potache, aux blagues à connotation sexuelle, parodies et moqueries diverses, à l’ambiance grivoise de travail, ce qui exclut toute situation subie caractérisant un harcèlement sexuel

– la culture d’entreprise ne se résume pas à cette ambiance, ses membres ayant des valeurs humaines quotidiennement appliquées

– la salariée a fait l’objet de crises d’angoisses récurrentes face au stress et à sa charge de travail

– la procédure de rupture conventionnelle n’est pas nulle faute de harcèlement moral et/ou sexuel, de contrainte, pression ou menaces ayant eu pour objet et pour effet de vicier son consentement.

Ces explications ne suffisent pas à lier les agissements litigieux à des considérations objectives étrangères au harcèlement. L’employeur est en effet tenu d’une obligation de sécurité lui imposant de prévenir toute atteinte à la santé des personnes placées sous son autorité quand bien même comme en l’espèce il a pu entretenir en dehors du travail des relations de proximité avec elles. Il est sans incidence, pour la caractérisation du harcèlement, que Mme [H] ait pu prendre une part active à ce type d’échanges. Il est tout aussi indifférent qu’à certaines occasions les cogérants se soient montrés attentionnés envers elle, ce qui n’est pas contesté. Il sera ajouté que le fait pour un salarié d’être contraint de supporter un environnement de travail stigmatisant pour une catégorie de personnes, en l’espèce les femmes, entre dans la définition du harcèlement sexuel, lequel s’étend aux comportements répétés, notamment à connotation sexuelle, dégradant les conditions de travail d’un salarié ne souhaitant pas ou plus les subir.

Il s’en déduit que sur les éléments matériellement établis par la salariée la société WRP échoue dans l’administration de la preuve lui incombant.

Plus généralement, elle n’a pas mis en place le document d’évaluation des risques prévu par les textes mais contrairement à ce qui est soutenu elle n’a pas méconnu ses devoirs en matière de visite de reprise puisque après son arrêt-maladie du 20 avril au 25 mai 2018 la salariée a été immédiatement convoquée devant la médecine du travail. Du reste, quelques semaines avant et spontanément l’employeur avait convié tous les salariés à une réunion avec un psychologue du travail afin de leur permettre d’évacuer leur stress lié à la charge de travail et d’exprimer leur ressenti sur le fonctionnement du groupe. La cour observe enfin qu’à l’occasion de la visite de reprise du 25/6/2018 le médecin du travail n’a émis aucune réserve sur l’employabilité de Mme [H].

Vu l’ensemble de ces éléments il convient de déclarer établi le harcèlement et d’allouer à la salariée 5000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice. Il résulte par ailleurs des débats que l’absence de document d’évaluation des risques a fait perdre à la salariée une chance d’éviter le harcèlement. En réparation il lui sera alloué 1000 euros de dommages-intérêts.

La demande d’annulation de la rupture conventionnelle

Il ressort des articles 1129 et suivants du code civil qu’il faut être sain d’esprit pour consentir à un contrat et que l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Du reste, en droit du travail la rupture conventionnelle n’est pas le seul mode permettant à un salarié de rompre immédiatement une relation contractuelle jugée toxique puisqu’il peut le faire par la voie d’une démission ou d’une prise d’acte. Il en résulte qu’une telle rupture ne peut annulée que si l’une des parties se trouvait dans une situation de violence morale au moment de son adhésion et qu’en l’absence de vice du consentement l’existence d’un harcèlement n’affecte pas en elle-même sa validité.

Présentement, la cour relève que les deux entretiens de rupture négociée se sont tenus plusieurs mois après le placement en arrêt-maladie de la salariée, laquelle avait dans l’intervalle bénéficié d’une aide et d’un temps suffisant pour lui permettre de surmonter ses difficultés. Lors de ces entretiens elle était assistée d’un conseiller expérimenté ayant à ses dires mené l’entretien sans qu’elle ait eu besoin de prendre la parole. Il n’est ni établi ni même allégué que l’intéressé ait été placé dans l’incapacité de défendre ses intérêts et il l’a nécessairement conseillée avant la signature des documents et sa renonciation au droit de rétractation. De surcroît, ayant sans réticence participé à certains des échanges incriminés avec l’équipe de travail et s’étant parfois placée dans des situations embarrassantes Mme [H] ne peut utilement invoquer une atteinte à sa dignité d’une ampleur empêchant plusieurs mois après l’expression de son libre consentement à la rupture. Celle-ci est intervenue, à sa demande, suite à une procédure en tous points régulière au cours de laquelle elle a pu valoir ses droits. Il n’est ni allégué ni a fortiori établi que l’employeur aurait adopté une attitude déloyale ou intimidante à l’occasion des négociations.

Il est ajouté que dans un courriel du 23/7/2018, veille du second entretien, Mme [H] indiquait à MM [V] et [X] :

«maintenant que nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas d’erreurs pouvons-nous confirmer le second entretien de demain mardi à 9 h 30 ‘» ce qui n’étaye pas la thèse d’une emprise morale pas plus que le courriel adressé à l’employeur le jour de l’entretien dans lequel son conseiller indiquait :

«le 19/07/2018 j’ai assisté, en qualité de conseiller du salarié, Mme [H] dans le cadre d’une procédure de rupture conventionnelle de son contrat de travail. Vu son état de santé, (Elle est sous traitement et est suivie par un psychiatre, un psychologue et par la médecine du travail.), Mme [H] m’a demandé que je conduise l’entretien afin de lui éviter de parler. Ce que j’ai fait. N’ayant pas pris la parole elle n’a donc pas pu proféré la moindre menace. Je vous prie de m’indiquer quels seraient les propos que j’aurai pu tenir et que vous interprétez comme des : “menaces” … Quoiqu’il en soit, ce jour, Mme [H] a signé lors de notre deuxième entretien le document que vous nous avez donné. Et ceci bien que l’indemnité supra légale ne soit pas à la hauteur de notre proposition de conciliation. (2020€). Rendez-vous est pris pour la signature du solde de tout compte. Cordialement»

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que Mme [H] a donné son plein consentement à la rupture. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes.

La demande de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct

Madame [H] formule une demande de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct, arguant des répercussions considérables des faits sur sa santé et sa vie personnelle. Elle ajoute que sa confiance à accorder à ses futurs employeurs et/ou collègues hommes a été atteinte.

Cette demande sera rejetée dès lors que les dommages-intérêts alloués au titre du harcèlement et du manquement à l’obligation de sécurité réparent la totalité de son préjudice et que toutes les conséquences de la rupture du contrat de travail ont été envisagées dans le cadre de la rupture conventionnelle.

Les autres demandes

L’employeur sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive eu égard à au harcèlement dont il est reconnu responsable. L’appel ayant engendré des frais qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [H] il devra lui payer une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera infirmé en ce qu’il l’a condamnée à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

ORDONNE la jonction des affaires 21/1936 et 22/151

CONFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté Mme [H] de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement et manquement à l’obligation de sécurité et l’a condamnée au paiement d’une indemnité de procédure

statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant

CONDAMNE la société WHITE RABBIT PICTURES à payer à Mme [H] 5000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral et sexuel, 1000 euros de

dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

AUTORISE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière et dit qu’ils courront à compter du prononcé du présent arrêt

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes

CONDAMNE la société WRP aux dépens d’appel et de première instance.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS

 


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