Conditions Générales de Vente : 1 mars 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 21/01290

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Conditions Générales de Vente : 1 mars 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 21/01290

COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°

DU : 01 Mars 2023

N° RG 21/01290 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FTVX

FK

Arrêt rendu le Premier Mars deux mille vingt trois

Sur APPEL d’une décision rendue le 01 Avril 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2020 000480)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

La société DESROSIERS

SAS à associé unique immatriculée au RCS d’Evry sous le n° 808 683 288 00019

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentants : Me Marie-José RODRIGUEZ-JAFFEUX, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAN (postulant) et Me Marie Christiane AVI KASSI de la SELARL LEXAVIK, avocat au barreau de PARIS (plaidant)

APPELANTE

ET :

La société dénommée ‘SARL PROSPECT EXCEL’

SARL immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 411 006 430 00036

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉE

DEBATS : A l’audience publique du 04 Janvier 2023 Monsieur [U] a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 01 Mars 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 01 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

La SAS Desrosiers, qui exploite un commerce d’alimentation au détail à [Localité 4] (Essonne), s’est fait ouvrir un compte, le 2 octobre 2018, auprès de la SARL Prospect Excel, entreprise de négoce d’articles de déstockage et de solderie dont le siège se situe à Neuf- Eglises (Puy-de-Dôme).

Le 23 janvier 2019, la SARL Prospect Excel a envoyé par courriel à la SAS Desrosiers deux devis n° 333010 et 333034, comportant la commande de quatre et de six palettes de marchandises. Le 28 janvier suivant, après différents échanges, la SAS Desrosiers a renvoyé par courriel à la SARL Prospect Excel le devis n° 333034 avec divers autres documents annexes signés, et la mention « Bon pour accord ». La SAS Desrosiers a payé à la SARL Prospect Excel, par virement bancaire du 25 janvier 2019, le prix des marchandises indiqué sur ce devis n° 333034 : 3 006,26 euros.

Et le 4 février 2019, la SARL Prospect Excel a remis six palettes à un transporteur. Celui-ci a livré les marchandises à la SAS Desrosiers le 12 février 2019, selon une mention manuscrite de la lettre de voiture.

Un différend s’est élevé entre les deux sociétés, sur la qualité et la conformité des marchandises livrées  : la SAS Desrosiers s’est plainte que certains produits étaient périmés, et qu’une palette de boissons alcoolisées, portée dans la commande, avait été remplacée par une palette de boissons sans alcool.

Après diverses réclamations et discussions, la SAS Desrosiers a fait assigner la SARL Prospect Excel devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand le 8 janvier 2020, en demandant à titre principal l’annulation de la vente, pour erreur de la société acquéreuse sur les qualités substantielles des marchandises vendues.

Le tribunal de commerce, par un jugement contradictoire du 1er avril 2021, a déclaré la SAS Desrosiers recevable mais mal fondée, l’a déboutée de toutes ses demandes, l’a condamnée au paiement d’une somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, et a rejeté une demande de dommages et intérêts formée par la SARL Project Excel.

Le tribunal a énoncé, dans les motifs du jugement, que la SAS Desrosiers était informée des Conditions générales de vente, qu’elle avait approuvées, et qui prévoyaient notamment que, s’agissant de produits de déstockage, le vendeur pouvait remplacer certaines marchandises épuisées par des marchandises similaires ; que tel était le cas des boissons alcoolisées, remplacées par des boissons sans alcool ; que ces mêmes Conditions générales autorisaient le vendeur à livrer des articles dont la date de durabilité minimum avait été dépassée de quelques mois ; que d’ailleurs la SAS Desrosiers n’a pas respecté la procédure prévue en cas de litige, avec l’établissement d’un constat d’huissier contradictoire.

La SAS Desrosiers, suivant deux déclarations reçues au greffe de la cour les 10 et 12 juin 2021, a interjeté appel de ce jugement.

La société appelante demande à la cour de réformer le jugement sur le principal, d’annuler la vente pour erreur sur les qualités substantielles, et de condamner par suite la SARL Prospect Excel à lui restituer le prix. Elle fait valoir qu’au jour de la commande, elle n’avait pas encore pris connaissance des Conditions générales de vente, Conditions qu’elle n’a approuvées que le 28 janvier 2019, après que les parties se soient accordées sur la chose et sur le prix, et que ce prix ait été payé. Elle expose notamment que, comme l’a constaté un huissier qu’elle a désigné, les articles en cause ne mentionnaient aucune « date de durabilité minimum », mais des dates limite de consommation (DLM), qui étaient dépassées pour certaines de plusieurs mois ou de plusieurs années, de sorte que ces articles ne pouvaient être mis en vente, et qu’elle les a toujours en stock, ainsi que l’attesté son expert-comptable ; que d’autre part une palette de boissons alcoolisées, portée dans la commande, a été remplacée par une palette de boissons sans alcool. À titre subsidiaire, la SAS Desrosiers demande la résolution de la vente, pour manquement de la société vendeuse à son obligation de délivrance. Elle demande l’allocation d’une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.

La SARL Project Excel conclut à la confirmation du jugement. Elle invoque d’abord l’absence d’effet dévolutif de l’appel, au motif que la déclaration d’appel n’est pas motivée. Elle soutient ensuite, sur le fond, que la SAS Desrosiers a reçu les Conditions générales de vente dès le 23 janvier 2019, avant qu’elle passe commande et paie le prix des marchandises ; que la vente est devenue parfaite, dès lors que les parties se sont accordées sur la chose et sur le prix ; que la société acquéreuse n’établit pas la preuve d’une erreur : les marchandises vendues et livrées sont soumises à l’indication non pas d’une date limite de consommation, mais seulement d’une date de durabilité minimale, dont le dépassement éventuel ne les rend pas impropres à la vente ; que le constat d’huissier produit par la SAS Desrosiers n’a aucune valeur probante, dès lors qu’il n’est pas résulté d’une procédure contradictoire comme prévu dans les Conditions générales de vente, et qu’il a été réalisé plus de trois mois après la livraison ; enfin, que l’authenticité de l’attestation de l’expert-comptable apparaît douteuse.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 24 novembre 2022.

Il est renvoyé, pour l’exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions, déposées au greffe le 23 novembre 2021 et le 17 octobre 2022.

Motifs de la décision :

Sur l’effet dévolutif de l’appel :

La SARL Prospect Excel conteste l’effet dévolutif de l’appel, en faisant valoir que « la déclaration d’appel n’est pas motivée de sorte que, bien que recevable, elle ne saisit la cour de rien, qui constitue l’absence d’effet dévolutif ».

La déclaration d’appel n’a pas à être motivée, mais doit indiquer les chefs de jugement critiqués par l’appelant : selon l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément, et de ceux qui en dépendent. Il appartient donc à l’appelant d’énoncer expressément, dans la déclaration d’appel, les chefs de jugement qu’il critique, faute de quoi la cour d’appel n’est saisie d’aucun litige.

Aucune disposition n’interdit toutefois à l’appelant de faire figurer les chefs de jugement contestés dans une annexe à sa déclaration d’appel, qui fait corps avec celle-ci ; une telle faculté est d’ailleurs prévue à l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel.

Dans le cas particulier, la SAS Desrosiers a fait déposer une première déclaration d’appel au greffe de la cour le 10 juin 2021, déclaration qui mentionnait, dans la rubrique « Objet/portée de l’appel » : « Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués », sans autre indication. La société appelante a cependant joint à cette déclaration une pièce annexe intitulée « Déclaration d’appel par devant la cour d’appel de Riom », qui citait, dans le paragraphe « Objet de l’appel », les dispositions du jugement dont elle demandait l’annulation ou la réformation : «

Déclare la SAS Desrosiers recevable mais mal fondée en ses demandes / – Déboute la SAS Desrosiers de l’ensemble de ses demandes », etc. Cette annexe à la déclaration d’appel, faisant corps avec celle-ci, a porté à la connaissance de la cour les chefs de jugement critiqués, opérant ainsi l’effet dévolutif de l’appel.

Au surplus la SAS Desrosiers a fait déposer le 12 juin 2021 une seconde déclaration d’appel, qui mentionnait en elle-même les dispositions du jugement dont elle demandait l’annulation ou la réformation, ceux-là même qu’elle avait cités dans l’annexe de sa première déclaration d’appel. L’instance ouverte par ce second recours a été jointe à la première suivant mention au dossier faite le 21 juin 2021 par le magistrat chargé de la mise en état. Cette seconde déclaration d’appel a régularisé la première, s’il en était besoin (en ce sens Cass. Civ. 2ème 25 mars 2021, pourvoi n° 20-12.037 : la régularisation du vice de forme de la déclaration d’appel, qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, peut s’opérer, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond, par une nouvelle déclaration d’appel, conformément à l’article 910-4 alinéa 1er du code de procédure civile). La demande de la SARL Prospect Excel, tendant à voir déclarer la cour non saisie faute d’effet dévolutif, sera donc rejetée.

Sur le fond :

1) Sur la demande d’annulation :

La SAS Desrosiers demande en premier chef l’annulation de la commande pour erreur, au visa de l’article 1133 du code civil, selon lequel l’erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie, les qualités essentielles d’une prestation étant celles qui ont été expressément ou tacitement convenues, et en considération desquelles les parties ont contracté.

Cette société précise que, lorsqu’elle a payé par virement du 25 janvier 2019 le prix des marchandises commandées, elle croyait acquérir six palettes d’articles répondant à des exigences déterminées, et qu’elle ignorait que le vendeur aurait la faculté de lui livrer des marchandises différentes de celles commandées, ou dont la date de péremption était dépassée, comme le permettaient les Conditions générales de vente qu’elle n’a approuvées que par la suite, le 26 janvier 2019 ; la société appelante affirme que l’accord des parties est intervenu entre les deux parties dès le paiement qu’elle a opéré le 25 janvier 2019, alors qu’elle n’avait pas encore connaissance des Conditions générales de vente.

Les pièces versées au débat de part et d’autre permettent de relater comme suit les échanges entre les deux sociétés :

– la SAS Desrosiers établit auprès de la SARL Prospect Excel une « Fiche d’ouverture de compte client », fiche « applicable à compter du 03/09/2018 », selon l’une de ses mentions ;

– le 2 octobre 2018, la gérante de la SAS Desrosiers envoie à la SARL Prospect Excel, par pièces jointes à un courriel, la fiche d’ouverture de compte client, et deux bons de commande (pièce n° 2 de la SARL Prospect Excel) ;

– le 23 janvier 2019, la SARL Prospect Excel envoie en retour à la SAS Desrosiers deux messages, « suite à [sa] commande », messages auxquels sont joints deux devis n° 333010 et 333034, les annexes à ces devis et un relevé d’identité bancaire ; ces messages précisent qu’à réception du règlement, la société cliente recevra un courriel de suivi de sa commande, et que la livraison sera effectuée par un transporteur ; ils demandent à la SAS Desrosiers de lui retourner « la totalité des pièces jointes avec la mention « Bon pour accord », date et signature » ; les devis envoyés mentionnaient que les Conditions générales de vente étaient systématiquement envoyées à l’acheteur pour lui permettre de passer commande, et que par le simple fait de passer commande, l’acheteur acceptait expressément et sans réserve « l’intégralité des clauses et conditions des présentes » (pièces n° 3 et 5 de la SAS Desrosiers, pièces n° 4 à 7 de la SARL Prospect Excel) ;

– le 25 janvier 2019, la SAS Desrosiers vire sur le compte de la SARL Prospect Excel le prix des marchandises porté sur le devis n° 333034 (3 006,26 euros), et en informe cette dernière société par message du même jour ;

– le 28 janvier 2019, la SAS Desrosiers retourne à la SARL Prospect Excel divers documents signés avec la mention Bon pour accord, documents qui comprennent le devis n° 333034, portant commande de six palettes de marchandises au prix de 3 006,26 euros, et les Conditions générales de vente figurant au verso de ce devis, avec la date du 28 janvier 2019 (pièces n° 5,6 et 7 de la SARL Prospect Excel) ;

– six palettes sont livrées à la SAS Desrosiers, qui les reçoit le 12 février 2019 selon la lettre de voiture ; par message du même jour, la SAS Desrosiers demande à la SARL Prospect Excel de prendre contact avec elle de toute urgence, « car toute la marchandise [‘] est périmée » ; elle renouvelle ses doléances dans un autre message du 13 février 2019, puis dans une lettre du 16 février suivant, où elle se plaint que les boissons alcoolisées qu’elle avait commandées ont été remplacées par des boissons sans alcool périmées.

Ces échanges permettent à la cour de constater que la SAS Desrosiers, bien qu’elle n’ait signé que le 28 janvier 2019 le devis et les Conditions générales de vente, avait eu connaissance de ces mêmes documents dès le 23 janvier 2019, lorsque la SARL Prospect Excel les lui a transmis ; ayant eu connaissance de ces documents contractuels, et en ayant approuvé la teneur par le virement qu’elle a opéré le 25 janvier 2019, la société acquéreuse s’est trouvée liée, à cette date, par un accord de volontés réciproques, qui incluait les dites Conditions générales ; la signature de ces mêmes Conditions générales et du devis le 28 janvier suivant n’a fait que confirmer et mettre en forme cet accord, qui existait dès le jour du paiement opéré le 25 janvier 2019, étant rappelé que la preuve d’un acte juridique entre commerçants peut être établie par tous moyens. Le tribunal a énoncé à bon droit que ces Conditions générales de vente devaient s’appliquer entre les parties.

Les Conditions générales de vente stipulent notamment, à l’article 9 : « Les marchandises déstockées se définissent comme provenant de déstockages, fins de stock, invendus, surplus, faillites [‘], stocks issus de sinistres (incendies, dégâts des eaux, marchandises transportées), fins de séries, seconds choix, annulation de commandes […] L’acheteur s’engage à ne jamais remettre en cause une prétendue proximité de la date limite de consommation et a parfaitement connaissance que la date de durabilité minimale des produits alimentaires ou non alimentaires déstockés puisse éventuellement être dépassée de plusieurs mois […] L’acheteur a parfaitement connaissance des limites du commerce d’articles de déstockage et du fait qu’il ne s’agit pas d’un engagement sur une liste définitive et exhaustive de produits : les documents joints au devis décrivant la composition des palettes afférents aux produits commandés mentionnent leur caractère illustratif et aléatoire, autrement dit, la description des palette est variable suivant les arrivages et la composition de chaque palette [‘] L’acheteur accepte sans réserve que le quantitatif d’une palette quelconque donné par un intervalle mathématique soit compensé par les quantités d’une autre palette quelconque de sa commande ».

Les Conditions générales de vente précisent encore, à l’article 3, que « l’acheteur accepte expressément qu’une marchandise épuisée soit remplacée par une marchandise similaire ou figurant dans sa commande ».

La SAS Desrosiers, ayant eu connaissance de ces Conditions générales au moment de sa commande, n’est pas fondée à soutenir qu’elle aurait commis une erreur sur les qualités essentielles des marchandises livrées, aux motifs de dépassements des dates de durabilité minimale, ou de remplacement d’une palette de boissons alcoolisées par une palette de boissons sans alcool, puisque de tels dépassements et remplacements étaient autorisés par les Conditions générales de vente ; sa demande d’annulation doit être rejetée, et les éventuels manquements de la SARL Prospect Excel à ses obligations doivent être examinés dans le cadre de la demande subsidiaire de résolution de la commande.

2) Sur la demande de résolution :

La société appelante expose, au soutien de sa demande de résolution, que la SARL Prospect Excel n’a pas rempli ses obligations, ainsi qu’elle s’en est plainte auprès d’elle dans ses messages des 12 et 13 février 2019, puis dans sa lettre recommandée du 16 février 2019 ; elle produit aux débats un procès-verbal de constat établi le 15 mai 2019 par Me [X] [E], huissier de justice à [Localité 5], qui sur la demande de la SAS Desrosiers a opéré dans les locaux de cette société diverses constatations, sur les marchandises que cette société lui a déclaré avoir reçues le 12 février 2019.

La SARL Prospect Excel conteste l’opposabilité de ce constat, au motif que selon l’article 4 des Conditions générales de vente, l’acheteur doit justifier de ses réclamations au moyen d’un constat d’huissier de justice contradictoire et réalisé au plus tard le troisième jour ouvrable suivant l’arrivée des marchandises, ce qui n’est pas le cas de celui produit.

Le constat d’huissier n’a été établi, en effet, qu’après l’expiration du délai de trois jours fixé par les Conditions générales, et de manière non contradictoire, alors que rien n’empêchait la SAS Desrosiers, ou l’huissier lui-même à la demande de cette société, d’informer la SARL Prospect Excel de son intention de faire établir un constat sur les marchandises, en un lieu et à une date déterminés, afin que la société fournisseuse puisse s’y faire représenter.

Cependant ce retard et ce caractère non contradictoire des opérations de l’huissier, bien que contraires aux Conditions générales, n’interdisent pas à la juridiction de prendre le procès-verbal de constat en considération comme un élément de preuve recevable, sous réserve d’en apprécier la valeur probante au vu des circonstances dans lesquelles il a été dressé. Le fait d’autre part que la SAS Desrosiers ait apposé sur la lettre de voiture son cachet commercial et la signature de la gérante, en-dessous de la mention manuscrite « Livré OK », avec d’ailleurs une annotation (« Carton abîmé »), n’a pas d’autre effet que d’établir que cette société a bien reçu une livraison, sans préjudice du bon état des marchandises et de leur conformité à la commande, qui ne pouvaient être réellement vérifiés qu’en ouvrant les palettes.

Dans ses messages des 12 et 13 févier 2019, la SAS Desrosiers s’était plainte d’abord de ce que la marchandise était « périmée », puis plus précisément de ce qu’elle était « avariée », et non conforme à la commande : « à la place d’une palette DPH [produits d’hygiène et de nettoyage] commandée, on m’a livré quelques colis sur une palette, une palette de coca périmée, toute la boisson sucrée périmée depuis octobre 2018 qui ne correspond pas à la marchandise attendue ». Dans sa lettre recommandée du 16 février 2019, la SAS Desrosiers rappelait le contenu de la commande, faisait état d’une modification qu’elle avait demandée pour deux palettes, et se plaignait des anomalies suivantes : « ‘ boissons alcoolisées non livrées ! Qui ont été remplacées par des schweppes périmés, une palette entière de coca en bouteille de 1,5 l. périmée depuis le 22-01-2019, certains produits dont vous verrez les photos depuis octobre 2018. Ce jour le 13 février 2019 j’ai eu le fournisseur au tél. qui me confirme avoir le droit de vendre ces produits périmés. Donc je demande à ce que la marchandise soit remboursée et récupérée du magasin » (pièce n°10 de la SAS Desrosiers).

Dans son constat du 15 mai 2019, Me [E] a examiné les marchandises que la gérante de la SAS Desrosiers lui a dit avoir reçues le 12 février précédent : une série de cartons empilés, « dont beaucoup sont en mauvais état », et entre autres des bouteilles de boissons non alcoolisées, notamment des sodas de marques diverses, dont la « date limite de consommation » était pour certains fixée en octobre ou en novembre 2018, ou en janvier 2019 ; des savons de marque Palmolive, dont la date était comprise entre janvier et juillet 2018 ; des shampooings de la même marque, portant la date du 2 octobre 2018 ; des produits d’entretien affichant des dates comprises entre avril et septembre 2019 ; des grands cartons « qui ne contiennent que quelques peignes plastique » ; d’autres cartons qui contiennent « en vrac des éponges, micro-fibre cirages, éponges lustrantes, cirages liquides », produits dont la date indiquée était écoulée depuis plusieurs années : juin 2015 pour les cirages liquides, mars 2011 pour les éponges lustrantes, mai 2009 pour les crèmes à chaussures, octobre 2002 pour les cirages en boîte, octobre 2006 pour des produits anti-moustiques (pièce n°13 de la SAS Desrosiers). Au procès-verbal de constat sont annexées diverses photographies prises par l’huissier.

Ces éléments de preuve conduisent la cour à porter les appréciations suivantes :

Le temps écoulé entre la réception des marchandises et le constat d’huissier (environ trois mois), si l’on considère non seulement que ce constat n’a pas été dressé de manière contradictoire comme l’exigeaient les Conditions générales, que les cartons ont été ouverts et certaines marchandises sorties des cartons puis entreposées en vrac (cf. les photographies prises par l’huissier), ne permettent pas de considérer ce constat, à lui seul, comme une preuve fiable du contenu des palettes ayant fait l’objet de l’envoi en litige.

Les messages ou lettres que la SAS Desrosiers a envoyés le jour même de la livraison, et les jours suivants (dans le délai de réclamation prévu à l’article 4 des Conditions générales : trois jours ouvrables après la réception des marchandises), contiennent quant à eux diverses contradictions et imprécisions : la société destinataire a d’abord affirmé dans son premier message que « toute la marchandise » était périmée, ce qui ne concorde ni avec les constatations de l’huissier, ni avec ses autres messages ou lettres ; la SAS Desrosiers n’a fait état de manquants, dans la palette des « DPH », que dans son deuxième message du 13 février 2019, cette doléance n’étant reprise ni dans sa lettre du 16 février, ni dans la lettre de son avocat du 13 mars 2019 ; elle ne s’est expressément plainte du remplacement d’une palette de boissons alcoolisées par une palette de boissons sans alcool, que dans sa lettre du 16 février 2019. Ces messages et lettres n’apparaissent pas suffisants à conforter la valeur probante du constat de Me [E].

En considérant même le constat comme une preuve des articles envoyés, les dates indiquées sur la produits, telles que mentionnées par l’huissier, apparaissent conformes, pour la plupart, à la marge de tolérance prévue aux Conditions générales, soit quelques mois au-delà de la date de durabilité minimum, étant observé qu’aucun des articles commandés par la SAS Desrosiers ne constituait une denrée micro-biologiquement très périssable, qui seule aurait été soumise à une date limite de consommation (Règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011, article 24). Les seuls produits pour lesquels cette marge aurait été dépassée sont les cirages, éponges lustrantes et produits anti-moustiques, dont la date du durabilité minimale était dépassée de plusieurs années ; or le nombre et la valeur de ces produits déclarés périmés ne sont pas indiqués, de sorte que le manquement reproché de ce chef à la société fournisseuse, s’il était même établi, n’apparaît d’une importance telle, au sens de l’article 1224 du code civil, qu’il puisse fonder la résolution de la vente.

La SARL Prospect Excel était d’autre part en droit de remplacer la palette de boissons alcoolisées, commandée par la SAS Desrosiers, par une palette de boissons sans alcool, cette substitution étant autorisée par l’article 3 des Conditions générales, dès lors que la société acquéreuse avait aussi commandé une palette de boissons sans alcool. Et la SARL Prospect Excel n’était pas, d’ailleurs, tenue de satisfaire à la demande particulière qu’avait exprimée par la SAS Desrosiers dans un message du 24 janvier 2019, sur les marques et volumes de certaines des boissons commandées : cette demande n’était pas conforme aux « limites du commerce de déstockage », stipulées à l’article 9 des Conditions générales.

La demande de résolution n’est pas fondée, non plus que la demande de dommages et intérêts formée par la SAS Desrosiers, en réparation du préjudice que la SARL Prospect Excel lui aurait causé, par ses prétendus manquements à ses obligations contractuelles ; il convient de confirmer le jugement, ayant rejeté toutes les demandes de la SAS Desrosiers, et l’ayant condamnée aux frais de la procédure.

L’action de la SAS Desrosiers ne pouvant d’ailleurs être qualifiée d’abusive, la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par la SARL Prospect Excel sera elle aussi rejetée.

PAR CES MOTIFS :

Statuant après en avoir délibéré, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition des parties au greffe de la cour ;

Rejette la demande de la SARL Prospect Excel, tendant à voir déclarer la cour non saisie faute d’effet dévolutif de l’appel ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Desrosiers à payer à la SARL Prospect Excel une somme de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel ;

Rejette le surplus des demandes.

Le greffier, La présidente,

 


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