Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 12 AVRIL 2023
(n° 73 , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/03679 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFRL
Décision déférée à la Cour : Jugement du11 Janvier 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS (13ème Chambre) – RG n° 2019064877
APPELANTE
S.A.S. EPOKA agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 437 814 858
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque K0111.
INTIMEE
S.A.R.L. EMARGENCE EXPERTS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 672 009 729
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître Alain BOUAZIS, avocat au barreau de PARIS, toque E0161.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de la chambre 5.4
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre et par Madame Claudia CHRISTOPHE, Greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Epoka, anciennement dénommée 4Vents, exerce une activité principale d’agence de conseil en communication d’entreprise, en ressources humaines et en BtoB.
La SARL Emargence Experts est un cabinet d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes.
Dans le cadre de ses opérations de fusion avec la société Meaning, la SAS Epoka a, par lettres de mission du 30 mai 2018, confié à la SARL Emargence Experts, qui avait réalisé un audit les 14 et 25 mai 2018 pour déterminer le périmètre de son intervention :
-une mission ponctuelle d’assistance administrative et financière au taux de 800 euros HT par jour avec mise à disposition, à compter du mois de juin 2018, d’une salariée, madame [Y] [T], un à deux jours par semaine dans les locaux de la SAS Epoka. Aucun terme n’était fixé ;
-une mission de réorganisation du service comptable au taux horaire de 120 euros HT moyennant le paiement d’honoraires compris entre 24 000 euros et 30 000 euros HT selon le temps passé. La mission s’étalait sur six trimestres et le terme était ainsi fixé au 30 juin 2019.
Par courrier du 15 octobre 2018, la SARL Emargence Experts notifiait à la SAS Epoka la résiliation des deux conventions au 31 décembre 2018. Néanmoins, madame [Y] [T] a continué à intervenir auprès de la SAS Epoka jusqu’au 9 janvier 2019, date de notification de la rupture définitive des relations contractuelles motivée par ses conditions de travail dégradées au sein de la SAS Epoka.
Par courriers des 19 février et 4 mars 2019, la SARL Emargence Experts a vainement mis en demeure la SAS Epoka de lui régler ses factures des 30 novembre 2018, 31 décembre 2018 et 10 janvier 2019 pour un montant total de 58 200 euros. Le 15 mars 2019, la SAS Epoka opposait subir un préjudice excédant 140 000 euros causé par la rupture brutale des contrats.
Par ordonnance du 10 mai 2019 confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 décembre 2019, le délégataire du président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé a condamné la SAS Epoka à payer à la SARL Emargence Experts la somme provisionnelle de 58 200 euros.
Entretemps, par acte d’huissier signifié le 12 novembre 2019, la SAS Epoka a assigné la SARL Emargence Experts devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation de ses préjudices et en dispense de paiement des factures.
Par jugement du 11 janvier 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
-dit que les factures n°2018 011150 du 30 novembre 2018, n° 2018-012024 du 31 décembre 2019 et n° 2019-000664 du 10 janvier 2019 émises par la SARL Emargence Experts étaient dues par la SAS Epoka ;
-débouté la SAS Epoka de ses demandes au titre de la rupture brutale des missions ;
-condamné la SAS Epoka à payer à la SARL Emargence Experts la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamné la SAS Epoka aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration reçue au greffe le 23 février 2021, la SAS Epoka a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 avril 2022, la SAS Epoka, demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1224, 1225 et 1226 du code civil et 700 du code de procédure civile ainsi que des dispositions du décret n°2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable valant code de déontologie des professionnels de l’expertise :
-de recevoir la SAS Epoka en son appel et l’y déclarer bien fondée ;
-y faisant droit, d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de paris le 11 janvier 2021 en ce qu’il a dit que les factures n°2018 011150 du 30 novembre 2018, n° 2018-012024 du 31 décembre 2019 et n°2019-000664 du 10 janvier 2019 émises par la SARL Emargence Experts sont dues par la SAS Epoka, débouté la SAS Epoka de ses demandes au titre de la rupture brutale des missions, condamné la SAS Epoka à payer à la SARL Emargence Experts la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires, ordonné l’exécution provisoire du présent dispositif et condamné la SAS Epoka aux dépens ;
-et jugeant à nouveau, de dire et juger que la SARL Emargence Experts a rompu brutalement ses relations avec la SAS Epoka, en contravention de ses obligations réglementaires et contractuelles ;
-de dire et juger que la SARL Emargence Experts ne justifie ni d’un quelconque accord relativement à la rémunération de messieurs [E] [C] et [L] [R], ni du nombre de jours passés ni par madame [Y] [T], ni par messieurs [E] [C] et [L] [R] au titre des mois de novembre et décembre 2018 et au titre du mois de janvier 2019 ;
-en conséquence, de condamner la SARL Emargence Experts à verser à la SAS Epoka la somme de 114 485,54 euros TTC, au titre du préjudice subi par la SAS Epoka, avec intérêt au taux légal à compter de l’assignation du 12 novembre 2019 ;
-de dire et juger que les factures n° 2018 011150 du 30 novembre 2018, n°2018-012024 du 31 décembre 2019 et n°2019-000664 du 10 janvier 2019 émises par la SARL Emargence Experts ne sont pas dues par la SAS Epoka ;
-de déclarer la SARL Emargence Experts irrecevable et en tout cas non fondée en toutes prétentions plus amples ou contraires ;
-de la débouter de toutes demandes accessoires ;
-en tout état de cause, de :
*condamner la SARL Emargence Experts à verser à la SAS Epoka la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
*condamner la SARL Emargence Experts aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juillet 2021, la SARL Emargence Experts demande à la cour de :
-débouter la SAS Epoka de l’intégralité de ses demandes ;
-confirmer le jugement entrepris ;
-condamner en cause d’appel la SAS Epoka, à payer à la SARL Emargence Experts la somme de 25 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui comprendront notamment le timbre fiscal.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’arrêt sera contradictoire en application de l’article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture des relations contractuelles
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS Epoka expose que la SARL Emargence Experts n’a pas, lors de la première rupture, respecté le formalisme prescrit par l’article 7 de ses conditions générales de vente qui impose l’envoi préalable d’une lettre recommandée. Elle prétend néanmoins que cette résiliation a été privée d’effet à raison de la poursuite des relations contractuelles jusqu’au 9 janvier 2019, date de la seconde rupture qui était à nouveau irrégulière en la forme et n’était pour sa part accompagnée d’aucun préavis. Elle estime que, faute de clause résolutoire valable, la SARL Emargence Experts, qui ne justifiait ni d’une urgence la dispensant d’une notification préalable ni de manquements graves qui lui soient imputables, a commis une faute en rompant brutalement les contrats. Elle explique que cette faute lui cause un préjudice résidant dans les frais du licenciement de son chef comptable, décidé sur ses conseils, ainsi que dans le coût d’embauche d’un salarié en urgence et des prestations effectuées par la société Page Personnel sollicitée pour pallier les carences de la SARL Emargence Experts.
En réponse, cette dernière soutient avoir rompu les deux contrats le 15 octobre 2018 à compter du 31 décembre 2018 pour protéger sa salariée, éprouvée par ses mauvaises relations avec le dirigeant de la SAS Epoka. Elle ajoute que la poursuite de la relation jusqu’au 9 janvier 2019 est fondée sur un accord verbal de prolongation sans limitation de durée de la seule mission d’assistance administrative et financière, la mission de réorganisation du service comptable étant pour sa part définitivement abandonnée moyennant un avoir de 24 000 euros. Elle précise que la rupture définitive du 9 janvier 2019 était à nouveau justifiée par la nécessité de préserver la santé et la sécurité de sa salarié qui dénonçait une agression par le nouveau secrétaire général de la SAS Epoka. Subsidiairement, elle conteste tout préjudice au motif qu’elle est étrangère à la rupture conventionnelle opposée et aux frais engagés.
Réponse de la Cour
Aux termes des articles 1211 et 1212 du code civil, lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ; quand il est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme, nul ne pouvant néanmoins exiger le renouvellement du contrat.
Par ailleurs, conformément à l’article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.
En outre, en application de l’article 1225 du code civil, la clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire.
Enfin, en vertu de l’article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai
raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de
satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons
qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution.
La SAS Epoka a, par lettres de mission du 30 mai 2018, confié à la SARL Emargence Experts, qui avait réalisé un audit les 14 et 25 mai 2018 pour déterminer le périmètre de son intervention :
-une mission ponctuelle d’assistance administrative et financière au taux de 800 euros HT par jour avec mise à disposition, à compter du mois de juin 2018, d’une salariée, madame [Y] [T], un à deux jours par semaine dans les locaux de la SAS Epoka ;
-une mission de réorganisation du service comptable au taux horaire de 120 euros HT moyennant le paiement d’honoraires compris entre 24 000 euros et 30 000 euros HT, selon le temps passé jusqu’au 30 juin 2019.
La première convention étant à durée indéterminée faute de terme stipulé, sa rupture était libre sous réserve du respect, en l’absence de préavis contractuellement fixé, d’un délai de préavis raisonnable au sens de l’article 1211 du code civil. A durée déterminée, la seconde devait être exécutée jusqu’à son terme sauf la faculté pour l’auteur de la rupture d’invoquer le bénéfice d’une clause résolutoire ou d’opposer la faute grave de son cocontractant en le mettant préalablement en demeure, à défaut d’urgence, de s’exécuter.
Par courrier du 15 octobre 2018 (pièce 3 de l’intimée), la SARL Emargence Experts fonde la résiliation des deux conventions sur l’accord des parties (« nous avons convenu ensemble d’y mettre un terme « ). Si la SARL Emargence Experts admet désormais une rupture à son initiative fondée sur la faute de son cocontractant (page 3 de ses écritures), le courriel du 29 octobre 2018 (pièce 19 de l’intimée) confirme que les parties se sont accordées sur les suites de la rupture ( » Je viens de voir [Y] et j’ai confirmé avoir besoin d’elle jusqu’au 31 décembre comme nous en avions convenu « ), aucune des pièces produites ne révélant une contestation par la SAS Epoka du principe de la rupture et de ses modalités concrètes.
A cet égard, aux termes de cette lettre de résiliation, la SARL Emargence Experts précise que :
-la mission de réorganisation du service comptable n’ayant pas été intégralement exécutée, sa rupture est immédiate, la SAS Epoka bénéficiant d’un » avoir total des acomptes appelés correspondants « , soit 24 000 euros ;
-la mission d’assistance administrative et financière prendrait fin le 31 décembre 2018 avec maintien de la mise à disposition de trois salariés.
La SAS Epoka ne critique pas ces ruptures qu’elle estime privées d’effet à raison de la poursuite des relations contractuelles, seule la résiliation notifiée le 9 janvier 2019 étant en débat (page 15 de ses écritures, §2.1, et page 17 : » Les relations contractuelles s’étant poursuivies entre les parties, le courrier d’EMARGENCE daté du 15 octobre 2018 mettant fin à sa mission n’avait plus d’effet ni de valeur juridique « ).
Cette lecture est cependant erronée. Les correspondances produites révèlent en effet que la continuation des relations au-delà du préavis ne concernait que la seconde mission (pièces 19 et 20 de l’intimée), la première ayant définitivement pris fin ainsi que l’induisait le remboursement intégral des sommes perçues au titre de son exécution. L’unique élément spécialement opposé par la SAS Epoka sur ce point, hors l’évocation imprécise, et de ce fait non pertinente, par madame [Y] [T] dans son attestation (pièce 4 de l’intimée) de la poursuite de » la » mission sans distinction, est l’aveu judiciaire suivant : » Il n’existait donc qu’un accord verbal entre les deux sociétés, pour une prolongation au-delà du 31 décembre 2018 mais sans condition de durée « . Cependant, l’aveu judiciaire ne pouvant être divisé contre son auteur au sens de l’article 1383-2 du code civil, cette phrase doit être lue en lien avec celle qui la suit ( » En tout état de cause, cette « prolongation » ne concernait que la mission d’assistance administrative et financière ; la partie réorganisation du service comptable ayant fait l’objet d’un avoir de 24000€ était
définitivement terminée au 31 décembre 2018″), ce que confirme l’exposé du litige des écritures de la SARL Emargence Experts (page 3 : » Il n’existait donc qu’un accord verbal entre les deux sociétés, pour une prolongation au-delà du 31 décembre 2018 sans condition de durée et sur une seule mission « ).
Cette analyse a deux conséquences :
-la mission de réorganisation du service comptable n’a pas été rompue le 9 janvier 2019 mais le 15 octobre 2018, avec dans les faits un préavis de deux mois en dépit des termes de la lettre de notification. Or, si la SAS Epoka oppose, outre les dispositions très générales de l’article 156 du décret n°2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, la violation de l’article 7 des conditions générales de la SARL Emargence Experts annexées à la lettre de mission qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable à la résiliation pour manquement du client, elle reconnaît que celle-ci avait néanmoins » pris la mesure de ses obligations » et » s’était efforcée de ne pas [lui] porter préjudice [‘] en lui laissant un préavis de plus de deux mois « . Elle ne tire ainsi aucune conséquence juridique de l’irrégularité formelle qu’elle dénonce pour consacrer son argumentation à la rupture du 9 janvier 2019. Son raisonnement est en outre contradictoire puisqu’elle soutient plus loin (page 19 de ses écritures) que la SARL Emargence Experts ne pouvait se prévaloir de la clause résolutoire faute pour ses conditions générales de satisfaire » aux exigences du code civil « , seule la violation de l’article 1226 du code civil étant alors alléguée. La SAS Epoka ayant abandonné tout grief concernant cette rupture pour se consacrer à tort à celle du 9 janvier 2019, cette résolution, qualification induite par le remboursement des sommes perçues qui exprime un anéantissement rétroactif, n’est pas en débat. Surabondamment, la Cour constate que la SAS Epoka en a quoi qu’il en soit, ainsi que le révèle son courriel du 29 octobre 2018, accepté sans réserve tant le principe que les modalités, et ce sans égard pour la poursuite des relations postérieurement au préavis, comportement univoque exprimant sa volonté de renoncer à se prévaloir de l’irrégularité formelle ou de fond de la rupture ;
-la mission d’assistance administrative et financière s’est poursuivie sans terme stipulé et pouvait être rompue, non dans les conditions des articles 1224 et 1225 du code civil faute d’invocation d’une clause résolutoire, mais dans le respect des prescriptions de l’article 1211 du code civil, qui n’impose qu’un préavis d’une durée raisonnable en l’absence de précisions contractuelles, ou de l’article 1226 du code civil en cas de faute grave.
Aux termes de son courriel du 9 janvier 2019, la SARL Emargence Experts notifiait à la SAS Epoka la rupture définitive de cette seconde mission au motif que « les conditions matérielles (sic) et psychologiques [n’étaient] pas propices au bon déroulement [de la mission de madame [Y] [T]] » (pièce 5 de l’intimée). Elle illustrait son assertion par les » quelques exemples » suivants :
« hier tu [monsieur [F] [J]] lui as dit je cite : » ce matin je t’aurais baffé (sic) « . De tels propos sont inadmissibles et pourraient même faire l’objet d’une plainte.
[Y] est salariée d’Emargence à ce titre elle est soumise à nos horaires, il n’est pas qu’elle travaille jusqu’à 23h d’autant plus que notre facturation est à la journée induis (sic) des journées de 8h.
L’ambiance de travail délétère amène des démissions en pagaille dans le service. A peine embauchés les collaborateurs démissionnent. Il est impossible d’assurer un suivi dans ces conditions « .
Tandis que la SAS Epoka n’a pas contesté les termes de ce courriel avant l’introduction de l’instance, y compris à l’occasion de sa mise en demeure du 15 mars 2019 qui évoque en toute généralité une résiliation » manifestement brutale [et], sans fondement » (pièce 19.1 de l’appelante), la SARL Emargence Experts produit l’attestation de madame [Y] [T] (pièce 4) qui rapporte, outre des conditions de travail difficiles avant la notification du 15 octobre 2018, une nouvelle dégradation rapide de ces dernières ( » le rythme s’accélère, le stress monte. Monsieur [J] impose une cadence et des horaires difficilement atteignables. Je ne compte plus mes heures. Les nouvelles recrues prennent peur et démissionnent « ). Elle confirme également les propos cités dans le courriel de rupture. Ce témoignage précis, détaillé et circonstancié, dont il importe peu qu’il ne soit pas
accompagné d’autres attestations de salariés mis à disposition au regard notamment de l’attaque toute personnelle qu’il rapporte, suffit à établir la réalité des agissements relatés dont la gravité excède largement celle des faits antérieurs à la notification de la première rupture, la SAS Epoka n’apportant sur ce point aucune contradiction utile et l’attestation d’une salariée embauchée postérieurement aux faits litigieux évoquant l’excellence de ses relations de travail étant sans pertinence (pièce 22 de l’appelante).
Alors que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale de ses salariés en vertu de l’article L 4121-1 du code du travail et doit les protéger contre tout harcèlement moral au sens de l’article L 1151-2 du même code, la dénonciation par la salariée mise à disposition de faits précis, graves et concordants, à s’en tenir aux menaces de violences, permettant de présumer l’existence d’actes caractérisant une faute grave imputable à la SAS Epoka susceptible d’affecter sa santé mentale sinon sa sécurité physique fondait la résiliation immédiate, sans préavis. A ce titre, au regard de l’importance du risque généré par la faute grave de l’appelante et de l’absence d’invocation d’une clause résolutoire dont l’existence n’interdit pas la résiliation pour manquement grave, le non-respect des modalités formelles de résiliation qu’elle stipule est indifférent (en ce sens, 3ème Civ., 8 février 2018, n° 16-24.641 et Com., 20 octobre 2015, n° 14-20.416). Et, même en adoptant le raisonnement de la SAS Epoka sur la poursuite des deux contrats, la gravité de la faute et l’implication de personnels identiques justifiaient pleinement leur rupture cumulée.
En conséquence, la résiliation du 9 janvier 2019 étant causée par une faute exclusivement imputable à la SAS Epoka dont la gravité et l’intensité fondaient l’immédiateté, les demandes indemnitaires de cette dernière, qui sont toutes motivées par l’illicéité de la rupture (§2.1.2 de ses écritures), doivent être intégralement rejetées, le jugement entrepris devant ainsi être confirmé de ce chef.
2°) Sur le paiement des factures
Moyens des parties
Au soutien de son appel, la SAS Epoka expose qu’elle n’a pas consenti à l’intervention d’autres salariés que madame [Y] [T] pour une rémunération de 800 euros HT par jour et que les factures opposées ne sont pas justifiées en leur montant.
En réplique, la SARL Emargence Experts explique que les factures impayées ne concernent que la mission d’assistance administrative et correspondent aux prestations réalisées entre novembre 2018 et janvier 2019, période au cours de laquelle trois salariés ont été mis à la disposition de la SAS Epoka à sa demande.
Réponse de la Cour
Conformément aux articles 1103 et 1104 du code civil, les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être négociées, formées et exécutées de bonne foi.
Et, en application de l’article 1194 du code civil, les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi.
En outre, en application de l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire.
Enfin, aux termes de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver tandis que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation, la preuve étant libre entre commerçants conformément à l’article L 110-3 du code de commerce.
La SARL Emargence Experts sollicite le paiement, déjà effectué en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 décembre 2019, des trois factures suivantes visées au débit de son grand-livre du compte de la SAS Epoka (pièces 6 à 9 de l’intimée) :
-facture n°2018-011150 du 30 novembre 2018 d’un montant de 31 260 euros TTC correspondant, pour le mois de novembre, à 22 jours d’intervention de madame [Y] [T] au taux journalier forfaitaire de 800 euros HT et à 13 jours d’intervention de messieurs [E] [C] et [L] [R] au taux forfaitaire de 650 euros HT ;
-facture n°2018-012024 du 31 décembre 2018 d’un montant de 21 180 euros TTC correspondant, pour le mois de décembre, à 18 jours d’intervention de madame [Y] [T] au taux journalier forfaitaire de 800 euros HT et à 5 jours d’intervention de messieurs [E] [C] et [L] [R] au taux forfaitaire de 650 euros HT ;
-facture n°2019-000664 du 10 janvier 2019 d’un montant de 5 760 euros TTC correspondant, pour le mois de janvier, à 6 jours d’intervention de madame [Y] [T] au taux journalier forfaitaire de 800 euros HT.
Ces factures ne concernent que la mission ponctuelle d’assistance administrative et financière au taux de 800 euros HT par jour avec mise à disposition, à compter du mois de juin 2018, d’une salariée, madame [Y] [T], un à deux jours par semaine dans les locaux de la SAS Epoka. Ses arguments au titre de la mission d’assistance administrative et financière, qui a de surcroît fait l’objet d’un remboursement, sont sans pertinence.
Il est exact que l’accord initialement donné par la SAS Epoka ne portait que sur la mise à disposition d’une salariée. Néanmoins, aux termes de son courriel du 22 juin 2018 (pièce 18 de l’intimée) qui n’a suscité aucune réponse, madame [Y] [T] annonçait l’arrivée imminente d’un salarié en renfort. Et, dans son courrier de résiliation précisant les conditions d’exécution du préavis, la SARL Emargence Experts précisait à la SAS Epoka que la poursuite de leurs relations contractuelles supposait le maintien de l’intervention, aux conditions tarifaires précisées, de trois salariés expressément désignés (madame [Y] [T] et messieurs [E] [C] et [L] [R]). Cette dernière a été acceptée sans réserve par la SAS Epoka qui indiquait dans ses courriels du 29 octobre 2018 que leur présence lui était indispensable ( » à ce jour, je n’ai pas de ressources pour remplacer [E] et [L]. J’en ai donc besoin « ). De fait, ces modalités de poursuite temporaire de la relation contractuelle, inchangées postérieurement à l’expiration du préavis, correspondaient exactement à celles antérieurement mises en ‘uvre, dont elles sont la stricte continuation, et facturées en août, septembre et octobre 2018 au titre de la mise à disposition de ces trois salariés (pièces 21 à 23 de l’intimée), les notes d’honoraires correspondantes ayant été réglées sans la moindre critique par la SAS Epoka à leur échéance.
Ces éléments factuels, précis, graves et concordants permettent de présumer au sens de l’article 1382 du code civil que la SAS Epoka a accepté le principe et les conditions financières de l’intervention de madame [Y] [T] et de messieurs [E] [C] et [L] [R].
Et, la SAS Epoka n’a jamais sollicité, avant l’introduction de l’action en référé de la SARL Emargence Experts, de justification des horaires effectivement accomplis par ces derniers. De fait, ainsi que le relevait la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 19 décembre 2019, elle n’a pas contesté, dans son courrier du 15 mars 2019, les heures de travail dont le paiement était sollicité, sa critique se résumant à la dénonciation du caractère brutal et infondé de la rupture et à l’énoncé de ses conséquence dommageables. Contraire à la pratique ainsi adoptée par les parties, la défense de la SAS Epoka, qui ne nie pas le principe
de l’exécution des prestations litigieuses, est d’autant moins pertinente qu’elle avait seule la maîtrise matérielle de la détermination exacte du temps de travail des salariés mis à
disposition dans ses locaux et qu’elle ne produit sur ce point aucun élément de nature à éclairer la Cour.
En conséquence, les factures étaient dues pour l’intégralité de leur montant et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant en ses prétentions, la SAS Epoka, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens de l’instance ainsi qu’à payer à la SARL Emargence Experts la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la SAS Epoka au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SAS Epoka à payer à la SARL Emargence Experts la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Epoka à supporter les entiers dépens d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE