ARRET N°413
N° RG 22/00107 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GOMS
S.A.S. ETS [J]
C/
[L]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00107 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GOMS
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 décembre 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Poitiers.
APPELANTE :
S.A.S. ETS [J]
[Adresse 3]
[Localité 1] / Fr
ayant pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS
et pour avocat plaidant Me Alexandre JELEZNOV, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIME :
Monsieur [S] [L]
[Adresse 4]
[Localité 2]
ayant pour avocat assisté de Me Alexandre BRUGIERE de la SCP TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS substitué par Me Baptiste LE FORT, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 26 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Madame Anne VERRIER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
– Contradictoire
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS
La SAS Ets [J] ([J]) est une entreprise de construction spécialisée dans les bâtiments de constructions métalliques.
Selon contrat du 10 juillet 2014 accepté le 15 juillet 2014, M. [L] lui a confié la construction d’une bergerie pour un coût de 114 720 euros TTC.
Le marché incluait des lots ossature métallique, couverture, bardage, serrurerie métallique.
La structure devait recevoir une ossature de pailleuse impliquant une surcharge de 2 700 kg.
Les situations émises les 19 octobre, 29 décembre 2014, 11 avril 2015 n’ont pas été réglées.
M. [L] a mandaté un huissier de justice aux fins de constat les 15,19,29 janvier, 23, 27 mars, 13 avril, 28 avril 2015, 22 novembre 2016.
Le solde facturé au 31 mars 2015 pour un montant de 46 000 euros n’a pas été réglé.
M. [L] a saisi un bureau d’études techniques( ITEC) qui a établi une note de calcul le 23 juillet 2015.
Par acte du 29 septembre 2015, la société [J] a assigné M. [L] devant le tribunal de grande instance de Poitiers aux fins de règlement du solde et de réception des travaux.
Par jugement avant dire droit du 10 avril 2018, le tribunal a rejeté la demande tendant à voir constater la réception tacite des travaux, dit n’y avoir lieu à réception judiciaire des travaux et avant dire droit a ordonné une expertise judiciaire.
M. [U] a déposé son rapport le 30 mars 2020.
Par conclusions au fond, la société [J] a demandé au tribunal de :
-prononcer la nullité du rapport d’expertise judiciaire pour vices de forme,
-dire que les travaux ont fait l’objet d’une réception tacite à la date du 30 avril 2015,
-condamner M. [L] à lui payer les sommes de 46 000 euros, les intérêts contractuels, la clause pénale, débouter M. [L] de ses demandes de condamnation.
-à titre subsidiaire, ordonner une contre-expertise.
M. [L] a conclu au rejet des demandes de nullité, de réception, a demandé la condamnation de M. [J] à lui payer les sommes de :
-119 046,74 euros au titre du coût des travaux de reprise,
-5952,34 euros au titre des frais de maîtrise d’oeuvre,
-26 985,60 euros au titre des frais de parcage,
-ordonner la compensation avec la somme due à l’entreprise soit 46 000 euros.
Par jugement du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Poitiers a condamné avec exécution provisoire la SAS [J] à régler à Monsieur [L] une somme de 66.046,74 €, après compensation des créances réciproques des parties, une indemnité de procédure de 5.000 € et aux dépens;
Le premier juge a notamment retenu que :
-sur la nullité de l’expertise judiciaire
L’ expert a personnellement rempli la mission qui lui était confiée, a demandé à un bureau d’études de réaliser des calculs aux fins de déterminer si la structure pouvait supporter les contraintes qui lui étaient imposées, de comparer son résultat avec celui fourni par le BET Bazin mandaté par M. [L], d’ en tirer les conséquences quant à la solidité de la structure métallique.
L’expert était présent avec le sapiteur lors des investigations qu’il a réalisées, a pris des photos qui sont adjointes aux notes de calcul.
Les vérifications ont été faites de concert.
Les documents produits: rapport de l’expert, photographies, conclusions du sapiteur permettent d’appréhender les désordres affectant la charpente ossature principale, les ossatures secondaires, les bardages, la couverture fibrociment.
L’expert a répondu au dire II en pages 7 et 11.
L’expert judiciaire a répondu implicitement ou explicitement aux observations formulées par la société [J].
La demande de nullité de l’expertise sera rejetée.
-sur les comptes entre les parties
Les désordres sont mis en évidence par l’expertise et par le rapport du sapiteur.
Les remèdes détaillés par le sapiteur ont été validés par l’expert.
Il y a lieu de renforcer la charpente principale selon les principes énoncés dans l’étude ITEC.
Le coût des travaux a été validé pour un montant de 112 046,74 euros.
Il n’y a pas lieu de prévoir des frais de maîtrise d’oeuvre dès lors que les travaux à exécuter sont détaillés précisément dans les devis.
Il reste dû à l’entreprise la somme de 46 000 euros.
Le devis relatif aux frais de parcage n’a pas été produit. Cette demande qui n’était pas initialement formulée, sera rejetée.
-sur la réception
Le tribunal a déjà dit n’y avoir lieu à réception, chef revêtu de l’autorité de la chose jugée.
LA COUR
Vu l’appel en date du 13 janvier 2022 interjeté par la société [J]
Vu l’article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 27 septembre 2022, la société [J] a présenté les demandes suivantes :
Vu les articles 16, 233, 276 et 278 du code de procédure civile,
Vu les articles 1134 et 1147 anciens du code civil,
Vu les articles 1231-1 et 1792-6 du code civil, la loi 71-584 du 16/07/1971,
-Réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau:
A titre liminaire :
-Dire et juger nul pour vices de forme le rapport d’expertise judiciaire de M. [U] ;
Sur le fond :
-Débouter Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
-Subsidiairement, ordonner une contre-expertise au frais avancés de la concluante en précisant que le technicien devra statuer poste par poste et préciser, pour chacun, sa cause, les travaux nécessaires pour y remédier et leur coût, en tenant compte des modifications apportées à l’ouvrage par son maître ;
-Surseoir à statuer dans l’attente du dépôt du rapport du nouvel expert ;
-Très subsidiairement, limiter à la somme de 13.176 € TTC la condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre au titre du préjudice subi par M. [L] ;
-En tout état de cause, dire et juger que Monsieur [L] a réceptionné tacitement l’ouvrage litigieux à la date du 30/04/2015 ;
– A défaut, prononcer la réception judiciaire des travaux à la date du 30/04/2015 ;
– Condamner Monsieur [L] à régler à la société [J] la somme de 46.000 € TTC en principal au titre de sa créance contractuelle ;
-Condamner Monsieur [L] à régler à la société [J] des intérêts contractuels de retard au taux légal majoré de 5 points à compter :
o du 19/10/2014 sur la somme de 13.384 € TTC ;
o du 29/12/2014 sur la somme de 27.158,40 € TTC ;
o du 11/04/2015 sur la somme de 5.457,60 € TTC ;
– A défaut, dire que la condamnation au principal sera majorée du taux d’intérêt légal et faire application de l’anatocisme,
-Condamner M. [L] à lui régler la somme de 6.900 € au titre de la clause pénale contractuelle ;
-Débouter M. [L] de son appel incident ;
-Condamner M. [L] à lui régler la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, outre 10.000 € au titre de la procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
A l’appui de ses prétentions, la société [J] soutient en substance que :
-Le rapport d’expertise est nul au visa des articles 233,244,276 du code de procédure civile.
-Toute partie au procès est fondée à soulever in limine litis la nullité d’un rapport d’expertise judiciaire pour vice de fond ou de forme. Elle démontre subir un grief.
-L’expert a tenu deux réunions les 11 juillet et 19 décembre 2018.Il a déposé un pré-rapport le 25 avril 2019 confus, peu argumenté. Il n’a laissé qu’un mois aux parties pour produire un dire malgré la technicité du dossier.
-Le dire du 21 juin 2019 n’a pas été suivi d’une réponse écrite, mais d’une réunion le 6 septembre 2019.
L’expert a établi un pré-rapport le 4 février 2020, n’a laissé aux parties qu’un délai insuffisant pour répondre jusqu’au 6 mars 2020.
Elle a établi un dire le 12 mars qui n’a été adressé à l’expert que le 2 avril du fait de la crise sanitaire. L’ expert a déposé son rapport le 30 mars 2020.
Elle a reçu un CD rom, puis une pseudo réponse le 14 mai 2020 intitulée réponse au dire n°3.
Elle est le copier-coller d’une correspondance lapidaire du sapiteur.
-L’expert n’a pas accompli personnellement sa mission. Il n’est pas établi qu’il a pris des photos. Le tribunal n’aurait pas dû constater que l’expert et le sapiteur avaient agi de concert.
-L’expert devait refuser la mission s’il n’était pas compétent.
-Elle lui reproche une non prise en compte des observations des parties.
-L’ouvrage achevé depuis 7 ans ne présente aucun signe de faiblesse.
-Elle forme une demande subsidiaire de contre-expertise.
-sur le fond
Elle conteste les fautes qui lui sont reprochées.
De menus désordres ne sont pas contestés: trous de vis non rebouchés, infiltration en un point de l’entrepôt, une porte qui ne ferme pas.
L’expert renvoie à des règles de l’art sans dire si au final elles ont été violées.
Les normes citées ne sont pas visées dans le marché de travaux, n’ont donc pas de valeur contractuelle sauf dommage matériel constaté.
-Elle conteste la réalité des désordres. Il s’agit seulement de non-conformités prétendues.
-L’ouvrage remplit son office, est exploité depuis 7 années.
-M. [L] a modifié l’ouvrage après prise de possession et avant expertise.
-Il a enlevé des croix de stabilité verticale qui étaient présentes. Il s’agissait d’un élément de rigidification de la structure. Il les a démontées et a mis en place des murs en parpaing.
-Les préjudices revendiqués sont contestés.
-Il convient de rechercher une solution réparatoire proportionnée.
-Le sapiteur a indiqué que des renforts étaient possibles sans recours à une construction complète. La démolition-reconstruction n’est pas nécessaire.
-L’expert n’a pas chiffré l’alternative. Elle-même l’a chiffrée à 13 176 euros.
-Les frais de déménagement ne se conçoivent que si la démolition est justifiée.
sur la réception
-Elle estime que les travaux ont fait l’objet d’une réception tacite.
-Le tribunal a estimé que M. [L] n’avait pas accepté l’ ouvrage, qu’il n’y avait pas matière à réception judiciaire au regard des désordres importants et des non-finitions invoqués.
-Une réception tacite est intervenue avec réserves courant hiver-printemps 2015.
-M. [L] a fait aménager le hangar avant l’ achèvement.
-Il y a eu prise de possession. Il a fait entrer ses bêtes en avril 2015.
-Des désordres n’ont été allégués que dans les conclusions responsives de 2016.
-Subsidiairement, il y a matière à réception judiciaire, l’ouvrage était en état d’être reçu.
-Elle réitère sa demande de condamnation de M. [L] à lui payer la somme de 46 000 euros avec intérêts de retard majorés et paiement de la clause pénale.
-Elle demande la confirmation du jugement qui a débouté M. [L] de ses demandes au titre des frais de maîtrise d’oeuvre et des frais de parcage.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 5 juillet 2022, M. [L] a présenté les demandes suivantes :
Vu les dispositions des articles 16, 114, 233, 244, 276 et 278 du code de procédure civile
Vu les dispositions des anciens articles 1134 et 1147 du code civil
Vu les dispositions de l’article 1792-6 du code civil
Dire Monsieur [L] recevable et bien fondé en son appel incident
.Confirmer le jugement en ce qu’il :
-limite à 46 000 € les sommes dues à la SAS [J] au titre du solde de son marché ;
-rejette l’ensemble de ses autres demandes
-la condamne à lui verser la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamne la SAS [J] aux entiers dépens
.Infirmer le jugement en ce qu’il :
-limite la condamnation de la SAS [J] au titre du coût des travaux de reprise, déduction faite du solde du marché, à la somme de 66 046, 74 €
-déboute Monsieur [L] de sa demande au titre des frais de maîtrise d »uvre et de sa demande au titre des frais de parcage
Y ajoutant,
-Condamner la SAS [J] à verser à Monsieur [L] les sommes de 119 046, 74 € au titre des travaux de reprise
-Ordonner la compensation entre cette somme de 119 046, 74 € et la somme de 46 000 € correspondant au solde du marché de l’entreprise [J]
5.952,34 € au titre des frais de maîtrise d »uvre,
26.985,60 € au titre des frais de parcage
4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
-Condamner la SAS [J] aux entiers dépens de la procédure d’appel
A l’appui de ses prétentions, M. [L] soutient en substance que :
-Avant expertise, M. [L] a fait procéder à des constats d’huissier et saisi un BET ITEC qui a constaté des malfaçons et des non-finitions.
Il a établi une note de calcul démontrant que les portiques sont sous-dimensionnés.
La société Azard avait constaté de visu le sous-dimensionnement de la structure, le défaut de pose de la couverture.
Lors des 3 réunions, l’ expert judiciaire a fait des constatations.
Les constats du sapiteur ont été faits en présence de l’expert judiciaire.
La note de l’ITEC a été validée.
-Le pré-rapport concorde avec les constats et les documents techniques produits.
-Le dire du 2 avril 2020 a été envoyé un mois après l’ expiration du délai, est de 2 pages, n’inclut aucune observation technique nouvelle.
-La société [J] a désorganisé l’expertise produisant des dires et pièces hors délai.
– sur le fond
-En l’absence de réception, la responsabilité contractuelle de droit commun est engagée.
-Elle demande la confirmation du jugement qui a compensé le solde restant dû de 46 000 euros et le coût des travaux de reprise de 119 046,74 euros.
-Toute réception tacite est exclue. Il n’a jamais voulu recevoir l’ouvrage, a refusé de régler le solde. Il n’a pas pris possession, devait mettre à l’abri ses brebis.
Les courriers échangés excluent toute réception amiable. La gravité des malfaçons s’oppose à toute réception judiciaire.
-L’obligation est de résultat. Les désordres sont multiples.
-La société [J] ne prouve pas que les croix de stabilité ont été retirées par et sur initiative de M. [L].
-Elle a produit des rapports postérieurs à l’expertise et non contradictoires.
-Les pénalités contractuelles et la clause pénale mentionnées dans les conditions générales lui sont inopposables, n’ont pas été portées à sa connaissance, n’ont pas été acceptées.
-Le devis fait seulement référence aux conditions générales.
-Le tribunal a commis une erreur matérielle de calcul.
-Le devis prévoit le seul renforcement du bâtiment contrairement à ce qui est prétendu. Le solde doit s’imputer sur la somme de 119 046,74 euros soit 73 046,74 euros.
-L’expert avait validé des frais de maîtrise d’oeuvre.
-Il devra abriter le cheptel dans un ouvrage provisoire pendant 3 mois.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 27 avril 2023.
SUR CE
-sur la nullité de l’ expertise
L’article 233 du code de procédure civile dispose que le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
L’expert ne peut que recueillir l’avis d’un autre technicien et non faire procéder à des opérations qui relèvent de sa mission d’expertise.
Selon l’article 244 du code de procédure civile, le technicien doit faire connaître dans son avis toutes les informations qui apportent un éclaircissement sur les questions à examiner.
L’article 276 du code de procédure civile dispose que l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
Lorsqu’elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu’elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.
L’expert doit faire mention , dans son avis, de la suite qu’il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.
Selon l’article 278-1, l ‘expert peut se faire assister dans l’accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité.
L’article 175 du code de procédure civile dispose que la nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure.
L’exception de nullité doit être rejetée dès lors que l’existence d’un préjudice n’est pas prouvée.
La société [J] soutient que les conclusions de l’expert reposent quasi exclusivement sur les constats faits par le sapiteur, le bureau d’études techniques [C].
Elle reproche à l’expert d’avoir confié au sapiteur des tâches relevant de sa mission, de renvoyer au rapport du sapiteur pour démontrer que les travaux sont affectés de désordres, de malfaçons et de non-finitions.
Elle lui reproche d’avoir recopié in extenso des passages du rapport du sapiteur s’agissant des désordres graves de nature structurelle, assure qu’il n’a personnellement observé que des menus désordres.
Elle estime que c’est le sapiteur qui a préconisé la reconstruction de la quasi-totalité de l’ouvrage pour un coût excédant les travaux initiaux, qu’il a répondu à la place de l’expert au dernier dire adressé, qu’il a excédé sa mission.
Elle assure avoir été de ce fait privée d’un véritable débat technique, le sapiteur ne pouvant revendiquer la qualification d’ expert.
Elle estime qu’il n’est pas démontré que l’expert a pris lui-même des photographies, que les constatations ont été faites de concert comme le tribunal l’a affirmé.
Elle estime que les reproches qui lui sont faits manquent de clarté, qu’il n’a pas été répondu à ses dires.
M. [L] conteste ces assertions.
Il assure que l’expert a observé en personne, observations reprises pages 20 à 30 du rapport, qu’il a repris à son compte les conclusions du sapiteur, se les est appropriées.
Il considère que le BET [C] a fait pour l’essentieldes calculs, estime qu’il ne s’est pas prononcé sur les responsabilités, assure que c’est l’expert qui a tiré des conclusions et est l’auteur intellectuel du rapport.
Il rappelle qu’il est loisible à l’expert de s’en remettre aux conclusions du sapiteur tant qu’il conserve le contrôle et la responsabilité des opérations.
Il estime que l’expert s’est expliqué de manière détaillée sur les manquements de l’entreprise et sur ses préconisations s’agissant des travaux de reprise.
Il ressort du rapport d’expertise les éléments suivants:
La rédaction du rapport reflète la chronologie des opérations.
Une première réunion s’est tenue le 11 juillet 2018.
L’expert a pris de très nombreuses photographies des bâtiments A, B et C.
Ces photographies sont commentées par l’expert qui met en évidence dans ses commentaires des désordres apparents: points de rouille, traces de dépôt, absence de pente, soudures mal faites, défaut de recouvrement, de fixation, vis laissées sur le toit, trous, percement non rebouché, problèmes de porte, infiltrations d’eau dans le bâtiment, espaces vides sous les portes, le bardage.
Ces photographies commentées constituent les pages 17 à 37 de l’expertise.
Les commentaires ont été faits alors que le sapiteur n’était pas saisi, ne peuvent être que le fait de l’expert.
L’expert a ensuite déposé le 25 avril 2019 un pré- rapport qui incluait le rapport du sapiteur du 9 janvier 2019.
La seconde réunion d’expertise s’est tenue le 19 décembre 2018. Il s’agissait d’une réunion technique en présence du sapiteur.
Les avocats des deux parties étaient absents bien que convoqués.
La troisième réunion s’est tenue le 6 septembre 2019.
Elle avait notamment pour objet de répondre au dire transmis par la société [J].
Le rapport définitif a été déposé le 30 mars 2020 après un second pré-rapport en date du 4 février 2020.
Page 42 du rapport, l’expert reprend les désordres, les liste, précise avoir constaté les désordres suivants :
A charpente métallique ossature principale
L’expert indique : ‘nous constatons un grand nombre de problèmes sur l’ossature principale’.
Il indique que les taux de travail dépassent 100% sur plusieurs profils et passage portique.
‘Nous constatons un manque de stabilités verticales sur les 2 longs plans, une absence de bracons anti-déversement sur les arbalétriers.’
B charpente métallique: ossatures secondaires .
-lisses de bardage profils Z
L’expert indique notamment : ‘Nous constatons des lisses qui présentent une flèche trop importante visible à l’oeil nu, des lisses de baradage en profil Z dépourvues de liens intermédiaires.’
Le désordre est dû à une absence de liens et bretelles sur l’ensemble.
-rails des portes coulissantes
‘Nous constatons que les rails des portes coulissantes sont soudés directement sur les fers linteau ‘.
Il précise qu’il est impossible de réaliser la parfaite horizontalité des portes.
-les portes
‘Nous constatons que les portes ne sont pas réglées, l’absence d’alignement et de parallélisme entre elles’ .
-dimension des portes coulissantes, fermeture des portes coulissantes.
‘Nous constatons des portes trop courtes qui laissent un vide conséquent en partie basse par rapport au sol fini, une absence de verrou et de système de fermeture sur l’ensemble des portails coulissants’.
Il résulte de cet inventaire que l’expert a lui-même constaté les désordres, constatations qui allaient au delà des désordres apparents décrits lors du premier accédit contrairement à ce qui est soutenu.
S’ y ajoutent une qualification des fautes commises: défaut de conception ou/et d’exécution selon les cas, une proposition de réparation.
Page 46, l’expert synthétise les conclusions du sapiteur .
Contrairement encore à ce qui est prétendu, le rôle du sapiteur a été clairement circonscrit par l’expert.
Il lui a demandé de faire une note de calcul, de vérifier celle qui avait été réalisée par la société ITEC à la demande de M. [L] et de faire un bordereau descriptif en vue d’un appel d’offres.
Le fait qu’il se soit inspiré du classement du sapiteur pour répertorier les désordres de manière exhaustive n’établit pas une délégation de sa mission au sapiteur.
Les maladresses rédactionnelles affectant le rapport et consistant à avoir écrit : les rapports du sapiteur indiquent que les travaux effectués sont affectés de désordres ou ‘en résumé cause selon le rapport du sapiteur’ ne sauraient occulter le travail de constatation et d’analyse effectué par l’expert qui s’est certes appuyé sur le travail du sapiteur, se l’est approprié, l’a également complété, commenté, enrichi.
S’agissant du défaut de réponse de l’expert aux dires et observations de la société [J], le dernier dire du 12 mars 2020 ne rappelle pas les observations antérieures.
Il fait une page, contient surtout des ‘observations’portant sur le fait que l’ouvrage est fonctionnel depuis 4 années, que les devis produits ‘n’entrent pas dans le champ de l’expertise’, que des croix de stabilité avaient été installées, que des photos du chantier le démontrent.
Le conseil de la société indiquait qu’elle proposait d’intervenir sur la structure et d’apporter les modifications préconisées par le sapiteur, évaluait le coût des travaux à 13 176 euros TTC, somme qu’elle proposait de conserver à sa charge dès lors qu’elle correspondait à une pailleuse de 2,7 tonnes prévue au devis initial.
Elle indiquait en revanche qu’une pailleuse de 4,4 tonnes ne correspondait pas au devis et que le coût de l’intervention devrait rester à la charge du maître de l’ouvrage.
Le dire comprend donc une question formulée comme suit :
‘Voulez-vous soumettre à votre sapiteur ces éléments afin qu’ils soient validés par vos soins » La cour relève que c’est la société [J] qui demande à l’expert de consulter son sapiteur , ce qui permet de penser qu’elle ne mettait pas en cause sa qualification et estimait nécessaire qu’il fût consulté dès lors que les questions posées étaient techniques.
La réponse au dire est du 14 mai 2020.
Elle est signée du sapiteur et de l’expert.
Elle comprend trois points : les devis, les croix de stabilité, la mise en conformité.
L’expert et le sapiteur indiquent que les devis qui ont été examinés durant l’expertise tiennent compte de l’ensemble des malfaçons et désordres constatés, que les croix de stabilité verticale ont disparu, ce qui est préjudiciable pour la tenue structurelle du bâtiment, que le renforcement de la structure doit se faire selon leurs préconisations.
Si l’on peut regretter le laconisme des réponses, et si l’ expert n’a effectivement pas répondu précisément à la question relative à la pailleuse alors même qu’il a recopié le paragraphe la concernant dans son rapport, la question posée est aussi juridique que technique dès lors qu’elle concerne la conformité des travaux de reprise à la commande .
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la société [J] de sa demande de nullité de l’expertise judiciaire dans la mesure où elle ne démontre pas avoir subi un grief en relation avec les insuffisances de l’expertise.
-sur la demande de contre-expertise
La société [J] conteste la méthodologie de l’expert plus que ses conclusions.
Elle ne démontre pas que son analyse soit erronée.
Des constatations réalisées plus de huit années après les travaux litigieux seraient forcément sujettes à contestation.
Les nombreuses productions : constats d’huissier de justice, étude du BET ITEC, du BET Bazin, devis, permettent à la cour de répondre aux questions qui lui sont posées sans nécessité d’une contre expertise.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
-sur la réception
La société [J] demande à la cour de dire qu’une réception tacite est intervenue, subsidiairement, de fixer la date de réception judiciaire des travaux au 30 avril 2015.
M. [L] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a rejeté la demande.
Il ressort du jugement mixte du 10 avril 2018 que le tribunal a débouté la société [J] de sa demande de réception tacite et judiciaire.
Ce chef du dispositif en l’absence d’appel interjeté contre ce jugement est définitif.
Cette analyse sera confirmée sauf à dire que la demande de réception est irrecevable.
-sur le fond
M. [L] fonde ses demandes sur l’ancien article 1147 du code civil.
Il rappelle que l’entreprise [J] avait l’obligation de délivrer un ouvrage exempt de vices, qu’elle a souscrit une obligation de résultat.
La société [J] affirme que les désordres sont mineurs, que l’ouvrage remplit sa fonction depuis plusieurs années.
Les constats d’huissier de justice des 15,29 janvier,13 avril 2015,22 novembre 2016 mettent en évidence des désordres apparents ( tremblement du bâtiment lorsque la pailleuse électrique fonctionne), des malfaçons (traces de rouille, portes qui ne ferment pas, jours visibles, poutres IPN non droites) un ouvrage inachevé (tôle non fixée, tôle manquante, absence de seuil, visses non fixées, portes sans poignée).
L’expert judiciaire a également constaté ces désordres lors de son accédit du 11 juillet 2018, les a inventoriés et commentés.
Les bureaux d’étude ITEC intervenu à la demande du maître de l’ouvrage avant expertise et [C], sapiteur intervenu à la demande de l’expert judiciaire ont confirmé par leurs calculs des fautes de conception se traduisant par :
des portiques sous dimensionnés avec des contraintes trop importantes dans les poteaux centraux IPE 240 , dans les arbalétriers IPE 220, des contraintes de flexion trop importantes des poteaux antérieurs IPE 180, un effort de compression trop important dans les butons.
L’ensemble souffre d’une absence de stabilité longitudinale.
S’y ajoutent des défauts d’étanchéité, de fermeture.
L’expert judiciaire a énoncé un grand nombre de problèmes sur l’ossature principale, un taux de travail dépassant 100% sur plusieurs profils, l’absence des stabilités verticales sur les 2 longs pans, l’absence des bracons anti déversement sur les arbalétriers.
S’agissant des ossatures secondaires, il énonce des lisses de bardage dépourvues de liens intermédiaires, les malfaçons affectant les rails des portes coulissantes, le défaut de réglage des portes qui ne son alignées ni parallèles entre elles, des portes coulissantes trop courtes ou trop longues, le défaut de verrou et de fermeture des portails.
Les bardages présentent un défaut d’étanchéité (multiples trous sur plusieurs tôles de la façade).
La fixation de la couverture fibro-ciment est défectueuse ( manque de fixation, perçages sans vis, fixations non achevées).
Ces éléments démontrent sans contestation la réalité et la gravité des malfaçons affectant l’ouvrage.
La société [J] fait valoir que le marché ne visait pas les DTU qui ont été rappelés par l’expert judiciaire dans son rapport, estime que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas clairement énoncés.
Elle reproche en outre à M. [L] d’avoir enlevé des croix de stabilisation qui avaient été installées, croix qui contribuaient à la tenue structurelle du bâtiment.
Si la société [J] ne s’est pas engagée à respecter les DTU applicables aux travaux, elle s’est engagée à livrer un ouvrage exempt de vice et à construire conformément aux règles de l’art en vigueur.
Les productions démontrent de très nombreuses fautes de conception et d’exécution dès lors que l’ouvrage réalisé est instable, présente des défauts d’isolation et d’étanchéité, n’a pas été achevé.
S’agissant de la pailleuse, le contrat portait sur une pailleuse de 2,7 tonnes.
Il est constant que l’ouvrage selon le sapiteur ne peut supporter ni une pailleuse de 2,7 tonnes, ni de 4 tonnes.
Il reste que l’expert n’a pas indiqué de manière claire que le coût des travaux de reprise était identique que la pailleuse soit de 2,7 tonnes ou de 4 tonnes.
S’agissant des croix de stabilisation, leur présence apparaît effectivement sur les photos de chantier.
M. [L] ne conteste pas qu’elles ont été enlevées, fait valoir seulement qu’il n’est pas établi que ce soit à son initiative ou à sa demande.
L’expert a indiqué dans son dire III qu’elles sont absentes, absence préjudiciable à la tenue structurelle du bâtiment.
Il ressort des éléments précités une faute du maître de l’ouvrage dès lorsqu’il répond des initiatives qui ont été prises sur le chantier, seraient-elles le fait de tiers.
L’enlèvement des croix de stabilité a contribué aux désordres et à l’instabilité constatée.
Par ailleurs, la pailleuse installée ne correspondait pas au marché initial.
Il sera en conséquence laissé à la charge du maître de l’ouvrage 20 % du coût des travaux de reprise de l’ouvrage.
-sur les préjudices
La société [J] estime que le coût de renforcement de la charpente s’élève à la somme de 13 176 euros.
L’expert [U] a examiné deux devis d’un montant de 129 600 euros et 119 046,74 euros TTC , a retenu le moins disant.
Ce devis établi par la société Bourloton prévoit 11 postes détaillés qui intègrent de manière visible les préconisations de reprise formées par l’expert et donc:
-le renforcement de 7 portiques suivant préconisations ITEC
-l’ ajout de 2 stabilités verticales sur long pan
-l’ ajout de bracons anti déversement
-l’ ajout de liens sur lisse
-la reprise des portes coulissantes
– reprise des systèmes supports de rails des portes
– allongement ou raccourcissement des portails coulissants, réglage de l’ensemble des portails
-le réglage portails dimension portails
-l’ajout des poignées et loquets de portes, d’ habillage sur porte coulissante, sur pignon
-reprise du bardage
remplacement du bardage perforé, enlèvement et remplacement des tôles perforées
-reprise de la couverture
– fixation couverture, ajout des fixations qui manquent et remplacement des fixations défaillantes
M. [L] fait observer à juste titre que ce devis n’inclut pas des frais de démolition, chiffre seulement le coût de renforcement de la structure.
Au regard de la multiplicité et de l’ampleur des désordres, le devis produit par la société [J], devis qui chiffre seulement la fourniture et la pose de charpentes métalliques de renforcement n’est pas de nature à garantir la conformité de l’ouvrage aux règles de l’art,ni sa pérennité.
Il convient donc de retenir le devis Bourloton validé par l’expert pour un montant de 119 046,74 euros.
Dans la mesure où les travaux présentent une certaine complexité du fait de leur technicité et dès lors que l’existant est conservé, des frais de maîtrise d’oeuvre apparaissent nécessaires, analyse qui était celle de l’expert.
L’expert indique que les travaux de reprise prendront 3 mois.
M. [L] sera dans l’obligation de faire abriter son troupeau dans un ouvrage provisoire.
Il a produit un devis qui chiffre ces frais à la somme de 26 985,60 euros, devis validé par l’expert.
Le jugement sera donc infirmé de ces chefs.
Le préjudice s’élève à la somme de 151 984,68 euros ( 119 046 + 5952,34 + 26 985,60).
Compte tenu de l’abattement précité, il sera fixé à la somme de 121 588, 68 euros ( 20% de 151 984,68 = 30 396 euros ) .
-sur le solde des travaux
Il est constant que le solde impayé des travaux s’élève à la somme de 46 000 euros.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la compensation des créances réciproques.
La société [J] demande la majoration des intérêts contractuels de retard au taux légal majoré de 5 points, le paiement d’une clause pénale chiffrée à 6900 euros.
M. [L] fait valoir que la pénalité ne lui est pas opposable faute de signature et acceptation des conditions générales qui la prévoient.
Il résulte des productions que le devis fait référence à des conditions générales de vente.
Toutefois, les conditions qui sont produites ne sont pas signées alors que l’imprimé type produit prévoit un emplacement pour la signature du client.
La société [J] ne démontre pas que les pénalités contractuelles et la clause pénale prévues par les conditions générales soient opposables à M. [L].
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a débouté de ses demandes de ces chefs.
La demande d’anatocisme qui avait été formée dans les conclusions de première instance est en revanche fondée, son bénéfice étant de droit lorsqu’il est sollicité en justice.
-sur les autres demandes
Il résulte de l’article 696 du code de procédure civile que ‘ La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. (…).’
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d’appel seront fixés à la charge de l’appelante.
Il est équitable de la condamner à payer à l’intimé la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
-infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu’il a débouté la société [J] de ses demandes de nullité de l’expertise judiciaire, de contre-expertise
Statuant de nouveau :
-dit irrecevable la demande de réception des travaux
-condamne la société [J] à payer à M. [L] la somme de 121 588,68 euros
-condamne M. [L] à payer à la société [J] la somme de 46 000 euros
-dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt au taux légal
-ordonne la compensation des créances réciproques
Y ajoutant :
-déboute les parties de leurs autres demandes
-condamne la société [J] aux dépens d’appel incluant les frais de référé et d’expertise judiciaire
-condamne la société [J] à payer à M. [L] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,