COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4DC
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 17 OCTOBRE 2023
N° RG 21/06550
N° Portalis DBV3-V-B7F-UZ6Y
AFFAIRE :
S.A.R.L. LA CREPERIE DU PORT
….
C/
S.A. ETABLISSEMENTS TAFANEL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Septembre 2021 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2017F00363
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Mélina PEDROLETTI
Me Delphine PINON
TC PONTOISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. LA CREPERIE DU PORT
[Adresse 6]
[Localité 5]
S.E.L.A.R.L. AJASSOCIES mission conduite par Me [Z] [S] agissant en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la Société LA CREPERIE DU PORT
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 – N° du dossier 25568
Représentant : Me Eric BOURLION, Plaidant, avocat au barreau du VAL D’OISE
APPELANTES
C/
S.A. ETABLISSEMENTS TAFANEL
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Delphine PINON, Postulant, avocat au barreau du VAL D’OISE, vestiaire : 246 – N° du dossier 217074
Représentant : Me Valérie MENARD, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant devant Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Véronique MULLER, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
La Sarl La Crêperie du port (société Crêperie du port) exploite un fonds de commerce de bar-restaurant situé à [Localité 5] (95).
Le 5 février 2015, la société Crêperie du port a conclu, avec la société Kronenbourg, un contrat de bière pour une durée de 5 années à compter du 29 janvier 2015. La société Crêperie du port s’est engagée à se fournir exclusivement auprès de la société Kronenbourg – son distributeur étant la société Tafanel – en contrepartie de quoi la société Kronenbourg lui a consenti une ‘prestation financière’ de 168 000 euros.
Le 9 février 2015, la société Crêperie du port a conclu, avec la société Tafanel, un contrat d’exclusivité de distribution pour une durée de cinq années. La première s’engageait à s’approvisionner exclusivement auprès de la seconde, en contrepartie du versement par la société Tafanel d’une ‘prestation financière’ de 72 000 euros, remboursable en cas de non-respect de l’exclusivité d’approvisionnement.
Par ordonnance sur requête du 16 mai 2017, le président du tribunal de commerce de Pontoise a autorisé la société Tafanel à prendre un nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce de la société Crêperie du port, afin de garantir une créance impayée d’un montant de 157 537,46 euros. Ce nantissement provisoire a été inscrit le 22 mai 2017.
Par acte du 31 mai 2017, la société Tafanel a fait assigner la société Crêperie du port devant le tribunal de commerce de Pontoise en paiement de sa créance.
En cours de procédure, le 27 juillet 2017, les parties ont signé un protocole d’accord, la société Crêperie du port reconnaissant une dette de 142 537 euros, et s’engageant à la régler en 48 mensualités. Ce protocole devait être soumis à l’homologation du tribunal.
Par jugement du 12 février 2018, le tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Crêperie du port, et désigné la société Hart de Keating et la société AJ Associés, en qualité respectivement de mandataire et d’administrateur judiciaires. La société Tafanel a déclaré ses créances qui ont été contestées par la société Crêperie du port, puis le juge-commissaire s’est déclaré incompétent pour statuer sur leur vérification.
Par jugement du 22 février 2019, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société Crêperie du Port pour une durée de huit années, désignant le cabinet AJ Associés en qualité de commissaire à l’exécution du plan.
La société Kronenbourg a également introduit une action à l’encontre de la société Crêperie du port, et par jugement du 14 avril 2021, confirmé par arrêt de cette cour du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Pontoise a fixé la créance de la société Kronenbourg au passif de la société Crêperie du port à la somme de 168 000 euros.
Par jugement contradictoire du 22 septembre 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Pontoise a :
– déclaré la société Tafanel recevable et partiellement fondée en ses demandes ;
– fixé au passif de la société Crêperie du port les créances de la société Tafanel de la manière suivante :
A titre privilégié :
*la créance de 115 537,46 euros au titre des marchandises livrées et impayées conformément au protocole régularisé entre les parties le 27 juillet 2017 ;
A titre chirographaire :
*la créance de 45 200,29 euros au titre des factures de marchandises livrées et impayées pour les mois de novembre et décembre 2017 et janvier 2018 ;
*la créance de 72 000 euros au titre de la prestation financière consentie au terme de la convention de fourniture du 9 février 2015 ;
*la créance de 60 012,80 euros au titre des indemnités de résiliation de la convention de fourniture du 9 février 2015.
– déclaré la société Tafanel mal fondée en sa demande de dommages et intérêts,
– déclaré la société Crêperie du port, le cabinet AJAssociés ès qualités et la société de Keating ès qualités, mal fondés en leurs demandes reconventionnelles,
– condamné in solidum la société Crêperie du port, le cabinet AJAssociés ès qualités et la société de Keating ès qualités, à payer à la société Tafanel la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– déclaré la société Crêperie du port, le cabinet AJAssociés ès qualités et la société de Keating ès qualités mal fondés en leur demande en paiement sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum la société Crêperie du port, le cabinet AJAssociés ès qualités et la société de Keating ès qualités aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 28 octobre 2021, la société Crêperie du port et la société AJ Associés ès qualités ont interjeté appel du jugement.
Par ordonnance d’incident du 14 décembre 2022, le conseiller de la mise en état s’est déclaré incompétent pour statuer sur les fins de non-recevoir (irrecevabilité des demandes nouvelles formées par la société Crêperie du port) soulevées par la société Tafanel.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 3 juillet 2023, la société Crêperie du port et le cabinet AJ Associés, en qualité de commissaire à l’exécution du plan, demandent à la cour de :
– déclarer la société Crêperie du port et la société AJ Associés, ès qualités, recevables et bien fondés en leurs demandes,
– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a déclaré la société Tafanel mal fondée en sa demande de dommages et intérêts,
Infirmer la décision entreprise en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
– juger que la créance déclarée par la société Tafanel n’est pas justifiée, ni dans son quantum ni dans son privilège ;
En conséquence,
– débouter la société Tafanel de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire,
– juger que la convention d’approvisionnement du 9 février 2015 est résiliée au torts exclusifs de la société Tafanel ;
– juger que les prix fixés unilatéralement par la société Tafanel sont abusifs ;
En conséquence,
– condamner la société Tafanel à payer à la société Crêperie du port la somme de 218 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résiliation abusive ;
– condamner la société Tafanel à payer à la société Crêperie du port la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de loyauté dans l’exécution du contrat ;
En tout état de cause :
– condamner la société Tafanel au paiement à la société Crêperie du port et à la société AJ Associés de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont le montant sera recouvré par Maître Pedroletti conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 23 août 2023, la société Tafanel demande à la cour de :
– déclarer la société Crêperie du port et le cabinet AJAssociés, ès qualités, recevables mais mal fondés en leur appel ;
En conséquence,
– débouter la société Crêperie du port et le cabinet AJAssociés de l’ensemble de leurs demandes ;
– déclarer la société Tafanel recevable et bien fondée en son appel incident ;
Et y faisant droit,
– infirmer le jugement en ce qu’il a fixé à titre chirographaire la créance déclarée par la société Tafanel à hauteur de 72 000 euros ;
Et statuant à nouveau sur ce chef de demande,
– juger que la créance déclarée par la société Tafanel à hauteur de 72 000 euros est de nature privilégiée au visa de l’inscription du nantissement conventionnel enregistré le 16 février 2015 ;
En conséquence,
– fixer au passif de la société Crêperie du port à titre de créance privilégiée la créance de 72 000 euros;
– confirmer les autres dispositions du jugement attaqué ;
Sur les demandes subsidiaires,
– juger la demande de dommages et intérêts formée à hauteur de 218 000 euros par la société Crêperie du port, aux termes de ses conclusions signifiées le 13 juillet 2022, comme constituant une demande nouvelle;
En conséquence,
– juger irrecevable la demande de dommages et intérêts à hauteur de 218 000 euros ;
En tout état de cause,
– déclarer mal fondées les demandes de dommages et intérêts formées à hauteur de 218 000 euros et de 50 000 euros ;
En conséquence,
– débouter la société Crêperie du port et le cabinet AJAssociés de leurs demandes de dommages et intérêts;
– confirmer les autres dispositions du jugement attaqué ;
– condamner in solidum la société Crêperie du port et le cabinet AJAssociés ès qualités à payer à la société Tafanel la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamner in solidum la société Crêperie du port et le cabinet AJAssociés ès qualités aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés directement par Maître Delphine Pinon, conformément aux dispositions de l’article 699 et suivants du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2023.
En cours de délibéré, par message RPVA du 3 octobre 2023, la cour a demandé à la société Tafanel de justifier, au plus tard le 12 octobre 2023, du renouvellement de son nantissement judiciaire provisoire pris le 22 mai 2017. La société Tafanel n’a pas répondu à ce message.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aucun moyen n’étant soulevé ou susceptible d’être relevé d’office, il convient de déclarer recevables l’appel principal formé par la société Crêperie du port et l’appel incident formé par la société Tafanel.
La société Tafanel ne sollicite pas l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire, de sorte que le jugement est confirmé de ce chef.
1 – sur les demandes principales de fixation de créance formées par la société Tafanel
La société Crêperie du port indique en préambule qu’elle se reconnaît débitrice d’une somme de 115537,46 euros à titre chirographaire, correspondant à des factures de marchandises livrées par la société Tafanel. Elle conteste les autres créances dont cette société se prévaut, dont une créance correspondant à des prestations de fourniture de boissons et deux créances qui sont la conséquence de la résiliation de la convention d’approvisionnement exclusif, la société Crêperie du port soutenant que cette résiliation doit être prononcée aux torts exclusifs de la société Tafanel.
* sur la fixation de la créance à hauteur de 115 537,46 euros
La société Crêperie du port reconnaît être débitrice de cette somme, soutenant toutefois qu’il ne s’agit pas d’une créance privilégiée dès lors que la société Tafanel ne bénéficie que d’un nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce, et qu’il n’est pas justifié d’une inscription définitive.
La société Tafanel rappelle que l’ouverture d’une procédure collective ne prive pas d’effet une sûreté judiciaire provisoire régulièrement inscrite avant l’ouverture, indiquant que le créancier peut procéder, dans le délai de 2 mois à compter de l’admission ou la fixation de sa créance à l’inscription définitive qui rétroagit à l’inscription provisoire. Elle sollicite donc la confirmation du jugement qui a fixé sa créance à titre privilégié.
Il résulte de l’article R.532-7 du code des procédures civiles d’exécution que la publicité provisoire conserve la sûreté pendant trois ans. Elle peut être renouvelée pour la même durée.
L’article R.533-6 du même code dispose qu’à défaut de confirmation dans le délai, la publicité provisoire est caduque et sa radiation peut être demandée au juge de l’exécution.
L’article R.533-4 du même code dispose enfin que la publicité définitive est effectuée dans un délai de deux mois courant : 1° Du jour où le titre constatant les droits du créancier est passé en force de chose jugée.
Comme le soutient la société Tafanel, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire ne prive pas d’effet un nantissement judiciaire provisoire régulièrement inscrit avant le jugement d’ouverture, comme c’est le cas en l’espèce, et n’interdit pas au créancier de procéder, après l’obtention d’une décision de fixation de sa créance, à son inscription définitive.
Encore faut-il toutefois que l’inscription définitive soit réalisée dans le délai de validité de l’inscription provisoire initiale ou renouvelée.
En cours de délibéré, la cour a demandé à la société Tafanel de justifier du renouvellement du nantissement provisoire inscrit le 22 mai 2017. La société Tafanel n’ayant pas répondu ni justifié de ce renouvellement, la cour ne peut que constater la caducité de l’inscription, de sorte que la créance revendiquée doit être fixée à titre chirographaire. Le jugement est ainsi infirmé en ce qu’il a fixé la créance à titre privilégié.
* sur la fixation de créance à hauteur de la somme de 45 200,29 euros correspondant à des marchandises livrées et impayées pour les mois de novembre 2017, décembre 2017 et janvier 2018
La société Crêperie du port conteste devoir cette somme au motif que la société Tafanel ne justifie pas des bons de commande correspondants et qu’elle ne produit que quelques bons de livraison, dont certains ne sont pas tamponnés par ses soins, de sorte que la preuve de la livraison des marchandises n’est pas rapportée.
La société Tafanel sollicite confirmation du jugement en ce qu’il a retenu que le process de livraison ne permettait pas toujours une signature du client. Elle indique communiquer tous les bons de livraison, faisant valoir que si deux ou trois d’entre eux ne portent pas le tampon de la société Crêperie du port, cela résulte du fait que personne n’était présent pour réceptionner la marchandise, ce qui n’est pas inhabituel dans la profession, les livraisons pouvant intervenir avant l’ouverture. Elle ajoute que les commandes s’effectuaient toujours par téléphone, ce qui correspond au process utilisé dans la relation commerciale. Elle s’étonne en outre qu’aucune contestation n’ait été formée à réception des factures et du courrier recommandé du 12 février 2018.
Les éléments du dossier font apparaître que la société Tafanel adressait, en fin de mois, une facture mensuelle à la société Crêperie du port, cette facture détaillant chaque bordereau de livraison émis au cours du mois en mentionnant son numéro, sa date et les produits livrés.
La société Tafanel produit aux débats l’intégralité des bordereaux de livraison correspondant aux factures de novembre et décembre 2017, ainsi que janvier 2018. La plupart de ces bordereaux sont revêtus d’un tampon de la société Crêperie du port. Seuls les bordereaux de livraison des 27 novembre, 28 décembre et 8 janvier ne sont pas tamponnés par la société Crêperie du port.
Ainsi que le fait observer la société Tafanel, si trois bons de livraison ne sont pas tamponnés, il n’en reste pas moins, d’une part que cette absence de validation reste exceptionnelle (trois bons de livraison sur vingt quatre bons au total), d’autre part qu’en recevant les factures correspondantes mentionnant clairement les différentes livraisons, la société Crêperie du port n’a émis aucune contestation, ce qui tend à démontrer que les livraisons litigieuses ont bien été réalisées.
Le conseil de la société Tafanel a en outre écrit à la société Crêperie du port, le 12 février 2018, pour la mettre en demeure de lui régler les factures de novembre et décembre 2017, sans que cette dernière ne conteste ces factures, ni n’invoque un défaut de livraison de marchandises.
Enfin, pour faire suite aux actions en revendication de marchandises formées par la société Tafanel auprès de l’administrateur judiciaire, la société Crêperie du port a attesté, le 23 mars 2018, que les marchandises avaient été consommées avant le 12 février 2018, date du redressement judiciaire, sans jamais soutenir que certaines n’auraient pas été livrées.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la preuve de la livraison des marchandises correspondant aux factures litigieuses est suffisamment rapportée, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal a fixé la créance de la société Tafanel, à titre chirographaire, à hauteur de 45 200,29 euros. Le jugement est confirmé de ce chef.
* sur la fixation des créances consécutives à la résiliation de la convention d’approvisionnement exclusif, et l’imputabilité de cette résiliation,
La société Crêperie du port critique le jugement en ce qu’il a considéré que la rupture de cette convention lui était imputable, la condamnant ainsi, d’une part au remboursement de la ‘prestation financière’ de 72000 euros, d’autre part au paiement de la somme de 60 012,80 euros au titre de l’indemnité de rupture anticipée. Elle conteste avoir cessé de s’approvisionner auprès de la société Tafanel, soutenant que c’est au contraire cette dernière qui a refusé de lui livrer des boissons, notamment en venant reprendre un ‘transpalette’. Elle ajoute que l’attitude, d’une part de la société Tafanel, qui a attendu le mois d’avril 2018 avant de la relancer pour le premier impayé de novembre 2017, d’autre part de la société Kronenbourg qui a attendu trois mois pour lui demander de reprendre ses commandes, est significative d’un refus de livraison. Elle affirme ainsi que la société Tafanel n’a pas respecté son obligation de livraison, l’obligeant à recourir à un autre distributeur, la société Gavroche distribuant également les produits Kronenbourg afin de respecter le ‘contrat de bière’.
La société Tafanel conteste tout manquement à ses obligations, et notamment le prétendu refus d’approvisionnement invoqué par la société Crêperie du port, soutenant qu’il ne repose sur aucun élément de preuve hormis des attestations dépourvues de valeur juridique, ajoutant que c’est la société Crêperie du port qui a changé de distributeur de sa propre initiative. Elle fait valoir que la reprise du transpalette, deux mois après l’arrêt des commandes de la société Crêperie du port, ne constitue pas une faute, s’agissant uniquement d’une mise à disposition de matériel par simple courtoisie. Elle ajoute que le grief de la tardiveté des relances n’est pas pertinent, celles-ci étant intervenues dès le 12 février 2018. Elle sollicite donc la confirmation du jugement en ce qu’il a fait application des termes de la convention et ordonné, d’une part le paiement de la somme de 72 000 euros à titre privilégié au regard du nantissement correspondant, d’autre part le paiement de la somme de 60 012,80 euros à titre chirographaire.
L’article 2 de la convention accordant à la société Crêperie du port un avantage économique et financier d’un montant de 72 000 euros dispose : ‘en contrepartie de l’avantage financier mentionné ci-dessus, le revendeur s’approvisionnera, pour les besoins de son établissement en produits visés ci-dessous et pour les quantités conventionnelles déterminées également ci-dessous, exclusivement auprès du fournisseur (…).’
Il résulte en outre de l’article 5.2 de cette convention que : ‘ en cas d’inexécution d’une quelconque de ses obligations par le revendeur, de non-respect de l’exclusivité d’approvisionnement ou de non-respect de l’engagement de volume global sur la durée d’exécution du présent contrat, le revendeur s’engage à rembourser au fournisseur la prestation financière mentionnée à l’article 1. Le revendeur devra également payer au fournisseur des dommages et intérêts s’élevant au minimum à 20% du chiffre d’affaires TTC à réaliser jusqu’au terme normal du contrat, en application des quantités prévues à l’article 2, selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison, et compte tenu des quantités déjà livrées.’
La société Crêperie du port était ainsi obligée, durant cinq années, de s’approvisionner exclusivement auprès de la société Tafanel, et les parties admettent qu’aucun approvisionnement n’est intervenu postérieurement au 30 janvier 2018. Il appartient à la société Crêperie du port qui soutient que la société Tafanel aurait manqué à ses obligations contractuelles, en refusant de lui livrer des marchandises, d’en justifier.
Alors même qu’elle invoque un refus de livraison, la société Crêperie du port ne produit aux débats ni bons de commande restés sans suite, ni réclamation qu’elle n’aurait pas manqué d’adresser à la société Tafanel si cette dernière s’était véritablement opposée à lui livrer des marchandises à compter du mois de février 2018.
Contrairement à ce que soutient la société Crêperie du port, la société Tafanel n’a pas tardé à la relancer pour les factures impayées de novembre 2017 à janvier 2018, puisque le courrier de relance est intervenu le 12 février 2018. En tout état de cause, une éventuelle tardiveté de relance dans le paiement des factures ne permettrait pas de justifier d’un refus de livraison.
Le fait que la société Kronenbourg – qui n’est pas partie au présent litige – ait attendu le 26 avril 2018 pour signaler l’absence de commande en violation de la convention de fourniture ne peut en outre être assimilé à un refus de livraison, la cour observant simplement que la société Crêperie du port n’a pas contesté cette absence de commande.
Pour justifier du prétendu refus de livraison, la société Crêperie du port produit une attestation de son propre dirigeant invoquant la reprise par la société Tafanel du transpalette ‘début février pour nous empêcher toute livraison’. Cette simple attestation, émanant du dirigeant qui ne peut se constituer de preuve à lui-même, et portant uniquement sur la mise à disposition d’un transpalette, ne permet pas d’établir un refus d’approvisionnement de la société Tafanel.
L’attestation du directeur d’exploitation de la société Crêperie du port n’est pas plus pertinente, en ce qu’elle n’évoque que la reprise du transpalette à une date indéterminée, étant précisé que cet élément ne constituait qu’un prêt de courtoisie.
La société Crêperie du port produit enfin une attestation du dirigeant de la société Gavroche qui est son nouveau distributeur de boissons. Ce dernier affirme avoir été appelé en urgence par la société Crêperie du port pour livrer de la bière : ‘car son fournisseur de l’époque avait bloqué ses livraisons et refusait de lui fournir de la bière’. Ce dirigeant relate ainsi des faits dont il n’a pas été témoin direct, de sorte que cette attestation est dépourvue de toute valeur probante.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la preuve d’un refus d’approvisionnement de la société Tafanel n’est nullement apportée.
Faute pour la société Crêperie du port d’apporter cette preuve, et tenant compte du fait qu’elle s’est approvisionnée, à compter de mars 2018 au moins, auprès d’un concurrent, la preuve d’un non-respect de l’exclusivité d’approvisionnement est ainsi rapportée, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal a considéré que la rupture de la convention était imputable à la société Crêperie du port.
Il convient donc de faire application des dispositions de l’article 5.2 de la convention, et de fixer la créance de la société Tafanel au titre, d’une part du remboursement de la ‘prestation financière’, d’autre part de l’indemnité de rupture anticipée.
Dans les motifs de ses conclusions, la société Crêperie du port soutient, à titre subsidiaire, que l’article 5.2 de la convention est constitutif d’une clause pénale, les montants sollicités étant manifestement excessifs, de sorte qu’ils doivent être ramenés à de plus justes proportions.
Même si la société Crêperie du port a omis de reprendre cette prétention de réduction des demandes au dispositif de ses conclusions, il convient de statuer sur ce point dès lors que l’article 1231-5 du code civil prévoit que le juge peut procéder, même d’office, à une telle réduction.
L’article précité dispose que lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent.
L’engagement de remboursement de la prestation financière de 72 000 euros ne constitue pas une clause pénale, puisqu’il n’est pas de nature indemnitaire. Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a fixé la créance de la société Tafanel à la somme de 72 000 euros au titre du remboursement de la prestation financière.
La société Tafanel sollicite la fixation de sa créance à titre privilégié, au regard du nantissement conventionnel pris sur le fonds de commerce au moment de la signature du contrat. Elle justifie de ce nantissement, par la production du bordereau d’inscription de ce privilège inscrit au greffe du tribunal de commerce le 16 février 2015, de sorte qu’il convient de faire droit à la demande et de fixer cette créance à titre privilégié. Le jugement est infirmé de ce chef.
S’agissant de l’indemnité de rupture anticipée pour 60 012, 80 euros, sa nature de clause pénale n’est pas discutée. La société Crêperie du port affirme que cette indemnité est manifestement excessive en ce qu’elle fait double emploi avec le remboursement de la prestation financière.
Tenant compte du fait que la convention d’exclusivité a été exécutée durant près de trois années, de février 2015 à janvier 2018, l’indemnité de rupture peut être diminuée à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, de sorte que la cour fera droit à la demande de réduction, fixant celle-ci à 8 % du chiffre d’affaires HT à réaliser jusqu’au terme du contrat, soit la somme de 21053,49 euros (185 330 cols x 1,42 euros = 263 168, 60 euros x 8%). Le jugement est infirmé de ce chef, la cour fixant la créance chirographaire de la société Tafanel au titre de l’indemnité de résiliation à la somme de 21 053,49 euros.
2 – sur les demandes reconventionnelles formées par la société Crêperie du port
La société Crêperie du port forme deux demandes indemnitaires, l’une au titre de la résiliation abusive de la convention de partenariat, l’autre pour défaut de loyauté dans l’exécution du contrat.
* sur la demande indemnitaire du fait de la résiliation abusive de la convention de partenariat
La société Tafanel soulève l’irrecevabilité de la première demande, s’agissant d’une demande nouvelle en appel, ce qui est contesté par la société Crêperie du port.
Il a été démontré que la résiliation de la convention d’exclusivité n’était pas abusive, de sorte qu’aucune indemnité ne peut être allouée à ce titre, et il n’y a donc pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée.
* sur la demande indemnitaire pour défaut de loyauté contractuelle et abus dans la fixation des prix
La société Crêperie du port fait valoir que les prix étaient fixés unilatéralement par la société Tafanel, affirmant qu’ils étaient ‘excessifs au vu des prix du marché’, lui reprochant de l’avoir ‘asphyxiée afin de pouvoir racheter le fonds de commerce pour un prix moindre’. Elle lui reproche également un défaut d’information sur les augmentations de tarif, celles-ci ne pouvant être négociées, et un défaut de loyauté dans l’exécution du contrat. Elle fait enfin valoir que la société Kronenbourg a également fait preuve de déloyauté, en se prévalant dans la procédure la concernant, des fixations des créances de la société Tafanel, alors même que le jugement la concernant n’était pas définitif. Elle sollicite réparation de son préjudice à hauteur de 50 000 euros.
La société Tafanel rappelle les termes de la convention, selon lesquels la société Crêperie du port a admis avoir une parfaite connaissance du tarif pratiqué et des conditions générales de vente, ces documents étant annexés à la convention. Elle ajoute que la société Crêperie du port pouvait, conformément au contrat, s’en remettre à un expert si elle contestait la variation des prix, ce qu’elle n’a pas fait.
Il résulte de l’article 4 de la convention d’exclusivité que : ‘le revendeur reconnaît avoir une parfaite connaissance (…) du tarif pratiqué à ce jour par le fournisseur, ainsi que de ses conditions générales de vente, tous deux annexés aux présentes. Il accepte expressément l’ensemble de ces éléments. En cas de variation des prix et pour quelque motif que ce soit, les parties conviennent expressément qu’à défaut d’accord express ou tacite entre elles, elles s’en remettront à l’avis d’un expert qui sera désigné sur requête de la partie la plus diligente par le président du tribunal de commerce compétent.’
Il est ainsi établi que la société Crêperie du port avait connaissance des tarifs d’origine qu’elle a parfaitement acceptés. Il n’est en outre justifié d’aucune réclamation de sa part au cours du contrat. La simple affirmation que les prix, ou leur augmentation, étaient excessifs au vu des prix du marché, qui n’est corroborée par aucun élément, est ainsi dénuée de fondement. Les reproches émis contre la société Kronenbourg ne peuvent en outre être imputés à la société Tafanel.
La société Crêperie du port ne rapporte donc pas la preuve d’un manquement de la société Tafanel dans l’exécution de ses obligations. C’est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté ses demandes indemnitaires.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Déclare recevables l’appel principal formé par la société La Crêperie du port et l’appel incident formé par la société Tafanel,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 22 septembre 2021 en ce qu’il a fixé les créances suivantes de la société Tafanel au passif de la société La Crêperie du port :
A titre privilégié :
*la créance de 115 537,46 euros au titre des marchandises livrées et impayées conformément au protocole régularisé entre les parties le 27 juillet 2017 ;
A titre chirographaire :
*la créance de 72 000 euros au titre de la prestation financière consentie au terme de la convention de fourniture du 9 février 2015 ;
*la créance de 60 012,80 euros au titre des indemnités de résiliation de la convention de fourniture du 9 février 2015 ;
Statuant à nouveau de ces chefs :
* fixe à titre chirographaire la créance de 115 537,46 euros au titre des marchandises livrées et impayées conformément au protocole régularisé entre les parties le 27 juillet 2017 ;
* fixe, à titre privilégié, la créance au titre de la prestation financière résultant de la convention du 9 février 2015 à hauteur de 72 000 euros ;
* fixe, à titre chirographaire, la créance au titre de l’indemnité de résiliation de la convention du 9 février 2015 à hauteur de 21 053,49 euros,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la société La Crêperie du port à payer à la société Tafanel la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société La Crêperie du port aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,