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22 mars 2023
Cour d’appel de Metz
RG n°
20/01681
Arrêt n° 23/00234
22 mars 2023
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N° RG 20/01681 –
N° Portalis DBVS-V-B7E-FK6Y
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORBACH
14 septembre 2020
19/00253
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Vingt deux mars deux mille vingt trois
APPELANT :
M. [H] [F]
[Adresse 1]
Représenté par Me François RIGO, avocat au barreau de METZ
(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 2021/009209 du 26/11/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de METZ)
INTIMÉE :
S.A.S. MAIN SECURITE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Johann GIUSTINATI, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE
ARRÊT :
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon deux contrats de travail à temps complet et à durée déterminée couvrant le mois de février 2017, puis les mois de mars et avril 2017, la SAS Main sécurité a embauché M. [H] [F], en qualité d’agent de sécurité confirmé.
A compter du 1er mai 2017, la relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée, moyennant une rémunération mensuelle de 1 546,99 euros brut.
La convention collective applicable est celle des entreprises de prévention et de sécurité.
Au mois de septembre 2018, M. [F] s’est présenté sur une liste syndicale aux élections professionnelles au comité social et économique, de sorte qu’il a bénéficié d’un statut de salarié protégé pendant 6 mois.
Selon procès-verbal de conciliation totale dressé le 21 juin 2019 par la formation de référé du conseil de prud’hommes de Forbach, la société Main sécurité s’est engagée à verser à son salarié un montant de 1 233,98 euros brut (183,59 euros brut de salaire du mois d’octobre 2018, 18,36 euros de congés payés y afférents, 275,40 euros brut pour le mois de janvier 2019, 27,54 euros brut de congés payés y afférents, 662,80 euros brut pour le mois de février 2019 et 66,28 euros de congés payés y afférents).
Estimant avoir été victime de harcèlement moral et de discrimination syndicale de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, M. [F] a saisi, par courrier posté le 24 juillet 2019, la juridiction prud’homale.
Par jugement contradictoire du 14 septembre 2020, la formation restreinte de la section activités diverses du conseil de prud’hommes de Forbach a déclaré la demande recevable et mal fondée, débouté M. [F] de l’ensemble de ses demandes et condamné celui-ci aux dépens.
Le 28 septembre 2020, M. [F] a interjeté appel par voie électronique.
Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 26 mai 2021, M. [F] requiert la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, puis, statuant à nouveau :
– de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur ;
– de condamner la société Main sécurité à lui payer les sommes suivantes :
* 6 208 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle ni sérieuse ;
* 21 284 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier ;
* 3 547,58 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
* 354,76 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
augmentées des intérêts au taux légal à compter du ‘jugement’ à intervenir ;
– de réserver ses droits de chiffrer ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de congés payés, après le ‘jugement’ qui fixera la date de la rupture de son contrat de travail ;
– à titre subsidiaire, sur ce point, de condamner la société Main sécurité à lui payer la somme de 923,85 euros net à titre d’indemnité de licenciement, ainsi que la somme de 3 724,97 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, augmentées des intérêts au taux légal à compter du ‘jugement’ à intervenir ;
– de condamner la société Main sécurité à lui délivrer, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du ‘jugement’ à intervenir, l’attestation Pôle emploi et le certificat de travail.
A l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, il expose :
– qu’il a été confronté à un véritable harcèlement et à une série de comportements injustifiables de la part de son employeur ;
– qu’il a été accusé à tort de comportements inadaptés, écarté de ses missions et mis en congés forcés par la société Main sécurité qui n’a jamais pris sa défense ;
– que son employeur a tout mis en oeuvre pour l’empêcher d’exercer correctement son emploi en lui proposant à maintes reprises, sans aucune discussion ni négociation possible, un poste à une distance très éloignée de sa famille ;
– que, poussé à bout, il est tombé en dépression ;
– que, soudainement, de façon vexatoire, il a connu une dégradation de ses conditions de travail;
– que l’employeur échoue à donner une explication objective ;
– que la société Main sécurité ayant considéré de manière abusive, à plusieurs reprises, qu’il était en situation d’absence injustifiée, il a subi des répercussions financières et dû saisir le juge des référés ;
– que la clause de mobilité du contrat de travail est nulle, la zone géographique d’affectation n’étant pas déterminée précisément et pouvant évoluer sur la seule décision de l’employeur ;
– que la mutation dont il a fait l’objet est irrégulière, car prise à titre de sanction, en violation de son droit au respect de sa vie personnelle et familiale ;
– qu’il ne peut pas poursuivre une relation de travail préjudiciable à son état de santé;
– que la société Main sécurité lui a demandé de travailler à [Localité 4], mais ne justifie pas l’absence de chantier dans la région, alors qu’elle est une entreprise de niveau national comportant 23 établissements.
Il détaille les préjudices financier et moral découlant de l’attitude de l’employeur, ainsi que les indemnités de rupture sollicitées.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 1er mars 2022, la société Main sécurité sollicite que la cour confirme le jugement en toutes ses dispositions et rejette les demandes présentées par M. [F].
Elle réplique :
– que, s’agissant du harcèlement, l’appelant ne donne aucune précision sur les faits concernés et n’étaye pas la demande ;
– que, s’agissant de la discrimination, M. [F] ne justifie même pas de son affiliation à un syndicat ;
– que M. [F] s’est simplement présenté aux élections du comité social d’entreprise le 30 août 2018 sans être élu ;
– que le client SNF Floerger à [Localité 5] s’est ‘plaint’ du comportement professionnel de M. [F], dénoncé par des salariés de cette entreprise ;
– que la clause de mobilité géographique du contrat de travail est valable et précise les départements sur lesquels elle peut s’exercer ;
– qu’aucune mobilité géographique n’a été imposée au salarié qui n’a jamais pris de poste sur un autre site client, étant en arrêt maladie ininterrompu depuis le 26 octobre 2018 ;
– que les régularisations de compléments de salaire ont été effectuées antérieurement à la demande de résiliation judiciaire ;
– qu’elle n’a commis aucun manquement.
Elle souligne que la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse excède le plafond de l’article L. 1235-3 du code du travail et que M. [F] ne démontre ni l’existence ni l’étendue d’un préjudice moral ou professionnel.
Elle précise que, par courrier du 11 décembre 2020, M. [F] a été licencié pour faute grave.
Le 7 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
MOTIVATION
Sur le harcèlement moral
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
S’agissant de la preuve du harcèlement, l’article L. 1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l’application de l’article L. 1152-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, puis, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [F] présente les éléments de fait suivants :
– son badge a été rendu inactif par son employeur le 19 octobre 2018 en fin de poste, alors qu’il disposait d’un planning de travail pour tout le mois ;
– son poste de travail était occupé par une autre personne, lorsqu’il s’est présenté le lundi 22 octobre 2018 ;
– il a été renvoyé chez lui pour la semaine ;
– il a été placé en absence injustifiée les 22 et 23 octobre 2018 avec retrait du salaire correspondant ;
– il a été convoqué, au mois de novembre 2018, à titre disciplinaire, à un entretien préalable au licenciement, mais l’employeur n’a finalement donné aucune suite ;
– il lui était reproché un comportement ‘qui n’était pas le sien’ ;
– le nouveau planning du mois de novembre 2018 a fixé son poste de travail à Bazannes dans la Marne, alors que la clause de mobilité du contrat de travail ne contenait pas ce département ;
– dans les premiers jours du mois de novembre 2018, la société Main sécurité lui a imposé des congés payés et ne lui fournissait plus de travail ;
– l’employeur l’a alors affecté à [Localité 4], ce qui était tout aussi éloigné ;
– il a été en arrêt de travail du 20 octobre 2018 au 20 janvier 2019, en raison du harcèlement moral subi pendant plusieurs mois ;
– à son retour, l’employeur a maintenu l’affectation à [Localité 4] ;
– il était à nouveau placé abusivement en situation d’absence injustifiée ;
– il était en arrêt de travail à compter du 11 février 2019 pour une sévère dépression avec traitement médicamenteux ;
– à son retour, il était toujours affecté sur le site de [Localité 4] ;
– il se trouvait sans ressources pour faire face à ses charges courantes ;
– en dépit de ses arrêts de travail depuis le 2 septembre 2019, l’employeur l’a considéré comme étant en situation d’absence injustifiée ;
– il a dû saisir le juge des référés pour les jours pendant lesquels l’employeur le considérait comme étant en absence injustifiée, alors qu’il était en réalité à la disposition de celui-ci.
M. [F] produit aussi des éléments médicaux :
– un avis d’arrêt de travail du 2 septembre 2019 au 30 septembre 2019 pour ‘dépression pbs professionnels’ (pièce n° 22) ;
– un avis d’arrêt de travail du 27 septembre 2019 au 26 octobre 2019 pour ‘syndrome anxiodépressif problèmes professionnels’ (pièce n° 23) ;
– un certificat médical du 17 novembre 2020 indiquant que M. [F] ‘a été en arrêt maladie du 26/10/2018 au 26/06/2020 pour syndrome anxiodépressif, lié d’après ses dires à des problèmes professionnels’.
Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
La société Main sécurité justifie que le responsable de site de son client, la SNF [Localité 5], lui a adressé le 19 octobre 2018 un message électronique pour se plaindre de l’attitude de M. [F], concluant ‘Ainsi, je vous demande immédiatement de retirer M. [F] du site’. Ce responsable joignait un écrit signé de deux salariés de la société SNF travaillant au poste de garde et listant douze griefs à l’encontre de M. [F] (pièce n° 4 de l’intimée).
L’employeur démontre ainsi qu’il avait une raison objective liée au mécontentement de son client de ne plus faire intervenir M. [F] sur le site de la société SNF à [Localité 5].
En revanche, il ressort du bulletin de paie du mois d’octobre 2018 que l’employeur n’a pas rémunéré les journées des 22 et 23, alors que rien ne montre que M. [F] ne se serait pas tenu à disposition à ces deux dates.
Le procès-verbal de conciliation du 21 juin 2019 fait apparaître que la société Main sécurité restait devoir à M. [F] un total de 1 233,98 euros au titre des salaires du mois d’octobre 2018, mais aussi des mois de janvier 2019 et février 2019, ce qui a contraint le salarié à engager une procédure de référé devant la juridiction prud’homale, étant observé que l’employeur ne donne aucune explication sérieuse sur cette carence, se contentant dans ses conclusions d’intimée d’évoquer une ‘erreur’.
La société Main sécurité a engagé, le 9 novembre 2018, une procédure de licenciement, puis, par courrier du 16 novembre 2018, informait M. [F] qu’elle prenait en compte l’arrêt maladie et reportait l’entretien à une date ultérieure. Pourtant, comme le montrent le bulletin de paie du mois d’octobre 2018 et le planning du mois de novembre 2018 (pièces n° 5 et 8 de l’appelant), M. [F] était en arrêt maladie, de façon continue depuis le 26 octobre 2018.
Par ailleurs, le contrat de travail contenait la clause de mobilité suivante :
‘ARTICLE 5 – AFFECTATION
Le salarié signataire est affecté à titre indicatif sur le ou les chantiers de TOTAL Carling. En raison de la mobilité qu’impose la profession le salarié signataire pourra être affecté, à tout autre chantier situé dans le ressort de l’agence de rattachement, qui couvre au jour de la signature du présent contrat les départements suivants 10,21,25, 52,54, 55, 57,67, 68, 71, 90, liste non exhaustive susceptible d’évoluer en fonction des prises et des pertes de marché’.
Concernant le choix des lieux d’affectation du salarié, la société Main sécurité -qui se prévaut des termes de la clause de mobilité et de la validité de celle-ci- ne développe aucune explication, se limitant à exposer qu’aucune mobilité géographique n’a en réalité été imposée à M. [F], dans la mesure où le salarié a été placé, selon elle, en arrêt maladie ininterrompu depuis le 26 octobre 2018.
Ainsi, l’employeur n’apporte aucun élément démontrant qu’il ne pouvait pas, de bonne foi, affecter M. [F] à un poste plus proche du domicile de celui-ci dans l’est du département de la Moselle que sur les sites, particulièrement éloignés, de [Localité 3] (dans l’ouest du département de la Marne qui ne figurait même pas dans la liste non exhaustive de la clause de mobilité) et de [Localité 4].
Au demeurant, au-delà de la validité de la clause de mobilité que le salarié considère nulle sans toutefois présenter de demande en ce sens dans le dispositif de ses conclusions, l’intimée ne conteste pas l’affirmation de M. [F] qui précise qu’une mutation l’aurait éloigné de sa fille sur laquelle il exerce un droit de visite et d’hébergement une fin de semaine sur deux, ainsi que durant la moitié des vacances scolaires, ce qui avait motivé initialement ses revendications quant à l’adaptation de ses jours de travail pour obtenir deux week-ends par mois.
Il résulte de cette situation que la modification du site d’affectation aurait porté une atteinte disproportionnée à la vie personnelle et familiale de M. [F], ce que le salarié signalait dans son courrier du 29 octobre 2018 adressé à son employeur : ‘Je vous demande donc de me réintégrer à mon poste initial ou de me proposer un poste équivalent sur une géolocalisation décente pour que je puisse travailler sereinement et garder une vie de famille et privée’.
Dans son certificat médical du 17 novembre 2020, le médecin de M. [F] évoque un ‘syndrome anxiodépressif lié d’après ses dires à des problèmes professionnels’, mais les avis d’arrêt de travail établis par ce même médecin les 2 septembre 2019 et 27 septembre 2019 traduisent un lien entre la pathologie et le travail, puisqu’ils indiquent respectivement ‘Dépression pbs professionnels’ et ‘Syndrome anxiodépressif problèmes professionnels’.
Ainsi, l’employeur ne fournit aucun élément objectif de nature à écarter une situation de harcèlement moral subie par M. [F], qui s’est traduite par un défaut de paiement du salaire de plusieurs journées des mois d’octobre 2018, janvier 2019 et février 2019, par la mise en oeuvre au mois de novembre 2018 d’une procédure de licenciement, par deux affectations sur des sites particulièrement éloignés du domicile du salarié et par une dégradation de la santé de celui-ci.
La cour acquiert ainsi la conviction que les agissements répétés de l’employeur à l’égard de M. [F] sont constitutifs d’un harcèlement moral.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée à la demande du salarié aux torts de l’employeur lorsque ce dernier a commis des manquements à ses obligations d’une gravité telle qu’ils empêchent la poursuite du contrat.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande en résiliation du contrat était justifiée.
En l’espèce, la société Main sécurité indique dans ses conclusions que, par courrier du 11 décembre 2020, elle a licencié M. [F] pour faute grave.
La lettre n’est pas produite, mais l’appelant ne conteste pas la rupture du contrat.
La demande de résiliation judiciaire doit d’abord être examinée, en ce qu’elle a été présentée devant la juridiction prud’homale dès le 24 juillet 2019 – donc bien antérieurement à la date du licenciement.
La gravité des faits de harcèlement moral qui ont été commis par l’employeur et qui sont seuls évoqués par le salarié au soutien de la demande de résiliation judiciaire est de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, justifiant ainsi de faire droit à la demande.
En conséquence, la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F] -qui a saisi rapidement le conseil de prud’hommes- est prononcée.
La date de la résiliation judiciaire doit être fixée à l’envoi de la lettre de licenciement, soit, en l’absence de plus amples précisions, au 11 décembre 2020.
Si le salarié est fondé à solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en raison d’un harcèlement moral dont il a été victime sur son lieu de travail, la rupture produit les effets d’un licenciement nul, conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail.
En l’espèce, en l’état des demandes présentées par M. [F], la résiliation judiciaire emporte les effets d’une rupture sans cause réelle et sérieuse – et non d’un licenciement nul.
Sur les conséquences financières de la rupture
‘
””””’ L’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er avril 2018, dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par cet article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
‘
””””’ En l’espèce, M. [F] compte, au moment de la rupture, plus de trois ans d’ancienneté dans une entreprise qui employait habituellement au moins onze salariés, de sorte qu’elle relève du régime d’indemnisation de l’article L. 1235-3 al. 2 du code du travail dans sa rédaction applicable à la cause qui prévoit une indemnité minimale de trois mois de salaire et une indemnité maximale de quatre mois de salaire.
‘
”””””’ Compte tenu de l’âge du salarié lors de la rupture de son contrat de travail (40 ans), de son ancienneté (trois ans) et du montant de son salaire mensuel, et alors qu’il justifie qu’il ne percevait plus que les minima sociaux au mois de juin 2020, il convient d’allouer à M. [F], dans la limite de la demande, la somme de 6 208 euros à titre de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi du fait de la rupture sans cause réelle et sérieuse.’
‘
Il résulte de l’article L. 1234-9 du code du travail que le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
L’article R. 1234-2 du même code précise que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans et à un tiers de mois de salaire pour les années à partir de dix ans.
En l’espèce, au vu de l’ancienneté de M. [F], il convient de lui allouer, dans la limite de la demande, la somme de 923,85 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Aux termes de l’article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.
L’article 6.05 de la convention collective stipule que sont notamment considérées comme temps de présence dans l’entreprise pour le calcul de l’ancienneté les interruptions pour maladie.
En l’espèce, il y a lieu d’allouer à M. [F], dans la limite de la demande non autrement contestée, la somme de 3 547,58 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 354,76 brut au titre des congés payés y afférents.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral et financier subi
Le préjudice moral découlant des faits de harcèlement dont le salarié a été victime justifie, au regard de leur importance, de leur durée et de leurs conséquences sur la santé de M. [F], une indemnisation à hauteur de 6 000 euros.
S’agissant du préjudice financier qui est évoqué par l’appelant et qui correspondrait à la différence entre le montant des revenus qu’il aurait perçus s’il avait normalement travaillé et les indemnités journalières de sécurité sociale, il y a lieu de constater qu’aucun décompte n’est produit ni relevé des prestations en espèces de l’assurance maladie (sauf pour le mois de décembre 2019), de sorte que la demande, non étayée, est rejetée.
Sur l’indemnité compensatrice de congés payés
L’article L. 3141-28 du code du travail dispose que, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié une indemnité de congé déterminée d’après les articles L. 3421-24 à L. 3121-27.
En l’espèce, il n’est pas contesté que M. [F] peut bénéficier de 13 jours de congés payés pour la période 2017-2018, un mois pour la période 2018-2019 et 20 jours pour la période allant de juin 2019 à janvier 2020, pour un montant de 3 724,97 euros brut que la société Main sécurité est condamnée à lui payer.
Sur la remise de documents sous astreinte
L’article L. 1234-19 du code du travail dispose qu’à l’expiration du contrat de travail, l’employeur délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire.
Selon l’article R 1234-9 du code du travail, l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations mentionnées à l’article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.
En l’espèce, il convient de condamner l’employeur à remettre à M. [F] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt.
Aucun élément particulier du dossier ne laissant craindre que l’employeur cherche à se soustraire à la bonne exécution de la présente décision, il n’y a pas lieu en l’état d’assortir la condamnation ci-dessus d’une astreinte.
En définitive, le jugement dont appel -qui a rejeté l’ensemble des demandes de M. [F]- est infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais
La société Main sécurité est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, en application de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Prononce la résiliation judiciaire au 11 décembre 2020 du contrat de travail liant la SAS Main sécurité et M. [H] [F] ;
Dit que cette résiliation judiciaire a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SAS Main sécurité à payer à M. [H] [F] les sommes suivantes:
– 6 208 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse;
– 923,85 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
– 3 547,58 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 354,76 euros brut à titre de congés payés y afférents ;
– 6 000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral ;
– 3 724,97 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés ;
Condamne la SAS Main sécurité à remettre à M. [H] [F] une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;
Dit n’y avoir lieu en l’état d’assortir la condamnation ci-dessus d’une astreinte ;
Condamne la SAS Main sécurité aux dépens de première instance et d’appel.
La Greffière, La Présidente de chambre,