Contrat de franchise : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04851

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Contrat de franchise : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04851

7 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04851

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 7 JUIN 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04851 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCE4R

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – Section Commerce chambre 1- RG n° F 17/06671

APPELANTE

SARL CHARONNE DISTRIBUTION

[Adresse 6]

[Localité 10]

Représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

INTIMÉ

Monsieur [H] [W]

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représenté par Me Malika HOUIDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1907

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 avril 2000, M. [H] [W] a été engagé par la société ED en qualité d’employé de magasin, l’intéressé exerçant en dernier lieu les fonctions d’employé commercial, le contrat de travail ayant finalement été transféré à la société Charonne-Distribution à compter du 9 mai 2016 suite à la mise en location-gérance du magasin Beaubourg.

Suite à un premier avis de la médecine du travail en date du 1er décembre 2016 faisant état d’une inaptitude envisagée au poste de travail et indiquant que, dans l’attente du second examen et de l’étude de poste, l’état de santé de M. [W] ne lui permettait pas d’être affecté à un poste dans l’entreprise, l’intéressé a fait l’objet d’un second examen le 16 décembre 2016, le médecin du travail indiquant : « Second examen dans le cadre de l’article R. 4624-31 du code du travail. Monsieur [W] [H] est inapte au poste d’employé commercial caisse. Décision prise à la suite du premier examen en date du 01/12/2016, de l’étude de poste et des conditions de travail réalisée le 06/12/2016 et après avis spécialisé. Monsieur [W] [H] pourrait occuper un poste similaire dans un autre établissement ».

Après avoir été convoqué, suivant courrier recommandé du 3 janvier 2017, à un entretien préalable fixé au 11 janvier 2017, M. [W] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement suivant courrier recommandé du 14 janvier 2017.

Invoquant l’existence de faits de harcèlement moral, contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [W] a saisi la juridiction prud’homale le 10 août 2017.

Par jugement du 26 juin 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, statuant sous la présidence du juge départiteur, a :

– condamné la société Charonne-Distribution au paiement des sommes suivantes :

– 21 500 euros au titre de l’article L. 1226-15 du code du travail,

– 3 572,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 357,21 euros au titre des congés payés afférents,

– 6 467,44 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 1 529,93 euros au titre du maintien du salaire conventionnel,

– 4 971 euros au titre des indemnités journalières,

– ordonné à la société Charonne-Distribution de remettre les documents sociaux conformes à la présente décision,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– condamné la société Charonne-Distribution au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné la société Charonne-Distribution aux dépens.

Par déclaration du 22 juillet 2020, la société Charonne-Distribution a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 2 juillet 2020.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 octobre 2020, la société Charonne-Distribution demande à la cour de :

– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [W] du surplus de ses demandes,

– condamner M. [W] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 décembre 2020, M. [W] demande à la cour de :

à titre principal,

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Charonne-Distribution au paiement des sommes de 3 572,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 357,21 euros au titre des congés payés afférents, 6 467,44 euros au titre de l’indemnité de licenciement, 1 529,93 euros au titre du maintien de salaire conventionnel, 4 971 euros au titre des indemnités journalières et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a ordonné la remise des documents sociaux conformes à la décision,

– confirmer en son principe le jugement du chef de l’indemnité sur le fondement de l’article L.1226-15 du code du travail sauf à l’infirmer sur le quantum et à porter la somme allouée à ce titre à 30 000 euros,

– infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau,

– dire qu’il a subi un harcèlement moral, ou subsidiairement que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité et/ou à son obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail, et condamner la société Charonne-Distribution à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,

à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour ne ferait pas application de l’article L. 1226-15 du code du travail,

– dire le licenciement nul, encore plus subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Charonne-Distribution à lui payer les sommes suivantes :

– 30 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul, encore plus subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 572,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 357,21 euros au titre des congés payés afférents,

en tout état de cause,

– condamner la société Charonne-Distribution à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant du non-paiement des compléments de salaire, de la non-affiliation à la mutuelle et de l’absence de portabilité des droits de santé,

– ordonner remboursement par la société Charonne-Distribution aux organismes concernés, des indemnités de chômage lui ayant été payées à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois,

– assortir les condamnations de l’intérêt légal pour les sommes ayant le caractère de salaire à compter de la réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation et s’agissant des sommes à caractère indemnitaire, à compter de la décision à intervenir,

– condamner la société Charonne-Distribution à lui remettre sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, les documents sociaux conformes à la décision (certificat de travail, attestation Pôle emploi et bulletin de paie récapitulatif),

– condamner la société Charonne-Distribution au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

La clôture de l’instruction est intervenue le 3 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 8 février 2023.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

La société appelante fait valoir que l’intimé, qui occupait le poste d’employé de vente depuis 16 ans au moment de la reprise de l’exploitation du magasin, a vu ses habitudes professionnelles changer, qu’il a éprouvé des difficultés à s’adapter à la nouvelle direction, laquelle a, dès son arrivée, entrepris une évolution dans la gestion managériale des salariés, et que ce qu’il caractérise de harcèlement moral n’est autre qu’un changement de direction accompagné d’une modification dans l’encadrement du personnel et dans la gestion du magasin, l’intéressé confondant harcèlement moral et exercice par l’employeur de son pouvoir de direction. Elle ajoute que si des reproches ont été faits à l’intimé, ils ne sont que le résultat de son manque de professionnalisme et ne sauraient être analysés comme étant constitutifs d’un harcèlement moral.

L’intimé réplique qu’il établit des faits, qui ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail, porté atteinte à sa dignité et altéré sa santé physique et mentale, permettant de présumer de l’existence d’un harcèlement moral, et ce s’agissant du comportement injurieux et humiliant du gérant (M. [D]), de la carence de la société dans son obligation de transmettre les attestations de salaires à la CPAM, de l’absence de versement des indemnités complémentaires aux IJSS, de l’absence d’affiliation à la mutuelle ainsi que de la détérioration de son état de santé.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, l’article L. 1152-2 du même code prévoyant qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, le salarié produit les éléments suivants :

– une déclaration de main courante du 12 décembre 2013 relativement à des faits d’insultes et de menace commis par M. [D],

– une déclaration de main courante du 11 juillet 2016 relativement au comportement de M. [D] à son encontre le 23 juin 2016,

– un courrier de dénonciation de faits de harcèlement moral adressé à son employeur le 30 juillet 2016,

– des avis d’arrêts de travail à compter du 24 juin 2016 ainsi que différents certificats médicaux émanant de son médecin généraliste, d’une psychologue et d’un psychiatre outre son dossier de médecine du travail dans le cadre duquel le médecin du travail indique : « évoque des difficultés relationnelles depuis début juin, décrit une altercation violente le 24 juin 2016, s’est senti rabaissé et humilié », « salarié agité lors de l’entretien, émotivité ++ », « terrorisé à l’idée de retourner travailler », « toujours très émotif, agité, idées noires », « au total, persistance de troubles anxio-dépressifs sévères », « pleure dès qu’on évoque son employeur, peur ++ de le croiser »,

– une déclaration d’accident du travail du 28 juin 2016,

– le rapport « enquête administrative accident du travail/trajet » de l’assurance maladie de Paris en date du 9 septembre 2016,

– la décision de la commission de recours amiable de l’assurance maladie du 26 décembre 2016 confirmant la décision de la CPAM de Paris du 29 septembre 2016 ne reconnaissant pas le caractère professionnel de l’accident,

– le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris du 28 septembre 2018 reconnaissant que M. [W] a été victime d’un accident le 23 juin 2016 devant être pris en charge au titre de la législation professionnelle par l’assurance maladie de Paris,

– un courrier du contrôleur du travail du 10 octobre 2016,

– différents échanges de courriers avec l’employeur concernant la prise en charge des arrêts de travail, l’établissement des attestations de salaire et le paiement des indemnités journalières de sécurité sociale,

– le courrier de confirmation de résiliation de la prévoyance du 13 juin 2016,

– des attestations établies par des clients du magasin (Mmes [J] et [C] [B] ainsi que M. [F]) ayant personnellement été témoins des conditions de travail de l’intéressé : « J’ai été surprise un jours des critiques venant de son supérieur en présence de la clientèle », « J’ai, d’autre part, été directement témoin des propos injurieux que lui a adressé le responsable du magasin, et ce en présence des clients », « J’ai toujours énormément apprécié la serviabilité, l’amabilité et l’efficacité de M. [H] [W] au sein de ce magasin et pendant deux périodes, en 2013 et en 2016, je l’ai vu rester très professionnel alors qu’il était à l’évidence mis sous pression et semblait terrorisé par sa direction »,

– les avis de la médecine du travail des 1er et 16 décembre 2016, lesdits éléments faisant état de l’adoption et de la mise en oeuvre par le gérant de la société intimée (M. [D]), à la suite de la reprise du magasin en mai 2016, de pratiques managériales génératrices d’humiliation, d’anxiété et de perte de confiance se manifestant par des critiques systématiques et vexatoires sur la qualité du travail outre des propos irrespectueux et injurieux ainsi qu’un comportement agressif et menaçant ayant finalement abouti à l’altercation du 23 juin 2016, lesdits agissements ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale du salarié ainsi que cela résulte des éléments médicaux versés aux débats.

Dès lors, il apparaît que le salarié présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur se limitant principalement en réplique à contester les affirmations du salarié et à critiquer les pièces produites par ce dernier en faisant valoir, sans en justifier mises à part ses propres déclarations et affirmations de principe, que l’intéressé aurait éprouvé des difficultés à s’adapter à la nouvelle direction ainsi qu’à l’évolution de l’encadrement du personnel et de la gestion du magasin, tout en affirmant que l’intimé confondrait harcèlement moral et exercice de son pouvoir de direction par l’employeur lui permettant de faire des reproches à ses salariés en cas de manque de professionnalisme, la cour retient que l’employeur ne démontre pas que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il sera ainsi notamment relevé que la seule attestation d’une salariée (Mme [N]), produite en réplique par l’employeur concernant les faits du 23 juin 2016, est manifestement inopérante et insuffisante pour remettre en cause les éléments circonstanciés et concordants produits par le salarié relativement au déroulement de l’altercation litigieuse, en ce que cette dernière n’a pas assisté à l’altercation proprement dite survenue plus tôt dans la journée, l’intéressée se limitant à relater ce qui s’est ensuite produit dans la réserve alors que l’intimé avait été chargé par le gérant de s’occuper des cartons.

Il sera par ailleurs observé, s’agissant de l’attitude, du comportement et des propos tenus à l’encontre du salarié par le gérant de la société appelante (ce dernier reconnaissant lui-même que son salarié s’était mis à pleurer « sans aucune raison » en sa présence le 23 juin 2016), que ceux-ci dépassaient manifestement le cadre du simple reproche concernant la qualité du travail et excédaient dès lors l’exercice normal du pouvoir de direction.

Enfin, il sera relevé que l’employeur ne justifie pas des diligences effectivement accomplies, durant l’exécution de la relation de travail, concernant la prise en charge des arrêts de travail, l’établissement des attestations de salaire nécessaires au versement des indemnités journalières de sécurité sociale, le maintien conventionnel de salaire et l’affiliation à une mutuelle.

Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral étant caractérisée en l’espèce et le salarié justifiant d’un préjudice spécifique résultant des agissements de harcèlement moral dont il a fait l’objet de la part de son supérieur hiérarchique durant plusieurs mois ainsi que cela résulte des nombreux éléments médicaux versés aux débats, la cour lui accorde une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef, et ce par infirmation du jugement.

Sur la rupture du contrat de travail

La société appelante fait valoir qu’elle a respecté son obligation de reclassement et que la société était dépourvue de représentants du personnel à la date du licenciement compte tenu de ses effectifs n’ayant pas dépassé le seuil de 11 salariés. Elle ajoute que la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident du 23 juin 2016 suivant décision du tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 28 septembre 2018 lui est inopposable.

L’intimé réplique que son inaptitude a une origine professionnelle et qu’il doit bénéficier des dispositions protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail. Il conclut, à titre principal, à l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement pour non-respect des dispositions relatives au reclassement, à titre subsidiaire, à la nullité de son licenciement compte tenu des faits de harcèlement moral dont il a fait l’objet, et, à titre infiniment subsidiaire, à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour manquement de la société à son obligation de sécurité et/ou d’exécuter loyalement le contrat de travail.

En l’espèce, la lettre de licenciement est rédigée de la manière suivante :

« Suite à notre entretien préalable en date du 11/01/2017 nous vous informons que nous sommes contraints de vous licencier pour les motifs suivants :

Après la visite médiale de reprise auprès de la médecine du travail le 16/12/2016, le médecin du travail vous a déclaré :

« Second examen dans le cadre de l’article R4624-31 du Code du Travail. Monsieur [W] [H] est inapte au poste d’employé commercial caisse. Décision prise à la suite du premier examen en date du 01/12/2016, de l’étude de poste et des conditions de travail réalisée le 06/12/2016 et après avis spécialisé. Monsieur [W] [H] pourrait occuper un poste similaire dans un autre établissement. »

Nous vous avons demandé, le 17/12/2016 de compléter un questionnaire destiné à connaître vos compétences professionnelles, vos attentes et motivations personnelles, ainsi que vos qualifications et expériences professionnelles.

Le 28/12/2016 vous avez retourné ce questionnaire, vous nous avez expliqué :

– Vouloir modifier votre durée actuelle de travail et donc corrélativement votre rémunération : NON

– Etre mobile géographiquement : NON

– Accepter un poste de qualification inférieure et la baisse de rémunération inhérente : NON

Conformément à notre obligation légale, nous avons effectué des recherches de reclassement en prenant soin de prendre en compte les avis formulés par le Médecin du travail et vos qualifications et expériences professionnelles connues.

Malheureusement les recherches de reclassement interne n’ont pas abouti dans la mesure où la société SARL CHARONNE DISTRIBUTION ne dispose que d’un seul et même établissement au [Adresse 8].

Votre reclassement interne s’avère en conséquence impossible.

Nous avons donc procédé à des recherches de reclassement externe en contactant des entreprises du même secteur d’activité autour de notre entreprise.

En effet, nous avons envoyé des demandes de recherche de reclassement à des structures aux alentours du magasin.

Nous avons contacté les structures suivantes :

– MONOP BEAUBOURG : [Adresse 1]

– SUPERMARCHES G20 : [Adresse 2]

– FRANPRIX : [Adresse 5]

– CARREFOUR CITY : [Adresse 4]

– CARREFOUR CITY : [Adresse 7]

Nous n’avons eu aucune réponse positive permettant d’envisager votre reclassement.

Dès lors, nous nous trouvons dans l’impossibilité de procéder à votre reclassement, de sorte que nous nous voyons contraints de procéder à votre licenciement.

Lors de l’entretien préalable, nous envisagions de faire le point sur l’étendue des recherches de reclassement que nous avions mis en place tant sur le plan interne que sur le plan externe. Néanmoins, vous ne vous êtes pas présenté à l’entretien de sorte que nous n’avons pas fait le point une dernière fois sur l’étendue des solutions de reclassement que nous avions envisagées.

En conséquence, nous nous voyons contraints par la présente de vous notifier votre licenciement pour impossibilité de reclassement qui prendra effet à compter de la date d’envoi de ce courrier.» 

A titre liminaire, étant rappelé qu’en application des articles L.1226-1 et suivants du code du travail, le juge prud’homal n’est pas lié par les décisions des organismes de sécurité sociale relatives à la prise en charge des accidents ou des maladies professionnels et que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, et qu’il en est ainsi, alors même qu’au jour du licenciement, l’employeur avait été informé d’un refus de prise en charge au titre du régime des accidents du travail ou des maladies professionnelles.

En l’espèce, au vu des développements précédents aux termes desquels il a été retenu que le harcèlement moral subi par le salarié était effectivement établi et compte tenu par ailleurs de la demande de l’intimé en date du 28 juin 2016 aux fins de voir reconnaître le caractère professionnel de l’accident survenu le 23 juin 2016, de l’enquête administrative diligentée de ce chef par l’assurance maladie et des conclusions rendues à ce titre le 9 septembre 2016, et ce notamment après audition du gérant de la société appelante par l’agent enquêteur le 6 septembre 2016, et eu égard enfin à l’existence d’arrêts de travail de manière ininterrompue à compter du 24 juin 2016, l’intimé n’ayant jamais repris le travail jusqu’à l’engagement de la procédure de licenciement litigieuse, la cour retient que la société appelante avait nécessairement connaissance au moment du licenciement de l’origine professionnelle à tout le moins partielle de l’inaptitude de son salarié.

Aux termes de l’article L. 1226-10 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

En application de l’article L. 1226-12 du code du travail, lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement.

L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail.

S’il prononce le licenciement, l’employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.

En application de ces dispositions, au vu des éléments produits par la société appelante concernant ses effectifs et notamment du registre du personnel, des tableaux des effectifs salariés en équivalent temps plein (moyenne de 10,52 ETP) certifiés conformes par le cabinet d’expertise comptable au titre de la période courant de mai 2016, date du transfert du contrat de travail, à janvier 2017, date de l’engagement de la procédure de licenciement, ainsi que des attestations de deux salariées (Mmes [N] et [L]) faisant état de l’absence de délégué du personnel au sein de l’entreprise, il apparaît que la société appelante justifie de l’absence de caractère obligatoire de la mise en place de délégués du personnel compte tenu d’un effectif inférieur au seuil légal de onze salariés tel que fixé par les dispositions de l’article L. 2312-2 du code du travail dans leur version applicable au litige, aucun manquement ne pouvant dès lors lui être reproché de ce chef.

Par ailleurs, au vu des différents éléments justificatifs produits par la société appelante, compte tenu des effectifs réduits de l’entreprise, de l’existence, à la date du licenciement, d’un seul établissement situé [Adresse 8] ainsi que de l’absence de tout groupe de reclassement autorisant la permutation de tout ou partie du personnel, la simple exploitation d’un magasin en location-gérance dans le cadre d’un contrat de franchise permettant de bénéficier de l’enseigne « Carrefour City » n’étant, en elle-même, pas de nature à caractériser l’existence d’un groupe de reclassement, l’employeur justifiant ainsi de l’absence au sein de l’entreprise de tout poste de reclassement disponible conforme aux indications de la médecine du travail, la cour retient que la société appelante démontre avoir exécuté de manière sérieuse et loyale son obligation de reclassement.

Dès lors, la cour déboute le salarié de sa demande d’indemnité au titre de l’article L. 1226-15 du code du travail, et ce par infirmation du jugement.

S’agissant de la demande de nullité du licenciement formée à titre subsidiaire par le salarié, étant rappelé qu’en application des dispositions de l’article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l’article L. 1152-3 du même code prévoyant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, compte tenu des développements précédents concernant la caractérisation de faits de harcèlement moral et au vu de l’ensemble des éléments précités et notamment des nombreux certificats médicaux concordants produits ainsi que des avis de la médecine du travail, la cour retient que le harcèlement moral subi est effectivement à l’origine de l’inaptitude du salarié, l’exposition aux conditions de travail précitées ayant conduit à une dégradation de son état de santé permettant de caractériser un lien entre l’inaptitude et le manquement de l’employeur à ses obligations en matière de harcèlement moral.

Dès lors, il convient, par infirmation du jugement, de déclarer nul le licenciement pour inaptitude prononcé à l’encontre de l’intimé.

Sur les conséquences financières de la rupture

Il sera rappelé que le salarié victime d’un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture, d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaires.

S’agissant du préavis, étant rappelé que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de la rupture, l’indemnité compensatrice de préavis étant intégralement due bien que le salarié, irrégulièrement licencié, n’ait pas été en état d’exécuter un préavis, la cour confirme le jugement en ce qu’il a accordé au salarié, sur la base d’une rémunération de référence de 1 786,06 euros, la durée du préavis étant en l’espèce de 2 mois, une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 3 572,12 euros outre 357,21 euros au titre des congés payés y afférents.

S’agissant de l’indemnité de licenciement, l’intimé étant en droit, en application des dispositions de l’article L. 1226-14 du code du travail, de bénéficier d’une indemnité spéciale de licenciement égale, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9, il convient également de confirmer le jugement en ce qu’il a accordé au salarié une somme de 6 467,44 euros à titre de rappel d’indemnité spéciale de licenciement.

Enfin, eu égard à l’ancienneté dans l’entreprise (16 ans et 11 mois), à l’âge du salarié (43 ans) et à la rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l’intéressé ayant notamment perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi d’octobre 2017 à décembre 2018, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 22 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Sur les demandes de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations liées à l’arrêt maladie et à la portabilité des garanties

Le salarié fait valoir que l’employeur reste redevable envers lui de sommes à titre de maintien conventionnel de salaire et d’indemnités journalières complémentaires. Il ajoute avoir subi un préjudice supplémentaire résultant du non-paiement des compléments de salaire, de la non-affiliation à la mutuelle et de l’absence de portabilité des droits de santé.

L’employeur conclut à l’absence de tout manquement de ces chefs et au rejet des différentes demandes y afférentes.

En application des dispositions des articles L. 1226-1 du code du travail et 6.1.1 de la convention collective nationale du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers, le salarié étant en droit de bénéficier, compte tenu d’une ancienneté de plus de 15 ans, d’un maintien conventionnel de salaire à hauteur de 90 % pendant 70 jours, puis d’un maintien à hauteur de 66,66 % pendant 60 jours, étant observé que l’employeur ne peut sérieusement prétendre que l’absence de paiement dudit maintien de salaire résulterait du fait qu’il n’a pas été informé du versement des indemnités journalières alors qu’il a lui-même manqué à son obligation de délivrance des attestations de salaire nécessaires au paiement des indemnités journalières par la sécurité sociale, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a accordé à l’intimé, déduction faite des indemnités journalières de sécurité sociale, la somme de 1 529,93 euros à titre de maintien conventionnel de salaire.

Par ailleurs, en application de l’article 8.11 de la convention collective nationale du commerce de détail des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers, le salarié étant en droit, en cas d’incapacité temporaire de travail pour cause de maladie, d’accident du travail, d’accident de trajet, de maladie professionnelle se poursuivant au-delà des périodes d’indemnisation prévues à l’article 6.1 de la présente convention collective et donnant lieu à indemnisation de la sécurité sociale, de percevoir des indemnités journalières complémentaires à hauteur de 66,66 % du salaire de référence et jusqu’à la date de reconnaissance en invalidité par la sécurité sociale ou, au plus tard, jusqu’au 1 095ème jour d’arrêt de travail, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a accordé à l’intimé la somme de 4 971 euros à titre de rappel d’indemnités journalières complémentaires.

Enfin, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, la cour relève que l’intéressé ne justifie ni du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère indépendant du retard apporté au paiement par l’employeur et causé par la mauvaise foi de ce dernier, ainsi que de son caractère distinct des différents préjudices déjà réparés par l’attribution des sommes et indemnités précitées. Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise au salarié de documents sociaux conformes et en ce qu’il a dit que les circonstances de l’espèce ne rendaient pas nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus, étant par ailleurs relevé que la demande de capitalisation des intérêts n’est pas mentionnée dans le dispositif des conclusions du salarié, et ce alors que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 2 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [W] de ses demandes relatives au harcèlement moral et en ce qu’il a condamné la société Charonne-Distribution à payer à M. [W] la somme de 21 500 euros au titre de l’article L. 1226-15 du code du travail ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare nul le licenciement pour inaptitude prononcé à l’encontre de M. [W] ;

Condamne la société Charonne-Distribution à payer à M. [W] les sommes suivantes :

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 22 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Charonne-Distribution de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne à la société Charonne-Distribution de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [W] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités ;

Condamne la société Charonne-Distribution à payer à M. [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Déboute M. [W] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Charonne-Distribution aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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