N° RG 21/02888 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2SK
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 31 AOUT 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 15 Juin 2021
APPELANTE :
Madame [E] [H] épouse [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Rose Marie CAPITAINE, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Nathalie HUREL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Madame [O] [P]
[Adresse 2]
[Localité 3]
présente
représentée par Me Caroline ROTH de la SELARL NOMOS AVOCATS, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 28 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 Août 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 31 Août 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [E] [H] épouse [I] a été engagée par Mme [O] [F] [P] en qualité d’esthéticienne par contrat de travail à durée déterminée du 13 mai au 15 novembre 2016, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 novembre 2016.
Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de l’esthétique-cosmétique et de l’enseignement technique professionnel lié aux métiers de l’esthétique et de la parfumerie du 24 juin 2011.
Par courrier du 14 janvier 2020, Mme [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :
‘Depuis le mois d’octobre 2019, vous n’avez de cesse de me harceler en me dénigrant, en m’imposant des cadences de travail intenables, en ne me fournissant pas le matériel adéquat à l’exercice de mon activité et en ne respectant pas les horaires de travail.
J’ai sollicité deux entretiens, vous avez tenu le deuxième entretien le 19 novembre 2019 dans la rue piétonne en m’invectivant et en exigeant ma démission.
Vous vous êtes permise d’aller invectiver ma soeur jumelle sur son lieu de travail.
Je rappelle également que vous ne m’avez toujours pas versé la prime de tutorat, pas plus que la prime d’intéressement pour les années 2018 et 2019.
Le médecin du travail a été informé de la situation de harcèlement au travail.
Je me vois donc contrainte de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail à effet de la première présentation de la présente. (…)’.
Par requête du 20 janvier 2020, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Dieppe en requalification de sa prise d’acte en rupture aux torts de l’employeur, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et indemnités.
Par jugement du 15 juin 2021, le conseil de prud’hommes a dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analysait en une démission, a débouté Mmes [I] et [F] [P] de leurs demandes, condamné Mme [I] à verser à Mme [F] [P] la somme de 350 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamné Mme [F] [P] à verser à Mme [I] cette même somme sur le même fondement, condamné in solidum Mmes [I] et [F] [P] aux dépens de l’instance.
Mme [I] a interjeté appel de cette décision le 13 juillet 2021.
Par conclusions remises le 22 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [I] demande à la cour d’infirmer le jugement, et statuant à nouveau, de:
– dire que la prise d’acte de la rupture est aux torts de l’employeur au jour de la réception du courrier recommandé du 15 janvier 2020 et condamner Mme [F] [P] à lui verser les sommes suivantes :
indemnité de préavis : 2 705,80 euros bruts,
conges payés sur préavis : 270,58 euros bruts,
indemnité de licenciement : 1324,38 euros,
dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi : 16 234,80 euros,
prime d’intéressement des années 2018 et 2019 : 3 400 euros nets,
complément de prime de tutorat : 977 euros bruts,
– dire que la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail est nulle et lui allouer 1 000 euros de dommages et intérêts pour chacun des mois où elle n’aura pas pu du fait de cette clause exercer son activité, soit au total 12 000 euros,
– lui allouer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamner Mme [F] [P] aux entiers frais et dépens, tant de première instance que d’appel.
Par conclusions remises le 7 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [F] [P] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de condamnation de Mme [I] à des dommages et intérêts pour procédure abusive et a limité à la somme de 350 euros la condamnation de Mme [I] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, débouter Mme [I] de l’ensemble de ses demandes, juger irrecevable la demande de Mme [I] au titre de la clause de non-concurrence et la condamner à lui verser les sommes de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, 1500 euros sur fondement l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et 2 000 euros en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rappel de prime de tutorat
Expliquant que la convention collective applicable au sein de l’entreprise prévoit le versement d’une prime de tutorat de 5%, Mme [I] soutient, qu’ayant formé Mme [C] de septembre 2017 à août 2018, puis de janvier à décembre 2019, elle peut prétendre à 5 % des salaires qu’elle a perçus sur chacune de ces deux périodes, sauf à déduire la somme que lui a versé Mme [P] à l’issue de la relation contractuelle pour un montant de 245,12 euros, ce que conteste Mme [P] qui indique avoir d’ores et déjà réglé la totalité de la prime due.
Selon l’article 11 de la convention collective nationale de l’esthétique-cosmétique, la prime de tutorat est versée au salarié déclaré et chargé par l’entreprise d’assurer la transmission de la technicité et du savoir-faire professionnel à d’autres salariés. Les situations de formation doivent être effectives. Elles sont organisées et prévues par l’entreprise.
Cette prime s’ajoute au salaire de base. Elle est versée en une fois le mois suivant la fin du tutorat, en fonction du barème suivant’:
‘ 5’% du salaire minimum conventionnel de la catégorie de l’intéressé par heure de formation pour les tutorats n’excédant pas 100 heures’;
‘ 5’% du salaire minimum conventionnel de la catégorie de l’intéressé par heure de formation pour les tutorats de plus de 100 heures avec un maximum de 10’% du salaire mensuel conventionnel.
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats par Mme [P] qu’elle a signé un contrat d’apprentissage avec Mme [C] pour une première période du 5 septembre 2017 au 31 août 2018 au cours de laquelle elle était seule désignée comme maître d’apprentissage, puis pour une seconde période du 1er septembre 2018 au 31 août 2020 au cours de laquelle, elle restait maître d’apprentissage n°1 mais Mme [I] était également désignée comme maître d’apprentissage n°2, sachant qu’il était prévu 432 heures de formation pour chacune de ces deux années.
Aussi, et alors que Mme [I] ne produit aucune pièce à l’appui de cette prétention tendant à établir qu’elle aurait, de fait, formé Mme [C] sur la période du 5 septembre 2017 au 31 août 2018, elle ne peut qu’être déboutée de sa demande de rappel de prime de tutorat pour cette période.
En ce qui concerne la seconde période que Mme [I] fixe du 1er janvier au 31 décembre 2019, s’il lui était dû une prime de tutorat, celle-ci lui a néanmoins d’ores et déjà été versée par Mme [P] conformément aux dispositions de la convention collective qui en prévoit le versement à l’issue du contrat et non pas sur la base de 5% des salaires perçus par le salarié formateur sur la période mais sur la base de 5% du salaire minimum conventionnel de la catégorie de l’intéressé par heure de formation.
Aussi, et alors que pour une année, il était prévu 432 heures de formation, que le minimum conventionnel du coefficient 160 était de 1 531 euros mensuels, soit 10,09 euros par heure, il était dû à Mme [I] la somme de 217,94 euros au titre de la prime de tutorat, aussi, a t-elle été remplie de ses droits et il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de cette demande.
Sur la demande de rappel de prime d’intéressement
Mme [I] soutient qu’en vertu de l’avenant n°13 à la convention collective, elle était en droit de prétendre au versement d’un intéressement qu’elle évalue à 1 700 euros pour les années 2018 et 2019, sachant qu’elle avait perçu cette somme en espèces en 2017.
En réponse, Mme [P] relève que cet avenant ne prévoit nullement une prime d’intéressement et qu’elle n’a jamais versé une telle prime.
A l’appui de sa demande, Mme [I] produit un accord du 30 novembre 2018 relatif à la création d’un plan d’épargne interentreprise, d’un plan d’épargne retraite collectif interentreprises et d’un accord d’intéressement permettant, en application de l’article L. 3312-2 du code du travail, et du seul fait de sa mise en application, aux entreprises de moins de 50 salariés de mettre en application un régime d’intéressement des salariés aux résultats de l’entreprise, d’accéder à l’intéressement sans avoir à conclure elles-mêmes un accord d’intéressement qui leur soit propre.
Or, si cet accord a pour objet d’offrir aux entreprises de moins de cinquante salariés la possibilité d’appliquer un tel régime conformément à l’article L. 3312-2 du code du travail qui prévoit que toute entreprise employant moins de cinquante salariés peut bénéficier d’un dispositif d’intéressement conclu par la branche, il doit être rappelé qu’il résulte de l’article L. 3312-1 que l’intéressement est facultatif.
Aussi, et alors que cet accord ne déroge pas au caractère facultatif de l’intéressement et que Mme [I] n’apporte pas le moindre élément permettant de dire que Mme [P] se serait soumise à un tel régime en 2017 en lui versant une prime, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de cette demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
Mme [I] explique qu’elle travaillait en journée continue, que les pauses déjeuner de trente minutes ne pouvaient se prendre et qu’il était difficile de finir à l’heure en raison de plannings de plus en plus chargés, et, ce, sans mise à disposition des produits nécessaires aux soins et dans une ambiance délétère compte des relations houleuses entretenues par Mme [P], tant avec la clientèle qu’avec ses salariées. Elle précise qu’ayant verbalement fait part de ces difficultés en octobre 2019, elle est devenue le souffre-douleur de Mme [P], laquelle n’a pas hésité à l’invectiver dans la rue lors d’un entretien fixé pour évoquer une rupture conventionnelle, ce qui l’a conduite à rencontrer le médecin du travail et à être placée en arrêt de travail jusqu’à la prise d’acte de la rupture, sachant que l’employeur s’est encore permis de l’invectiver à la sortie du conseil de prud’hommes.
En réponse, Mme [P] relève que lorsque Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes, elle ne produisait aucune pièce tendant à corroborer l’existence d’un harcèlement moral et que les attestations désormais jointes sont, soit imprécises, soit ne font que reprendre ses déclarations, et ce, alors qu’elles sont en parfaite contradiction avec les attestations qu’elle-même verse aux débats et qui témoignent de la bonne ambiance qui régnait au sein de l’institut, et ce, sans qu’aucune cadence infernale ne soit imposée aux salariées.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l’appui de sa demande, au-delà d’un courrier écrit par elle-même pour les besoins de la cause reprenant les accusations portées devant le conseil de prud’hommes, Mme [I] produit, pour témoigner du harcèlement moral dont elle était l’objet, l’attestation de deux clientes et d’une ancienne salariée, Mme [Y], employée dans l’entreprise de Mme [P] de septembre 2009 à octobre 2016, avec laquelle elle n’a cependant jamais travaillé.
Or, si cette dernière indique avoir également été confrontée au harcèlement moral de Mme [P], qu’elle décrit comme une personne très caractérielle et imbue de sa personne, qui se permettait des réflexions sur sa vie personnelle mais aussi de la dénigrer devant des collègues et de porter à son encontre de fausses accusations de vol devant des clientes, ce qui a engendré une dépression et une inaptitude, il ne s’agit que d’une description de sa propre situation, sans qu’elle n’ait pu constater le moindre fait à l’égard de Mme [I], sachant qu’il résulte des sms versés aux débats par Mme [P] qu’il existait une entente très cordiale entre elle-même et Mme [I], et même une bienveillance, notamment en cas de soucis médicaux ou de mise en cause par des clients.
A cet égard, et si deux clientes du salon font état pour l’une de l’ambiance délétère qui y régnait et de la détresse qu’elle a perçue chez Mme [I], et pour l’autre de ce qu’elle a été témoin d’un comportement agressif et déplacé de la part de la responsable de Beauty ongl’ envers Mme [I], précisant avoir pu constater un comportement odieux envers son employée, en lui parlant mal et avec mépris, il ne peut qu’être relevé qu’il s’agit de propos particulièrement imprécis, non datés et empreints de subjectivité et ce, alors que Mme [P] produit inversement de très nombreux témoignages d’autres clientes du salon qui, au contraire, évoquent la très bonne ambiance et la bienveillance de Mme [P] à l’égard de ses salariées et de Mme [I], ce qui est corroboré par les sms précités mais aussi, encore très récemment avant la naissance du contentieux, par l’offre de cadeaux réciproques lors des anniversaires.
En outre, et alors que Mme [Y] évoque également des heures supplémentaires non payées, des temps de pause non respectés, environ 10 minutes pour manger, des vacances imposées et des ouvertures et fermetures du salon sans indemnité supplémentaire, là encore, ces affirmations sont démenties en ce qui concerne Mme [I] dès lors qu’il ressort d’un sms qu’il lui était accordé sans aucune difficulté et sans formalisme des demandes de congés, ce dont atteste également Mme [C] qui explique que la seule réserve consistait à ne pas les prendre toutes ensemble, cette dernière précisant en outre que Mme [I] prenait régulièrement sa pause déjeuner avec une autre collègue à l’extérieur, étant à cet égard constaté qu’elle ne réclame pas la moindre heure supplémentaire.
Enfin, si la soeur de Mme [I] atteste qu’à partir du mois de novembre 2019, elle est allée la chercher au travail dès qu’elle en avait la possibilité, s’inquiétant pour sa sécurité physique et psychologique, celle-ci ayant présenté fatigue, anxiété, tristesse et importante perte de poids en peu de temps, outre que la force probante pouvant être accordée à ce témoignage est limitée en ce qu’il émane de la soeur de Mme [I], il doit être relevé qu’il ne peut être fait de lien entre son état de santé et des difficultés au travail dès lors que, vue par l’infirmier de la médecine du travail le 13 novembre 2019, il n’a été proposé à Mme [I] qu’une visite en novembre 2024 et ce, alors que l’entretien a duré près d’une heure, le médecin du travail ayant lui-même délivré une simple attestation de suivi sans aucun commentaire particulier le 5 décembre 2019 après, là encore, un entretien long et à l’initiative de Mme [I].
En outre, et si concomitamment à sa demande de rupture conventionnelle, Mme [I] a été placée en arrêt de travail le 12 décembre 2019, renouvelé le 10 janvier pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel à une situation de harcèlement moral au travail, il ne peut qu’être constaté qu’elle n’apporte aucune pièce corroborant l’existence d’un entretien houleux qui se serait déroulé la veille, dans la rue et à la vue de tous, sachant que son médecin n’a pu s’appuyer que sur ses déclarations pour faire un lien entre son état de santé et le travail, de même le médecin psychiatre qui explique l’avoir vue le 2 mars et qui la déclare inapte à son poste de travail, étant noté que si le médecin du travail a indiqué le 6 janvier, lors d’une visite de pré-reprise, toujours à l’initiative de Mme [I] qu’elle devait continuer à bénéficier de soins, il n’est évoqué aucun lien avec le travail.
Enfin, et si elle produit l’attestation de sa soeur et de l’employeur de celle-ci pour établir que Mme [P] est passée au salon de coiffure de cette dernière à plusieurs reprises pour la mettre en garde, étant persuadée que Mme [I] voulait embarquer sa soeur pour s’installer et leur faire de la concurrence, les dates avancées débutent le 22 octobre, soit précisément au moment où il est avéré que Mme [I] a commencé à évoquer des difficultés alors que rien dans le dossier ne les établit, aussi, ne saurait-il être tiré argument de l’inquiétude ainsi évoquée à l’appui du harcèlement moral.
Il résulte de ces éléments, pris dans leur ensemble, que Mme [I] ne présente pas de faits de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, étant encore précisé que si Mme [I] a déposé une main-courante à l’issue de l’audience de conciliation, pour expliquer que le mari de son employeur lui avait dit ‘la malhonnêteté ça ne paye pas’ et l’a répété en criant, outre qu’au regard du contexte précédemment décrit, il peut s’entendre qu’un certain ressentiment puisse être né de cette action prud’homale, en tout état de cause, ce fait est postérieur à la rupture du contrat de travail et au surplus, émane, non pas de l’employeur, mais du mari, ce qui ne saurait avoir la moindre incidence sur le déroulé du contrat de travail lui-même.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur la demande tendant à requalifier la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur. Il appartient au salarié qui a pris acte de la rupture de justifier de manquements graves de l’employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail afin que cette prise d’acte produise les effets d’un licenciement nul, à défaut la prise d’acte s’analyse en une démission.
Au regard des développements précédents, il n’est établi aucun manquement à l’encontre de Mme [P] et il convient en conséquence de dire que la prise d’acte de la rupture s’analyse en une démission.
Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [I] de ses demandes en lien avec la rupture.
Sur la demande de dommages et intérêts pour clause de non-concurrence nulle
Mme [I] soutient que la clause de non-concurrence est nulle dans la mesure où la contrepartie prévue était dérisoire et que la limitation à 10 km à vol d’oiseau lui interdisait toutes prestations dans la mesure où celles-ci ont lieu en ville et sont spécifiques.
Mme [P] demande à la cour de dire cette demande irrecevable pour être nouvelle en cause d’appel dès lors qu’elle avait été abandonnée lors de l’audience de plaidoirie du 6 octobre 2020. En tout état de cause, elle conteste toute nullité de la clause de non-concurrence, étant rappelé qu’au-delà de la limitation géographique indiquée, elle ne concernait que l’activité de prothésie ongulaire, et non pas toute activité d’esthéticienne, ni même de manucure.
Outre qu’il ne résulte pas des débats tenus lors de l’audience du 6 octobre 2020 que Mme [W] avait abandonné sa demande de nullité de la clause de non-concurrence, en tout état de cause cette demande a été présentée lors de l’audience de plaidoirie du 20 avril 2021, aussi, le conseil de prud’hommes a statué sur cette demande dans le jugement attaqué et il ne s’agit donc pas d’une demande nouvelle en cause d’appel.
Il convient en conséquence de déclarer recevable la demande de Mme [I] tendant à obtenir des dommages et intérêts pour clause de non-concurrence nulle.
Il résulte de l’article 10 du contrat de travail signé le 16 novembre 2016 par les parties que Mme [I] s’interdisait, postérieurement à la rupture de son contrat, quelle qu’en soit la cause, d’entrer au service d’une entreprise offrant des services similaires à ceux proposés au sein de l’entreprise, à savoir la prothésie ongulaire, ou de s’intéresser directement ou indirectement, et sous quelque forme que ce soit à une entreprise de cet ordre, et ce, pour une période d’un an commençant le jour de la cessation effective du contrat et sur un rayon à vol d’oiseau de 10 kilomètres autour du salon Beauty ongl’, situé [Adresse 2] à [Localité 3].
En contrepartie, il était prévu la perception d’une indemnité spéciale forfaitaire égale à 15 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu au cours des trois derniers mois de présence dans l’entreprise, et ce, pendant toute la durée de l’interdiction.
Alors que la clause de non-concurrence vise une activité particulièrement précise, à savoir la prothésie ongulaire, sans l’étendre à toute activité d’esthéticienne, et ce, sur un rayon de 10kms, il ne saurait sérieusement être prétendu qu’il s’agit d’une limitation géographique insuffisante, et ce, d’autant que, contrairement à ce que prétend Mme [I], il s’agit d’une activité qui ne nécessite pas nécessairement une implantation en ville.
En outre, la contrepartie à hauteur de 15 % des trois derniers mois de salaires ne saurait davantage être qualifiée de dérisoire compte tenu, là encore, d’une activité et d’une limitation géographique particulièrement restreintes.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a dit valable la clause de non-concurrence et a débouté Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour clause de non-concurrence nulle.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Alors qu’une action en justice ne peut donner lieu à réparation que lorsqu’elle dégénère en abus, il n’en est pas suffisamment justifié en l’espèce et il convient de débouter Mme [P] de cette demande.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme [I] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [P] la somme de 300 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toute ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné Mme [O] [P] à payer à Mme [E] [I] la somme de 350 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’infirmant de ce chef et y ajoutant,
Condamne Mme [E] [I] aux entiers dépens ;
Condamne Mme [E] [I] à payer à Mme [O] [P] la somme de 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [E] [I] de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente