Déséquilibre significatif : 22 mars 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-16.044
Déséquilibre significatif : 22 mars 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 21-16.044
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22 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
21-16.044

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 mars 2023

Cassation partielle

Mme GUIHAL, conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 192 FS-B

Pourvoi n° Y 21-16.044

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 MARS 2023

1°/ M. [F] [W],

2°/ Mme [X] [Y], épouse [W],

tous deux domiciliés [Adresse 2] (Royaume-Uni),

ont formé le pourvoi n° Y 21-16.044 contre l’arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d’appel de Metz (3e chambre civile, droit local), dans le litige les opposant au Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2, représenté par la société Eurotitrisation, société anonyme, venant aux droits de la société Crédit immobilier de France développement (CIFD), dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. et Mme [W], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat du Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2, et l’avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 7 février 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Metz, 18 février 2021), par acte notarié du 22 juillet 2008, la société Crédit immobilier de France centre développement, aux droits de laquelle vient le Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2, a consenti un prêt immobilier à M. et Mme [W] (les emprunteurs). Après déchéance du terme, elle a engagé une procédure d’exécution forcée sur des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ceux-ci ont invoqué le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et de la clause pénale.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

2. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes et, en conséquence, de fixer la créance de la banque et d’ordonner la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’en retenant, pour écarter l’argumentation des époux [W] qui soutenaient que la banque avait admis que le titre dont elle se prévalait n’était pas valable, que les pièces n° 18-4 et 18-5 émanées des avocats anglais et français des parties et censées accréditer les dires des époux [W] ne figuraient pas aux dossiers de pièces remis par les parties, sans inviter les parties à s’expliquer sur l’absence au dossier desdites pièces qui figuraient sur le bordereau de pièces annexé aux conclusions du saisi et dont la communication n’avait pas été contestée, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui sanctionne l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.

4. Il ressort des constatations de la cour d’appel que les positions contraires de la banque, alléguées par les emprunteurs, n’ont pas été adoptées au cours de l’instance.

5. Il en résulte que la banque était recevable à agir en exécution.

6. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l’article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

7. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de fixer la créance de la banque et de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant manifestement disproportionné ; qu’en retenant que la clause d’un contrat de prêt immobilier par laquelle le consommateur, débiteur défaillant, doit au créancier professionnel une indemnité contractuelle égale à 7 % du capital restant dû et des intérêts échus et non payés n’était pas abusive, faute de disproportion du montant ainsi stipulé, la cour d’appel a violé les articles L. 212-1 et R. 212-2 du code de la consommation ;

2°/ qu’en tout état de cause le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter le montant résultant de l’application d’une clause pénale, si elle est manifestement excessive ou dérisoire, en considération du préjudice subi par le créancier ; qu’en retenant que le montant de la clause pénale correspondant à 7 % des sommes dues par les époux [W] à la banque n’était pas disproportionné, sans caractériser le préjudice subi par la banque du fait de l’absence de paiement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1226 et 1152 du code civil, dans leur rédaction applicable à l’espèce, antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

8. Ayant relevé que la clause stipulant une indemnité contractuelle de 7 %, prévoyait qu’elle était due au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non payés et retenu qu’elle n’apparaissait pas manifestement disproportionnée en son montant, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la clause critiquée ne dérogeait pas aux dispositions du code de la consommation et que les emprunteurs ne démontraient pas qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en a déduit à bon droit, sans être tenue de les suivre dans le détail de leur argumentation, que celle-ci n’était pas abusive.

9. Le moyen n’est donc pas fondé.

Mais sur les premier et troisième moyens, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

10. Les emprunteurs font grief à l’arrêt de rejeter leur demande tendant à voir juger prescrit le titre exécutoire du 22 juillet 2008, en conséquence, de fixer la créance de la banque, de rejeter leurs demandes et d’ordonner la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, alors « qu’est abusive la clause d’un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s’autorise, en raison d’un manquement du débiteur à son obligation de rembourser tout ou partie d’une échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure infructueuse d’avoir à régler, sans mécanisme de nature à permettre la régularisation d’un tel retard de paiement ; que la cour d’appel a constaté que selon l’offre de prêt acceptée par les époux [W], page 10, § XI A d, « le contrat de prêt sera résilié de plein droit et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles, huit jours après une simple mise en demeure adressée l’emprunteur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par acte extrajudiciaire, mentionnant l’intention du prêteur de se prévaloir de la clause de résiliation … au gré du prêteur quel que soit le type de prêt… en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur échéance ou de toute somme avancée par le prêteur » ; que pour retenir que la déchéance du terme était valablement intervenue le 5 août 2014, après mise en demeure du 30 juillet 2014, et en déduire que la prescription de l’action de la banque avait commencé de courir à compter de ce prononcé, et non à compter de chacune des échéances impayées, la cour d’appel a considéré que la clause précitée n’était pas abusive, motif pris de ce qu’elle ne prévoyait pas de faculté de résiliation discrétionnaire et sanctionnait le non-respect de l’obligation essentielle à remboursement, conformément au mécanisme de la clause résolutoire, sans créer aucun déséquilibre significatif, au détriment des emprunteurs consommateurs, entre les droits et obligations des parties, ni n’entraînait une modification majeure de l’économie du contrat ; qu’en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la clause susmentionnée revêtait un caractère abusif, en ce qu’elle autorisait le prononcé par l’organisme prêteur de la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure d’avoir à régler les impayés éventuels, peu important leur montant, et sans prévision d’un mécanisme de nature à permettre la régularisation d’un tel retard de paiement, la cour d’appel a violé les articles L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à l’espèce, devenu L. 212-1 du même code depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, ensemble l’article L. 218-2 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 :

11. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

12. Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

13. Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle.

14. Pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l’emprunteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l’arrêt retient que la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l’obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire.

15. En statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de M. et Mme [W] tendant à voir juger prescrit le titre exécutoire du 22 juillet 2008, en conséquence, fixe la créance de la banque et ordonne la vente forcée par adjudication de leurs immeubles, l’arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Metz ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Colmar;

Condamne le Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2 aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds commun de titrisation Credinvest, Compartiment Credinvest 2 et le condamne à payer à M. et Mme [W] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.

 


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