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25 avril 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
21/01972
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 25 AVRIL 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/01972 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O5XI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 03 MARS 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 20/11089
APPELANTE :
S.A AXA FRANCE IARD représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Emily APOLLIS substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Samba Dieng SY, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.R.L. LE GRAND ARBRE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Cyrille AUCHE de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant substitué par Me Christophe PONS de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 09 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller chargé du rapport et M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillerfaisant fonction de président en l’absence du président, régulièrement empêché,
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Mme Isabelle MARTINEZ, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller faisant fonction de président en l’absence du président, régulièrement empêché et par Mme Audrey VALERO, greffier.
FAITS, PROCÉDURE – PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
La SARL le Grand Arbre, immatriculée le 9 mai 2014, exploite un fonds de commerce de restauration générale et gastronomique et une activité de traiteur, situé [Adresse 1] à [Localité 3] (34) .
Elle a souscrit le 14 décembre 2017 auprès de la SA Axa France Iard (la société Axa) un contrat d’assurance multirisque professionnelle n°10083034004, à effet au 1er janvier 2018, tacitement reconductible.
Le contrat comprend des conditions générales n°690200P aux termes desquelles sont garanties les conséquences financières de l’arrêt de l’activité professionnelle déclarée par l’assuré au titre, notamment, des pertes d’exploitation (article 2.1), et des conditions particulières, qui prévoient au titre de la garantie « protection financière et de la perte d’exploitation suite à fermeture administrative » une extension de la garantie aux « pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
‘1. la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l’assuré,
2. la décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.
Durée et limite de la garantie
La garantie intervient pendant la période d’indemnisation, c’est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l’établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.
Le montant de la garantie est limité à 300 fois l’indice.
L’assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés. »
Cette clause contractuelle précise que : « sont exclues les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. »
Aux termes de deux arrêtés ministériels en date des 14 et 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons (sauf activités de livraison et vente à emporter ‘), ont fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’accueillir du public pour lutter contre la propagation dudit virus, entraînant une fermeture totale ou partielle des établissements concernés.
Par lettre recommandée avec avis de réception signé le 1er juillet 2020, la société le Grand Arbre a mis en demeure la société Axa France Iard de l’indemniser de la perte d’exploitation subie du fait de l’épidémie de covid-19 à hauteur de la somme de 120 814 euros.
Par lettre en date du 3 juillet 2020, la société Axa France Iard a refusé la prise en charge des pertes d’exploitation sollicitée en application de la clause d’exclusion.
Après lui avoir adressé par lettre en date du 17 septembre 2020, une proposition d’avenant au contrat d’assurance, devant prendre effet à la date anniversaire du 1er janvier 2021, par laquelle, notamment, la couverture de la perte d’exploitation à la suite d’une fermeture administrative est limitée aux événements liés à un décès accidentel, un suicide, un meurtre ou une intoxication alimentaire, la société Axa France Iard a notifié à la société le Grand Arbre le 22 octobre 2020 la résiliation du contrat à défaut pour elle d’avoir accepté les nouvelles conditions.
Par acte d’huissier délivré le 24 juillet 2020, la société le Grand Arbre a assigné la société Axa France Iard devant le président du tribunal de commerce de Montpellier qui, par ordonnance de référé du 15 octobre 2020, a, au visa de l’article 873-1 du code procédure civile, renvoyé l’affaire devant le tribunal, qui, par jugement du 3 mars 2021, a :
« – (‘) dit que la clause d’exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite,
– dit que la SA Axa Iard doit garantir la SARL le Grand Arbre de la perte d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son restaurant suite à l’épidémie de la Covid-19 pendant le premier confinement,
– ordonné le versement par la société Axa France Iard, à titre de provision, la somme de 24 500 euros à la société le Grand Arbre,
– désigné comme expert judiciaire, Mme [P] [R] avec pour mission,
* d’évaluer le montant des dommages constitué par le perte d’exploitation pendant la période concernée,
* se faire communiquer tous documents ou pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission,
* entendre les parties ainsi que tout sachant (..;)
* mener ses opérations d’expertise de façon strictement contradictoire en faisant connaître aux parties l’état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission,
* établir un document de synthèse,
– fixé à 2 000 euros le montant de la provision sur frais d’expertise à consigner par la société Axa Iard France dans un délai de 2 mois à dater de la signification de la présente décision,
– dit qu’à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l’expert est caduque,
– dit que l’expert prendra contact avec le juge en charge du contrôle des mesures d’instruction dès le démarrage de sa mission pour exposer sa méthodologie,
– dit que ce même juge suivra l’exécution de la présente expertise dont le rapport devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision,débouté les parties de leurs autres demandes (‘),
– débouté la société le Grand Arbre de sa demande d’indemnisation pour résistance abusive (‘),
– débouté les parties du surplus de leurs autres demandes,
– ordonné l’exécution provisoire,
– condamné la société Axa France Iard à payer à la société le Grand Arbre la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens. »
Par déclaration enregistrée le 25 mars 2021, la société Axa Iard France a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées le 25 janvier 2023 via le RPVA, de :
«- vu les articles 1103, 1170 et 1192 du Code civil, les articles L. 113-1 et L. 121-1 du Code des assurances, (‘)
– Déclarer recevable et bien-fondé son appel et, y faisant droit :
– A titre principal, infirmer le jugement (…) en ce qu’il dit que la clause d’exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite (…) en ce qu’elle vide sa substance la garantie souscrite en l’état de fermeture de la survenance d’une épidémie et contrevient aux dispositions de l’article L. 113- 1 alinéa 1 du Code des assurances pour n’être ni formelle, ni limitée, dit que la garantie perte d’exploitation souscrite (…) doit trouver pleine et entière application ; (‘), désigné un expert judiciaire (‘) et ordonné le versement d’une provision à hauteur de 24 500 euros (‘),
– Statuant à nouveau, juger :
– que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion, qui est applicable en l’espèce,
– que cette clause d’exclusion respecte le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du code des assurances,
– que cette clause d’exclusion ne vide pas l’extension de garantie de sa substance et répond au caractère limité de l’article L. 113-1 du code des assurances et qu’elle ne prive pas l’obligation essentielle d’Axa France de sa substance au sens de l’article 1170 du code civil,
– que cette clause d’exclusion ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de la société le Grand Arbre de sorte qu’elle est conforme aux dispositions de l’article 1171 du code civil,
– juger que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion, qui est inscrite en des termes très apparents, de sorte que sa rédaction est conforme aux règles de formalisme prescrites par l’article L. 112-4 du code des assurances,
– En conséquence, juger applicable en l’espèce la clause d’exclusion dont est assortie l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie,
– débouter la société le Grand Arbre de l’intégralité de ses demandes formées à son encontre,
– annuler la mesure d’expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier,
– A titre subsidiaire, infirmer le jugement (‘) en ce qu’il l’a condamnée à verser la somme de 24 500 euros à titre de provision,
– débouter la demande de la société le Grand Arbre tenant à la voir condamnée à verser la somme de 55 131,48 euros au titre des pertes d’exploitation,
– Statuant à nouveau, ordonner la fixation de la mission de l’expert désigné (‘) comme suit :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission, notamment l’estimation effectuée par l’intimé et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d’exploitation sur les trois dernières années,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l’issue de la première réunion avec les parties, le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d’exploitation garanties contractuellement par le contrat d’assurance, sur la période du 15 mars au 1er juin 2020, sur une durée de trois mois maximum et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicables,
* donner son avis sur le montant des pertes d’exploitation consécutives à la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption ou la réduction de l’activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées,
* donner son avis sur le montant des aides/subventions d’État perçues par l’assurée,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l’évolution de l’activité et des facteurs externes et internes susceptibles d’être pris en compte pour le calcul de la réduction d’activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020,
– En tout état de cause, confirmer le jugement (‘) en ce qu’il a débouté la société le Grand Arbre de la demande de condamnation pour résistance abusive,
– débouter la société le Grand Arbre de l’ensemble de ses demandes (‘) et de son appel incident,
– condamner la société le Grand Arbre à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première et d’appel. »
Au soutien de son appel, elle fait valoir que :
– la validité de la clause d’exclusion a donné lieu à des décisions contraires, la Cour de cassation a rendu le 1er décembre 2022 quatre arrêts validant cette dernière, considérant qu’elle est formelle et limitée,
– le caractère formel de la clause d’exclusion s’apprécie par rapport à la clarté des termes et non par rapport aux clauses définissant l’objet de la garantie ou les conditions de garantie,
– la formulation est claire, les termes « quelle que soit sa nature et son activité »permettent de comprendre l’étendue de l’exclusion,
– la clause d’exclusion ne contient aucun terme relevant d’un vocabulaire spécialisé de l’assurance, elle n’a pas à être interprétée,
– l’assurée, en sa qualité de professionnelle, connaissait les périls sanitaires liés à son exploitation, susceptibles de se traduire par une fermeture administrative individuelle, et notamment les toxico-infections alimentaires collectives comme les salmonelles et n’a pu se méprendre sur la portée de la clause d’exclusion,
– l’absence de définition du terme « épidémie » (qui est seulement employé dans les conditions de garantie) n’affecte pas la validité de la clause, d’exclusion, car celui-ci est indifférent à sa compréhension, une épidémie ne constitue pas le critère d’application de la clause d’exclusion, les critères d’application étant le nombre (plus d’un établissement fermé administrativement), le lieu (appréciation à l’échelle d’un département) et la cause identique,
– les termes « cause identique » sont clairs et précis et il n’y a pas besoin de définir les causes de fermeture, dont l’épidémie, pour comprendre le sens de la clause d’exclusion,
– le débat sur la définition du mot «épidémie» est sans pertinence sur l’appréciation du caractère formel de la clause d’exclusion, dès lors que le risque assuré est celui d’une fermeture administrative et non un risque épidémique et que la couverture de ce risque est clairement limitée à la nature isolée de cette fermeture administrative,
– le risque assuré est la fermeture administrative et non la survenance d’une épidémie,
– la proposition d’avenant ne remet pas en cause la clarté de la clause, elle n’est que le fruit d’une reconsidération des risques liés aux épidémies par l’ensemble des acteurs du marché de l’assurance et de la réassurance,
– le caractère limité d’une clause d’exclusion doit s’apprécier non pas en considération de ce qu’elle exclut, mais de qu’elle garantit après sa mise en ‘uvre, il doit s’apprécier au regard des cinq événements susceptibles d’entraîner une fermeture administrative et, au demeurant, une épidémie, telles que celles causées par une TIAC peut donne lieu à la fermeture d’un seul établissement,
– même si le caractère limité de la clause d’exclusion doit s’apprécier au seul regard de l’événement « épidémie », la clause est limitée dès lors qu’une épidémie peut donner lieu à une mesure de fermeture administrative individuelle (légionellose, salmonellose, listériose, fièvre typhoïde, grippe aviaire),
– les autorités compétentes ont le pouvoir d’adapter les mesures aux risques encourus,
– une définition large de l’épidémie, qui reflète les définitions courantes, qui ne sont pas contraires aux définitions scientifiques, est favorable à l’assuré,
– la clause d’exclusion limitant la couverture d’assurance à un risque même improbable (contesté en l’espèce) ne vide pas la garantie de sa substance,
– la commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l’exploitation d’un restaurant exposé aux risques biologiques (41 % de TIAC en restauration commerciale) et non de couvrir le risque d”une fermeture généralisée (risque totalement imprévisible),
– les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture collective de nombreux établissements, constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d’une garantie individuelle de droit privé,
– les notions de maladie contagieuse, intoxication et épidémie peuvent se recouper ou être dissociées dans un sens de garantie plus large pour l’assuré,
– la clause d’exclusion ne créée pas de déséquilibre significatif au détriment de l’assuré, dès lors que la fréquence de réalisation du risque assuré de fermeture administrative individuelle d’un restaurant pour cause d’épidémie est probable que celle du risque exclu de fermeture collective d’établissements pour cause d’épidémie,
– le calcul de l’indemnisation est erroné, la méthode contractuelle n’a pas été respectée (il faut tenir compte des facteurs externes (baisse générale de l’activité économique), de charges variables, des économies réalisées (pas de salaires versés) et aides perçues, la mission confiée à l’expert ne tient pas compte non plus de cette méthode de calcul.
– aucune condamnation définitive ne peut intervenir, sauf à la priver du double degré de juridiction, l’évocation n’est pas possible, à défaut d’infirmer ou annuler le jugement.
Formant appel incident, la société le Grand Arbre sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le biais du RPVA le 9 février 2023, de:
« – vu les articles 1100 et 1190 du Code civil ; les articles 1170 et 1171 du Code civil ; VU les articles 1112-1, 1241 et 2224 du Code civil ; les articles L.112-2, L.113-1 et L.521-4 du Code des assurances (‘) ;
– Rejetant toutes conclusions contraires ;
– Débouter la SA Axa France Iard de son appel principal ;
– Confirmer le jugement rendu (‘) en ce qu’il a déclaré la clause d’exclusion prévue dans le contrat d’assurance Multirisque Professionnelle non écrite, jugé que la SA Axa France Iard devait la garantir au titre de la perte d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son restaurant, suite à l’épidémie de covid-19 ;
– Statuant sur l’appel incident de la concluante, réformer le jugement et condamner la SA Axa France Iard à lui payer, la somme de 55 131,48 euros en exécution de la garantie pour perte d’exploitation souscrite, ainsi qu’une somme complémentaire de 20 000 euros au titre de la réparation du préjudice subi pour résistance abusive à paiement, soit 75 131,48 euros au total, le tout avec intérêts de droit à compter du 25 juin 2020, date de la déclaration de sinistre ;
– Subsidiairement, confirmer le jugement rendu (‘) en ce qu’il a condamné la SA Axa France Iard au paiement d’une provision de 24 500 euros à valoir sur la réparation du préjudice et prescrit une expertise comptable aux frais avancés de la défenderesse afin de déterminer le montant de la perte d’exploitation subie pendant le premier confinement ;
– Encore plus subsidiairement, juger que la SA Axa France Iard engage sa responsabilité de droit commun pour manquement à son devoir d’information et de conseil lors de la souscription du contrat ;
– En conséquence, condamner la SA Axa France Iard à lui payer une indemnité de 67.618,33 euros représentant 90 % de la somme principale réclamée (75.131,48 euros x 90%) au titre de la perte de chance de conclure un contrat mieux adapté ;
– Condamner la SA Axa France Iard au paiement de la somme de 17.369,48 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel,
ainsi que les honoraires et frais taxés de l’expert judiciaire pour 4.783,02 euros TTC ».
Elle expose en substance que :
– le contrat d’assurance est un contrat d’adhésion et doit, le cas échéant être interprété contre celui qui l’a proposé,
– le cas d’espèce remplit les conditions de mise en ‘uvre de l’extension de garantie, ce qui n’est pas contesté par l’assureur,
– la clause d’exclusion doit être formelle et limitée, et ne doit pas vider de sa substance la garantie souscrite,
– le terme « cause identique » n’est pas assez précis, le terme « épidémie » n’est pas défini dans le contrat d’assurance,
– il ne peut lui être opposé une définition médicale de ce terme,
– l’assureur retient une définition restrictive du terme « épidémie », puisqu’une épidémie ne peut être limitée à un seul établissement, qui formerait une population, au sens de la définition du Larousse,
– les exemples d’épidémies produits par l’assureur (listériose, salmonellose…) s’apparentent plutôt à des intoxications qu’à des épidémies,
– la nature et l’activité de l’autre établissement n’est libellée qu’en termes généraux ne permettant pas de délimiter le champ dans lequel la garantie n’est pas due,
– la garantie accordée ne pourra jamais être mise en ‘uvre en présence d’une épidémie ou d’une maladie contagieuse dès alors qu’elles imposeront nécessairement la fermeture de plus d’un établissement au sein du même département ; la clause est déséquilibrée,
– contrairement à ce qu’a retenu la Cour de cassation, c’est l’épidémie qui constitue « la circonstance particulière de réalisation du risque privant l’assuré du bénéfice de la garantie » et cette circonstance n’est pas précise et nécessite une interprétation,
– il convient de tenir compte des conclusions du rapport d’expertise (55 131,48 euros), outre un préjudice pour résistance abusive (20 000 euros),
– l’assureur supporte une obligation d’information (article 1112-1 du code civil, L. 112-2 du code des assurances et L. 111-1 du code de la consommation) et un devoir de conseil (article L. 521-4 du code des assurances), en l’espèce, il a laissé l’assuré souscrire une garantie qu’il savait vidée de sa substance du fait de la clause d’exclusion en s’abstenant de définir le terme « épidémie »,
– elle a perdu une chance de contracter une assurance adaptée à sa situation personnelle, sans avoir à démontrer que mieux informée, elle aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé, le point de départ de la prescription quinquennale est le courrier de refus de la garantie en date du 3 juillet 2020, sa perte de chance est de 90 %.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 février 2023.
Par conclusions déposées et notifiées via le RPVA le 10 février 2023, la société Axa Iard France sollicite :
– au visa des articles 15, 16, 564, 700, 803 et 910-4 du code de procédure civile, qu’à titre liminaire, soient écartées des débats les conclusions n°4 régularisées le 9 février 2023 soit le jour même du prononcé de l’ordonnance de clôture et à titre subsidiaire, d’ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture du 9 février 2023 afin de lui permettre de répondre, ces conclusions formulant une demande nouvelle,
– au fond, de voir jugée irrecevable toute demande de la société Grand Arbre au titre d’un manquement d’Axa à son obligation d’information et de conseil, tant sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile que de l’article 910-4 de ce code,
– au visa des articles L. 112-2 I et L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances, qu’il soit jugé qu’elle n’a pas manqué à son devoir d’information ou de conseil.
Elle expose que l’intimée a formé deux heures avant la clôture dans ses dernières conclusions une demande nouvelle, jamais formée auparavant et qui ne respecte pas les dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile et conteste, en réponse, l’existence de tout manquement à son devoir d’information et de conseil, indiquant que les dispositions des articles L. 112-2 du code des assurances sur la remise d’un projet de contrat avant souscription et celles de l’article L. 520-1 II 2° (devenu L. 521-4) du même code relatif à l’obligation de conseil de l’intermédiaire en assurance ont été respectées, l’assurée ayant eu connaissance de la clause d’exclusion et aucune perte de chance de souscrire une garantie plus favorable n’étant rapportée.
Elle reprend pour le surplus ses prétentions et moyens développés dans ses précédentes conclusions.
MOTIFS de la DÉCISION :
1- sur l’irrecevabilité des conclusions déposées et notifiées le jour de la clôture
Selon les articles 15 et 16 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense et le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
En application des articles 802 et 803 du même code, après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, à l’exception des conclusions par lesquelles une partie demande la révocation de l’ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou production tardives, sauf survenance d’une cause grave.
Les dernières conclusions de la société le Grand Arbre ont été déposées et notifiées le 9 février 2023 à 11 heures 55 alors que l’ordonnance de clôture est intervenue le même jour à 14 heures 46 sans que cette dernière ne se prévale du moindre évènement l’ayant empêchée de respecter les délais fixés pour chaque partie dès le 27 octobre 2022, le jour de la clôture ne pouvant être un jour utile, de sorte que ces conclusions, qui contiennent une demande subsidiaire nouvelle, nécessitant que la partie adverse puisse en prendre connaissance et le cas échéant y répondre, sont irrecevables.
Ainsi, la cour n’est saisie que des conclusions déposées et notifiées par la société le Grand Arbre le 20 janvier 2023, qui sont identiques aux conclusions déposées in extremis, hormis la demande subsidiaire, et par la société Axa le 25 janvier 2023.
2- sur la validité de la clause d’exclusion
Le contrat d’assurance couvre le risque de pertes d’exploitation de l’activité déclarée et, dans le cadre d’une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré, décidée par une autorité administrative en cas notamment d’une épidémie, sauf en cas de fermetures administratives collectives.
Les conditions de la garantie des pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire du fonds de commerce de la société le Grand Arbre sont, en l’espèce, réunies.
Concernant l’exclusion d’une garantie, il convient de rappeler que l’article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. (…)
Une clause d’exclusion de garantie n’est pas formelle et limitée lorsqu’elle doit être interprétée.
Une clause d’exclusion est formelle, lorsqu’elle est claire et précise.
De même, une clause d’exclusion n’est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil, issues de l’ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016.
La société le Grand Arbre reproche à son assureur de ne pas avoir défini le terme ‘épidémie’ et de l’utiliser dans un sens restrictif, contraire à sa définition, afin d’exclure un tel risque, qu’il présente au terme de l’extension de garantie, comme étant couvert.
En l’espèce, la clause contenant l’extension de garantie comme celle contenant l’exclusion ne comprennent pas de termes ou expressions relevant d’un vocabulaire spécialisé.
Les termes « quelle que soit [la] nature et [l’] activité » (des autres établissements, susceptibles d’être également fermés administrativement), qui sont généraux, ne font pas obstacle au caractère clair et précis de la clause, en ce qu’ils désignent un ensemble défini sans exception, c’est-à-dire tout autre établissement au sens de la totalité de ceux-ci, permettant à l’assuré de connaître l’étendue exacte de la garantie.
De même, les termes « cause identique » concernant la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements ne sont pas imprécis en ce qu’ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré.
L’exclusion est, ainsi, sans ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives pour la même origine ou le même fondement.
Le terme «épidémie» n’est pas défini dans le contrat d’assurance sans que cette absence de définition suffise à démontrer un caractère imprécis ou une utilisation dudit terme dans un sens contraire à celui communément accepté. À ce propos, les parties se rapprochent pour retenir une définition large de ce terme comme étant la propagation rapide d’une maladie, plutôt d’origine infectieuse, à un grand nombre de sujets en même temps dans une zone géographique ou une population données, étant constaté que la définition scientifique recouvre, peu ou prou, la même définition.
Le recours à la définition du terme « épidémie », figurant dans la clause d’exclusion (par renvoi à la clause d’extension de garantie) ne contredit pas le caractère clair et précis que doit recouvrer une telle clause en ce que, en l’espèce, définir le terme « épidémie » permet d’expliciter son sens et, au demeurant, aux parties de s’accorder sur celui-ci sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d’exclusion afin de pallier un prétendu caractère inintelligible.
La clause d’exclusion ne suscite pas de doute sur sa compréhension et n’est pas sujette à interprétation.
L’appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à annuler les effets de celle-ci, doit se faire au regard du risque couvert. Le caractère limité d’une clause d’exclusion s’apprécie non pas en considération de ce qu’elle exclut, mais en considération de ce qu’elle garantit après sa mise en ‘uvre.
En l’espèce, le contrat d’assurance ne couvre pas le risque de la survenance d’une épidémie, mais celui d’une fermeture administrative découlant, notamment, d’une épidémie. Une telle fermeture relève d’une décision de l’autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut varier.
De même, il appartient à l’assureur de démontrer qu’un autre établissement situé dans le même département fait l’objet d’une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui n’exclut pas, de ce fait, toute possibilité de mobiliser la garantie.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l’identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l’exclusion de garantie ne devrait pas pouvoir être appliquée, la garantie demeurant.
Concernant les motifs tels que l’intoxication, la maladie contagieuse et l’épidémie, la distinction existante est favorable à l’assuré, puisqu’une maladie non contagieuse, telle que la légionellose (qui n’est pas, non plus, une intoxication), peut donner lieu à une épidémie et à l’inverse, une maladie contagieuse, telles que la gastro-entérite ou la méningite, n’entraîne pas, forcément, du fait de mesures adaptées, une épidémie. Pareillement, une intoxication n’est pas nécessairement virale (intoxication au monoxyde de carbone) et épidémique.
L’assureur démontre à l’appui d’une documentation circonstanciée, que la fermeture d’un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avéré. Il est d’ailleurs établi qu’un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (au nombre desquelles figure la salmonellose), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d’hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d’entraîner une fermeture administrative.
L’épidémie de covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suites aux mesures gouvernementales, ne constitue qu’un cas d’épidémie et qu’un motif de fermeture administrative parmi d’autres, pour lequel ladite fermeture, qui était collective, n’était pas couverte par la garantie souscrite.
Seule l’absence d’aléa, et non son caractère rare, prive le contrat d’assurance d’objet ou de cause.
La proposition d’un avenant à l’assuré par courrier en date du 17 septembre 2020 par la société Axa, qui exclut de la garantie toutes les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l’analyse du contrat litigieux, si ce n’est qu’elle atteste que ce dernier n’avait pas été envisagé par les parties au regard d’une épidémie telle que celle de la covid-19.
Il en résulte que l’exclusion de garantie, relevant d’une fermeture administrative, découlant d’une épidémie, lorsque celle-ci n’est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve, ne vide pas de sa substance la garantie, étendue, des pertes d’exploitation souscrite, et partant, n’a pas pour objet ou effet de créer un déséquilire significatif entre les parties ; elle est parfaitement valable.
En conséquence, la demande de la société le Grand Arbre tendant à voir déclarer non-écrite la clause d’exclusion relative aux pertes d’exploitation, figurant dans le contrat d’assurance multirisque professionnelle n°10083034004, sera rejetée ainsi que les demandes d’indemnisation subséquentes.
Le jugement sera donc infirmé, sans qu’il y ait lieu de prononcer la nullité de la mesure d’expertise ayant été ordonnée, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par la société le Grand Arbre.
4 – sur les autres demandes
La société le Grand Arbre, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, le jugement ayant réservé les dépens de première instance, et au vu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 1 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevables les conclusions déposées et notifiées par la SARL le Grand Arbre le 9 février 2023 in extremis avant la clôture,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 3 mars 2021, sauf en ce qu’il a débouté la société le Grand Arbre de sa demande d’indemnisation pour résistance abusive,
Et statuant à nouveau,
Dit que la clause d’exclusion figurant dans le contrat d’assurance multirisque professionnelle n°10083034004 (conditions générales 690200P), à effet au 1er janvier 2018, liant la SARL le Grand Arbre et la SA Axa France Iard, est valable,
Rejette les demandes formées par la SARL le Grand Arbre,
Dit n’y avoir lieu à prononcer la nullité de la mesure d’expertise judiciaire,
Condamne la SARL le Grand Arbre à payer à la SA Axa France Iard la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la SARL le Grand Arbre fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL le Grand Arbre aux dépens d’appel.
le greffier, La conseillère faisant fonction de président,