Déséquilibre significatif : 20 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/02865
Déséquilibre significatif : 20 juin 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/02865
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20 juin 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
22/02865

ARRET N°296

N° RG 22/02865 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVRK

S.A. AXA FRANCE IARD

C/

S.A.R.L. PARAMY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 20 JUIN 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02865 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVRK

Décision déférée à la Cour : jugement du 08 novembre 2022 rendu par le Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON.

APPELANTE :

S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 1]

[Localité 3]

ayant pour avocat postulant Me Isabelle LOUBEYRE de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me Emilie BUTTIER, avocat au barreau de NANTES

INTIMEE :

S.A.R.L. PARAMY

[Adresse 2]

[Localité 4]

ayant pour avocat postulant Me Guy DIBANGUE de l’ASSOCIATION RODIER MBDT ASSOCIÉS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Charlotte SEBILEAU, avocat au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 03 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

– Contradictoire

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

La SARL Paramy exploite un restaurant asiatique à [Localité 4], en Vendée, depuis 2010.

Elle a souscrit le 23 novembre 2016 auprès de la compagnie AXA France Iard un contrat d’assurance ‘multirisque professionnelle’ qui comprend une garantie ‘protection financière’ couvrant la perte d’exploitation suite à fermeture administrative.

Faisant valoir que son activité avait été gravement affectée par les mesures décidées par les autorités publiques en raison de la pandémie de covid 19 au premier semestre 2020 puis fin 2020/début 2021, elle a sollicité la mobilisation de la garantie ‘perte d’exploitation’ de la police auprès de son assureur, qui lui a opposé un refus de garantie.

Après vaines discussions, elle a fait assigner la société AXA France Iard, par acte du 7 juin 2021, devant le tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon en sollicitant, dans le dernier état de ses prétentions,

-de dire que l’article 1er de l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 visant directement les restaurants et débits de boissons leur interdisant d’accueillir du public correspondait bien à une décision de fermeture prise par une autorité administrative compétente

-de dire que l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 visant directement les restaurants et débits de boissons leur interdisant d’accueillir du public correspondait bien à une décision de fermeture prise par une autorité administrative compétente

-de dire et juger que l’exclusion de garantie qui prévoit que cette garantie n’est pas due lorsque ‘(…) à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique, ne peut valablement être opposée par l’assureur, en ce qu’elle

.n’est pas mentionnée en caractères très apparents en application de l’article L.112-4 du code des assurances

.n’est ni formelle, ni limitée en application de l’article L.113-1 du code des assurances

.est inapplicable en application des principes de bonne foi contractuelle et de cohérence visés respectivement aux articles 1103 et 1104 ainsi qu’aux articles 1189 et 1190 du code civil

En conséquence :

-dire et juger que la garantie perte d’exploitation de la société AXA France Iard du fait de la fermeture administrative en raison d’une épidémie est due à la société Paramy

-dire et juger que l’exclusion de garantie visée par la société AXA France Iard est réputée non écrite et en tout état de cause inopposable à la société Paramy.

À titre principal :

-dire et juger que le Covid-19 ne constitue pas un facteur externe au sens du contrat d’assurance

-condamner la société AXA France Iard à indepmniser la société Paramy des préjudices subis au titre de la garantie perte d’exploitation suite aux fermetures administratives en raison de l’épidémie d’un montant de 72.065 euros

-condamner AXA France Iard aux dépens et à une indemnité de procédure de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile

À titre subsidiaire, avant dire droit :

-ordonner une expertise avec mission d’évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute durant les périodes du 15 mars au 1er juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 31 décembre 2020 ; évaluer les frais supplémentaires d’exploitation pendant ces deux périodes; déterminer le montant des charges normales que du fait du sinistre, la société a cessé de payer durant les périodes susvisées

-condamner AXA France Iard à verser à la société Paramy 50.000 euros à titre provisionnel, à valoir sur le montant de son indemnité

-surseoir à statuer sur les autres demandes

-réserver les dépens.

La compagnie AXA France Iard a conclu à titre principal au rejet des demandes adverses en soutenant

-que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie était assortie d’une clause d’exclusion qui était rédigée en des termes très apparents, qui était formelle et limitée, qui ne vidait pas de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur, qui répondait au caractère limité requis par l’article L.113-1 du code des assurances, et dont la rédaction était conforme aux règles de formalisme prescrites par l’article L.112-4 du code des assurances

-à titre subsidiaire, pour le cas où la cour jugerait sa garantie mobilisable : que la preuve du montant des pertes d’exploitation correspondant à l’indemnité sollicitée n’était pas rapportée.

– à titre plus subsidiaire, elle a sollicité l’institution d’une expertise en soutenant que le technicien devrait tenir compte de la franchise contractuelle de trois jours, des coefficients de tendance générale et des facteurs externes, et elle a conclu au rejet de la demande de provision.

Par jugement du 8 novembre 2022, le tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon a :

* dit que les deux conditions de mise en jeu de la garantie perte d’exploitation étaient réunies pour les deux sinistres subis par la société Paramy pour la période allant du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 et celle allant du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021

* dit et jugé que la clause d’exclusion de garantie stipulée dans la police d’assurance souscrite par la société Paramy n’était pas formelle ni limitée

* dit qu’elle était réputée non écrite et donc inopposable à la société Paramy

* ordonné une expertise judiciaire et commis pour y procéder M. [M]

* dit que la société Paramy était fondée en son principe en sa demande indemnitaire par provision

* dit que la société AXA serait tenue d’indemniser la société Paramy de sa perte d’exploitation suite à la fermeture administrative de son établissement pour cause d’épidémie, à deux reprises

* condamné la société AXA France Iard à verser à la société Paramy une provision totale de 20.000 euros à valoir sur le montant définitif de l’indemnité qui sera due à la société Paramy, se ventilant en

.15.000 euros au titre de l’indemnité pour la période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 .5.000 euros au titre de celle pour lé période du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021

* sursis à statuer sur les plus amples demandes des parties

* réservé provisoirement les dépens.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu, en substance,

-que la garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’ était mobilisable, les conditions particulières la stipulant, les autorités administratives, en l’occurrence ministérielles, ayant bien ordonné la fermeture des restaurants pendant les deux confinements et ce en raison d’une maladie contagieuse ou d’une épidémie au sens du contrat

-que la clause d’exclusion invoquée par l’assureur n’était pas rédigée en caractères très apparents ; qu’elle n’était pas claire puisqu’elle recélait une contradiction évidente ; et que dans le sens que lui donnait l’assureur, elle vidait de sa substance l’obligation essentielle dès lors qu’il n’est pas plausible qu’une épidémie ait des effets limités à un unique établissement dans tout un département; qu’elle devait ainsi être réputée non écrite ; qu’AXA ne pouvait donc s’en prévaloir

-que l’indemnité devait couvrir la perte d’exploitation subie durant les deux confinements

-qu’une expertise serait utile pour réunir les éléments permettant de chiffrer l’indemnité

-qu’au vu des pièces comptables produites, des calculs de l’expert-comptable et des clauses de la police, notamment relatives à la franchise, le tribunal pouvait évaluer à une somme de 20.000 euros la part non sérieusement contestable de l’indemnité devant revenir à l’assuré.

La société AXA France Iard a relevé appel le 17 novembre 2022.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l’article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 13 mars 2023 par la société AXA France Iard

* le 14 février 2023 par la SARL Paramy.

La société AXA France Iard demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel et y faisant droit :

¿ à titre principal : d’infirmer le jugement en ses chefs de décisions, qu’il reprend,

statuant à nouveau :

-de juger que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion qui est applicable en l’espèce

-de juger que cette clause d’exclusion respecte le caractère formel exigé par l’article L.113-1 du code des assurances

-de juger qu’elle ne vide pas l’extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité requis par l’article L.113-1 et qu’elle ne prive pas l’obligation essentielle d’AXA de sa substance au sens de l’article 1170 du code civil

En conséquence :

-de juger applicable en l’espèce la clause d’exclusion dont est assortie l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie

-de débouter l’assurée de l’intégralité des demandes formées contre AXA et de la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l’exécution du jugement

-d’annuler la mesure d’expertise ordonnée par les juges consulaires

¿ à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise avec une autre mission, qu’elle propose

¿ en tout état de cause :

-de débouter l’assurée de toutes ses demandes

-et de la condamner aux dépens de première instance et d’appel

-et à lui payer 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société AXA France Iard fait valoir que l’intimée a reconnu lors de la souscription du contrat d’assurance avoir pris connaissance des conditions de garantie et des exclusions.

Elle affirme que la clause d’exclusion opposée à l’assurée revêt bien un caractère formel au sens exigé par l’article L.113-1 du code des assurances, lequel s’apprécie par rapport à la clarté des termes et des critères d’application que la clause comprend et non par rapport aux clauses définissant l’objet de la garantie ni par rapport aux conditions de la garantie. Elle soutient que cette clause est parfaitement claire ; qu’elle ne nécessite aucune interprétation ; que l’assurée l’a comprise pour ce qu’elle dit, à savoir que la garantie n’est pas due en cas de fermeture de tout autre établissement dans le département pour une cause identique.

Elle ajoute que la compréhension de la clause s’appréciant nécessairement à la date de la souscription, il ne peut être soutenu que le restaurateur a pu se méprendre sur le sens du terme ‘épidémie’, alors qu’il n’y avait jamais eu d’épidémie de coronavirus et que l’épidémie en considération de laquelle un restaurateur pouvait souhaiter se garantir par une police d’assurance était une épidémie propre à son exploitation c’est’à-dire d’origine alimentaire.

Elle soutient que le mot ‘épidémie’ n’avait pas à être défini dans le contrat car ce terme, seulement employé au titre des conditions de garantie, n’affecte pas la validité de la clause d’exclusion, dont les critères d’application sont parfaitement indépendants des événements visés au titre des conditions de garantie dont fait partie l’épidémie, de sorte que l’assuré n’a pas besoin d’appréhender le terme d’épidémie pour comprendre ce qui est exclu. Elle ajoute que l’avenant qu’elle a proposé à ses clients ne change rien à ce constat.

Elle conteste que la clause d’exclusion ne respecte pas le caractère limité de l’article L.113-1 du code des assurances et qu’elle prive de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur, en soutenant exemples et consultation à l’appui que la réalité scientifique est en ce sens qu’une épidémie peut très bien n’affecter qu’un seul établissement ; qu’une épidémie n’implique pas nécessairement une grande étendue géographique ou un grand nombre de personnes infectées ni même une contagion d’un individu à l’autre ; qu’une épidémie peut parfaitement être à l’origine de la fermeture administrative d’un seul établissement ; et que le risque d’une telle fermeture individuelle est une réalité juridique et factuelle. Elle rappelle que le caractère limité d’une clause d’exclusion s’apprécie indépendamment du sinistre déclaré, et au regard des autres situations de sinistre susceptibles d’être garanties, et elle fait valoir qu’à cet égard, la plausibilité pour un restaurateur de subir une fermeture administrative pour une épidémie localisée à son établissement telle listériose ou légionellose est bien plus grande que celle d’une fermeture pour une épidémie du type du coronavirus. Elle soutient qu’il est tout à fait concevable qu’une fermeture administrative individuelle, couverte comme telle par sa garantie, résulte d’une épidémie généralisée, telle la découverte d’un ‘cluster’ dans le cadre du covid 19.

Elle indique que la Cour de cassation vient de juger dans quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022 que la clause litigieuse n’avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance.

Elle réfute tout déséquilibre significatif au détriment de l’assuré en affirmant que la fréquence de réalisation du risque, à savoir la fermeture individuelle d’un restaurant pour cause d’épidémie, est plus probable que celle du risque exclu par le contrat d’une fermeture collective d’établissements pour cause d’épidémie.

Elle affirme que la commune intention des parties est facile à déceler, et qu’elle était de couvrir les conséquences de la fermeture administrative isolée de l’établissement assuré et non pas de couvrir les conséquences d’une fermeture généralisée.

Elle soutient qu’une mesure de fermeture administrative généralisée constitue un préjudice anormal et spécial dont les conséquences ne peuvent incomber à l’assureur.

Elle affirme que contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, le traitement autonome de la clause d’exclusion, sa rédaction en lettres capitales, en grand format et détachée des paragraphes précédents, répond au formalisme exigé par l’article L.112-4 du code des assurances.

À titre subsidiaire, si la garantie était jugée mobilisable, elle s’oppose à toute provision et demande que la mission donnée à l’expert soit rédigée différemment, pour tenir compte des clauses de la police, des résultats des exercices antérieurs, des charges variables non supportées pendant la fermeture et des subventions et aides reçues, de la franchise contractuelle de trois jours et de la période de garantie contractuellement stipulée, et elle soutient que le covid ne constituant pas le risque garanti, doit être considéré comme un facteur externe au sens de la police.

La société Paramy demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la société AXA aux dépens et à lui verser 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

À titre subsidiaire de statuer ce que de droit sur les dépens et de débouter AXA de sa demande formée à son encontre sur le fondement dudit article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que les conditions d’acquisition de la garantie sont réunies en l’espèce, où l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 a prescrit la fermeture des commerces non indispensables à la vie de la nation, dont les restaurants, et où le décret du 29 octobre 2020 a instauré de nouvelles mesures réglementaires avec couvre-feu puis nouveau confinement, ce qui caractérise au sens du contrat une fermeture administrative de l’établissement.

Elle estime que la condition de mobilisation de la garantie tenant à ce que la fermeture soit la conséquence d’une épidémie est également vérifiée en l’espèce, où la propagation du covid 19 relève incontestablement de la définition d’une épidémie.

Elle maintient que la clause d’exclusion qui lui est opposée est nulle, en faisant valoir

-qu’elle n’est pas mentionnée en caractères très apparents comme requis par l’article L.112-4 du code des assurances, étant certes rédigée en caractères majuscules mais sans se différencier pour autant du reste des garanties, comme permettent de le faire des procédés tels le recours à des caractères gras, ou de plus grande taille, la couleur, le sous-lignage ou le surlignage

-qu’elle ne respecte pas le caractère formel et limité requis par l’article L.113-1 dudit code, dans la mesure où elle ne définit pas le terme ‘épidémie’, que le sens commun désigne comme l’extension d’une maladie contagieuse à une population ou à un grand nombre d’individus mais que l’assureur prétend pourtant pouvoir n’affecter qu’un seul établissement, ce qui montre que le souscripteur ne sait pas ce dont il s’agit

-qu’elle conduit à vider la garantie de sa substance, car le principe même d’une épidémie est quoiqu’en dise AXA d’affecter une population et pas un établissement unique, et qu’il est hautement improbable qu’un seul établissement puisse être fermé pour cause d’épidémie, l’appelante n’ayant pu en donner un exemple.

Elle demande à la cour de ne pas appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation dans ses quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022 dans des affaires mettant en cause des restaurateurs et la compagnie AXA au titre de ce contrat.

Elle approuve la mesure d’expertise ordonnée par le tribunal.

L’ordonnance de clôture est en date du 16 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il est constant entre les parties que le contrat d’assurance souscrit par la SARL Paramy auprès de la compagnie AXA France Iard est constitué des conditions générales qu’elle produit sous pièce n°2 et des conditions particulières datées et signées du 23 novembre 2016 qu’elle produit sous pièce n°1, dans lesquelles le souscripteur reconnaît avoir pris connaissance avant la conclusion du contrat des conditions générales.

* sur la mobilisation de la garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’

¿ le principe de la garantie

Les conditions particulières stipulent en page 6 une garantie spécifique ‘PERTE D’EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE’ selon laquelle :

‘La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies:

1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même

2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.

Durée et limite de la garantie

La garantie intervient pendant la période d’indemnisation, c’est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l’établissement sont affectés par le sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l’indice.

L’assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés.’.

Il n’existe pas véritablement de discussion entre les parties sur le fait que les deux conditions de mise en oeuvre sont réunies en l’espèce et que le sinistre dont la garantie est demandée entre dans l’objet du contrat, le restaurant de spécialités asiatiques exploité à [Localité 4] par l’assurée ayant fait l’objet d’une fermeture administrative, au moins partielle, dans le cadre des mesures prises par les autorités en mars 2020 puis à l’automne 2020/2021 pour lutter contre la propagation du covid-19, qui interdisaient aux restaurants de recevoir du public.

¿ l’exclusion invoquée de cette garantie

La compagnie AXA France IARD oppose à son assurée l’exclusion stipulée à la suite de la stipulation de garantie :

‘SONT EXCLUES

-LES PERTES D’EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L’OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L’ETABLISSEMENT ASSURE, D’UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE’.

La société Paramy a obtenu en première instance que soit écartée l’application de cette clause d’exclusion de garantie aux motifs qu’elle n’apparaît pas en caractères très apparents ; qu’elle nécessite d’être interprétée, ce qui implique qu’elle n’est pas formelle et limitée ; et qu’elle vide de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur.

AXA France IARD soutient que cette clause d’exclusion est en caractères apparents; formelle et limitée ; et qu’elle n’aboutit pas à vider de sa substance son obligation à garantie.

S’agissant en premier lieu de l’exigence posée à l’article L.112-4 du code des assurances que les clauses de la police édictant des exclusions soient mentionnées en caractères très apparents, la clause d’exclusion invoquée par AXA y satisfait, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, dès lors que la clause est placée immédiatement à la suite du paragraphe énonçant la garantie, ce qui est efficace ; qu’elle s’en détache en débordant plus sur la droite de la page, et qu’elle est rédigée en gros caractères majuscules espacés, ces procédés typographiques attirant spécialement l’attention du souscripteur sur l’existence de cette clause, son objet et sa teneur, en la faisant nettement ressortir de l’ensemble des autres clauses.

S’agissant en second lieu du caractère formel et limité de la clause, l’article L.113-1, alinéa 1er, du code des assurances, dispose que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Il résulte de ce texte légal qu’une clause d’exclusion de garantie n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et qu’elle nécessite interprétation.

Elle doit, en effet, permettre à l’assuré de comprendre sans recherche ni analyse particulières ce qu’est la circonstance dont la survenance le prive d’une garantie qui était acquise par principe.

L’assurée soutient que la clause d’exclusion invoquée par l’assureur n’est pas formelle, car elle ne définit pas le terme ‘épidémie’, particulièrement pour le distinguer de la ‘maladie contagieuse’ aussi visée au contrat et pour permettre de savoir s’il s’agit ou non de la propagation d’une maladie à un grand nombre de personnes comme le conçoit le sens commun mais que le conteste l’assureur.

Cependant, la circonstance particulière de réalisation du risque privant l’assuré du bénéfice de la garantie n’étant pas l’épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement fait l’objet d’une fermeture administrative pour une cause identique à l’une de celles énumérées par la clause d’extension de garantie, l’ambiguïté -avérée- du terme ‘épidémie’ est dépourvue d’incidence sur la compréhension, par l’assuré, des cas dans lesquels la clause d’exclusion s’applique.

S’agissant en troisième lieu du caractère limité de la clause d’exclusion, il suppose qu’elle n’ait pas pour effet de vider de sa substance la garantie souscrite par l’assuré, en ne laissant subsister, après son application, qu’une garantie dérisoire.

Tel n’est pas le cas de la clause invoquée par la société AXA France Iard, dès lors que la garantie souscrite couvre le risque de pertes d’exploitation consécutif à une fermeture administrative ordonnée à la suite d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication, de sorte que l’exclusion considérée laisse dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d’autres circonstances que celles prévues par la clause d’exclusion, et qu’en cela, elle n’a pas pour effet de vider la garantie de sa substance.

Le jugement entrepris sera ainsi réformé en ce qu’il a dit que la clause d’exclusion invoquée par l’assureur devait être réputée non écrite.

La SARL Paramy demande la mobilisation de la garantie perte d’exploitation en raison du préjudice que lui ont causé les mesures de fermeture prononcées en vertu de l’arrêté ministériel du 14 mars 2020, du décret du 11 mai 2020 ainsi que du décret du 29 octobre 2020.

Il est constant que ces mesures ont entraîné la fermeture de plus d’un établissement, et notamment de plus d’un restaurant, dans le département de la Vendée où l’intimée exploite son établissement.

La société Paramy sera donc déboutée de sa prétention à voir mobiliser à son profit la garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’ du contrat la liant à AXA France Iard.

Le jugement sera ainsi infirmé en ses chefs de décision accueillant cette prétention, y compris pour prononcer condamnation à une provision et pour ordonner une expertise.

* sur la demande d’AXA à fin de restitution des sommes payées au titre de l’exécution provisoire assortissant le jugement infirmé et en annulation de l’expertise ordonnée

Le jugement est infirmé en ses chefs de décision accueillant la demande de mobilisation de la garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’ du contrat, y compris en ceux qui prononcent condamnation à une provision et ordonnent une expertise.

Il n’y a donc pas lieu d”annuler’ l’expertise ordonnée, comme le demande AXA.

En ce qu’il infirme les condamnations mises en première instance à la charge de la société AXA France Iard, le présent arrêt constitue pour elle un titre exécutoire suffisant pour poursuivre le recouvrement des sommes versées en exécution du jugement, et il n’y a pas lieu de prononcer condamnation à cet égard.

* sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

La société Paramy succombe en toutes ses prétentions.

Elle supportera donc les dépens de première instance et d’appel.

L’équité justifie de ne pas mettre d’indemnité de procédure à sa charge.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

INFIRME le jugement déféré

statuant à nouveau :

DIT la société AXA France Iard fondée à opposer à son assuré la SARL Paramy la clause d’exclusion stipulée au contrat du chef de la garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’

REJETTE les prétentions de la SARL Paramy fondées sur la mobilisation de cette garantie

DÉBOUTE la SARL Paramy de tous ses chefs de prétentions

ajoutant :

DIT n’y avoir lieu à ordonner la restitution des sommes versées en exécution du jugement infirmé

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE la SARL Paramy aux dépens de première instance et d’appel

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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