Déséquilibre significatif : 27 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/04918
Déséquilibre significatif : 27 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/04918
Ce point juridique est utile ?

27 juin 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
21/04918

1ère Chambre

ARRÊT N°187/2023

N° RG 21/04918 – N° Portalis DBVL-V-B7F-R4NV

M. [B] [T]

Mme [C] [S] [P] épouse [T]

C/

M. [F] [O]

Me [W] [Z]

S.A.S. PROMOTION PICHET VENANT AUX DROITS DE LA SARL IG2P ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE CAPITALYS CONSEIL

S.A.R.L. NOTAIRES FOCH précédemment SCP Bruno BOUTIN Fabien TOURNIER Olivier BERTRAND Luc MARTINEAU

S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE

S.A. CNP ASSURANCES

SCI DES [Adresse 20]

SAS PROMOTION PICHET

S.C.P. [Z] – BRUN

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 février 2023

ARRÊT :

réputé contradictoire, prononcé publiquement le 27 juin 2023 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 20 juin 2023 à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [B] [T]

né le 12 Octobre 1960 à [Localité 16] (09)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Valérie PLOUTON, Plaidant, avocat au barreau de LYON

Madame [C] [S] [P] épouse [T]

née le 21 Juin 1959 à [Localité 18] (54)

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Valérie PLOUTON, Plaidant, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

Maître [F] [O], notaire honoraire

[Adresse 10]

[Localité 11]

Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Joël TACHET, Plaidant, avocat au barreau de LYON

La S.A.R.L. NOTAIRES FOCH précédemment SCP Bruno BOUTIN Fabien TOURNIER Olivier BERTRAND Luc MARTINEAU (précédemment dénommée [F] [O] Bruno BOUTIN Fabien TOURNIER Olivier BERTRAND), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 8]

[Localité 12]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Joël TACHET, Plaidant, avocat au barreau de LYON

Maître [W] [Z]

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représenté par Me Frédérique SALLIOU de la SELARL ANDRÉ SALLIOU, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me LAYDEKER de la SCP LAYDEKER-SAMMARCELLI, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

La S.C.P. [Z] – BRUN, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le n°342.182.433, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédérique SALLIOU de la SELARL ANDRÉ SALLIOU, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me LAYDEKER de la SCP LAYDEKER-SAMMARCELLI, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

La S.A. BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le n°542.097.902, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 14]

Représentée par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Philippe METAIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.A. CNP ASSURANCES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Localité 13]

Représentée par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES – BAKHOS, avocat au barreau de RENNES

La SCI DES [Adresse 20], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pessac sous le n°481.318.160, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Philippe LIEF, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

La société PROMOTION PICHET, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

La S.A.S. PROMOTION PICHET VENANT AUX DROITS DE LA SARL IG2P ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE CAPITALYS CONSEIL dissoute à la suite de la réunion de toutes ses parts sociales entre les mains de la SAS PROMOTION PICHET selon décision de l’associé unique, la SAS PROMOTION PICHET en date du 31.05.2019 prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

régulièrement assignée par acte d’huissier délivré le 25 novembre 2021 à personne habilitée, n’a pas constitué

FAITS ET PROCÉDURE

Courant de l’année 2000, la sci des [Adresse 20] a fait construire au lieudit [Adresse 17] à [Localité 15] un programme immobilier dénommé ‘[Adresse 20]’ éligible au dispositif fiscal de Robien dit ‘renforcé’, composé de 72 logements à usage d’habitation, dont elle a confié la commercialisation à la sarl Capitalys Conseil (devenue sarl IG2P, absorbée en cours de procédure par la sas Promotion Pichet) suivant un mandat de commercialisation du 30 mars 2007.

En mains une simulation fiscale du 27 juin 2008 mentionnant :

– un gain fiscal de 19.489,07 € au bout de 9 années,

– un gain de 48.931,03 € en cas de revente du bien après le délai de 9 ans,

M. et Mme [T] ont signé un contrat de réservation le 28 juin 2008 acte en mains puis, le 21 novembre 2008, ont fait l’acquisition au prix de 123.243 € acte en mains, intégralement financé par un crédit octroyé par la Bnp Paribas Personal France, d’un appartement de type T2 en état futur d’achèvement d’une superficie de 45,50 m² qui leur était livré le 3 décembre 2008 et dont ils confiaient la gestion locative avec assurance à la société Gestia (ultérieurement dénommée Pichet Immobilier Services).

Reprochant en 2013 des carences locatives, des loyers impayés et une surévaluation de la valeur de l’appartement, M. et Mme [T] ont, par actes d’huissier des 4, 8 et 12 décembre 2014, fait convoquer devant le tribunal de grande instance de Rennes (devenu tribunal judiciaire le 1er janvier 2020) :

– la sci des [Adresse 20], venderesse,

– la société IGP2 anciennement sarl Capitalys Conseil, commercialisatrice (aux droits de laquelle viendra la sas Promotion Pichet en cours de procédure),

– la sas Promotion Pichet, promoteur,

– maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires instrumentaires,

– maître [O] et la sarl Notaires Foch précédemment scp [O] Boutin Fournier, notaires procurateurs,

– l’établissement financier, la Bnp Paribas Personal Finance,

– et la sa Cnp Assurances, assureur du prêt,

aux fins de :

– à titre principal, nullité de la vente pour non-respect des dispositions du code de la consommation et, subsidiairement, pour dol,

– à titre subsidiaire, reconnaissance de la responsabilité des intervenants à la vente et indemnisation des différents préjudices,

– outre une indemnité au titre des frais de justice et la charge des dépens.

Par jugement du 1er juin 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a :

– rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’absence de publication de l’assignation au service de la publicité foncière,

– déclaré irrecevables :

* les conclusions notifiées par M. et Mme [T], motif pris d’une mention erronée de l’adresse de leur domicile,

* les demandes de nullité fondée sur l’inobservation des dispositions du code de la consommation et de nullité pour dol,

* les actions en responsabilité dirigées contre la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet et la Bnp Paribas Personal Finance, motif pris de la prescription des actions,

– rejeté au fond les actions en responsabilité dirigées contre maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires instrumentaires et contre maître [O] et la scp [O] Boutin Tournier

Bertrand, notaires procurateurs,

– condamné M. et Mme [T] aux dépens de l’instance,

– autorisé maître André et maître Pages à recouvrer les dépens en application de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné M. et Mme [T] à payer en application de l’article 700 du code de procédure civile :

– 1.000 € à la sci des [Adresse 20],

– 1.000 € à la sas Promotion Pichet,

– 1.000 € à maître [Z] et la scp [W] [Z] Brun,

– 1.000 € à la Bnp Paribas Personal Finance,

– 1.000 € à la Cnp Assurances.

M. et Mme [T] ont interjeté appel le 28 juillet 2021 de tous les chefs de jugement, sauf le rejet de la fin de non-recevoir tirée de l’absence de publication de l’assignation au service de la publicité foncière.

Pour mémoire, par ordonnance du 12 août 2022, le conseiller de la mise en état a :

– constaté les désistements d’instance et d’action de M. et Mme [T] à l’égard de la Cnp Assurances,

– constaté que ces désistements ont été acceptés par la Cnp Assurances,

– constaté l’extinction de l’instance entre M. et Mme [T] et la Cnp Assurances et le dessaisissement de la cour d’appel de celle-ci,

– dit que la Cnp Assurances conservera la charge des frais et dépens exposés par elle en première instance et en appel,

– s’est déclaré matériellement incompétent pour statuer sur la recevabilité formelle des conclusions de M. et Mme [T], point déféré à la cour,

– rejeté la demande d’irrecevabilité présentée par la sci des [Adresse 20] fondée sur le caractère nouveau de la demande liée au surcoût du crédit,

– s’est déclaré incompétent pour connaître de la prescription de la demande de M. et Mme [T] au titre du surcoût du crédit,

– condamné la sci des [Adresse 20] aux dépens de l’incident,

– condamné la sci des [Adresse 20] à payer à M. et Mme [T] la somme de 1.800 € au titre des frais irrépétibles,

– rejeté le surplus des demandes.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. et Mme [T] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 6 février 2023 auxquelles il est renvoyé.

Ils demandent à la cour d’appel de Rennes de :

I ‘ In limine litis, sur les fins de non-recevoir,

1/ Sur l’irrecevabilité des conclusions tirée de la soi-disant erreur d’adresse telle que mentionnée sur leurs conclusions successives,

– réformant le jugement dont appel,

– rejeter la fin de non-recevoir opposée à ce titre par la sci des [Adresse 20] et déclarer l’ensemble de leurs conclusions recevables,

2/ Sur la fin de non-recevoir tirée de la soi-disant non-publication de l’assignation,

– confirmant le jugement dont appel,

– rejeter la fin de non-recevoir opposée à ce titre par différents défendeurs,

3/ Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de 5 ans s’agissant de la reconnaissance de la responsabilité des différents intervenants pour dol et des demandes associées de réparation de préjudice,

– réformant le jugement dont appel,

– déclarer recevable l’action en responsabilité contre les différents intervenants pour dol, comme n’étant pas prescrite, dès lors que le point de départ de ladite prescription ne pouvait se situer ni à la date de l’acte d’acquisition, ni même à celle de la livraison effective du bien, mais à la date de la découverte des différents éléments de dol et de leur ampleur, lesquels sont successifs dans le temps,

– déclarer recevable la demande de réparation du préjudice lié au surcoût du crédit,

– en conséquence,

– rejeter la fin de non-recevoir pour cause de prescription opposée par les différents défendeurs quelle que soit la demande concernée,

– en conséquence,

– dire et juger que leur action est parfaitement recevable,

– rejeter les demandes des parties adverses sur la prescription,

II ‘ Sur la responsabilité des différents intervenants,

– rejeter les demandes des intimées et leurs appels incidents,

1/ Sur la responsabilité du vendeur la sci des [Adresse 20],

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner la sci des [Adresse 20] à les indemniser de leurs différents préjudices, dont le préjudice de perte de chance de ne pas s’être engagés dans l’opération, comme ayant manqué à son devoir de conseil, en particulier au titre de l’obligation précontractuelle, en établissant un programme de construction d’une résidence trompeur en particulier au regard des plaquettes et descriptifs réalisés et remis à leur domicile, en surévaluant le prix de l’appartement cédé artificiellement gonflé par les commissions versées aux différents intervenants, en construisant le projet dans une zone géographique déjà pourvue de nombreuses résidences locatives et faisant une présentation mensongère du projet dans le cadre de la simulation précontractuelle effectuée par son préposé,

2/ Sur la responsabilité du promoteur la sas Promotion Pichet,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner la sas Promotion Pichet à les indemniser de leurs différents préjudices, dont le préjudice de perte de chance de ne pas s’être engagés dans l’opération, comme ayant manqué à son devoir de conseil, en particulier au titre de l’obligation précontractuelle, en établissant un programme de construction d’une résidence trompeur en particulier au regard des plaquettes et descriptifs réalisés et remis au domicile, en surévaluant le prix de l’appartement cédé artificiellement gonflé par les commissions versées aux différents intervenants, en construisant le projet dans une zone géographique déjà pourvue de nombreuses résidences locatives, et faisant une présentation mensongère du projet dans le cadre de la simulation précontractuelle effectuée par son préposé,

3/ Sur la responsabilité du commercial, la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société iG2P à les indemniser de leurs différents préjudices, dont le préjudice de perte de chance de ne pas s’être engagés dans l’opération, en ce qu’elle a clairement manqué à son devoir de conseil notamment en présentant le choix de la résidence comme opportune, dans un secteur en pleine expansion selon elle, avec un fort potentiel locatif, et une plus-value à la revente, alors que le bien acquis est dans un secteur à faible potentiel locatif, avec une rotation rapide et importante des locataires, et en outre un prix de marché de revente des biens très inférieur au prix d’acquisition, rendant mensongère et inexacte l’information donnée quant au prix de revente,

– condamner de plus fort la sas Promotion Pichet en ce que les simulations remises par le commercial de la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, lors des rendez-vous à leur domicile comportent des informations fixes déjà acquises avant même la signature du contrat préliminaire de réservation, dans laquelle seule l’économie d’impôt est mise en exergue, comme s’il s’agissait d’une trésorerie effective, avec une possibilité de sortie à moyen terme et un gain final sur la revente du bien,

4/ Sur la responsabilité du notaire instrumentaire maître [Z] et de la scp [W] [Z] et Pierre Brun,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun à les indemniser de leurs différents préjudices dès lors qu’ils ont manqué à son obligation de conseil, de loyauté et d’information générale, en ne renseignant pas leurs clients sur les caractéristiques de l’opération en loi de Robien, sur la pertinence du prix d’acquisition au regard du prix moyen de vente sur le secteur géographique concerné et sur les modalités exactes de son acquisition au regard par ailleurs d’une acquisition dans le cadre d’une loi de défiscalisation,

– condamner de plus fort maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun en tant que notaire unique de l’ensemble de l’opération de promotion de la [Adresse 20] qui détenaient l’ensemble des éléments d’information sur la résidence, son lieu d’implantation, la valeur d’acquisition dans ce secteur géographique, en tant que notaire unique pour tous les acquéreurs qui auraient dû solliciter plus d’informations de la part du promoteur notamment quant à l’évaluation du prix de vente, puis du prix locatif afin de pouvoir se faire leur propre avis sur l’opportunité économique de l’opération et auraient surtout dû dans le cadre d’un devoir d’information et de conseil minimum adresser à l’ensemble des acquéreurs une note sur l’acquisition en loi de défiscalisation de Robien, ainsi que sur les risques éventuels qu’elle peut faire peser sur l’équilibre de l’opération en cas de carence locative et d’une valeur d’acquisition surdimensionnée par rapport au prix du marché local,

5/ Sur la responsabilité du notaire procurateur maître [O],

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner la scp [F] [O] et Bruno Boutin et, ou maître [F] [O], notaire procurateur, à les indemniser de leurs différents préjudices, en raison de leur obligation de conseil, de loyauté, et d’information générale, en ne renseignant pas leurs clients sur les caractéristiques de l’opération, sur l’opportunité d’un investissement dans ce secteur, et sur les conséquences exactes de leur acquisition, en particulier en présence d’une demande de procuration laquelle rendait encore plus fragile leurs clients, pour connaître les données exactes de l’opération, en particulier lorsque le contact initial était pris par le commercial du promoteur, et non par les clients eux-mêmes,

6/ Sur les demandes résultant de ces responsabilités,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, et la scp [F] [O] et Bruno Boutin, et, ou maître [F] [O], notaire procurateur, au paiement de la somme de 62.594 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice de perte de chance de M. et Mme [T],

– condamner solidairement la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaire instrumentaire et la scp [F] [O] et Bruno Boutin, et, ou maître [F] [O], notaire procurateur au paiement de la somme de 40.048 € à titre de dommages et intérêts complémentaires, au titre du surcoût du crédit payé à tort par M. et Mme [T], seconde composante de leur préjudice de perte de chance,

– condamner solidairement la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, la scp [F] [O] et Bruno Boutin, et/ou maître [F] [O], notaire procurateur, au paiement de la somme de 14.500 € au titre du préjudice subi du fait de la carence locative, à titre de dommages et intérêts complémentaires au profit de M. et Mme [T],

III ‘ Sur la responsabilité spécifique de la Bnp Paribas Personal Finance,

– infirmant le jugement dont appel,

1/ Sur la responsabilité de la banque au regard de cette opération et du prêt proposé à M. et Mme [T],

– condamner la banque Bnp Paribas au paiement de la somme de 20.000 € à titre d’indemnisation du préjudice spécifique des concluants à ce titre, à savoir la perte de chance de ne pas s’être engagés dans cette opération d’acquisition, et plus précisément dans ce type d’emprunt, qui s’avère inapproprié à leur situation en particulier au regard de sa durée, et ce au regard du devoir d’information et de conseil de la banque,

– condamner la banque Bnp Paribas, pour cette responsabilité spécifique lié à son devoir d’information et de conseil, au paiement des sommes suivantes à titre de dommages et intérêts complémentaires :

* remboursement des frais de dossier du prêt,

* remboursement de l’assurance de prêt souscrite pour les échéances payées à ce jour,

* remboursement de l’assurance de prêt souscrite pour l’avenir qui prendra la forme de la diminution de la mensualité,

* remboursement de tous les frais annexes perçus sur le relevé de compte afférent à ce prêt,

IV ‘ A titre complémentaire sur les autres demandes formulées dans tous les cas de condamnation,

1/ Sur le préjudice moral,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner solidairement la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, la scp [F] [O] et Bruno Boutin et la scp [F] [O] et Bruno Boutin, et, ou maître [F] [O], notaire procurateur au paiement de la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, administratif et psychologique de M. et Mme [T],

2/ Sur l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmant le jugement dont appel,

– réformer la décision en ce qu’elle a accordé aux différents défendeurs une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, M. et Mme [T] demeurant en tout état de cause les victimes de cet investissement immobilier,

– y ajoutant en cause d’appel,

– condamner solidairement la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaire instrumentaire, et la scp [F] [O] et Bruno Boutin », et, ou maître [O], notaire procurateur, et la banque Bnp Paribas à verser à M. et Mme [T] la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles,

– rejeter en cause d’appel toute demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile par les parties défenderesses, ce qui serait une inéquité de plus à l’endroit de M. et Mme [T],

3/ Sur les dépens,

– infirmant le jugement dont appel,

– condamner en outre, sous la même solidarité, la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet, à nouveau la sas Promotion Pichet venant aux droits de la société IG2P, maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, la scp [F] [O] et Bruno Boutin, et maître [F] [O], notaire procurateur aux entiers dépens, et ce incluant le coût :

* des frais de signification des assignations dans le cadre de la présente instance,

* de leurs publications à la conservation des hypothèques,

* de la publication du jugement à intervenir à la conservation des hypothèques,

* de la signification de l’arrêt à intervenir aux différentes parties.

La sci des [Adresse 20] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 19 février 2023 auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

A titre principal :

– lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à justice sur le chef du jugement ayant déclaré irrecevable l’ensemble des conclusions notifiées par M. et Mme [T],

– confirmer le surplus du jugement entrepris,

– à titre subsidiaire, dans l’éventualité dans laquelle la cour, par réformation du jugement, écarterait la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en responsabilité contre la sci des [Adresse 20] :

– débouter les appelants de leur demandes indemnitaires à son égard,

– à titre également subsidiaire, en cas de condamnation de la sas Promotion Pichet venant aux droits de la sarl IG2P,

– débouter cette dernière de sa demande de garantie formée à son encontre,

– en tout état de cause,

– condamner les appelants et toute partie déboutée de ses demandes à son égard de la sci des [Adresse 20], à payer à la sci des [Adresse 20] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance et frais éventuels d’exécution, avec application au profit de maître Perot, avocat au barreau de Rennes, des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La sas Promotion Pichet expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 février 2023 auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

– confirmer le jugement,

– en conséquence,

– juger irrecevables car prescrites les demandes de M. et Mme [T],

– à titre subsidiaire et si par extraordinaire, la cour devait déclarer recevables les demandes de M. et Mme [T],

– dire et juger que la société sas Promotion Pichet n’est ni le vendeur ni le promoteur de la [Adresse 20],

– dire et juger que la société IG2P aux droits de laquelle elle vient n’a commis aucune faute,

– en conséquence,

– débouter M. et Mme [T] de leurs demandes,

– à titre infiniment subsidiaire, dans l’éventualité où la cour prononcerait une condamnation à son encontre de la sas Promotion Pichet,

– condamner la sci des [Adresse 20] à la garantir et relever indemne desdites condamnations,

– en tout état de cause,

– débouter M. et Mme [T] et toute partie qui viendrait à conclure à son encontre de leurs demandes,

– condamner M. et Mme [T], ou toute autre partie succombante, au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. et Mme [T], ou toute autre partie succombante, aux entiers dépens de l’instance.

La sarl IG2P (anciennement sarl Capitalys Conseil), aux droits de laquelle est venue la sas Promotion Pichet, n’a pas conclu en tant que telle.

Maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 20 février 2023 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour de :

– réformer le jugement en ce qu’il a jugé recevable l’action engagé à leur encontre,

– et statuant à nouveau,

– déclarer irrecevable car prescrite l’action en responsabilité dirigée contre maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires associés,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

* déclarer irrecevables les conclusions notifiées par M. et Mme [T],

* rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’absence de publication de l’assignation au service de la publicité foncière,

* déclarer irrecevable car prescrite la demande de nullité fondée sur l’inobservation des dispositions issues du droit de la consommation,

* déclarer irrecevable car prescrite la demande de nullité pour dol,

* déclarer irrecevables car prescrites les actions en responsabilité dirigées contre la sci des [Adresse 20], la sas Promotion Pichet et la SA Bnp Paribas Personal Finance,

– rejeté au fond les actions en responsabilité dirigées contre maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires associés et contre maître [O] et la scp [F] [O], Bruno Boutin, Fabien Tournier, Olivier Bertrand, notaires associés,

– à titre subsidiaire et si par extraordinaire, la cour devait déclarer recevables les demandes de M. et Mme [T],

– débouter M. et Mme [T] de leurs demandes à leur encontre,

– en tout état de cause,

– débouter la Bnp Paribas Personal Finance de ses demandes à leur encontre,

– condamner M. et Mme [T] à leur payer une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. et Mme [T] au paiement des entiers dépens dont distraction au profit de maître André, avocat, sous ses affirmations de droit.

Maître [O] et la sarl Notaires Foch (antérieurement scp [F] [O] Bruno Boutin Fabien Tournier Olivier Bertrand) exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 23 août 2022 auxquelles il est renvoyé.

Ils demandent à la cour de :

– confirmer le jugement ayant débouté M. et Mme [T] de leurs demandes dirigées contre eux,

– y ajoutant,

– condamner M et Mme [T] aux dépens recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

– condamner M. et Mme [T] à leur payer une indemnité de 2.500 € au titre des frais irrépétibles.

La Bnp Paribas Personal Finance expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 3 février 2023 auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré,

– et statuant à nouveau,

– à titre principal,

– juger que la demande de mise en ‘uvre de sa responsabilité pour manquement à son obligation d’information, de mise en garde et de conseil est prescrite,

– juger irrecevable toute demande formée ou relevée d’office tendant à voir réputée non écrite la clause de monnaie de compte,

– en conséquence,

– déclarer irrecevables les demandes de M. et Mme [T] à son encontre,

– à titre subsidiaire,

– juger que la société Bnp Paribas Personal Finance n’a pas failli à ses obligations à l’égard de M. et Mme [T],

– juger que M. et Mme [T] ne démontrent pas l’existence d’un préjudice causé par la prétendue faute de la société Bnp Paribas Personal Finance,

– en conséquence,

– débouter M. et Mme [T] de leur demande de condamnation de la société Bnp Paribas Personal Finance à réparer le préjudice qu’ils prétendent subir pour manquement à son obligation d’information et de conseil,

– en tout état de cause,

– juger que la clause de monnaie de compte stipulée en francs suisses dans le prêt Helvet Immo n’entre pas dans le champ des clauses abusives en ce qu’elle définit l’objet principal du contrat et qu’elle est rédigée de manière claire et compréhensible,

– à titre subsidiaire, juger que la clause de monnaie de compte stipulée en francs suisses dans le prêt Helvet Immo n’est pas abusive en ce qu’elle ne créé aucun déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties,

– dire et juger que le prêt Helvet Immo ne comporte pas de clauses abusives et que l’ensemble des clauses sont opposables à M. et Mme [T] qui doivent les exécuter,

– débouter M. et Mme [T] de leurs demandes,

– condamner la partie qui succombera au paiement d’une somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

MOTIFS DE L’ARRÊT

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de ‘constater’, ‘dire’ ou ‘dire et juger’ qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu’elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.

1) Sur la recevabilité des conclusions de première instance de M. et Mme [T]

La sci des [Adresse 20], prenant acte des explications de M. et Mme [T], précise qu’elle abandonne sa demande d’irrecevabilité des conclusions de première instance des appelants fondée sur l’absence de mention de l’adresse de leur domicile personnel et s’en remet sur la demande d’infirmation du jugement sur ce point.

Aussi, il sera rappelé de manière suffisante que M. et Mme [T] étaient en début d’instance domiciliés ‘[Adresse 21]’ à [Localité 22], sans numéro de rue, laquelle adresse était ainsi mentionnée sur leurs conclusions de première instance, et qui, pendant le cours de la procédure, a subi un changement de nom de rue pour devenir le ‘[Adresse 2]’, sans changement de domicile.

En conséquence, les conclusions de première instance M. et Mme [T] seront déclarées recevables, étant précisé que leurs conclusions d’appel, qui seules sont prises en considération en cause d’appel en application de l’article 954 alinéa 4, mentionnent leur adresse nouvellement dénommée.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

2) Sur la nullité de la vente immobilière et ses conséquences

M. et Mme [T] précisent qu’ils renoncent à leurs demandes de nullité de la vente immobilière, de restitution du prix et d’annulation du prêt fondées sur le non-respect du code de la consommation et du code de la construction et de l’habitation et, subsidiairement, sur le dol, expliquant que le temps s’est écoulé et que leur situation juridique au regard du dispositif dit de Robien renforcé leur permet désormais d’envisager une revente du bien. Ils indiquent qu’ils cantonnent leurs demandes et argumentations à la réparation de leurs différents préjudices notamment de perte de chance, en lien avec l’acquisition litigieuse.

Le jugement, qui a rejeté les demandes de nullité, sera confirmé sur ce point.

3) Sur les manquements à l’obligation d’information et au devoir de conseil

M. et Mme [T] soutiennent que le promoteur, la sas Promotion Pichet, la venderesse, la sci des [Adresse 20], et la société commercialisatrice, la sarl Capitalys Conseil, ont manqué à leur devoir de conseil, en particulier au titre de l’obligation précontractuelle, en promouvant un programme immobilier défiscalisé trompeur au regard des plaquettes et descriptifs réalisés et remis à leur domicile, en surévaluant le prix de l’appartement artificiellement gonflé par les commissions versées aux différents intervenants, en construisant le projet dans une zone géographique déjà pourvue de nombreuses résidences locatives et en faisant une présentation mensongère du projet dans le cadre de la simulation précontractuelle alors que le bien acquis est situé dans un secteur à faible potentiel locatif, avec une rotation rapide et importante des locataires et qu’en outre, le prix de marché de revente des biens est très inférieur au prix d’acquisition.

Ils reprochent au notaire instrumentaire de ne pas les avoir renseignés sur les caractéristiques de l’opération en loi de Robien, sur la pertinence du prix d’acquisition au regard du prix moyen de vente sur le secteur géographique concerné et sur les modalités exactes de leur acquisition au regard par ailleurs d’une acquisition dans le cadre d’une loi de défiscalisation alors qu’il détenait l’ensemble des éléments d’information sur la résidence, son lieu d’implantation, la valeur d’acquisition dans ce secteur géographique et, en tant que notaire unique pour tous les acquéreurs, aurait dû solliciter plus d’informations de la part du promoteur notamment quant à l’évaluation du prix de vente, puis du prix locatif afin de pouvoir se faire son propre avis sur l’opportunité économique de l’opération, et aurait surtout dû dans le cadre d’un devoir d’information et de conseil minimum adresser à l’ensemble des acquéreurs une note sur l’acquisition en loi de défiscalisation de Robien, ainsi que sur les risques éventuels qu’elle peut faire peser sur l’équilibre de l’opération en cas de carence locative, et, ou d’une valeur d’acquisition surdimensionné par rapport au prix du marché local.

Ils font le même reproche au notaire procurateur, relevant qu’en présence d’un mécanisme de procuration, leur situation était rendue encore plus fragile pour connaître les données exactes de l’opération, en particulier lorsque le contact initial était pris par le commercial du promoteur, et non par les clients eux-mêmes.

Enfin, ils reprochent à l’établissement bancaire un manquement à son obligation d’information et à son devoir de conseil tant au titre de l’absence de renseignement sur la globalité de l’opération que sur l’absence d’information sur le prêt proposé qui s’est selon eux avéré inapproprié à leur situation en particulier au regard de sa durée, à savoir une durée maximale de 360 mois.

S’agissant de la prescription de leur action, ils estiment que le point de départ ne peut être la date de l’acquisition, ni celle de la livraison de l’appartement, ni même la première longue période de carence locative, mais doit se situer, en présence d’une opération d’investissement portée par un promoteur puissant, peu scrupuleux et âpre au gain, oeuvrant dans un système intégré et en apparence sécurisé, au jour où ils ont été en possession de l’ensemble des informations permettant de caractériser le défaut de rentabilité tant dans sa consistance que dans son ampleur, à savoir une carence locative significative ayant duré anormalement, doublée de l’information de la résiliation de l’assurance empêchant toute prise en charge des loyers impayés, et une évaluation du bien à la fin de la période de défiscalisation bien inférieure à celle annoncée.

Ils demandent réparation du préjudice de perte de chance de ne pas s’être engagés dans l’opération.

Les intimés répliquent que le point de départ du délai de prescription ne saurait être fixé au jour de l’estimation sollicitée en 2020 par les acquéreurs ou encore au dénouement de l’opération fiscale dès lors qu’en présence d’un potentiel locatif insuffisant, ceux-ci étaient en mesure d’agir dès le mois de novembre 2009, outre qu’ils pouvaient faire évaluer leur bien dès la signature du contrat de réservation le 28 juin 2008, ou au jour de la signature de l’acte authentique le 21 novembre 2008 ou encore au jour de la livraison de l’appartement le 3 décembre 2008. Ils soulignent par ailleurs que M. et Mme [T] ont bénéficié des déductions fiscales attendues.

En droit, l’article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Il est de jurisprudence désormais établie qu’en matière d’investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l’acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat (Cass. civ. 3ème, 26 octobre 2022, n° 21-19.898, Cass. civ. 3ème, 26 oct. 2022, n° 21-19.900).

L’obligation précontractuelle d’information a des limites en ce sens que le créancier de l’obligation n’est pas dispensé d’un devoir de prudence et de diligence. Si ce dernier est renforcé pour l’acheteur professionnel, l’acquéreur non professionnel n’est quant à lui pas entièrement dispensé de cette obligation de s’informer. (Cass. civ. 3ème, 12 octobre 1994, n° 92-16.341).

Il convient donc de s’interroger sur les faits susceptibles de révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.

3.1) Au cas particulier, s’agissant du promoteur, du vendeur et du commercialisateur, ainsi que l’ont retenu les premiers juges, la vente de l’appartement s’inscrivait dans un dispositif complexe faisant intervenir plusieurs sociétés du groupe Patrice Pichet, promoteur, commercialisateur et gestionnaire, dans la perspective d’une mise en location permettant aux acquéreurs de bénéficier du dispositif de Robien, ce qui constituait bien le motif principal, si ce n’est l’unique mobile, de l’engagement contractuel de M. et Mme [T], ce que n’ignorait pas la sci des [Adresse 20].

Respectivement informaticien et ingénieur au moment de l’opération immobilière, M. et Mme [T] disposent à cette époque d’un revenu brut global de 101.846 € (avis d’imposition 2007). Le cumul de leurs salaires avant déduction forfaitaire de 10 % et déduction du déficit de leurs revenus fonciers s’élève à 48.959 € + 70.084 € = 119.043 €, soit 9.920 € par mois. Ils sont donc légitimement intéressés à réduire leur imposition.

En ce sens, la simulation fiscale remise le 27 juin 2008 par la société Capitalys Conseil à M. et Mme [T] leur annonce un gain fiscal de 19.489,07 € au bout de 9 années et un gain de 48.931,03 € en cas de revente du bien après le délai de 9 ans, le tout sous la condition d’une location durable et permanente de l’appartement.

Le descriptif de l’opération a ainsi vanté les atouts de la commune de [Localité 15] et contenait une étude locative favorable motivée par la situation du programme, décrit comme étant de qualité, implanté dans une capitale universitaire, s’intégrant parfaitement dans l’architecture locale, situé dans un espace paysager également qualitatif à proximité du centre-ville et présentant l’avantage de répondre à une demande réelle d’appartement de type Tl au T4 en déficit sur la commune.

Etait également vanté l’adossement de l’investissement à une assurance locative fournie par une filiale du groupe Pichet, la société Pichet Gestion, garantissant l’indemnisation des carences locatives et des non-paiements des loyers, le tout permettant d’assurer le remboursement de l’emprunt.

Or, l’appartement ayant été livré le 3 décembre 2008, ce n’est que le 11 novembre 2009 que le 1er locataire est entré dans les lieux, soit au début du 12ème mois suivant cette livraison.

Privé dès le départ de locataire et ce jusqu’en novembre 2009, soit pendant près de 11 mois, l’investissement immobilier a donc présenté dès son origine des difficultés locatives que le temps écoulé permet de qualifier de structurelles.

Pour autant, M. et Mme [T] ne justifient pas de démarches de réclamation à cette époque sur les raisons de l’absence de candidats à la location.

Au contraire, ils ont accepté une baisse du loyer.

En effet, alors que le loyer était censé être d’un montant de 380,00 € par mois (cf. mandat de gestion du 1er décembre 2008 donné à Gestia), il a été réduit dès l’entrée du 1er locataire à 350 € par mois (cf. location Gorin à compter du 11 novembre 2009, pièce [T] n° 32 à 39).

Cette vacance locative d’origine d’une durée de plus de 11 mois, couplée à une diminution d’emblée du loyer, est significative et anormale pour un investissement immobilier dont la rentabilité est précisément fondée sur la mise en location immédiate et permanente au prix initialement annoncé.

Pour M. et Mme [T], les indicateurs de rentabilité font donc défaut, à tout le moins au plus tard au mois de novembre 2009.

Du reste, arguant d’une aggravation du nombre de sinistres ‘vacances locatives’, la société Pichet Gestion leur fera connaître que la police d’assurance était résiliée avec effet au 1er janvier 2015.

Surtout, il est soutenu par M. et Mme [T] que la [Adresse 20] est implantée dans une zone présentant de nombreux terrains à la vente à bas prix, est dépourvue de tout attrait particulier, spécialement du point de vue locatif, que le programme présenté au vu de la plaquette commerciale ne reflète absolument pas la réalité, tant du point de vue de la qualité de la construction que des environnements immédiats, et de ses visuels d’environnement paysagé.

De fait, l’implantation immobilière est réalisée en campagne dans un endroit isolé, éloigné de la métropole rennaise de près de 30 km, éloigné des côtes maritimes, n’étant accessible que par le seul réseau routier secondaire, sans réel bassin d’emploi, le village de [Localité 15] ne comptant que 1161 habitants en 2008, ce qui conduit à devoir s’interroger sur le caractère disproportionné de l’offre de logements par rapport aux besoins, outre que le prix du studio de 26 m² et de son parking extérieur, soit 90.000 € TTC (la décomposition du prix n’étant pas communiquée), correspondait plutôt aux prix pratiqués sur la place rennaise.

La plaquette commerciale a du reste vanté les atouts de la Bretagne et de la ville de [Localité 19], avant de conclure qu’aucune des infrastructures d’importance ne se trouvait à moins de 30 minutes ou 30 kilomètres de la commune de [Localité 15], lieu d’implantation du programme.

Enfin, il faut évoquer le retournement de la conjoncture économique à la fin de l’année 2008 qui a déjoué les prévisions qui avaient été celles des parties au contrat quelques mois plus tôt lorsqu’elles se sont engagées.

Pour autant, en possession dès les premiers mois d’exploitation locative de ces éléments déterminants de la rentabilité de l’investissement fiscal et de ces indicateurs négatifs, M. et Mme [T] ne se sont pas informés de la réalisation effective de l’immeuble, de ses finitions, de son environnement, de son accessibilité. Ils ne se sont pas déplacés sur les lieux de leur acquisition, n’ont pas visité le bien, n’ont pas cherché à se renseigner sur sa valeur, ce qui s’analyse, quoi qu’ils en disent, en un manquement à la prudence et à la diligence requise, alors que leur investissement ne peut en effet être totalement décorrélé de son support, à savoir un bien immobilier.

C’est donc dès la période de décembre 2008 à novembre 2009 que l’investissement immobilier s’est trouvé amputé de ses leviers déterminants de rentabilité fiscale, ce que n’ignoraient pas M. et Mme [T], amputation qui démontrait que l’objectif contractuel de rentabilité tel qu’initialement annoncé ne serait en toute hypothèse jamais atteint et ce, indépendamment du prix de revente à la fin de la période de défiscalisation, revente dont il n’est du reste rien dit par les acquéreurs, pas plus que des déductions fiscales dont M. et Mme [T] ont bénéficié.

En présence de ces difficultés significatives de location existantes pendant une année dès l’origine du programme (3 décembre 2008 au 11 novembre 2009), qui révélaient dès cette date l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, M. et Mme [T] n’ont toutefois assigné que les 4, 8 et 12 décembre 2014, soit à une date postérieure à l’expiration du délai de 5 ans prévu à l’article 2224 du code civil ci-dessus rappelé, l’action de M. et Mme [T] à l’encontre du promoteur, du vendeur et du commercialisateur est prescrite.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

3.2) S’agissant des notaires, ceux-ci sont tenus de veiller à l’efficacité des actes qu’ils établissent et d’éclairer les parties sur les conséquences qui s’y attachent.

Plus particulièrement, le notaire instrumentaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée, les effets et les risques, notamment juridiques et fiscaux, de l’acte par lequel elles s’engagent, dans la limite des possibilités de contrôle et de vérification qui lui sont offertes, des informations connues des parties et sans avoir à porter d’appréciation sur l’opportunité économique de l’opération (Cass. civ. 3ème, 20 avril 2022, n° 21-12.300). Ainsi, en l’absence d’éléments de nature à alerter le notaire sur des difficultés à venir, celui-ci n’a pas l’obligation de vérifier la faisabilité et les risques de l’opération (Cass. civ. 1ère, 2 févr. 2022, n° 20-14.296).

Ces devoirs s’apprécient au regard des seules nature et portée de l’acte, de sorte que pour le notaire procurateur ‘ une procuration ayant pour objet de consentir à un tiers un pouvoir déterminé en vue de réaliser une opération définie ‘, le devoir de conseil et d’efficacité a trait à ce seul objet et non à l’acte en vue duquel la procuration est consentie.

De même, l’action en responsabilité pour faute est soumise au délai de prescription de l’article 2224 ci-dessus rappelé.

Au cas particulier, maître [O] a reçu la procuration le 27 octobre 2008, qui a été donnée à un clerc de notaire de l’étude de maître [Z], tandis que maître [Z], notaire du programme, a régularisé l’acte authentique de vente le 21 novembre 2008, M. et Mme [T] n’ayant formulé aucun grief à l’égard de l’un ou de l’autre de ces actes.

La simulation fiscale, dont il n’est pas soutenu que maître [Z] en ait été destinataire, n’était pas un document nécessaire à l’efficacité de l’acte authentique.

Par ailleurs, M. et Mme [T] savaient qu’en raison de la longueur de l’emprunt, soit 25 ans, le déficit mensuel devait perdurer au-delà de la fin des avantages fiscaux le 21 novembre 2017.

Enfin, M. et Mme [T] ne démontrent pas avoir été empêchés de se déplacer personnellement à l’étude de maître [Z] pour y signer l’acte authentique de leur acquisition. Ils ont au contraire acquiescé au système intégré qui leur était proposé pour acquérir un bien en défiscalisation dans lequel chaque intervenant participait en sa compétence propre à la promotion, à la réalisation et à l’exploitation.

Ayant assigné seulement les 4, 8 et 12 décembre 2014, soit plus de 5 ans après la réception desdits actes, leur action en responsabilité des notaires est prescrite.

Le jugement, qui a débouté au fond, sera infirmé sur ce point. Statuant à nouveau, la cour déclarera l’action prescrite.

3.3) Enfin, s’agissant de la Bnp Paribas Personal Finance, à laquelle le régime de la prescription de l’article 2224 est pareillement applicable, la jurisprudence retient que la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance, que le dommage résultant d’un manquement à l’obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l’octroi des crédits (Cass. com., 26 janvier 2010, n° 08-18.354, Cass. com., 27 mars 2012, n° 11-13.719, Cass, com., 3 décembre 2013, n° 12-26.934), sauf si la preuve est rapportée par l’emprunteur pouvait légitimement ignorer ce dommage. (Cass. civ. 1ère, 12 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.434).

En l’espèce, il ressort du document ‘Accusé de réception et acceptation de l’offre de crédit’ que M. et Mme [T] ont déclaré avoir reçu leur offre de prêt le 26 août 2008 et l’accepter le 6 septembre 2008. Le contrat de prêt a donc été formé le 6 septembre 2008, date de l’acceptation de l’offre de prêt par les emprunteurs. Il contenait la durée d’emprunt soit 25 ans, à laquelle M. et Mme [T] ont donné leur accord.

C’est à cette date qu’ils se sont trouvés en possession des éléments leur permettant d’agir s’ils devaient ultérieurement estimer que la durée de ce crédit était inappropriée notamment eu égard à leur âge et que le point de départ de la prescription doit dès lors être fixé.

Il résulte de ce qui précède que les demandes formées par M. et Mme [T] par assignation délivrée le 4 décembre 2014 au titre d’un manquement de Bnp Paribas Personal Finance à ses obligations contractuelles sont également prescrites.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

4) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, M. et Mme [T] supporteront les dépens d’appel.

Le jugement sera confirmé s’agissant des dépens de première instance.

Enfin, eu égard aux circonstances de l’affaire, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles dans la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Le jugement sera confirmé s’agissant des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Nantes du 1er juin 2021 SAUF en ce qu’il a :

– déclaré irrecevable les conclusions notifiées en première instance par M. et Mme [T],

– rejeté au fond les actions en responsabilité dirigées contre maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires instrumentaires, et contre maître [O] et la scp [O] Boutin Tournier Bertrand, notaires procurateurs,

Statuant à nouveau,

Déclare recevables les conclusions notifiées en première instance par M. et Mme [T],

Déclare prescrites les actions en responsabilité dirigées contre maître [Z] et la scp [W] [Z] et Pierre Brun, notaires instrumentaires, et contre maître [O] et la scp [O] Boutin Tournier Bertrand, notaires procurateurs,

Condamne M. et Mme [B] et [C] [T] aux dépens d’appel,

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x