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1 août 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
21/01127
SA AXA FRANCE IARD
C/
SAS JCR
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE DIJON
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 1er AOUT 2023
N° RG 21/01127 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYRR
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : jugement du 26 juillet 2021,
rendue par le tribunal de commerce de Chalon sur Saône – RG : 2021/001041
APPELANTE :
SA AXA FRANCE IARD, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général domicilié en cette qualité au siège :
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Fabrice CHARLEMAGNE, membre de la SCP BEZIZ-CLEON – CHARLEMAGNE-CREUSVAUX, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 17
INTIMÉE :
SAS JCR, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié de droit au siège :
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Christophe BALLORIN, membre de la SELARL BALLORIN- BAUDRY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 9
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 mai 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de Chambre. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de Chambre,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
Sophie BAILLY, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT,
DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 27 Juin 2023 pour être prorogée au 1er Août 2023,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de Chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS JCR exploite un restaurant bar brassserie sous l’enseigne ‘Au bureau’ à [Localité 3].
Le 3 août 2018, elle a souscrit auprès d’AXA un contrat d’assurance multirisque petites et moyennes entreprises, garantissant notamment les conséquences financières de l’arrêt d’activité. Selon les conditions particulières du contrat, cette garantie a été étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l’assuré ; 2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication. Il est stipulé en caractères majuscules que sont exclues les pertes d’exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
La société JCR expose que suite à l’arrêté pris le 14 mars 2020 par le ministre des solidarités et de la santé et au décret du 29 octobre 2020 pris par le Premier ministre, le restaurant qu’elle exploite a été fermé du 14 mars au 2 juin 2020 puis du 29 octobre 2020 au 19 mai 2021.
Ayant vainement sollicité auprès d’Axa la mise en oeuvre de la garantie pertes d’exploitation, elle l’a fait assigner, par acte du 22 mars 2021, devant le tribunal de commerce de Chalon sur Saône, qui par jugement du 26 juillet 2021, a, au visa des articles 1103, 1170 et 1171, 1188, 1190 à 1192 du code civil et L. 113-1, L. 112-4 et L. 121-1 du code des assurances :
– dit et jugé que la clause d’exclusion répond au caractère formel de l’article L. 113-1 du code des assurances,
Mais,
– dit que la clause d’exclusion qui conditionne l’application de la garantie de perte d’exploitation à l’existence d’une épidémie limitée à un seul établissement dans un département, conduit à en supprimer la garantie, de sorte que cette clause ne répond pas à la condition de limitation prévue à l’article 113-1 du code des assurances,
– dit également que cette clause qui aboutit à faire disparaître la perte d’exploitation en cas d’épidémie, prive de sa substance l’obligation essentielle de la compagnie AXA France, au sens de l’article 1170 du code civil,
En conséquence,
– jugé que la clause doit être réputée non écrite, conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil et que la société JCR devra donc être garantie par la compagnie AXA France pour les pertes d’exploitation subies pendant l’application de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation de la COVID-19 ;
– ordonné, aux frais avancés par la société JCR, une expertise judiciaire pour déterminer avec exactitude le montant dû à celle-ci au titre de la garantie perte d’exploitation et nommé à cet effet M. [P] [B],
– fixé la provision sur indemnité à déterminer après l’expertise judiciaire, comme égale au montant maximal de la garantie prévu au contrat, c’est à dire 300 fois l’indice fixé à 589,08 euros à la date de souscription, soit une somme de 176 700 euros,
– condamné la compagnie AXA France à payer à la société JCR la somme de 176 700 euros à titre de provision sur l’indemnité de perte d’exploitation restant à déterminer par le tribunal après l’expertise judiciaire,
– dit que l’astreinte n’est pas nécessaire a l’exécution de la décision,
– dit qu’il n’y a pas lieu à suspendre l’exécution provisoire de droit,
– condamné la compagnie AXA France à payer à la société JCR la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la compagnie AXA France en tous les dépens de l’instance.
La SA AXA France Iard a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 26 août 2021.
Aux termes du dispositif de ses conclusions n°5, notifiées le 12 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la SA AXA France Iard demande à la cour, au visa des articles 1103, 1170 et 1192 du code civil et L. 113-1, L. 112-4 et L. 121-1 du code des assurances, de :
– déclarer recevable et bien fondé son appel,
A titre principal,
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a jugé que la clause d’exclusion respecte le caractère formel exigé par l’article L. 113-1 du code des assurances,
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il :
. a dit que la clause d’exclusion qui conditionne l’application de la garantie de perte d’exploitation à l’existence d’une épidémie limitée à un seul établissement dans un département, conduit à en supprimer la garantie, de sorte que cette clause ne répond pas à la condition de limitation prévue à l’article L.113-1 du code des assurances,
. a dit également que cette clause qui aboutit à faire disparaître la perte d’exploitation en cas d’épidémie, prive de sa substance son obligation essentielle, au sens de l’article 1170 du code civil,
. a jugé que la clause doit être réputée non écrite, conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil, et que la société JCR devra donc être garantie pour les pertes d’exploitation subies pendant l’application de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation de la COVID-19 ;
. a ordonné, aux frais avancés par la société JCR, une expertise judiciaire pour déterminer avec exactitude le montant dû à celle-ci au titre de la garantie perte d’exploitation et nommé à cet effet M. [P] [B],
. a fixé la provision sur indemnité à déterminer après l’expertise judiciaire, comme égale au montant maximal de la garantie prévu au contrat, c’est a dire 300 fois l’indice fixé à 589,08 euros à la date de souscription, soit une somme de 176 700 euros,
. l’a condamnée à payer à la société JCR la somme de 176 700 euros à titre de provision sur l’indemnité de perte d’exploitation restant à déterminer par le tribunal après l’expertise judiciaire,
. l’a condamnée en tous les dépens et à payer à la société JCR la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d’exclusion au regard du caractère limité exigé par l’article L. 113-1 du code des assurances et de l’article 1170 du code civil,
Statuant à nouveau,
– juger que l’extension de garantie relative aux pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie est assortie d’une clause d’exclusion qui est applicable en l’espèce,
– juger que cette clause d’exclusion ne vide pas l’extension de garantie de sa substance et ne prive pas son obligation essentielle de sa substance,
– juger irrecevables par application de l’article 564 du code de procédure civile la nouvelle demande de condamnation formulée contre elle au titre d’un prétendu manquement à son devoir d’information et de conseil et la nouvelle demande fondée sur l’article L. 112-4 du code des assurances et subsidiairement les déclarer mal fondées,
– en conséquence, débouter la société JCR de l’intégralité de ses demandes et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l’exécution provisoire du jugement dont appel,
– à titre subsidiaire, infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a retenu que le montant du plafond de garantie de 300 fois l’indice s’élèverait à 176 700 euros,
En tout état de cause,
– débouter la société JCR de toutes demandes, fins ou prétentions contraires au dispositif de ses conclusions,
– condamner la société JCR aux entiers dépens de première instance et d’appel et à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses conclusions n°4 notifiées le 6 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien de ses prétentions, la société JCR demande à la cour, au visa des articles 1103, 1169, 1170 et 1171, 1188, 1190 et 1191, et 1231-1 du code civil, des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances et de l’article 565 du code de procédure civile, de :
– déclarer recevables l’ensemble de ses prétentions,
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
. jugé que la clause doit être réputée non écrite, conformément aux dispositions de l’article 1170 du code civil et qu’elle devra donc être garantie par la compagnie AXA France pour les pertes d’exploitation subies pendant l’application de l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation de la COVID-19,
. ordonné une mesure d’expertise,
– infirmer le jugement dont appel sur le quantum de la provision et en ce qu’il a dit que l’astreinte n’était pas nécessaire,
En conséquence, statuant à nouveau,
– condamner la société AXA France Iard à lui payer la somme de 375 000 euros à titre de provision sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du ‘jugement’ à intervenir,
– se réserver expressément la faculté de liquider cette astreinte,
– mettre les frais d’expertise à la charge de la société AXA France Iard,
– condamner la société AXA France Iard aux entiers dépens de première instance et d’appel et à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture est intervenue le 13 avril 2023.
A l’audience du 9 mai 2023, la cour a relevé que dans le dispositif de ses conclusions, la société JCR ne faisait pas mention d’une demande de condamnation de son assureur à des dommages-intérêts en raison de la violation de son devoir d’information et de conseil.
Par une note en délibéré du 11 mai 2023 qu’elle avait été autorisée à produire, la société JCR a indiqué que sa demande indemnitaire était unique et qu’elle était fondée d’une part sur la mobilisation de la garantie perte d’exploitation et d’autre part sur un manquement de l’assureur à son devoir d’information et de conseil.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’exécution du contrat d’assurance
En l’espèce, il est constant que les périodes au titre desquelles la société JCR demande l’exécution du contrat la liant à Axa, sont des périodes durant lesquelles la fermeture de son fonds de commerce a été imposée par une décision émanant d’une autorité administrative compétente, extérieure à l’assurée, et motivée par la lutte conte la propagation du virus Covid-19, transmettant une maladie contagieuse à l’origine d’une épidémie.
Les conditions d’application de la garantie ‘pertes d’exploitation’ souscrite sont donc réunies.
‘ Mais la société Axa oppose à la société JCR la clause d’exclusion selon laquelle ne sont pas garanties les pertes d’exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Il est constant que la décision ayant conduit à la fermeture du restaurant de la société JCR a contraint à la fermeture de très nombreux autres fonds de commerce, notamment de restauration, dans le département de Saône et Loire, si bien que, contrairement à ce que soutient l’intimée, cette clause d’exclusion a en l’espèce vocation à s’appliquer, sous réserve de sa validité.
‘ La société JCR invoque en premier lieu les dispositions de l’article L. 112-4 du code des assurances selon lesquelles Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents. Elle prétend que la clause d’exclusion litigieuse n’est pas mentionnée en caractères très apparents et n’est donc pas valable.
Ce faisant, l’intimée ne forme aucune prétention nouvelle. Elle ne fait que soulever un moyen, certes non soumis à l’appréciation des premiers juges, tendant à écarter l’application de la clause d’exclusion que lui oppose la société Axa, fin qu’elle poursuit depuis la saisine du tribunal de commerce de Chalon sur Saône, et tendant donc à la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Axa à payer une indemnité à son assurée.
La société Axa n’est en conséquence fondée à soulever l’irrecevabilité de cette ‘demande’ :
– ni en vertu des dispositions des articles 564 et 565 du code de procédure civile
– ni en vertu d’un prétendu principe de concentration des moyens qui ne résulte notamment pas des dispositions de l’article 910-4 du même code qui impose seulement la cristallisation des prétentions dans les premières conclusions des parties en cause d’appel.
Il est exact que la clause d’exclusion litigieuse n’apparaît pas dans les conditions particulières du contrat, comme d’autres clauses d’exclusion de garantie mentionnées dans les conditions générales du contrat, en caractères minuscules gras dans un encadré de couleur.
Il n’en demeure pas moins que la clause d’exclusion litigieuse est rédigée en caractères très apparents puisque libellée en majuscules immédiatement à la suite de l’extension particulière de garantie ‘perte d’exploitation suite à fermeture administrative’ à laquelle elle se rapporte spécifiquement, étant précisé que :
– la loi n’impose aucune typographie ou mise en page particulière,
– le fait que les clauses d’exclusion ne soient pas écrites de la même manière selon qu’elles apparaissent dans les conditions générales ou dans les conditions particulières du contrat s’explique justement par leur insertion dans les unes ou les autres, étant relevé que les conditions générales ne sont globalement pas écrites de la même manière que les conditions particulières, ce qui permet aisément de les distinguer.
‘ La société JCR invoque en deuxième lieu les dispositions des articles L. 113-1 du code des assurances et 1169 et 1170 du code civil.
Elle soutient que la clause d’exclusion n’est :
– ni formelle,
– ni limitée si bien qu’elle vide de sa substance l’obligation de l’assureur, ce que les premiers juges ont retenu.
La société Axa rappelle que le caractère formel d’une clause d’exclusion s’apprécie seulement par rapport aux termes et critères d’application qu’elle comprend et en aucun cas par rapport aux clauses définissant l’objet et les conditions de la garantie et que, ce qui est garanti est le risque de fermeture administrative et non le risque d’une épidémie, la nature, la localisation et l’étendue de l’épidémie important peu puisque le seul critère d’application de la clause d’exclusion réside dans le périmètre de la fermeture administrative.
Elle fait valoir que les termes employés dans la clause litigieuse sont parfaitement compréhensibles et ne permettent aucune incertitude sur l’absence de couverture d’une fermeture administrative dite ‘collective’ qui n’entre pas dans le périmètre des risques inhérents à l’activité développée par l’assuré.
Elle ajoute qu’il existe une réalité scientifique selon laquelle une épidémie peut n’affecter qu’un unique établissement et que le risque de fermeture ‘individuelle’ d’un établissement pour cause d’épidémie est une réalité juridique et qu’il ne peut donc pas être jugé que la clause d’exclusion priverait son obligation essentielle de substance, cette obligation correspondant à la couverture de risques inhérents à l’activité de l’assuré dans une fréquence et une proportion beaucoup plus larges que ceux d’une crise sanitaire nationale.
Elle précise que la clause d’exclusion ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de l’assuré, dès lors que la fréquence de réalisation du risque assuré, soit la fermeture administrative individuelle d’un restaurant notamment pour cause d’épidémie, est plus probable que celle du risque exclu, soit la fermeture collective d’établissements pour cause d’épidémie.
Pour sa part, la société JCR soutient que la clause d’exclusion ne peut être dissociée de la clause de garantie, dès lors que sa référence à une ’cause identique’ renvoie aux événements à l’origine de la décision de fermeture administrative, soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication.
Elle observe que dans le contrat, le terme ‘épidémie’ n’a pas été défini et est donc sujet à interprétation. Elle rappelle qu’au sens commun du terme, une épidémie touche un grand nombre de personnes dans une région donnée, et que si elle doit conduire à une décision de fermeture administrative, cette décision touchera nécessairement plusieurs établissements. Elle en déduit que la clause vide donc de son sens la garantie donnée pour la restreindre à un seul établissement et se montre en outre particulièrement imprécise et de portée illimitée en ce qu’elle concerne ‘tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, faisant l’objet d’une fermeture administrative pour une cause identique et sur un territoire étendu’.
Enfin elle relève que consciente de la difficulté, la société Axa a soumis à ses assurés une proposition d’avenant à effet du 1er janvier 2021, modifiant les conditions de mise en oeuvre de la garantie ‘pertes d’exploitation pour fermeture administrative’.
Il résulte de l’article L. 113-1 du code des assurances que les clauses d’exclusion de garantie qui privent l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
Il résulte des articles 1169 et 1170 du code civil que dans un contrat à titre onéreux, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage ne doit pas être illusoire ou dérisoire et que toute clause qui prive de substance l’obligation d’un des cocontractants est réputée non écrite.
A titre liminaire, la cour observe que le caractère formel et limité de la clause litigieuse doit s’apprécier au seul regard des stipulations du contrat dans lequel elle figure, sans aucun égard pour les modifications envisagées voire effectivement apportées à ce contrat.
‘ Une clause d’exclusion n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
En l’espèce, il est exact que la clause d’exclusion de garantie renvoie nécessairement par la mention ’cause identique’ à la clause de garantie et à l’événement ayant conduit à la décision de fermeture administrative.
Toutefois, cet événement, en l’espèce une épidémie, est sans influence sur la mise en oeuvre de l’exclusion de garantie, laquelle ne dépend que de la circonstance suivante : un autre établissement que celui de l’assuré est, dans le même département fermé en exécution d’une décision administrative fondée sur le même événement que la décision s’imposant à l’établissement de l’assuré.
En conséquence, ainsi que l’avaient justement apprécié les premiers juges, l’absence de définition contractuelle du mot ‘épidémie’, voire son ambiguïté, est sans incidence sur la compréhension de la clause d’exclusion.
‘ Une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire.
En l’espèce, la garantie couvre le risque de pertes d’exploitation consécutives, non pas à une épidémie, mais à une décision de fermeture administrative ordonnée à la suite de l’un des cinq événements suivants : une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie, une intoxication. En conséquence, quand bien même la clause d’exclusion de garantie aurait, ainsi que le soutient la société JCR, pour effet de ne pas garantir les pertes d’exploitation consécutives à une décision de fermeture administrative ordonnée en raison d’une épidémie, au sens commun du terme ou telle celle du Covid-19, elle maintient dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une décision de fermeture administrative motivée par l’un des quatre autres événements ou survenue dans d’autres circonstances que celles prévues par la cause d’exclusion : cf Civ 2ème 1er décembre 2022 n° 21-15.392, 21-19.341, 21-19.342, 21-19.343 et 19 janvier 2023 n°21-21.516 et 21-23.189.
Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient :
– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a écarté l’application de la clause d’exclusion de garantie, condamné la société Axa à couvrir le sinistre déclaré par la société JCR et à lui payer une provision de 176 700 euros, montant maximal de la garantie, et ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant exact de l’indemnité due à la société JCR,
– et de débouter la société JCR de toutes ses demandes fondées sur l’exécution du contrat.
Sur le manquement de l’assureur à son obligation d’information et de conseil
Compte tenu des explications fournies par l’intimée et des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour considère que la demande en paiement d’une provision de 375 000 euros à parfaire après expertise, dont elle est saisie, est présentée sur deux moyens de droit différents :
– l’exécution du contrat liant les parties, examiné ci-dessus
– le fait que l’assureur aurait engagé sa responsabilité et serait ainsi tenu à réparer le préjudice causé à l’assuré, qu’elle est tenue d’examiner.
Il en résulte que contrairement à ce que soutient l’appelante, l’intimée ne forme aucune prétention nouvelle au sens des articles 564 et 565 du code de procédure civile.
Par ailleurs, les dispositions de l’article 910-4 du même code n’imposant pas une cristallisation des moyens mais seulement une cristallisation des prétentions dès les premières écritures des parties en cause d’appel, la société JCR est recevable à fonder sa demande, pour la première fois en cause d’appel, sur le manquement de l’assureur à son obligation d’information et de conseil.
Dans sa version en vigueur au 3 août 2018, jour de la conclusion du contrat, l’article L. 112-2 du code des assurances dispose que l’assureur doit obligatoirement fournir une fiche d’information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat et que notamment l’assureur remet à l’assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d’information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l’assuré.
En l’espèce, la société JCR n’allègue nullement que la société Axa n’aurait pas respecté les dispositions de l’article L. 112-2 du code des assurances.
Elle invoque les dispositions de l’article L. 520-1, II, 2° du code des assurances dans sa version en vigueur au 3 août 2018, selon lesquelles avant la conclusion de tout contrat, l’intermédiaire de l’assureur doit préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d’assurance déterminé, ces précisions, qui reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel, étant adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé.
Sur ce point, la société Axa fait valoir, sans aucune contestation de l’intimée que cette dernière avait souhaité une garantie contre les risques de pertes d’exploitation.
Or, il ressort des conditions générales du contrat proposé et souscrit que les conséquences financières de l’arrêt d’activité sont couvertes lorsque l’interruption ou la réduction temporaire de l’activité professionnelle résulte directement :
– soit d’un dommage matériel garanti par le contrat tels notamment un incendie, un dégât des eaux, un effondrement, des dommages électriques ….
– soit d’une impossibilité ou d’une difficulté d’accès aux locaux professionnels, notamment en cas d’interdiction par les autorités compétentes, consécutive à un des événements suivants survenus dans le voisinage : incendie, explosion et risques divers ; événement climatique ; catastrophe naturelle,
– soit si les locaux assurés sont situés dans un centre commercial :
. de l’impossibilité d’y accéder suite à la fermeture de ce centre due à un des événements garantis, sans qu’il soit nécessaire que les locaux assurés soient atteints directement,
. d’une baisse de fréquentation de la clientèle de ce centre sous certaines conditions,
– soit d’une impossibilité d’accès aux locaux professionnels résultant d’un arrêté de police consécutif à un suicide ou à une alerte au colis suspect.
Il ressort par ailleurs des conditions particulières du contrat que la couverture des conséquences financières de l’arrêt d’activité a été étendue d’une part aux pertes d’exploitation suite à arrêté de péril et d’autre part aux pertes d’exploitation suite à fermeture administrative.
Ces éléments établissent que l’assureur, via son agent général, a parfaitement rempli les obligations mises à sa charge par les dispositions rappelées ci-dessus, tant en ce qui concerne la recherche des exigences et la définition des besoins de l’assurée que les conseils fournis sur les garanties susceptibles d’y répondre.
Il ressort de la page 23 des conclusions de l’intimée qu’elle reproche à la société Axa de ne pas avoir attiré son attention sur l’existence et le contenu de la clause d’exclusion et de ne pas avoir explicité le contenu et la portée de cette clause.
Toutefois, ainsi que cela a été jugé ci-dessus, en ce qu’elle était conforme aux dispositions des articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances, l’existence de cette clause ne pouvait pas échapper à l’assurée et son contenu ne nécessitait pas d’interprétation justifiant des explications particulières.
En toute hypothèse, la cour observe que l’intimée n’allègue pas qu’elle n’aurait pas souscrit l’extension de garantie ‘pertes d’exploitation suite à fermeture administrative’ si elle avait compris qu’elle ne serait pas couverte, dans le cas d’une crise sanitaire telle celle du Covid-19, cas constituant un risque tellement hypothétique, voire inconcevable, avant sa survenance, qu’elle ne peut pas raisonnablement soutenir l’avoir envisagé et faire grief à l’assureur de ne pas l’avoir envisagé.
En conséquence, il convient de débouter la société JCR de sa demande d’indemnité provisionnelle et d’expertise, en ce qu’elle est fondée sur le manquement de la société Axa à son devoir d’information et de conseil.
Sur les frais de procès
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel doivent être supportés par la société JCR.
Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur de la société Axa. Toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’équité conduit la cour à laisser à la charge de la société Axa l’intégralité des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés, tant en première instance qu’en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit que la clause d’exclusion répond au caractère formel de l’article L. 113-1 du code des assurances,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute la SAS JCR de toutes ses demandes,
Condamne la SAS JCR aux dépens de première instance et d’appel,
Dit n’y avoir lieu à aucune application de l’article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes indument payées au titre de l’exécution provisoire du jugement dont appel.
Le Greffier, Le Président,