14 septembre 2023
Cour d’appel de Dijon
RG n°
23/00188
[P] [D]
[U] [C] épouse [D]
C/
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LA PORTE D’ALSACE
Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE DIJON
2ème chambre civile
ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2023
N° RG 23/00188 – N° Portalis DBVF-V-B7H-GD2Y
MINUTE N°
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 09 janvier 2023,
par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mâcon – RG : 21/00688
APPELANTS :
Monsieur [P] [D]
né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 8] (71)
domicilié :
[Adresse 7]
[Localité 5]
Madame [U] [C] épouse [D]
née le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 6] (71)
domiciliée :
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentés par Me Cécile RENEVEY – LAISSUS, membre de la SELARL ANDRE RENEVEY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 2
assistée de Me Hugo DELAGE et Me Paul LEYENDECKER, membre de la SELARL CONSTANTIN-VALLET, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE LA PORTE D’ALSACE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés au siège social sis :
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Simon LAMBERT, membre de la SCP LANCELIN ET LAMBERT, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 62
assisté de Me Serge PAULUS, membre de la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :
Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre,
Sophie DUMURGIER, Conseiller,
Leslie CHARBONNIER, Conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier
DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 14 Septembre 2023,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon offre de crédit immobilier acceptée le 26 juin 2007, affecté à l’achat d’un appartement destiné à la location, les époux [P] [D] / [U] [C] ont emprunté à la caisse de Crédit Mutuel de la Porte d’Alsace (le Crédit Mutuel) la somme de 330 000 francs suisses, soit la contrevaleur de 230 000 euros. Ce prêt est assorti d’intérêts au taux initial de 3,75 %, taux variable sans limite, indexé sur le Libor francs suisses 3 mois, le capital étant remboursable en une seule fois au 31 juillet 2027 et les intérêts échus étant payés chaque trimestre.
Par acte du 25 août 2021, les époux [D] ont fait citer le Crédit Mutuel devant le tribunal judiciaire de Mâcon aux fins essentiellement que :
A titre principal
‘ il juge
– d’une part que les clauses du contrat intitulées ‘Dispositions propres aux crédits en devises’ sont abusives,
– d’autre part que les clauses du contrat relatives à la variation du taux d’intérêt intitulées ‘Coût du crédit’ et ‘Notice relative aux conditions et modalités de variation du taux d’intérêt’ ne satisfont pas aux exigences de transparence,
‘ en conséquence,
‘ à titre principal, il annule le contrat, ordonne les restitutions réciproques afin de replacer les parties dans l’état dans lequel elles auraient été sans la conclusion du prêt litigieux, et condamne la banque à leur payer 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral,
‘ à titre subsidiaire, il écarte l’application des clauses jugées abusives, requalifie le contrat de prêt litigieux en un contrat de crédit immobilier en euros portant sur le capital de 201 330 euros, remboursable in fine au terme convenu et condamne la banque à
– leur restituer les montants trop perçus résultant de la différence de cours de change entre celui en vigueur lors de l’octroi du prêt et celui en vigueur lors du paiement de chaque échéance d’intérêts,
– leur payer la somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral,
A titre subsidiaire,
‘ il juge que la banque a manqué à ses obligations d’information sur les risques financiers du contrat litigieux, de conseil et de mise en garde
‘ en conséquence, il condamne la banque à leur payer les dommages-intérêts suivants :
– 75 121,27 euros au titre du préjudice financier résultant de la réalisation du risque de change,
– 90 812 euros au titre du préjudice financier résultant de la perte de chance de revendre leur bien,
– 20 000 euros au titre de leur préjudice moral.
Le Crédit Mutuel a saisi le juge de la mise en état d’une fin de non-recevoir.
Selon le dispositif de ses conclusions d’incident n°8, il lui demandait essentiellement de :
‘ à titre principal,
– juger que l’action des époux [D] visant à faire valoir les effets restitutifs de la constatation du caractère abusif des clauses intitulées ‘Remboursement du crédit’ (article 5-3), ‘Coût du crédit’ (article 5.2), ‘Notice relative aux conditions et modalités de variation du taux d’intérêt’ (article 6) et ‘Dispositions propres aux crédits en devises’ (article 10) est prescrite,
– juger que les demandes des époux [D] relatives à sa responsabilité, sont prescrites,
‘ à titre subsidiaire, juger que les effets restitutoires du caractère abusif de la clause d’indexation ne peuvent remonter au-delà de 5 ans à compter de l’assignation, soit le 25 août 2016.
Selon le dispositif de leurs conclusions d’incident n°9, les époux [D] ont essentiellement demandé au juge de la mise en état de :
‘ sur leurs demandes formulées sur le fondement des clauses abusives, juger qu’elles sont recevables,
‘ sur les demandes formulées sur le fondement de la responsabilité contractuelle,
– à titre principal, juger qu’il relève d’une bonne administration de la justice de statuer sur la fin de non-recevoir en même temps que sur les demandes au fond,
– à titre subsidiaire, juger que leurs demandes sont recevables.
Par ordonnance du 9 janvier 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mâcon a :
– rejeté la demande de renvoi au tribunal des fins de non-recevoir soulevées,
– dit irrecevables l’intégralité des demandes des époux [D],
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné les époux [D] aux entiers dépens de l’instance.
Les époux [D] ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 10 février 2023.
Aux termes du dispositif de leurs conclusions notifiées le 9 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, les époux [D] demandent à la cour, au visa de la directive 93 / 13 et de la jurisprudence de la CJUE, des articles L. 120-1 et suivants, L. 132-1 et L. 312-1 et suivants et L. 313-1 et suivants du code de la consommation, des articles 1116, 1134, 1135, 1147 et suivants et 1382 du code civil alors applicables et des articles 700 et 696 du code de procédure civile, d’infirmer l’ordonnance dont appel en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de :
‘ débouter la banque de l’ensemble de ses demandes principales et incidentes, moyens, fins et prétentions,
‘ juger que l’ensemble de leurs demandes sont recevables,
‘ à titre principal,
– juger que les clauses intitulées ‘Remboursement du crédit’, ‘Coût du crédit’, ‘Notice relative aux conditions et modalités de variation du taux d’intérêt’ et ‘Dispositions propres aux crédits en devises’ sont abusives et les réputer non écrites,
– juger que le contrat de prêt qu’ils ont souscrit ne peut pas subsister sans ces clauses,
– juger que le contrat de prêt qu’ils ont souscrit est rétroactivement anéanti,
En conséquence,
– ordonner les restitutions réciproques consécutives à l’anéantissement rétroactif du contrat qu’ils ont souscrit,
– juger que les restitutions réciproques consécutives à l’annulation du contrat de prêt ‘Helvet Immo’ s’établissent comme suit :
. ils doivent restituer au Crédit Mutuel le montant en euros mis à leur disposition lors de la conclusion du contrat de prêt,
. le Crédit Mutuel doit leur restituer l’ensemble des sommes perçues en exécution du contrat litigieux,
– condamner le Crédit Mutuel à procéder au calcul des créances de restitution réciproques et à leur communiquer le détail de ses calculs, ainsi que l’ensemble des explications nécessaires à leur vérification,
‘ à titre subsidiaire,
– juger que le Crédit Mutuel a manqué à son obligation renforcée d’information sur les risques financiers du contrat de prêt qu’il leur a fait souscrire,
En conséquence,
– condamner le Crédit Mutuel à les indemniser de leur préjudice financier résultant de la réalisation du risque de change à hauteur de 75 121,27 euros,
– ordonner l’actualisation du montant de ce préjudice par le Crédit Mutuel au jour de l’exécution du ‘jugement’,
‘ en tout état de cause,
– juger que les fautes et manquements du Crédit Mutuel leur ont causé un important préjudice moral,
– en conséquence, condamner le Crédit Mutuel à les indemniser de leur préjudice moral à hauteur de 20 000 euros,
‘ enfin,
– juger que la condamnation à venir produira des intérêts moratoires au taux légal à la date de la signification de l’assignation suivant les dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil et que les intérêts ainsi produits seront capitalisés de plein droit,
– condamner le Crédit Mutuel aux entiers dépens au titre de l’article 696 du code de procédure civile,
– condamner le Crédit Mutuel à leur payer la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses conclusions notifiées le 22 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens développés au soutien des prétentions, le Crédit Mutuel demande à la cour, au visa des articles 122 et 789, et 700 du code de procédure civile, des articles 2222 et 2224 du code civil, de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, et des articles L. 212-1 et ‘R. 314″ du code de la consommation, de :
– rejeter l’appel,
– confirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
En conséquence,
– débouter les époux [D] de leurs demandes tendant à ce qu’il soit jugé que ‘l’ordonnance du 9 janvier 2023 a statué ultra petita’,
– déclarer les demandes des époux [D] irrecevables pour cause de prescription,
– débouter les époux [D] de leur demande tendant à ce que la cour se déclare compétente pour juger également du fond de l’affaire,
– débouter les époux [D] de l’ensemble de leurs demandes,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour se déclarait compétente pour juger du fond de l’affaire,
– déclarer que le caractère abusif des clauses litigieuses relatives à l’indexation, à la monnaie de paiement et au risque de change et au taux d’intérêt variable ne peut être examiné dans la mesure où elles constituent l’objet principal du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible,
– déclarer que les clauses litigieuses relatives à l’indexation, à la monnaie de paiement, au risque de change et au taux d’intérêt variable ne créent aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties,
– déclarer en conséquence que les clauses litigieuses ne sont pas abusives,
A titre infiniment subsidiaire, si certaines clauses devaient être réputées non-écrites,
– déclarer que les époux [D] devront restituer le montant du capital emprunté en francs suisses de leur prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change au jour du ‘jugement’ à intervenir,
– déclarer en conséquence qu’il devra restituer aux époux [D] le montant des intérêts perçus pendant la durée du prêt, à sa contrevaleur en euros au cours de change de chaque échéance,
– ordonner la compensation des sommes dues entre les parties,
Sur sa responsabilité,
– constater qu’il n’a manqué à aucune obligation d’information, de conseil ou de mise en garde,
– déclarer que les époux [D] n’ont subi aucun préjudice matériel ou moral,
– débouter en conséquence les époux [D] de leurs demandes,
En tout état de cause,
– condamner les époux [D] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les époux [D] aux entiers frais et dépens de la procédure d’appel.
L’affaire a été retenue à l’audience du 8 juin 2023 et mise en délibéré.
Le 13 juillet 2023, les époux [D] ont pris l’initiative de communiquer à la cour l’arrêt rendu le 12 juillet 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation sous le n°22-17.030.
Par message du 25 juillet 2023, le Crédit Mutuel a demandé à la cour d’ordonner la réouverture des débats et de renvoyer le dossier à la mise en état pour qu’il puisse être débattu contradictoirement de cet arrêt, demande à laquelle les appelants se sont opposés.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’avait autorisé aucune note en délibéré, si bien qu’elle ne tiendra aucun compte des messages reçus postérieurement au 8 juin 2023, étant toutefois observé qu’elle ne peut ignorer l’existence de l’arrêt rendu le 12 juillet 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation sous le n°22-17.300 dès lors notamment qu’il a fait l’objet le jour même d’un communiqué de presse de la Cour au motif qu’il apportait une réponse attendue dans de nombreuses affaires en cours.
Par ailleurs, les époux [D] ne sont pas recevables à conclure à l’infirmation de l’ordonnance déférée en ce qu’elle a rejeté leur demande tendant en application de l’article 789, 6° du code de procédure civile, au renvoi de l’affaire devant le tribunal judiciaire pour qu’il examine les fins de non-recevoir soulevées par la banque, dès lors que cette disposition est une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours.
En toute hypothèse, force est de constater qu’ils ne développent aucun moyen au soutien de cette demande.
Sur la recevabilité des demandes des époux [D]
‘ En premier lieu, les époux [D] critiquent l’ordonnance dont appel en ce qu’elle a déclaré toutes leurs demandes irrecevables, y compris leur demande en reconnaissance du caractère abusif des clauses litigieuses du contrat les liant au Crédit Mutuel, alors pourtant que :
– d’une part, le premier juge a expressément rappelé en page 4 de l’ordonnance qu’il est constant que ‘l’action tendant à voir déclarer abusive une clause d’un contrat est imprescriptible’
– d’autre part, la banque ne soulevait pas la prescription de cette action mais seulement la prescription de la demande subséquente de restitution, si bien que le premier juge a statué ultra petita.
Contrairement à ce que soutient le Crédit Mutuel, le fait que l’action en restitution soit jugée irrecevable ne prive pas d’objet l’action tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses litigieuses. La constatation judiciaire de l’existence de clauses abusives est un préalable à l’action en restitution et ses conséquences ne se limitent pas, le cas échéant, à la restitution de sommes d’argent indument payées : d’ailleurs en l’espèce, les époux [D] forment une demande indemnitaire en réparation d’un préjudice moral lié à l’insertion dans leur contrat de clauses abusives.
Alors que le Crédit Mutuel n’a pas demandé au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Mâcon de déclarer irrecevable car prescrite la demande des époux [D] en reconnaissance du caractère abusif de certaines clauses du contrat litigieux, il soutient en cause d’appel que l’imprescriptibilité d’une telle action résulte d’une jurisprudence postérieure à 2007, année au cours de laquelle le contrat a été conclu et que l’application rétroactive de cette jurisprudence aurait pour conséquence de le priver de son droit à un procès équitable tel que prescrit par l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de méconnaître son droit de propriété tel que garanti par l’article 1er du protocole additionnel.
Toutefois, il convient de rappeler que :
– la prohibition des clauses abusives remonte à la directive 93/13 CEE du Conseil du 5 avril 1993, applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er janvier 1995,
– cette directive a été transposée en droit interne par la loi n°95-96 du 1er février 1995,
– la jurisprudence tant européenne que nationale ayant retenu le caractère imprescriptible de l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause d’un contrat n’a fait qu’interpréter les règles européennes et nationales relatives aux clauses abusives, dont elle a éclairé et précisé la signification et la portée, telles qu’elles auraient dû être comprises depuis leur entrée en vigueur ; en conséquence, ces règles ainsi interprétées doivent être appliquées par le juge à à tous les rapports juridiques nés et constitués postérieurement à cette entrée en vigueur, quand bien même ils l’ont été antérieurement à cette jurisprudence,
– enfin, cette jurisprudence sur l’imprescriptibilité de l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause d’un contrat ne prive pas la banque de son accès au juge et de son droit à un procès équitable et elle est sans conséquence sur son droit de propriété ; sur ce dernier point, il suffit de relire la page 6 des conclusions d’incident n°8 de la banque et la page 8 de ses conclusions du 22 mai 2023 pour constater que la jurisprudence dont elle souhaite qu’elle ne lui soit pas appliquée est celle relative à l’appréciation de la clarté et de la transparence des clauses portant sur l’objet du contrat.
Il résulte de ce qui précède qu’il convient a minima d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a déclaré irrecevables la demande des époux [D] en reconnaissance du caractère abusif des clauses litigieuses du contrat du 26 juin 2007 et leur demande indemnitaire en réparation d’un préjudice moral.
‘ En deuxième lieu, les époux [D] font justement valoir que sauf à méconnaître d’une part le principe d’équivalence et d’autre part le principe d’effectivité, leur action en restitution de sommes indument versées en exécution de clauses du contrat dont ils demandent au préalable qu’elles soient déclarées abusives, n’est pas prescrite.
S’agissant du respect du principe d’équivalence, il convient de rappeler qu’en droit interne, le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l’annulation d’un contrat ou d’un testament, ne court qu’à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l’accord des parties ou d’une décision de justice : cf notamment 1ère Civ, 1er juillet 2015, n°14-20.369 ; 1ère Civ., 28 octobre 2015, n°14-17.893 ; 3ème Civ, 14 juin 2018, n°17-13.422 ; 1ère Civ, 13 juillet 2022 n°20-20.738.
S’agissant du principe d’effectivité, il serait paradoxal de déclarer imprescriptible l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause et de soumettre une des conséquences, voire la principale conséquence, de cette reconnaissance à un régime de prescription la privant d’effet.
D’ailleurs, il se déduit de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment de ses arrêts du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18) et du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du code civil, de l’action des appelants en restitution de sommes indument versées, fondée sur la constatation du caractère abusif de certaines clauses du contrat de prêt du 26 juin 2007 libellé en devises étrangères, ne peut être antérieur à la date de la décision de justice constatant le cas échéant le caractère abusif de ces clauses.
En conséquence, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande des époux [D] en restitution de sommes indument payées au Crédit Mutuel en exécution des clauses dont ils soutiennent qu’elles sont abusives.
‘ En troisième et dernier lieu, il convient d’apprécier si la demande subsidiaire des époux [D] fondée sur la responsabilité contractuelle de la banque est prescrite, étant rappelé que les époux [D] reprochent notamment à la banque un manquement à son devoir de mise en garde sur le risque d’un endettement excessif eu égard aux caractéristiques du prêt litigieux et au fait qu’ils ne perçoivent aucun revenu en francs suisses.
Selon l’article 2224 du code civil, l’action des époux [D] doit être engagée dans un délai de cinq ans à compter du jour où ils ont eu ou auraient dû avoir connaissance des faits leur permettant de l’exercer.
Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutient en l’espèce la banque, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’a pas été, n’est pas ou ne sera pas en mesure de faire face : cf Com 25 janvier 2023 n°20-12.811.
En l’espèce, les époux [D] ont jusqu’à ce jour pu régler les échéances trimestrielles d’intérêts, même si celles-ci ont augmenté ; en revanche, ils exposent qu’ils ne pourront pas faire face à l’échéance du 31 juillet 2027 même en vendant l’appartement acquis grâce au prêt litigieux et en mobilisant les fonds placés sur le contrat d’assurance-vie grevé d’un nantissement au profit du Crédit Mutuel.
En conséquence, l’action en responsabilité contractuelle engagée par les époux [D] le 25 août 2021 n’est manifestement pas prescrite, l’ordonnance déférée devant également être infirmée sur ce point.
Sur le fond
Les époux [D] estiment que la cour est saisie, tant par l’effet dévolutif de l’appel qu’en application de l’article 795 du code de procédure civile, de l’ensemble de leurs demandes et qu’elle doit statuer au fond.
L’effet dévolutif de l’appel est précisé par les articles 561 et 562 du code de procédure civile. Selon le premier de ces textes, l’appel remet en question la chose jugée par le premier juge et le second énonce que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement expressément critiqués et de ceux qui en dépendent.
Il résulte de l’article 795 du même code que les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir sont susceptibles d’appel et que si la fin de non-recevoir a nécessité que soit préalablement tranchée une question de fond, l’appel peut porter sur cette question de fond.
En l’espèce, le premier juge n’a tranché aucune question de fond avant de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription que soulevait la banque et aucune des questions de fond, sur lesquelles les époux [D] demandent à la cour de statuer, ne dépend d’un des chefs critiqués de l’ordonnance dont appel.
Par ailleurs, la cour n’entend pas faire usage de la faculté d’évocation dont elle dispose en application de l’article 568 du code de procédure civile, dans la mesure où, en l’espèce, elle n’estime pas de bonne justice de priver les parties du double degré de juridiction sur les questions de fond qui restent à trancher.
Sur les frais de procès
En application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens afférents à l’incident, qu’ils s’agissent de ceux de première instance et de ceux d’appel, doivent être supportés par le Crédit Mutuel.
Les conditions d’application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu’en faveur des époux [D] auxquels la cour alloue la somme globale de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés tant en première instance qu’en cause d’appel, à l’occasion de l’incident soulevé par le Crédit Mutuel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme l’ordonnance déférée sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de renvoi au tribunal des fins de non-recevoir soulevées,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déclare recevables l’intégralité des demandes des époux [P] [D] / [U] [C],
Renvoie les parties devant le tribunal judiciaire de Mâcon afin qu’il tranche le fond du litige,
Condamne la caisse de Crédit Mutuel de la Porte d’Alsace aux dépens de première instance afférents à l’incident et aux dépens d’appel,
Condamne la caisse de Crédit Mutuel de la Porte d’Alsace à payer aux époux [P] [D] / [U] [C] la somme globale de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,