Déséquilibre significatif : 21 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00630
Déséquilibre significatif : 21 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00630

21 septembre 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG
21/00630

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 21 SEPTEMBRE 2023

N° RG 21/00630 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L5KC

S.A. [Adresse 5]

c/

[Y] [V]

[O] [L]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le : 21 septembre 2021

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 14 janvier 2021 par le Tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 17/05139) suivant déclaration d’appel du 02 février 2021

APPELANTE :

S.A. [Adresse 5], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Laurent BABIN de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[Y] [V]

née le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 7]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

[O] [L]

né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 6]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 4]

Représentés par Maître Raphaël MONROUX de la SCP HARFANG AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Emmanuel BREARD, Conseiller, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : M. Roland POTEE

Conseiller : M. Emmanuel BREARD

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Greffier lors des débats : Mme Séléna BONNET

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [Y] [V] et M. [O] [L] ont souscrit le 19 novembre 2012 auprès du crédit commercial du sud-ouest devenu la SA [Adresse 5] un premier prêt conventionné aux caractéristiques suivantes :

* montant : 160 386 euros,

* durée : 300 mois,

* taux nominal : 3,9%,

* taux de période : 0, 402%,

* TEG : 4, 82%

Le même jour Mme [V] a souscrit un second prêt épargne logement CEL aux caractéristiques suivantes :

* montant : 23 000 euros,

* durée : 120 mois,

* taux nominal : 3, 125%,

* taux de période : 0, 359%,

* TEG : 4, 31%

Ayant relevé des irrégularités dans leur contrat de prêt, Mme [V] et M. [L] ont par acte d’huissier du 29 mai 2017, assigné la société [Adresse 5] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir notamment prononcer la nullité des intérêts conventionnels attachés aux deux prêts immobiliers souscrits auprès de cette banque le 19 novembre 2012.

Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– prononcé la nullité des intérêts conventionnels attachés aux deux prêts immobiliers souscrits auprès de la société [Adresse 5],

– fixé le taux applicable à l’intérêt légal,

– dit que les sommes indûment versées auront à s’imputer sur le capital,

– condamné la société [Adresse 5] à payer à chacun des demandeurs la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté le surplus des demandes des parties,

– ordonné l’exécutoire provisoire,

– condamné la société [Adresse 5], qui succombe, aux entiers dépens.

La [Adresse 5] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 2 février 2021.

Par conclusions déposées le 28 novembre 2022, la société [Adresse 5] demande à la cour de :

– déclarer la société [Adresse 5] recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence,

– réformer le jugement précité du tribunal judiciaire de Bordeaux du 14 janvier 2021 en toutes ses dispositions en ce qu’il a :

*prononcé la nullité intérêts conventionnels attachés aux deux prêts immobiliers souscrits auprès de la société [Adresse 5],

* fixé le taux applicable à l’intérêt légal,

* dit que les sommes indûment versées auront à s’imputer sur le capital,

* condamné la société [Adresse 5] à payer à chacun des demandeurs la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* rejeté le surplus des demandes des parties,

* ordonné l’exécutoire provisoire,

* condamné la société [Adresse 5], qui succombe, aux entiers dépens,

Et en statuant à nouveau,

– déclarer que Mme [V] et M. [L] ne justifient pas de leurs demandes à l’encontre de la société [Adresse 5],

En conséquence,

– rejeter Mme [V] et M. [L] en toutes leurs demandes,

– condamner in solidum Mme [V] et M. [L] aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 27 septembre 2022, Mme [V] et M. [L] demandent à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

– condamner l’appelante au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 3 000 euros ainsi qu’aux entiers dépens.

L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 15 juin 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 1er juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

L’article L.132-1 du code de la consommation applicable prévoit que ‘Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission instituée à l’article L.534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.

Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.

Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre.

Les clauses abusives sont réputées non écrites.

L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses.

Les dispositions du présent article sont d’ordre public’.

Il est constant que l’emprunteur doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois cent soixante jours et que ce calcul a généré à son détriment un surcoût, lequel est souverainement apprécié par le juge du fond.

La société appelante remet en cause que le premier juge ait retenu que la clause contractuelle était contraire aux dispositions de code de la consommation en que le taux doit être calculé sur la base d’une année réelle et non pas 360 jours.

De même, alors que la question du caractère abusif de cette clause n’était pas invoquée, le jugement en date du 14 janvier 2021 a retenu la nullité de la clause sur le fondement de l’article L.132-1 du code de la consommation applicable.

Se prévalant de l’article R.313-1 du même code, elle estime que les conditions légales ont été remplies en ce que le mois normalisé est applicable au calcul des intérêts mensuels d’un prêt immobilier. Ainsi, elle retient que la clause critiquée n’est que le reflet de l’équivalence financière des formules reproduites dans le contrat, puisqu’elle établit le rapport à retenir pour le calcul des intérêts périodiques.

Elle soutient que l’équivalence de cette formule à celle prise pour une année entière est vérifiée lors du présent contrat, produisant des exemples dans ses écritures. Elle en déduit que les emprunteurs n’ont pas été induits en erreur ni sur le TEG, ni sur le taux nominal et avoir calculé les intérêts conformément aux modalités de l’offre de prêt. Elle souligne que les échéances des deux contrats objets du litige montrent l’exactitude du taux d’intérêts et que le TEG n’a pas été majoré dans l’offre de prêt au-delà de la décimale.

Elle en déduit qu’il ne saurait exister de ce fait de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de prêt.

En tout état de cause, elle observe que le calcul adverse est inexact et que les appelants ne sauraient exiger en cas d’erreur la nullité de la clause stipulant l’intérêt conventionnel, ne pouvant solliciter que la déchéance du droit aux intérêts ou à des dommages et intérêts à hauteur du trop perçu.

***

Les intimés entendent pour leur part que les contrats de prêt soient interprétés en leur faveur, conformément aux dispositions des articles 1907 du code civil, L.313-1, L.313-2 et R.313-1 du code de la consommation.

De même, ils allèguent que les clauses de stipulation d’intérêts doivent être calculées par référence à une année civile, soit 365 jours et non une année lombarde, soit 360 jours, s’agissant de contrats d’adhésion et faute de rapporter la preuve d’avoir été informés de l’incidence financière du choix effectué par le prêteur.

Ils soutiennent que leurs calculs établissent l’application d’un taux d’intérêts sur 360 jours, fait admis par la société appelante et rappelé par les contrats eux-mêmes, ce dont ils déduisent la nullité de la clause d’intérêts conventionnels.

Ils soulignent que l’expertise fournie démontre les anomalies contenues dans l’offre de prêt objet du présent litige, corroborée par le contrat de prêt et le tableau d’amortissement.

En outre, s’agissant de la sanction applicable, ils considèrent que le taux d’intérêt conventionnel doit être remplacé par le taux d’intérêts légal, par application de l’article L.312-33 du code de la consommation, estimant cette sanction proportionnée et adaptée, comme retenu par le premier juge. A titre subsidiaire, ils entendent que le caractère non écrit de la clause soit retenu.

Ils réclament ce que la décision attaquée soit donc confirmée.

***

En premier lieu, il apparaît qu’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année dite bancaire ou lombarde de trois cent soixante jours ne présente pas un caractère abusif en tant que telle, comme le soutiennent les intimés et l’a retenu de manière inexacte le premier juge, mais seulement lorsqu’elle a un effet sur le coût du crédit et entraîne en conséquence un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (v. par ex. Civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-14.934).

Dès lors qu’il n’est pas justifié que la clause litigieuse a effectivement eu un effet sur le coût du crédit objet du présent litige, M. [L] et Mme [V] seront déboutés de leur demande tendant à l’entendre déclarer non écrite comme abusive.

Par ailleurs, il résulte des articles L. 312-8, L. 312-33 et R. 313-1 anciens du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à l’espèce, que la mention, dans l’offre de prêt, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l’article L. 312-33 du même code, lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale (Civ. 1re, 11 mars 2020, no 19-10.875).

Les intimés n’étant par conséquent pas fondés à solliciter la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels pour ce motif, leur argumentation en ce sens sera rejetée.

Il est constant que la seule présence dans l’offre de prêt de la clause litigieuse ne suffit pas à établir que les intérêts ont été effectivement calculés sur la base erronée d’une année de 360 jours, méthode dite de l’année lombarde qui est proscrite. Il appartient aux consorts [L] et [V], en application de l’article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, d’en faire la preuve et de démontrer en outre que ce calcul a généré à leur détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation.

En l’espèce, les intimés, qui prétendent que les intérêts conventionnels ont été calculés sur la base de l’année lombarde de 360 jours, ne démontrent, ni que les intérêts de ses prêts ont effectivement été calculés sur une autre base que celle de l’année civile, ni que ce calcul ou celui du taux effectif global a généré à leur détriment un surcoût supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation.

En outre, l’année civile compte douze mois. Il s’ensuit que les intérêts dus pour une échéance mensuelle représentent un douzième de l’intérêt conventionnel, quel que soit le nombre de jours dans le mois ou dans l’année. Calculer les intérêts courus entre deux échéances sur la base d’un mois de 30 jours et d’une année de 360 jours est équipollent à calculer ces intérêts sur la base d’un douzième de l’intérêt conventionnel, ou, comme entendent le faire les appelants, sur la base d’un mois normalisé de 30,41666 jours (365/12 jours) et d’une année de 365 jours. Le calcul des intérêts de chaque mensualité, tel qu’il est défini par la clause précitée, est donc conforme aux prescriptions légales susrappelées.

Cette demande sera donc également rejetée.

Sur l’argument tiré de ce que le taux effectif global mentionné dans les offres de prêt serait erroné en l’absence de mention de la durée de période, il revient à la partie qui se prévaut de cet élément de l’établir.

En application de l’article R313-1 II dans sa rédaction issue du décret n° 2011-135 du 1er février 2011, le taux effectif global est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période doivent être expressément communiqués à l’emprunteur.

En l’espèce, l’offre de prêt d’un montant de 160.386 euros, qui indique une durée du crédit exprimée en mois, mentionne que ‘le taux effectif global s’élève à 4,82% soit un taux de 0,402% par période mensuelle’. De surcroît, le tableau d’amortissement annexé à cette offre de prêt fait expressément référence dans son descriptif à une périodicité mensuelle.

De même, l’offre de prêt d’un montant de 23.000 € stipule une durée de crédit exprimée en mois, un taux effectif global de 4,31%, soit un taux de 0,359% par période mensuelle. En outre, le tableau d’amortissement annexé à cette offre de prêt fait également référence dans son descriptif à une périodicité mensuelle.

Contrairement à ce que prétendent M. [L] et Mme [V] la durée de la période, mensuelle, est donc bien mentionnée, renvoyant à une périodicité annuelle. Il ne saurait donc y avoir d’erreur de calcul au-delà de la décimale et la note technique remise par les appelants ne rapporte pas d’ailleurs d’élément en ce sens.

Par conséquent, M. [L] et Mme [V] seront déboutés de l’ensemble de leurs demandes et le jugement en date du 14 janvier 2021 sera infirmé en toutes ses dispositions.

II Sur les demandes annexes.

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, M. [L] et Mme [V] seront condamnés in solidum aux entiers dépens.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. M. [L] et Mme [V] seront condamnés in solidum à payer à la société [Adresse 5], la somme de 2.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 14 janvier 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

REJETTE l’ensemble des demandes de M. [L] et de Mme [V] ;

Y ajoutant ;

CONDAMNE M. [L] et Mme [V] in solidum aux entiers dépens de la présente instance ;

CONDAMNE M. [L] et Mme [V] in solidum à verser à la société [Adresse 5] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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