AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente octobre deux mille, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle GHESTIN et de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général FROMONT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– Y… Eugène ,
contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 16 juin 1999, qui, pour exercice illégal de l’art dentaire, l’a condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 373 et L. 376 du Code de la santé publique, de l’article 111-4 du Code pénal et de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Eugène Y… coupable du délit d’exercice illégal de la profession de chirurgien dentiste et l’a condamné à la peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis et à la publication de sa décision ainsi qu’à des réparations au profit des parties civiles ;
« aux motifs qu’il résulte des éléments du dossier qu’Eugène Y… exercer la profession de prothésiste dentaire depuis de nombreuses années à la Ciotat et qu’en 1992 et 1993 il a diffusé dans la presse local des publicités ainsi rédigées : « Laboratoire de prothèses dentaires Dentalux, réparation – rénovation – polissage rapide… complet haut et bas ; appareils métalliques ; devis gratuit ; facilités de paiement en trois fois sans frais » ; « Laboratoire de prothèse dentaire Dentalux vous propose des appareils résine complet haut et bas, appareils métal, réparations rénovations polissages (rapide), devis gratuit – prix abordable ; facilités de paiement en trois fois ; déplacement à domicile » ; que l’instruction a permis de constater que, dans son cabinet, Eugène Y… disposait d’une salle d’attente et d’une pièce avec un bureau et un fauteuil dentaire sans appareillage, qu’en outre un témoin, M. X…, a déclaré qu’à la suite d’un bris de son appareil dentaire, il s’était rendu le 29 janvier 1993 au cabinet d’Eugène Y… et que celui-ci avait réparé son appareil pour le prix de 400 francs ; qu’au cours des débats, Eugène Y… ne conteste pas prendre des empreintes dentaires et faire des interventions en bouche faisant état de la nécessité financière de poursuivre son activité ; qu’il soutient dans ses conclusions que de telles interventions ne constitueraient pas des actes médicaux en l’absence de diagnostic et de tout traitement médical ; que, selon le Littré, la médecine est un art qui a pour but la conservation de la santé et la guérison des maladies, et qui repose sur la science des maladies ou pathologie, que la chirurgie est une partie de l’art de guérir qui s’occupe des malades externes, de leur traitement, et,
particulièrement, des procédés manuels qui servent à leur guérison, qu’enfin la prothèse est une partie de la thérapeutique chirurgicale qui a pour objet de remplacer par une préparation artificielle un organe qui a été enlevé pas de l’art dentaire, en revanche constituent bien des actes prothétiques relevant de cet art, visés à l’article L. 373-1 du Code de la santé publique, les opérations de prise d’empreintes, d’adaptation et de pose d’un appareil dentaire, sans qu’il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d’installer un premier appareil ou d’ajuster ou de réparer une prothèse existante ; que l’édentation est bien un état pathologique évolutif lié à la dégradation des systèmes osseux, muqueux, musculaires, articulaires et nerveux en relation avec l’appareil manducateur, que si la pose correcte d’un appareillage peut ralentir cette dégradation, une mauvaise conception de la prothèse risque au contraire de l’accélérer (empreintes ne correspondant pas au type histo-anatomique du patient, mauvais choix des dents prothétiques, mauvais montage des dents, équilibre des prothèses non respecté, pathologie non diagnostiquée avant le traitement prothétique, méconnaissance des paramètres liés à l’articulation tempora-mandibulaire, etc…) ; que la simple réparation d’une prothèse est également un acte médical, qu’il est en effet nécessaire de connaître la cause de la cassure surtout lorsque celle-ci est intervenue en bouche (mauvaise adaptation, mauvaise occlusion, vieillissement des matériaux constituants de la prothèse, déficiences mécaniques telles qu’absence de stabilité et de rétention, etc…), ces causes étant davantage liées à des problèmes cliniques qu’à un simple acte technique, qu’en outre, la réparation nécessitera en générale une nouvelle prise d’empreintes et qu’enfin, l’insertion de la prothèse devra s’accompagner de vérifications cliniques (capacités fonctionnelles de la prothèse d’adaptation sur le support ostéo-muqueux et dentaire, ajustement de l’occlusion) ;
que, normalement, les patients n’ont de contact personnel qu’avec leur chirurgien-dentiste, que le prothésiste n’effectue son travail de confection d’une prothèse dentaire que sur les indications du chirurgien dentiste et sous son contrôle dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage auquel le patient est étranger, que seul le chirurgien-dentiste a donc compétence pour intervenir sur la bouche du patient, que ce soit pour prendre l’empreinte de celle-ci que pour décider du type de prothèse (fixe, amovible) et pour en contrôler la pose et le bon fonctionnement, qu’en conséquence, le prévenu n’avait normalement pas à passer des publicités pour son laboratoire dans la presse régionale et dans les journaux d’annonces gratuits destinés au grand public, qu’il n’avait pas davantage à recevoir personnellement et directement des clients ;
que les actes reprochés à Eugène Y… dans le cadre de sa profession de prothésiste dentaire constituent bien des actes participant de l’art dentaire alors que le prévenu ne possède aucun des diplômes requis pour exercer la profession de chirurgien-dentiste, qu’il suffira de rappeler que la denturologie dont se prévaut le prévenu est une discipline inconnue en France (l’expression n’existant même pas dans la langue française) ;
qu’Eugène Y… ne pouvait pas ignorer la nature illégale de ses activités dans la mesure où il avait déjà été condamné en 1991 par le tribunal correctionnel de Toulon pour des faits identiques ; que c’est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu la culpabilité d’Eugène Y… (arrêt attaqué, pages 5, 6 et 7) ;
« 1 ) alors qu’aux termes de l’article L. 373 du Code de la santé publique, la pratique de l’art dentaire comporte le diagnostic, le traitement des maladies de la bouche, des dents et des maxillaires congénitales ou acquises, réelles ou supposées ; que, dès lors, compte tenu du principe d’interprétation restrictive de la loi pénale, la prise d’empreinte en vue de confectionner une prothèse dentaire ne saurait constituer un acte médical ; qu’il s’agit d’une opération purement mécanique qui n’a pour objet ni de poser un diagnostic ni de déterminer un traitement d’une maladie de la bouche mais seulement de déterminer la forme de la prothèse ; qu’en énonçant néanmoins qu’Eugène Y… ne contestait pas prendre des empreintes dentaires, ce qui caractériserait le délit reproché, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
« 2 ) alors qu’en se bornant à relever qu’Eugène Y… ne contestait pas « faire des interventions en bouche » et que, selon le témoin X…, il lui avait réparé son appareil dentaire, sans rechercher la nature exacte des « interventions en bouche » qui auraient été pratiquées et sans préciser en quoi la réparation de l’appareil de M. X… aurait nécessité une intervention relevant de l’art dentaire stricto sensu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
« 3 ) alors que seule la personne qui prend part « habituellement » à des actes relevant de la pratique de l’art dentaire est pénalement punissable ; qu’en omettant de caractériser l’élément d’habitude constitutif du délit reproché à Eugène Y…, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision » ;
Attendu qu’Eugène Y…, prothésiste dentaire, qui n’est pas titulaire du diplôme de chirurgien-dentiste, est poursuivi pour avoir exercé illégalement l’art dentaire, infraction prévue et réprimée par les articles L. 373 et L. 376 devenus les articles L. 4161-2 et L. 4161-5 du Code de la santé publique ;
Attendu que, pour le déclarer coupable du délit, les juges d’appel prononcent par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en cet état, et dès lors que constituent des actes prothétiques relevant de l’art dentaire, visés à l’article L. 373, 1 , du Code de la santé publique, les opérations de prise d’empreintes, d’adaptation, de pose ou de réparation d’un appareil dentaire, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Ferrari conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;
Avocat général : Mme Fromont ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;