N° V 20-82.599 F-D
N° 00439
CG10
7 AVRIL 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 AVRIL 2021
M. P… I… a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 6 février 2020, qui, pour exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste en récidive, l’a condamné à 6 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. P… I…, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l’audience publique du 9 mars 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le syndicat des Chirurgiens-dentistes du Gard a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste contre M. P… I…, prothésiste dentaire titulaire d’un diplôme d’épithésiste.
3. Ce dernier a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir exercé illégalement cette profession notamment en procédant à des opérations de prises d’empreintes, d’adaptation et de pose d’appareils dentaires, en état de récidive légale.
4. Le tribunal correctionnel l’a déclaré coupable de ces faits.
5. M. I…, le ministère public et le syndicat des Chirurgiens-dentistes du Gard ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. P… I… coupable d’exercice illégal de Ia profession de chirurgien-dentiste en récidive, alors :
« 1°/ qu’en vertu de I’article 34 de la Constitution et du principe de légalité des délits et des peines, résultant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le législateur a I’obligation de fixer les règles concernant la détermination des infractions ; qu’il lui appartient, par voie de conséquence, d’en définir les éléments constitutifs en des termes clairs et précis ; qu’à la suite de la déclaration à intervenir, par le Constitutionnel, de non-conformité à ce principe des articles L. 4161-2, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, et L. 4161-5, dans sa rédaction antérieure à la n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, du code de la santé publique, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct et motivé, l’arrêt attaqué, qui a déclaré M. I… coupable d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, se trouvera dépourvu de fondement juridique ;
2°/ qu’exerce illégalement I’art dentaire, toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un praticien, à la pratique de I’art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu’ils soient, notamment prothétiques ; que I’activité de prothésiste dentaire consiste dans le fait d’analyser les cas prothétiques, de concevoir, élaborer, réparer, réaliser la fabrication et mettre sur le marché des dispositifs médicaux sur mesure, prothèses et orthèses dentaires ; qu’en déclarant M. I… coupable d’exercice illégal de I’art dentaire, motif pris qu’il s’était livré à la prise d’empreintes en bouche, bien que la prise d’empreintes fasse partie intégrante de la conception et de l’élaboration de prothèses dentaires par le prothésiste dentaire, à I’exclusion de tout diagnostic préalable par ce dernier, de sorte qu’en réalisant cette empreinte, M. I… n’avait pas accompli un acte relevant de l’art dentaire, la cour d’appel a violé I’article L.4161-2 dr code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi° 2009-526 du 12 mai 2OO9 ensemble I’arrêté du 7 octobre 2002 portant extension d’accords conclus dans le cedre de la convention collective nationale des prothésistes dentaires et laboratoires de prothèses dentaires ;
3°/ qu’exerce illégalement I’art dentaire, toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un praticien, à la pratique de I’art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu’ils soient, notamment prothétiques ; qu’en déclarant M. I… coupable d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, motif pris qu’il avait indiqué dans des publicités réaliser la « maintenance de tous les dispositifs, réparation, remise en état », et ce directement auprès des particuliers et sans contrôle préalable d’un chirurgiendentiste, bien que la maintenance, la réparation et la remise en état de prothèses dentaires ne supposent pas de poser préalablement un diagnostic, lequel a été établi lors de la conception de la prothèse, qui aurait nécessité le contrôle préalable d’un chirurgien-dentiste, la cour d’appel a violé I’article L. 4161-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 ;
4°/ qu’exerce illégalement I’art dentaire, toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un praticien, à la pratique de I’art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu’ils soient, notamment prothétiques ; qu’exerce la profession d’épithésiste toute personne qui procède à I’appareillage, par prothèse faciale externe sur mesure ; que l’appareillage recouvre la conception, la prise de mesure avec moulage éventuel, la fabrication, I’essayage, la délivrance de I’appareil, le contrôle de sa tolérance et de son efficacité immédiate, le suivi de I’appareillage et de son adaptation ; qu’en se bornant à énoncer, pour déclarer M. I… coupable d’exercice illégal de l’art dentaire, qu’il avait réalisé des prises d’empreintes en bouche et qu’il ne pouvait justifier ses actes par son activité d’épithésiste dès lors que, en cette qualité, il fabriquait des prothèses faciales externes et non des prothèses dentaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la prise d’empreintes en bouche était nécessairement incluse dans la prise de mesure avec moulage auquel se livre l’épithésiste pour la fabrication de prothèses faciales externes sur mesure, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4161-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, ensemble I’article D. 4364-5 du même code ;
5°/ qu’à titre subsidiaire, il appartient au juge répressif d’écarter I’application d’un texte d’incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du traité sur le fonctionnement de l’Union économique européenne ou un texte pris pour I’application de celui-ci ; que selon la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, constitue un dispositif sur mesure, tout dispositif fabriqué suivant la prescription d’un praticien dûment qualifié indiquant, sous la responsabilité de ce dernier, les caractéristiques de conception spécifiques et destiné à n’être utilisé que pour un patient déterminé ; que selon cette même directive, à la qualité de fabricant, la personne physique ou morale responsable de la conception, de la fabrication, du conditionnement et de l’étiquetage d’un dispositif en vue de sa mise sur le marché en son propre nom, que ces opérations soient effectuées par cette même personne ou pour son compte par une tierce personne ; qu’il en résulte que les prothésistes dentaires sont habilités à réaliser les actes nécessaires à la conception et à la fabrication de prothèses dentaires ; qu’en déclarant néanmoins M. I… coupable d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, motif pris qu’il était intervenu en bouche pour prendre des empreintes, acte qui relevait de la seule compétence des chirurgiens dentistes, bien qu’elle ait été tenue d’écarter les textes servant de base à la poursuite en ce qu’ils réservent la prise d’empreintes aux seuls chirurgiens-dentistes, instituant par là-même une discrimination avec les prothésistes dentaires au regard des dispositions communautaires, la cour d’appel a violé les articles L. 4141-1 dans sa rédaction antérieure à I’ordonnance n° 2008-507 du 30 mai 2008 et L 4161-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009. du code de la santé publique. ensemble la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 précitée. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
7. La Cour de cassation ayant, par arrêt en date du 24 novembre 2020, dit n’y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
8. Pour écarter, en premier lieu, le moyen pris de l’absence de conformité du droit interne aux dispositions des directives européennes et plus spécialement la directive n°93/42/CEE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, l’arrêt énonce que cette directive a été transposée par des textes codifiés sous les articles L. 5211-1 et suivants du code de la santé publique pour la partie législative et R. 5211-1 pour la partie réglementaire, qui n’ont pas modifié l’article L. 4111-1 dudit code qui définit les personnes autorisées à exercer l’art dentaire. Les juges ajoutent que cette directive concerne les dispositifs médicaux et n’a nullement pour objectif de procéder à une harmonisation des diplômes des professionnels médicaux, mais seulement d’organiser la généralisation des normes de qualité des dispositifs médicaux. La cour d’appel en conclut qu’elle n’a donc aucune incidence sur les attributions spécifiques des prothésistes dentaires.
9. Pour déclarer, en second lieu, le prévenu coupable, l’arrêt attaqué énonce que, selon l’avis du 29 février 2012 de l’Autorité de la Concurrence, le prothésiste dentaire n’est pas un professionnel de santé, mais a le statut d’artisan et n’intervient qu’à un seul stade du traitement prothétique, à savoir celui de la confection de la prothèse sur indications du chirurgien-dentiste qui établit les caractéristiques de conception ainsi que la prescription de la prothèse.
10. Les juges ajoutent que le prévenu a revendiqué pratiquer la prise d’empreintes sur ses clients et avoir en particulier pris des empreintes de mâchoire et des mesures en bouche afin de réaliser des prothèses dentaires pour une patiente, hors de tout contrôle et toute prescription d’un chirurgien-dentiste. Ils précisent qu’il a procédé sur elle, durant une année, à des réglages lui causant de grandes souffrances avant qu’un chirurgien-dentiste ne répare les dégâts occasionnés.
11. La cour d’appel en conclut que le délit est caractérisé, dès lors que la pose d’une prothèse dentaire est un acte médical qui relève de la seule compétence des chirurgiens-dentistes ou médecins stomatologistes et qu’en l’état actuel de la législation les prothésistes dentaires ne peuvent intervenir en bouche pour prendre des empreintes et obtenir des informations qui relèvent de la seule compétence du chirurgien-dentiste.
12. Elle retient, en outre, que le délit est encore caractérisé du fait que, dans ses publicités, le prévenu a indiqué qu’il pratiquait des actes de « maintenance de tous les dispositifs, réparation, remise en état » et ce directement auprès des particuliers, sans contrôle préalable d’un chirurgien-dentiste.
13. Elle souligne, enfin, que le prévenu ne peut justifier ses actes par son activité d’épithésiste dont il possède le diplôme depuis 1999, dès lors qu’en cette qualité, il fabrique des prothèses faciales externes, ce qui est différent des prothèses dentaires, et que les faits qui lui sont reprochés s’inscrivent dans sa stricte activité de prothésiste dentaire.
14. En se déterminant ainsi, la cour d’appel, qui a répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions soutenues devant elle, n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept avril deux mille vingt et un.