AFFAIRE BAUX RURAUX
RAPPORTEUR
N° RG 19/07505 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MVNE
[D]
[J]
[M]
[J]
[J]
[J]
[J]
C/
[M]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Tribunal paritaire des baux ruraux de BELLEY
du 30 Septembre 2019
RG : 51-14-000002
COUR D’APPEL DE LYON
BAUX RURAUX
ARRÊT DU 10 JUIN 2022
APPELANTS :
[G] [D] épouse [J]
née le 05 Septembre 1949 à [Localité 33]
[Adresse 2]
[Localité 18]
[L] [J]
née le 20 Novembre 1973 à [Localité 28]
[Adresse 21]
[Localité 22]
[W] [M] épouse [J]
née le 05 Mars 1975 à [Localité 28]
[Adresse 6]
[Localité 23]
[U] [J]
née le 05 Juillet 1976 à [Localité 28]
[Adresse 3]
[Localité 25]
[Z] [J]
né le 04 Juillet 1980 à [Localité 28]
[Adresse 5]
[Localité 1]
[A] [J]
née le 07 Juillet 1983 à [Localité 28]
[Adresse 7]
[Adresse 26]
[Localité 23]
[B] [J]
née le 17 Août 1986 à [Localité 28]
[Adresse 9]
[Localité 24]
Représentés par Me François ROBBE de la SCP DESILETS ROBBE ROQUEL, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE substitué par Me Pauline MARTIN, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
INTIMÉE :
[N] [M] épouse [F]
née le 05 Janvier 1961 à [Localité 34]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Carole GUYARD DE SEYSSEL, avocat au barreau de l’AIN substituée par Me Marie christine REMINIAC, avocat au barreau de l’AIN
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Avril 2022
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Patricia GONZALEZ, présidente
– Sophie NOIR, conseiller
– Catherine CHANEZ, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Juin 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************************
EXPOSE DU LITIGE
M. [P] [J] était propriétaire de diverses parcelles de terres agricoles, soit à titre personnel, à [Localité 31] (parcelles cadastrées section [Cadastre 30],[Cadastre 17],[Cadastre 10], section [Cadastre 37] et section [Cadastre 38] et [Cadastre 12]), soit avec son épouse [G] [D], à [Localité 36] (parcelles cadastrées section [Cadastre 27],[Cadastre 8],[Cadastre 14],[Cadastre 15] et [Cadastre 16]). Les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale.
En 1973, M. [J] a mis l’ensemble de ces parcelles à disposition du GAEC qu’il avait constitué avec M. [H]. Par acte du 15 juin 1991, il a cédé l’intégralité de ses parts à son associé, avec effet au 1er février 1991, laissant les parcelles à sa disposition, sans établir de contrat de bail écrit.
Fin 1999, M. [H] a cédé son exploitation à M. [K]. Il a adressé à M. [J] un courrier, le 20 novembre 1999 afin de lui demander de signer les attestations de résiliation de la location verbale destinées à la MSA et lui suggérer de prendre contact avec M. [K] pour discuter du montant des locations.
Aucun écrit n’a été signé entre M. [J] et M. [K]. Néanmoins, ce dernier a poursuivi l’exploitation des terres appartenant à M. [J] et à son épouse, puis les a mises à disposition du GAEC [K]-[F] qu’il a constitué avec M. [E] [F], Mme [N] [M], son épouse et M. [T] [F], le 26 décembre 2005.
Par procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 12 juin 2011 contenant cession de parts, M. [K] a cédé l’intégralité de ses parts à Mme [F].
Au décès de M. [J] survenu le 23 avril 2012, son épouse a reçu de la MSA une copie de l’attestation de location verbale signée le 11 novembre 2011 par son époux au profit de Mme [F].
Par courrier recommandé avec avis de réception du 9 avril 2014 reçu le 10 avril, Mme [J] et l’indivision [J] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Belley pour solliciter l’annulation du bail rural.
Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal paritaire des baux ruraux a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire,
– Dit n’y avoir lieu à requalifier la résiliation amiable de bail et l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011 en cession de bail illicite et débouté les consorts [J] de leur demande à ce titre ;
– Rejeté la demande d’annulation de la résiliation amiable de bail et de l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011 et débouté les consorts [J] de leur demande à ce titre ;
– Constaté que la copie du constat d’huissier du 4 mai 2016 produite à l’instance était incomplète et jugé n’y avoir à l’écarter des débats, les pages produites ne démontrant pas qu’il a été réalisé en pénétrant sur les parcelles louées ;
– Jugé que Mme [F] était preneur à bail rural des parcelles cadastrées [Cadastre 30], [Cadastre 17] et [Cadastre 10] section [Cadastre 37] et section [Cadastre 38] et [Cadastre 12] à [Adresse 32] et des parcelles cadastrées [Cadastre 27], [Cadastre 8], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] section B situées à [Localité 36] ;
– Rejeté la demande de résiliation du bail rural aux torts exclusifs de Mme [F] ;
– Dit que Mme [F] devra, dans le mois de la signification de la présente décision, régler aux consorts [J] les fermages de 2012 à 2018, et l’y a condamnée au besoin ;
– Débouté les consorts [J] de leurs prétentions ;
– Condamné in solidum les consorts [J] à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné les consorts [J] aux dépens, sans les frais d’expertise.
Par déclaration faite par courrier recommandé avec avis de réception reçue au greffe le 29 octobre 2019, les consorts [J] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions, ils demandent à la cour de réformer le jugement et de :
– Constater la cession illicite du bail au profit de Mme [F] et en conséquence le résilier ;
– Subsidiairement, constater la nullité du bail pour défaut de consentement de Mme [J] et à défaut, prononcer la résiliation du bail aux torts de Mme [F] pour défaut d’entretien ;
– A titre infiniment subsidiaire, dire que la parcelle [Cadastre 10] n’est louée qu’à concurrence de 69 ares 93 centiares, hormis les parties attenantes aux bâtiments de la parcelle [Cadastre 11] jusqu’aux limites non matérialisées de cette parcelle, en particulier la partie située derrière la grange jusqu’au poulailler ;
– Dire que la parcelle [Cadastre 12] n’est louée qu’à concurrence de 2 hectares 79 ares 27 centiares et demeure libre à concurrence de 32 ares 73 centiares, plateau attenant au jardin situé sur les parcelles [Cadastre 13] et [Cadastre 20] et supportant le réseau d’assainissement de la maison d’habitation ;
– En tout état de cause, ordonner l’expulsion de Mme [F] des parcelles leur appartenant, ainsi que de tout occupant de son chef, dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt et sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
– Condamner Mme [F] à remettre les parcelles occupées en l’état, notamment les haies et les clôtures qu’elle a endommagées ou détruites ou encore nettoyer des déchets végétaux leurs parcelles boisées ;
– Condamner Mme [F] à supporter le coût du nettoyage de la fosse septique, à savoir 660 euros et du coût qui résultera de la remise en état du réseau d’assainissement de la maison d’habitation, endommagé par le passage des engins agricoles sur la partie libre de la parcelle [Cadastre 12] ;
– Condamner Mme [F] à leur verser la somme de 14 368 euros en réparation du préjudice causé par l’endommagement de la haie de clôture de la parcelle [Cadastre 12] ;
– Condamner Mme [F] à leur verser la somme de 1 735,06 euros en réparation du préjudice causé par l’endommagement du bornage de la parcelle [Cadastre 37] ;
– Condamner Mme [F] à leur verser la somme de 2 398,92 euros à titre d’indemnité d’occupation pour les années 2020 et 2021 ;
– Condamner Mme [F] à leur verser la somme de 300 euros par mois d’occupation jusqu’à la libération des parcelles ;
– Condamner Mme [F] à leur verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Mme [F] aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, Mme [F] demande à la cour de
– Déclarer irrecevable pour forclusion la demande d’annulation du bail rural pour défaut de consentement ;
– Subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande d’annulation de la résiliation amiable de bail et de l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011 et débouté les consorts [J] de leur demande à ce titre, dit n’y avoir lieu à requalifier la résiliation amiable de bail et l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011 en cession de bail illicite et débouté les consorts [J] de leur demande à ce titre, jugé qu’elle était preneur à bail rural des parcelles cadastrées [Cadastre 30], [Cadastre 17] et [Cadastre 10] section [Cadastre 37] et section [Cadastre 38] et [Cadastre 12] à [Adresse 32] et des parcelles cadastrées [Cadastre 27], [Cadastre 8], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] section B situées à [Localité 36], rejeté la demande de résiliation du bail rural à ses torts exclusifs, débouté les consorts [J] de leurs prétentions, condamné in solidum les consorts [J] à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, condamné les consorts [J] aux dépens ;
– Dire qu’elle a exécuté le chef du jugement l’ayant condamnée à régler aux consorts [J] les fermages de 2012 à 2018 ;
– Infirmer le jugement en ce qu’il a jugé n’y avoir lieu à écarter des débats le constat d’huissier du 4 mai 2016, les pages produites ne démontrant pas qu’il a été réalisé en pénétrant sur les parcelles louées ;
– Débouter les consorts [J] de l’intégralité de leurs demandes ;
– Condamner in solidum les consorts [J] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner in solidum les consorts [J] aux dépens.
A l’audience du 8 avril 2022, les parties ont déclaré maintenir leurs conclusions sans les modifier de quelque façon que ce soit.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées et soutenues oralement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de » constatations » ou de » dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur la demande de résiliation du bail pour cession illicite
L’article L411-35 du code rural, dans sa version applicable à l’espèce, disposait en son alinéa 1 : » Sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l’article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d’agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire. »
L’article L411-37 disposait quant à lui :
» Sous réserve des dispositions de l’article L. 411-39-1, à la condition d’en aviser le bailleur au plus tard dans les deux mois qui suivent la mise à disposition, par lettre recommandée, le preneur associé d’une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire, sans que cette opération puisse donner lieu à l’attribution de parts. Cette société doit être dotée de la personnalité morale ou, s’il s’agit d’une société en participation, être régie par des statuts établis par un acte ayant acquis date certaine. Son capital doit être majoritairement détenu par des personnes physiques.
L’avis adressé au bailleur mentionne le nom de la société, le tribunal de commerce auprès duquel la société est immatriculée et les parcelles que le preneur met à sa disposition. Le preneur avise le bailleur dans les mêmes formes du fait qu’il cesse de mettre le bien loué à la disposition de la société ainsi que de tout changement intervenu dans les éléments énumérés ci-dessus. Cet avis doit être adressé dans les deux mois consécutifs au changement de situation.
Le bail ne peut être résilié que si le preneur n’a pas communiqué les informations prévues à l’alinéa précédent dans un délai d’un an après mise en demeure par le bailleur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La résiliation n’est toutefois pas encourue si les omissions ou irrégularités constatées n’ont pas été de nature à induire le bailleur en erreur.
Le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l’exploitation du bien loué mis à disposition, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation.
Les droits du bailleur ne sont pas modifiés. Les coassociés du preneur, ainsi que la société si elle est dotée de la personnalité morale, sont tenus indéfiniment et solidairement avec le preneur de l’exécution des clauses du bail. »
Enfin les termes de l’article L325-1 étaient les suivants : » L’entraide est réalisée entre agriculteurs par des échanges de services en travail et en moyens d’exploitation.
Elle peut être occasionnelle, temporaire ou intervenir d’une manière régulière.
L’entraide est un contrat à titre gratuit, même lorsque le bénéficiaire rembourse au prestataire tout ou partie des frais engagés par ce dernier.
Lorsqu’elle est pratiquée dans une exploitation soumise au régime d’autorisation des exploitations de cultures marines, l’entraide doit donner lieu à l’établissement d’un contrat écrit. »
Il est constant que M. [P] [J] a consenti plusieurs baux ruraux sans formaliser d’écrit, lesquels portaient tant sur des parcelles lui appartenant en propre (cadastrées section [Cadastre 30]-[Cadastre 17]-[Cadastre 10] section [Cadastre 37] et section [Cadastre 38] et [Cadastre 12] et situées à [Localité 31]) que sur des parcelles appartenant à la communauté formée avec son épouse (cadastrées section [Cadastre 27]-[Cadastre 8]-[Cadastre 14]-[Cadastre 15]-[Cadastre 16]).
Au 12 juin 2011, quand M. [K] a quitté le GAEC constitué avec les consorts [F], lesdites parcelles étaient exploitées par cette structure, qui a en poursuivi l’exploitation par la suite.
Mme [F] produit le modèle d’un courrier que M. [K] aurait adressé le 1er septembre 2011 à chacun de ses bailleurs, par lequel il leur demandait d’accepter le transfert de chacun des baux qui lui étaient consentis au GAEC » et notamment à Mme [F] [N] « , afin de leur permettre de conserver les droits liés à leurs terrains et de bénéficier d’une garantie de règlement. L’authenticité de ce courrier n’est pas contestée.
Par la suite, M. [P] [J] a signé une attestation de bail verbal en faveur de Mme [F], datée du 11 novembre 2011 et portant sur ces mêmes parcelles.
Les consorts [J] soutiennent que M. [K] aurait dû continuer à exploiter les parcelles après sa sortie du GAEC, en application de l’article L411-37 du code rural et que le transfert du bail conclu entre M. [P] [J] et M. [K] au profit de Mme [F] doit s’analyser en cession de bail, laquelle n’est possible qu’au profit du conjoint ou des descendants du preneur, en application de l’article L411-35 du même code.
Mme [F] réplique qu’en application de l’article L411-37 III in fine, lorsque les parcelles louées sont mises à disposition d’une structure, celle-ci est tenue solidairement avec le preneur de l’exécution des clauses du bail, y compris du paiement des fermages ; or elle justifie avoir payé les fermages de 2000 à 2011. Après son départ du GAEC, M. [K] aurait conservé la qualité de preneur sur les terres données à bail par M. [J] et en aurait poursuivi l’exploitation jusqu’au 11 novembre 2011, date de la résiliation dudit bail. Rien ne lui interdisait de pratiquer l’entraide agricole avec le GAEC [F], telle que définie par l’article L325-1 du code rural.
Mme [F] justifie des bonnes relations qu’elle a entretenues avec M. [P] [J], de même que son époux et son fils, par la production de plusieurs attestations, et affirme que le bailleur a toujours manifesté son accord pour que le GAEC continue à exploiter ses fonds. M. [K] ne lui a aucunement transféré son bail, puisqu’une résiliation amiable et une attestation de location verbale ont été régularisées, sur les conseils du service juridique de la chambre d’agriculture.
La cour ne peut en effet considérer que le bail conclu verbalement entre M. [P] [J] et M. [K] a fait l’objet d’une cession entre ce dernier et Mme [F] puisque M. [J] a entendu signer un acte de résiliation amiable de ce bail, puis une attestation de bail verbal en faveur de Mme [F]. Son intention s’interprète sans équivoque possible comme celle de mettre un terme au premier bail pour en conclure un nouveau avec Mme [F].
Sur la période du 12 juin au 11 novembre 2011, M. [K] a pratiqué l’entraide agricole en mettant à disposition à titre gratuit les parcelles qui lui étaient données à bail à la disposition du GAEC et de Mme [F], le temps de permettre à cette dernière de régulariser la situation auprès des divers bailleurs.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté les consorts [J] de leur demande de résiliation pour cession illicite.
2-Sur la demande d’annulation du bail pour défaut de consentement de Mme [J]
2-1-Sur la fin de non-recevoir
Mme [F] soulève tout d’abord la forclusion de l’action en nullité, sur le fondement de l’article 1427 du code civil, lequel dispose : » Si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation.
L’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
Elle argue de l’absence de preuve apportée par les appelants sur la détention de comptes séparés par les époux [J] ou sur l’encaissement des chèques sur un compte personnel de M. [J].
Les consorts [J] répondent que Mme [F] ne démontre pas qu’ils ont eu connaissance du bail plus de 2 ans avant la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux, le 9 avril 2014.
Pour déclarer la demande d’annulation du bail forclose, il est nécessaire d’établir que les consorts [J] ont eu connaissance du bail avant le 9 avril 2012. Or ce n’est qu’après le décès de son époux, survenu le 23 avril 2012, que Mme [J] a reçu la copie de l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011.
Même si Mme [J] ou ses enfants venaient dans l’Ain pour les vacances, Mme [F] n’apporte pas la preuve qu’ils ont eu une connaissance précise du changement intervenu au sein des membres du GAEC et de la conclusion d’un nouveau bail verbal au profit de Mme [F] avant cette date.
La demande n’est donc pas forclose.
2-2-Sur le fond
Les consorts [J] se prévalent de l’absence de consentement de Mme [J], qui n’a pas signé l’attestation de location verbale du 11 novembre 2011, alors que certaines des parcelles appartenaient à la communauté qu’elle formait avec son époux et que l’acquisition des autres avait été financée par ladite communauté.
Ils ajoutent que Mme [F], qui savait que M. [J] était marié, a fait preuve de mauvaise foi et que le bail n’a pas été enregistré auprès de l’administration fiscale, si bien qu’il n’est pas opposable aux tiers.
En réponse, Mme [F] se fonde tout d’abord sur la théorie du mandat apparent pour affirmer que Mme [J] ne démontre pas qu’elle ignorait que son mari avait outrepassé ses pouvoirs en lui consentant un bail sur des biens communs et qu’elle savait nécessairement que les terres étaient exploitées par des tiers, notamment par M. [K]. Elle fait remarquer que la notaire chargée de la succession de M. [P] [J] lui a écrit le 15 mai 2012 au sujet de la location des parcelles en lui réclamant le paiement des fermages et qu’elle n’a pu avoir connaissance du bail que par les consorts [J]. Dans ce courrier en outre, la notaire écrit que Mme [J] conteste l’existence d’un bail portant sur les parcelles [Cadastre 29] et [Cadastre 12], lesquelles appartiennent en propre à M. [J], ce dont elle déduit que Mme [J] ne contestait pas le bail.
Mme [F] ajoute que Mme [J] savait que son époux ne disposait plus depuis longtemps du matériel agricole lui permettant de mettre les fonds en valeur et qu’elle a nécessairement profité des revenus locatifs.
Elle s’estime en outre bien fondée à ne pas avoir vérifié la qualité de son cocontractant étant donné les conditions dans lesquelles le bail avait été consenti à M. [K], l’exploitation des terres au vu et au su de Mme [J] sans opposition de sa part et le fait que M. [J] ayant toujours vécu à [Localité 31], il était loisible de penser que les terrains lui appartenaient en propre ou du moins qu’il avait tous pouvoirs pour consentir un bail rural.
Mme [F] argue également d’une gestion d’affaires, rappelant que Mme [J] n’a jamais exercé le moindre acte d’administration courante sur les parcelles appartenant à la communauté, laissant son époux s’en charger en même temps que de l’administration de ses biens propres.
Elle considère que le projet de donation-partage dont se prévalent les consorts [J] est sans effet sur l’appréciation de la situation, notamment parce que l’existence d’un bail rural ne fait pas obstacle à un tel acte.
Sur le défaut d’enregistrement du bail, elle objecte que cette obligation n’existe plus pour les baux verbaux depuis la loi du 30 décembre 1998 et qu’elle présente un intérêt principalement pour les preneurs car elle permet de donner date certaine au bail.
Sur ce, il ressort de la chronologie des événements survenus depuis 1973 que M. [P] [J] a exploité via le GAEC dont il était membre, puis donné à bail tant les parcelles lui appartenant en propre que celles appartenant à la communauté conjugale. Son épouse, qui vivait alors avec lui et qui a contribué, via la communauté, à acquérir une partie des parcelles louées, ne pouvait l’ignorer. Lorsque le couple s’est séparé, M. [J], revenu vivre à [Adresse 32] alors que son épouse résidait dans le Loiret a continué à administrer seul les biens communs. Les actes qu’il a accomplis, et notamment le bail verbal qu’il a consenti à Mme [F] le 11 novembre 2011, s’inscrivent dans le cadre de la gestion d’affaires au sens de l’alinéa 2 de l’article 219 du code civil, qui dispose qu’ » à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un époux en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires. »
Le projet de donation-partage ne permet pas de considérer que Mme [J] était opposée à la conclusion d’un bail, dans la mesure où ces deux actes n’étaient pas incompatibles.
Quant au moyen tiré du financement de l’acquisition des parcelles appartenant en propre à M. [P] [J] par la communauté, il n’a d’effet que dans les rapports entre les époux, et il est donc inopérant dans le présent litige.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté les consorts [J] de leur demande d’annulation du bail rural.
3-Sur la demande en résiliation du bail pour défaut d’entretien par le preneur
L’article L411-31 du code rural dispose en son paragraphe 1:
» I.-Sauf dispositions législatives particulières, nonobstant toute clause contraire et sous réserve des dispositions des articles L. 411-32 et L. 411-34, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s’il justifie de l’un des motifs suivants :
1° Deux défauts de paiement de fermage ou de la part de produits revenant au bailleur ayant persisté à l’expiration d’un délai de trois mois après mise en demeure postérieure à l’échéance. Cette mise en demeure devra, à peine de nullité, rappeler les termes de la présente disposition ;
2° Des agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu’il ne dispose pas de la main-d »uvre nécessaire aux besoins de l’exploitation ;
3° Le non-respect par le preneur des clauses mentionnées au troisième alinéa de l’article L. 411-27.
Les motifs mentionnés ci-dessus ne peuvent être invoqués en cas de force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes. »
Les consorts [J] se prévalent du mauvais entretien pour solliciter la résiliation du bail au visa de l’article précité et produisent deux constats d’huissier. Ils font également valoir les deux plaintes qu’ils ont déposées pour dégradations volontaires contre le GAEC et contre M. [E] [F].
Mme [F] réplique que le constat d’huissier du 4 mai 2016 n’a pu être fait que depuis le fonds loué et qu’il doit donc être écarté des débats en l’absence d’autorisation consentie par elle-même ou par le juge.
Sur le fond, elle affirme que les constats ne matérialisent aucunement une mauvaise exploitation et que les plaintes ont été déposées pour les besoins de la cause. Elle apporte aux débats un rapport d’expertise et diverses attestations allant dans ce sens.
Subsidiairement, Mme [F] conclut que les appelants ne démontrent pas que la bonne exploitation du fonds est compromise.
Il n’apparait pas que l’huissier qui a réalisé le constat du 4 mai 2016 a pénétré sans autorisation sur l’une des parcelles louées, au vu des photographies prises et du plan cadastral. La pièce ne sera donc pas écartée des débats.
L’huissier relève dans ce constat l’absence de délimitation ou de séparation nette entre certaines parcelles, la présence d’arbustes morts, la présence de bouses de vache, des ouvertures pratiquées sur la [Adresse 35] avec interruption de la clôture en bois, une haie envahie par les mauvaises herbes et dont les arbustes sont secs, la dépose d’une borne.
Dans le procès-verbal de constat du 11 mai 2020, le même huissier relève que certaines haires ne sont pas entretenues, que certains passages entre les parcelles ne sont plus possibles, que l’herbe est haute dans un pré, qu’un muret en pierres est endommagé, que des piquets de clôture trainent dans l’herbe avec leur barbelé, qu’un bois n’est pas entretenu et qu’il est inaccessible.
Aucun de ces constats ne permet de retenir que le preneur aurait commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Il en est de même des plaintes déposées les 23 août 2018 et 16 et 19 mai 2020, qui ne sont que la traduction de l’ampleur du conflit entre les deux familles.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté les consorts [J] de leur demande de résiliation du bail pour défaut d’entretien.
4-Sur la remise en état
Les consorts [J] demandent à la cour de condamner Mme [F] à remettre en état les clôtures et les haies endommagées ou détruites et le réseau d’assainissement de la maison d’habitation, à réimplanter le bornage et à nettoyer le dépôt sauvage de végétaux sur leurs parcelles boisées.
Mme [F] réplique qu’elle n’a jamais eu connaissance de l’enlèvement de bornes et que la fosse septique était déjà bouchée du vivant de M. [J] car elle avait été endommagée par un engin manié par le fils de ce dernier.
Aucune des pièces produites ne permet de retenir que Mme [F] est responsable des dégradations que déplorent les bailleurs. Le jugement sera confirmé en ce qu’il les a déboutés de cette demande.
5-Sur l’assiette du bail
Les consorts [J] demandent à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a intégré dans le bail la surface totale des parcelles [Cadastre 10] et [Cadastre 12], contrairement à ce qui figure sur l’attestation de bail verbal. Ils exposent qu’il s’agissait de conserver la tranquillité autour des bâtiments de la propriété et le bon usage des équipements indispensables à l’exploitation, et notamment de permettre l’accès au jardin depuis la limite nord des parcelles [Cadastre 19] et [Cadastre 20], de protéger les écoulements et la fosse septique de la maison et d’éviter la présence d’animaux aux abords de la maison.
Le jugement n’indique que la superficie totale des parcelles données à bail, laquelle correspond exactement à celle indiquée sur le bail. Il n’existe donc aucun motif permettant de le réformer de ce chef, même s’il appartient à Mme [F] de respecter les limites des parcelles afin de revenir à des meilleures relations de voisinage.
Les limites revendiquées par les consorts [J] seront néanmoins précisées puisque l’intimée ne conteste pas qu’elles correspondent aux surfaces reprises dans l’attestation de bail verbal.
6-Sur les demandes en paiement
Les appelants demandent à la cour de condamner Mme [F] au paiement des fermages dus pour 2020 et 2021 au motif qu’elle aurait tardé à solder l’intégralité de sa dette.
Celle-ci n’en conteste pas le montant, qu’elle sera donc condamnée à verser aux consorts [J].
7-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les consorts [J] seront condamnés aux dépens de l’instance d’appel.
L’équité commande de condamner à payer à Mme [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement prononcé le 30 septembre 2019 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Belley en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rappelle que la parcelle [Cadastre 10] n’est louée qu’à concurrence de 69 ares 93 centiares, ce qui exclut les parties attenantes aux bâtiments de la parcelle [Cadastre 11] jusqu’aux limites non matérialisées de cette parcelle, en particulier la partie située derrière la grange jusqu’au poulailler et que la parcelle [Cadastre 12] n’est louée qu’à concurrence de 2 hectares 79 ares 27 centiares et demeure libre à concurrence de 32 ares 73 centiares, ce qui exclut le plateau attenant au jardin situé sur les parcelles [Cadastre 13] et [Cadastre 20] et supportant le réseau d’assainissement de la maison d’habitation ;
Condamne Mme [F] à verser aux consorts [J] la somme de 2 398,91 euros au titre des fermages dus pour les années 2020 et 2021 ;
Condamne les consorts [J] aux dépens d’appel ;
Condamne in solidum les consorts [J] à payer à Mme [F] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Le GreffierLa Présidente
Gaétan PILLIEPatricia GONZALEZ