Mandat apparent : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 20/01416

·

·

Mandat apparent : 15 septembre 2022 Cour d’appel de Poitiers RG n° 20/01416

PC/PR

ARRÊT N°

N° RG 20/01416

N° Portalis DBV5-V-B7E-GBCQ

[V]

G.A.E.C. [V]

C/

[E]

[M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

Suivant déclaration de saisine du 22 juillet 2020 après arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2020 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Limoges le 3 juillet 2018 sur appel d’un jugement du 11 septembre 2017 rendu par le tribunal d’instance de Guéret.

DEMANDEURS SUR RENVOI DE CASSATION :

Monsieur [P] [V]

né le 13 septembre 1988 à [Localité 40] (23)

[Adresse 43]

[Localité 28]

G.A.E.C. [V]

[Adresse 43]

[Localité 28]

Ayant tous deux pour avocat postulant Me Anne-Marie FREZOULS de la SCP BEAUMONT – FREZOULS, avocat au barreau de POITIERS

Représentés par Me Philippe LEFAURE de la SELAS HADE, avocat au barreau de la CREUSE substitué par Me Maria-Kim VASCONI de la SCP BEAUMONT – FREZOULS, avocat au barreau de POITIERS

DÉFENDEURS SUR RENVOI DE CASSATION :

Monsieur [K] [E]

né le 08 septembre 1950 à [Localité 42] (23)

[Adresse 13]

[Localité 1]

Madame [C] [M] épouse [E]

née le 29 décembre 1951 à [Localité 41] (90)

[Adresse 13]

[Localité 1]

Représentés par Me Philippe GAND de la SCP GAND-PASCOT, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 06 avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller

Madame Valérie COLLET, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile que l’arrêt serait rendu le 23 juin 2022. A cette date, le délibéré a été prorogé au 15 septembre 2022.

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte authentique du 22 juin 2001, les époux [S] et [W] [E] ont fait donation, avec réserve d’usufruit, à leur fils, M. [K] [E], de divers immeubles de nature agricole dont ils étaient propriétaires à [Localité 42] (23).

Mme [W] [E] est décédée le 14 juin 2002.

Par acte du 13 décembre 2006, M. [K] [E] et son épouse, Mme [C] [M], ont adopté un régime de communauté universelle, devenant nus-propriétaires des biens transmis à [K] [E] par la donation du 22 juin 2001.

[S] [E], agissant sans leur concours, a successivement consenti :

– le 22 mars 2009, à M. [P] [V], un bail à ferme portant sur diverses parcelles, cadastrées AW [Cadastre 18], AW [Cadastre 11], AX [Cadastre 30], [Cadastre 33], [Cadastre 35], [Cadastre 37], [Cadastre 38], [Cadastre 39], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 12], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], [Cadastre 19], [Cadastre 21], AY [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 29], [Cadastre 31], [Cadastre 32], d’une contenance totale de 15h 58a 10ca,

– le 17 juin 2011, à M. [P] [V] et au GAEC [V] un bail à ferme portant sur des parcelles cadastrées AW [Cadastre 4] et [Cadastre 34], AX [Cadastre 20], [Cadastre 22] et [Cadastre 23], d’une contenance totale de 23h 77a 60ca.

M. [S] [E] est décédé le 2 septembre 2011, laissant pour lui succéder M. [K] [E].

Par acte du 18 juillet 2016, les époux [K] et [C] [E] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Guéret d’une action en nullité des baux consentis sans leur accord.

Par jugement du 11 septembre 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux de Guéret a :

– déclaré la demande des époux [E] recevable,

– constaté la nullité du contrat de bail du 17 juin 2011 passé entre [S] [E] et M. [V] et le GAEC [V] et la nullité partielle du contrat de bail du 22 mars 2009 passé entre M. [S] [E] et M. [V],

– fixé l’indemnité d’occupation annuelle due,

– ordonné la libération des parcelles louées.

Par arrêt du 3 juillet 2018, la cour d’appel de Limoges a confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable la demande des époux [E] et, le réformant pour le surplus, rejeté leur action en nullité, considérant, en substance, que M. [S] [E] s’était comporté comme le propriétaire apparent des biens et que M. [V] a pu, en toute bonne foi, croire qu’il contractait avec le véritable propriétaire des biens donnés à bail.

Par arrêt du 6 février 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a, au visa des articles 544 et 595 al.4 du code civil, cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt du 3 juillet 2018, remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et renvoyé le tout devant la cour d’appel de Poitiers, au motif :

– que, pour rejeter la demande, l’arrêt relève que la qualité d’usufruitier de [S] [E] apparaît dans des documents délivrés par les services du cadastre et retient qu’il s’est comporté en propriétaire apparent des biens, M. [V] ayant pu, en toute bonne foi, croire en cette qualité de son cocontractant,

– qu’en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser les circonstances autorisant M. [V] à croire à la qualité de propriétaire apparent de M. [S] [E], la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Par déclaration transmise le 22 juillet 2020, M. [V] et le GAEC [V] ont saisi la cour d’appel de Poitiers du litige.

L’affaire a été fixée à l’audience du 6 avril 2022 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions transmises les 19 octobre 2020 (M. [V] et le GAEC [V]) et 20 janvier 2022 (époux [E]).

M. [P] [V] et le GAEC [V] demandent à la cour, réformant la décision entreprise :

– de déclarer l’action des époux [E] irrecevable comme prescrite et, à défaut, postérieure à une renonciation à toute nullité,

– de valider les baux litigieux en application de la théorie de l’apparence,

– subsidiairement, d’ordonner une mesure d’expertise pour faire les comptes entre les parties,

– de condamner solidairement les époux [E] à leur payer la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du C.P.C., outre les dépens.

Ils soutiennent en substance :

1 – sur la prescription :

– que les époux [E] qui prétendent n’avoir eu connaissance de l’existence des baux litigieux qu’au décès de M. [S] [E] savaient que les biens de celui-ci étaient loués et que ce bail n’a été transmis ou cédé à M. [Y] [V] (père de [P] [V]) en 2006 après autorisation, que lors de leurs venues à [Localité 42] il est impossible que les époux [E] n’aient pas vu M. [Y] [V] exploiter les terres,

– que dès le décès de M. [S] [E], ils ont su à qui s’adresser pour percevoir rapidement les fermages sans rien contester pendant de nombreuses années, qu’ils n’ont saisi le tribunal qu’en juillet 2016, que connaissant les baux 2006, 2009 et 2011,leur action est prescrite,

2 – sur la renonciation à toute action en nullité :

– que les époux [E] ont, après le décès de M. [S] [E], immédiatement appréhendé les loyers, donné les autorisations de défrichage et déboisement et perçu le prix des bois, pendant cinq années, de sorte qu’ils avaient accepté ces baux depuis la signature,

– que dans un mail du 20 mai 2013, M. [E] a répondu à une demande d’attestation d’entretien des propriétés sans contester l’existence des baux et après avoir examiné les parcelles,

– que’il est justifié de l’encaissement par M. [K] [E] du fermage 2011 au 13 juin 2012

– que les époux [E] ont accepté un paiement en nature (en bois) pour 2012 et que par la suite des discussions ont été engagées sur une éventuelle acquisition des terres dont l’échec a incité les époux [E] à engager leur action,

3 – sur la théorie du mandat apparent :

– que M. [S] [E] apparaissait aux yeux de tous comme le seul et unique propriétaire des biens, ainsi que mentionné dans un relevé cadastral, qu’il a signé et écrit en cette qualité,

– que les preneurs n’avaient aucune raison de douter de la qualité apparente de M. [S] [E], l’existence d’une mention ‘usufruitier’ figurant sur le relevé cadastral étant insuffisante à convaincre un profane du contraire, l’erreur devant être dès lors considérée comme commune et invincible,

4 – que si le jugement état confirmé, il y aurait lieu de faire un compte de sortie entre les parties.

Par conclusions remises et notifiées le 20 janvier 2022, les époux [E] demandent à la cour :

– à titre principal, au visa de l’article 1034 du C.P.C., de déclarer irrecevable la déclaration de saisine de M. [P] [V] et du GAEC [V] enregistrée au greffe le 20 juillet 2020 et de constater que le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Guéret du 11 septembre 2017 est revêtu de la force de chose jugée,

– subsidiairement, au visa de l’article 595 al.4 du code civil, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

– ajoutant à la décision déférée, de condamner in solidum M. [V] et le GAEC [V] à leur payer la somme de 5 000 € en application de l’article 700 du C/.P.C., outre les entiers dépens.

Ils soutiennent, pour l’essentiel :

– sur la recevabilité même de la déclaration de saisine : que la saisine de la cour est tardive comme régularisée plus de deux mois après la notification de l’arrêt de la Cour de cassation intervenue le 17 mars 2020,

– subsidiairement, sur le fond :

> que M. [V] et le GAEC [V] n’apportent aucun élément établissant que les époux [E] auraient eu connaissance des baux litigieux antérieurement au décès de M. [S] [E],

> qu’aucune renonciation à invoquer la nullité n’est caractérisée dès lors que le chèque de 1 000 € (ne correspondant pas au montant du fermage) a été remis par M. [V] en paiement d’une somme qui aurait été due à M. [S] [E], sans que la cause en soit précisée et que, dans le mail du 20 mai 2013, M. [E] rappelle expressément qu’il a été tenu à l’écart de la conclusion des baux litigieux, qu’en toute hypothèse, l’encaissement d’un fermage après le décès de l’usufruitier ne vaut pas renonciation à exercer l’action en nullité du bail,

> qu’une vérification élémentaire auprès du cadastre suffisait à établir la véritable qualité de M. [S] [E], ainsi qu’il résulte de la lecture du relevé cadastral produit par les appelants eux-mêmes, ce qui rend l’erreur inexcusable.

MOTIFS

Sur la fin de non-recevoir soulevée en application de l’article 1034 du C.P.C. :

Il doit être rappelé :

– qu’à moins que la juridiction de renvoi n’ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, être faite avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt de cassation faite à la partie, ce délai courant même à l’encontre de celui qui notifie,

– que l’absence de déclaration dans le délai ou l’irrecevabilité de celle-ci confère force de chose jugée au jugement rendu en premier ressort lorsque la décision cassée avait été rendue sur appel de ce jugement (article 1034 du C.P.C.).

L’examen des pièces versées aux débats établit :

– que l’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 6 février 2020 a été signifié, à la requête des époux [E], à M. [P] [V] et au GAEC [V] par actes d’huissier de justice du 17 mars 2020, délivrés à personne,

– que la déclaration de saisine sur renvoi après cassation a été régularisée par M. [V] et le GAEC [V] le 22 juillet 2020.

Il doit cependant être considéré qu’en l’espèce, le délai de deux mois pour procéder à la déclaration de saisine prévu à l’article 1034 du C.P.C. expirait le 24 août 2020, par application des dispositions des articles 1 et 2 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Il convient dès lors de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par les époux [E] sur le fondement de l’article 1034 du C.P.C. et de déclarer recevable la déclaration de saisine régularisée le 22 juillet 2020 par M. [P] [V] et le GAEC [V].

Sur la demande principale en nullité des baux litigieux :

1 – Sur la fin de non-recevoir soulevée par les appelants du chef des dispositions de l’article 2224 du code civil :

M. [V] et le GAEC [V] se prévalent des dispositions de l’article 2224 du code civil en soutenant qu’à la date de l’acte introductif d’instance (18 juillet 2016), les époux [E] avaient parfaite et entière connaissance de l’existence des baux litigieux depuis plus de cinq ans en exposant que les familles [E] et [V] se connaissaient, que lors de leurs venues à [Localité 42], il est impossible que les époux [E] n’aient pas vu M. [V] exploiter leurs terres et n’aient pas connu l’existence des baux de 2006, 2009 et 2011 et que, dès le décès de M. [S] [E], ils ont immédiatement su à qui s’adresser pour percevoir rapidement les fermages sans rien contester, pendant de nombreuses années.

Les époux [E] concluent au rejet de cette fin de non-recevoir en exposant que les appelants ne prouvent pas qu’ils auraient eu connaissance des baux litigieux antérieurement au décès de M. [S] [E] survenu le 2 septembre 2011.

Sur ce,

En dehors de leurs affirmations, M. [V] et le GAEC [V], sur lesquels pèse la charge de la preuve, ne produisent aucun élément objectif et vérifiable établissant de manière incontestable la connaissance par les époux [E], qui ne résidaient pas à [Localité 42], de l’existence des baux litigieux consentis par leur auteur, antérieurement au décès de celui-ci, survenu le 2 septembre 2011.

L’action en nullité des baux ayant été engagée le 18 juillet 2016, soit moins de cinq ans après la date à laquelle les époux [E] soutiennent, sans être efficacement contredits, en avoir pris connaissance, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée des dispositions de l’article 2224 du code civil.

2 – Sur le moyen tiré d’une prétendue renonciation à toute action en nullité :

M. [V] et le GAEC [V] soutiennent que les époux [E] ont renoncé à toute action en nullité et ratifié les baux litigieux dès lors qu’ils ont immédiatement appréhendé les loyers après le décès de leur auteur, qu’ils ont donné des autorisations de défrichage et de déboisement, qu’ils ont perçu le prix des bois, pendant presque cinq années et qu’ils ont accepté d’établir le 20 mai 2013 une attestation d’entretien des propriétés sans contester l’existence des baux.

Au soutien de leurs allégations, ils versent aux débats :

– un message électronique rédigé par M. [K] [E] le 20 mai 2013 dans les termes suivants :

J’ai bien reçu votre projet d’attestation. De tous les futurs signataires, je suis le seul à ne pas résider sur place.

Comme vous le savez, c’est mon père, usufruitier des biens ancestraux situés sur la commune de [Localité 42] qui avait consenti bail. Etant seulement nu-propriétaire je n’ai pas été tenu informé de la gestion qu’il faisait de ces biens de son vivant, ce n’est qu’au moment du règlement de sa succession que j’ai eu à connaître les décisions de gestion qu’il avaient engagées et notamment examen des baux en cours. Je n’ai pas non plus été tenu informé par lui de son opinion à votre égard concernant l’état d’entretien des parcelles louées, son décès brutal a éteint l’usufruit sans plus d’informations à ce sujet.

Malheureusement, depuis la clôture de la succession, je n’ai pas eu le loisir de me rendre parfaitement compte par moi-même de la chose car, étant toujours en activité à [Localité 45] de par mon entreprise et ayant par ailleurs 5 autres propriétés plus importantes à gérer je n’ai eu que peu l’occasion de me rendre aux [Localité 46] depuis cette succession si ce n’est pour régler les affaires courantes, à savoir :

1° ) aux [Localité 46] : réparations urgentes, entretien des bâtiments d’habitation et de leur abord immédiat, coupe et vente des arbres que vous m’avez demandé d’abattre, gestion du litige avec un voisin, suite à la mise en cause dont nous avons fait l’objet, vous et moi, rapide coup d’oeil sur les parcelles non louées dont j’ai eu à gérer le boisement,

2 ° ) au bourg : gestion de la mise en vente de la maison dont le locataire m’a donné son congé.

Vous comprendrez donc aisément que je ne pourrai m’engager dans la signature d’une telle attestation qu’en pleine connaissance de cause, c’est -à-dire seulement après avoir pu me rendre compte de visu, sur place, de l’état de tous les postes que vous me demandez d’attester (haies taillées, arbres élagués, rigoles curées, clôtures entretenues, amendements et fertilisations régulières, broyage de refus dans les pâtures…)

Cela fait beaucoup de postes à regarder en vue de signer une attestation, ladite attestation étant probablement destinée à être versée au dossier qui vous oppose à votre contradicteur et à ses conseillers ainsi qu’au tribunal en cas de jugement, elle ne peut pas, au vu du caractère officiel qu’elle doit revêtir, être signée à l’emporte-pièce dans la précipitation.

Je serai en mesure d’arpenter les parcelles et de visualiser tous les détails demandés dans le projet d’attestation lors de mes congés annuels en juillet-août. Espérant que vous aurez entretemps recueilli les signatures des bailleurs qui demeurent à l’année sur place et qui ont plus que moi la possibilité de se prononcer avec réactivité immédiate.

– un contrat d’achat de bois signé le 29 avril 2014 entre M. [K] [E], propriétaire, et la coopérative Alliance, portant l’indication suivante : ‘coupe de bordure de champ (vu avec M. [V])’ (pièce 7)

– un relevé bancaire de juin 2012 mentionnant, en débit, au 13 juin 2012 un chèque n° 326 de 1 000 € (pièce 11) et la photocopie du chèque établi à l’ordre de M. [K] [E] (pièce 13)

– un message électronique de leur cabinet comptable du 12 mars 2018 mentionnant les dates d’encaissement des fermages 2007 à 2011.

Les époux [E] concluent au rejet des prétentions adverses en soutenant :

– que le paiement de 1 000 € effectué le 10 juin 2012, qui ne correspond pas au montant du fermage, a été remis par M. [V] à M, [E] en paiement d’une somme qui aurait été due à son père, sans en préciser la cause,

– que le courriel du 20 mai 2013 ne peut s’interpréter comme une renonciation à agir en nullité des baux puisque M. [E] y rappelle qu’il a été tenu à l’écart de leur conclusion,

– que la renonciation à invoquer une nullité ne se présume pas et doit être certaine er non équivoque,

– que l’encaissement d’un fermage après le décès de l’usufruitier ne peut valoir renonciation à exercer l’action en nullité du bail.

Il doit être rappelé que le non-respect des dispositions de l’article 595 dernier alinéa du code civil est sanctionné par la nullité du bail rural conclu par l’usufruitier sans le concours du nu-propriétaire, nullité relative dont seul peut se prévaloir ce dernier.

Si une renonciation au bénéfice de cette nullité par une ratification tacite de l’acte litigieux est possible, sa caractérisation suppose la preuve de la connaissance par le nu-propriétaire du vice l’affectant et de son intention claire et non équivoque de le réparer.

En l’espèce, il y a lieu de considérer :

– que la seule acceptation d’un paiement des preneurs (au moyen d’un chèque non expressément causé) ne peut caractériser une renonciation claire et non équivoque les éléments produits par les appelants sont insuffisants à caractériser la volonté certaine et univoque des époux [E] de renoncer au bénéfice de la nullité des baux consentis par l’usufruitier seul, dès lors :

– que l’acceptation d’un paiement d’un des preneurs (GAEC [V]) au moyen d’un chèque dont, en outre, la cause n’est pas établie, est insuffisante à caractériser une renonciation claire et non équivoque à se prévaloir de la nullité des baux litigieux,

– que le message électronique du 20 mai 2013 (qui ne constitue pas l’attestation de bon entretien des terres, au demeurant non versée aux débats) ne caractérise pas une renonciation non équivoque des nu-propriétaires à se prévaloir de la nullité du bail alors même que M. [K] [E] fait expressément référence dans ce document au défaut de pouvoir de son père pour passer les actes litigieux et réserve sa réponse quant à la délivrance d’une attestation de bon entretien des biens loués, la subordonnant à leur examen attentif et exhaustif,

– que le contrat de vente d’arbres versé aux débats a été conclu avec un tiers et ne peut valoir renonciation tacite au bénéfice de la nullité.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté le moyen tiré d’une prétendue ratification tacite des baux litigieux par les nus-propriétaires.

3 – Sur le moyen tiré de l’existence d’un prétendu mandat apparent :

Les appelants revendiquent le bénéfice de la théorie du mandat apparent en faisant valoir :

– que feu M. [S] [E] apparaissait aux yeux de tous comme le seul et unique propriétaire des biens litigieux, signant et écrivant les actes en cette qualité,

– que personne n’avait connaissance d’un démembrement de propriété alors que le cadastre ne mentionnait que M. [S] [E] comme seul et unique propriétaire,

– qu’un relevé cadastral (pièce 6) portant ‘liste des biens d’une personne’ ne mentionne que M. [S] [E], la seule mention ‘usufruitier’ apparaissant sur ce document étant insuffisante à établir la réalité de la situation à l’égard d’un agriculteur profane en matière juridique,

– que l’erreur ainsi commise doit être considérée comme commune et invincible.

Les époux [E] concluent à la confirmation du jugement en ce qu’il a refusé de faire application de la théorie du mandat apparent en soutenant, pour l’essentiel :

– qu’il n’est pas possible de faire bénéficier un preneur de la théorie de l’apparence sans rechercher s’il pouvait s’abstenir, lors de la conclusion du contrat, de toutes vérifications sur la situation du bailleur, notamment lorsqu’il connaît l’existence d’enfants du bailleur,

– qu’une vérification élémentaire auprès du cadastre suffisait à savoir que M. [S] [E] qui consentait le bail n’était qu’usufruitier des terres, ainsi que l’établit le relevé cadastral produit par les appelants eux-mêmes qui sont, en outre, les rédacteurs des baux litigieux.

Sur ce,

La théorie de l’apparence repose sur la fiction de la représentation aux fins de protéger le tiers de bonne foi qui a pu légitimement croire qu’une personne pouvait valablement agir au nom d’une autre, la nullité encourue en application de l’article 595 du code civil pouvant ainsi être écartée lorsque le preneur établit que l’usufruitier avait la qualité de propriétaire apparent ou a agi en qualité de mandataire apparent des nus-propriétaires au regard des circonstances de l’espèce, étant considéré que le preneur doit faire des recherches élémentaires sur la preuve de la qualité de propriétaire et établir qu’il a agi sous l’empire d’une erreur commune.

En l’espèce, il doit être considéré :

– que les baux litigieux ont tous été conclus postérieurement à la donation du 22 juin 2001 (et au décès de Mme [W] [E]) par laquelle M. [E] s’est vu attribuer la nue-propriété des biens composant leur assiette,

– que cette situation s’évince clairement du relevé cadastral ‘liste des biens d’une personne’ obtenu par les appelants en vue de la rédaction des baux litigieux (pièce 9) lequel mentionne expressément, parcelle par parcelle, la qualité (usufruitier, propriétaire) de feu M. [E], informations permettant à toute personne normalement diligente d’établir l’étendue de ses pouvoirs,

– qu’aucun élément objectif et vérifiable n’établit que M. [S] [E] s’est comporté en qualité de mandataire apparent des époux [K] et [C] [E].

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a constaté :

– la nullité intégrale du contrat de bail du 17 juin 2011 conclu entre M. [S] [E] et M. [V] et le GAEC [V], ensemble, en ce qu’il porte sur les parcelles AW [Cadastre 34], AW [Cadastre 4], AX[Cadastre 23], AX[Cadastre 22] et AX[Cadastre 20] dont feu M. [E] n’était qu’usufruitier,

– la nullité partielle du contrat de bail du 22 mars 2009 conclu entre M. [S] [E] et M. [P] [V] en ce qu’il porte sur les parcelles AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9] dont feu M. [E] n’était qu’usufruitier, le bail litigieux demeurant valable en ce qu’il porte sur les parcelles AX [Cadastre 19], XAX [Cadastre 21], AX [Cadastre 8] et AX [Cadastre 10] dont feu M. [E] était (plein) propriétaire.

Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu’il a fixé l’indemnité d’occupation annuelle due par M. [V] et le GAEC [V] aux époux [E], à compter du 2 septembre 2011 et jusqu’à complète libération des lieux, aux sommes de :

– 950,80 € concernant les parcelles visées dans l’acte du 17 juin 2011,

– 938,30 € concernant les parcelles AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9] objets de l’acte du 22 mars 2009,

sous réserve de déduction des versements éventuellement effectués depuis.

Le jugement déféré sera aussi confirmé en ce qu’il a ordonné la libération par M. [V] et le GAEC [V] des parcelles cadastrées sur la commune de [Localité 42], n° AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9], d’une part (bail du 22 mars 2009) et AW [Cadastre 34], AW [Cadastre 4], AX [Cadastre 23], AX [Cadastre 22] et AX [Cadastre 20], d’autre part, (bail du 17 juin 2011), sauf à fixer le délai de libération à six mois à compter du prononcé du présent arrêt, sous astreinte de 50 € par jour de retard.

Sur la demande reconventionnelle subsidiaire d’institution d’expertise aux fins d’évaluer l’indemnité due au preneur sortant :

Aux termes de l’article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué, a le droit à l’expiration du bail à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail.

Il en résulte que, même en cas d’annulation d’un bail rural signé par l’usufruitier sans le consentement du nu-propriétaire, le preneur est recevable à solliciter le bénéfice de l’article L411-69 du code rural et de la pêche maritime.

En l’espèce, les appelants versent aux débats des éléments permettant de présumer qu’ils ont apporté des améliorations au fonds loué, s’agissant notamment des parcelles objets du bail du 17 juin 2011, soit :

– le bail lui-même qui stipule, à l’article ‘conditions particulières :’ à ce jour, le bien locatif est en friche dont la remise en état de culture est à la charge du preneur (dont copie des frais sera remis au bailleur), le bailleur donne le bois au GAEC [V] pour aider à financer les frais de remise en état,

– une facture de travaux de défrichage d’une parcelle de bois pour une remise en culture pour une superficie de 23 hectares (correspondant à la superficie globale des biens objets du bail du 17 juin 2011, établie le 24 septembre 2011 par la S.A.R.L. Bertrandie (pièce 7) pour un montant de 36 119,20 €.

Il sera en conséquence fait droit à la demande d’expertise formée par les appelants selon les modalités qui seront précisées dans le dispositif du présent arrêt.

Sur les demandes accessoires :

Il sera sursis à statuer sur les demandes réciproques en paiement d’indemnités de procédure et sur le sort des dépens jusqu’au règlement définitif du litige.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort :

Vu le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Guéret en date du 11 septembre 2017,

Vu l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 février 2020,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par les époux [E] du chef des dispositions de l’article 1034 alinéa 1er du C.P.C. et déclare recevable la déclaration de saisine régularisée le 22 juillet 2020 par M. [P] [V] et le GAEC [V],

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

1 ) constaté :

– la nullité intégrale du contrat de bail du 17 juin 2011 conclu entre M. [S] [E] et M. [V] et le GAEC [V], ensemble, en ce qu’il porte sur les parcelles AW [Cadastre 34], AW [Cadastre 4], AX[Cadastre 23], AX[Cadastre 22] et AX[Cadastre 20], sises à [Localité 42],

– la nullité partielle du contrat de bail du 22 mars 2009 conclu entre M. [S] [E] et M. [P] [V] en ce qu’il porte sur les parcelles AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9], sises à [Localité 42],

2 – fixé l’indemnité d’occupation annuelle due par M. [V] et le GAEC [V] aux époux [E], à compter du 2 septembre 2011 et jusqu’à complète libération des lieux, aux sommes de :

– 950,80 € concernant les parcelles visées dans l’acte du 17 juin 2011,

– 938,30 € concernant les parcelles AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9] objets de l’acte du 22 mars 2009,

sous réserve de déduction des versements éventuellement effectués depuis,

3 – ordonné la libération par M. [V] et le GAEC [V] des parcelles cadastrées sur la commune de [Localité 42], n° AV [Cadastre 18], AW[Cadastre 11], AX [Cadastre 30], AX [Cadastre 33], AX [Cadastre 35], AX [Cadastre 12], AX [Cadastre 15], AX [Cadastre 16], AY [Cadastre 25], AY [Cadastre 26], AY [Cadastre 32], AX [Cadastre 17], AX [Cadastre 6], AX [Cadastre 5], AX [Cadastre 39], AX [Cadastre 7], AY [Cadastre 29], AY [Cadastre 27], AY [Cadastre 31], AX [Cadastre 38], AX [Cadastre 37], AX [Cadastre 14], AX [Cadastre 9], d’une part (bail du 22 mars 2009) et AW [Cadastre 34], AW [Cadastre 4], AX [Cadastre 23], AX [Cadastre 22] et AX [Cadastre 20], d’autre part, (bail du 17 juin 2011), sauf à fixer le délai de libération à six mois à compter du prononcé du présent arrêt, sous astreinte de 50 € par jour de retard,

Ajoutant au jugement déféré, avant-dire-droit sur la fixation d’une éventuelle indemnité due aux preneurs sortants au titre de l’article L411-69 du code rural et de la pêche maritime, ordonne une expertise judiciaire et commet pour y procéder :

M. [F] [H]

expert près la cour d’appel de Limoges,

DEA 1981-Droit immobilier

Master 2009-M2 Expertise agricoles, foncières et immobilières

[Adresse 36],

[Localité 24],

Tél : [XXXXXXXX03] Fax : [XXXXXXXX02]

Mèl : [Courriel 44]

lequel aura pour mission :

– de convoquer et entendre les parties et se faire remettre d’elles tous éléments qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission,

– de se rendre sur les lieux, en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées,

– de décrire les parcelles objets des baux annulés (superficie, nature, état d’entretien…)

– de rechercher tous éléments permettant d’évaluer l’éventuelle indemnité due aux preneurs sortants visée à l’article 411-69 du code rural et de la pêche maritime, selon les critères prévus par l’article L471-11 dudit code,

Dit qu’avant d’établir son rapport définitif, l’expert adressera aux parties un prérapport leur notifiera ses premières conclusions et les invitant à présenter, dans un délai raisonnable, leurs observations auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif,

Fixe à 3 000 € le montant de la consignation à valoir sur les honoraires de l’expert, à laquelle M. [V] et le GAEC [V] devront procéder dans les deux mois du prononcé du présent arrêt, sous peine de caducité de la désignation de l’expert auprès de la Régie d’Avances et de Recettes de la cour d’appel de Poitiers,

Dit qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert, il sera procédé à son remplacement par le magistrat chargé du suivi des expertises auprès la chambre sociale de la cour,

Sursoit à statuer sur les demandes en application de l’article 700 du C.P.C. et sur le sort des dépens,

Dit que l’affaire sera, à la demande de la partie la plus diligente ou d’office, fixée à une audience de jugement dès le dépôt du rapport d’expertise.

Le greffier, le président,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x