Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 11 OCTOBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/03183 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OUTK
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 01 JUILLET 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 10/15874
APPELANT :
Maître [E] [L] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MPR
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Denis BERTRAND, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [S] [R]
né le 24 Février 1954 à MONCEAU LES MINES (71)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Jérémie OUSTRIC, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Séverine VALLET de la SCP SCP D’AVOCATS COSTE, DAUDE, VALLET, LAMBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représenté par Me Virginie MEYER-SOULLIER, avocat au barreau d’ALBI, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 31 Mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 JUIN 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
**
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
La SARL MPR, exploitant à [Localité 5] une entreprise de maçonnerie générale, était propriétaire d’un véhicule Dodge immatriculé [Immatriculation 3] ; ce véhicule a été vendu le 18 mars 2009 à [S] [R] ; en règlement du prix de vente fixé à 27 000 euros, ce dernier a remis un chèque de banque de ce montant, tiré le 14 mars 2009 sur le Crédit Agricole Nord Midi-Pyrénées au bénéfice d’un certain [H] [T].
Par jugement du 9 novembre 2009, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société MPR, Mme [L] étant désignée aux fonctions de liquidateur.
Celle-ci a, par lettre recommandée du 28 juin 2010, mis en demeure M. [R] d’avoir à lui payer la somme de 19 934,98 euros correspondant au prix de la cession du véhicule intervenue le 6 février 2009 ou de justifier du règlement du prix qui n’apparaissait pas dans les relevés bancaires de la société MPR.
Par lettre recommandée du 5 juillet 2010, Mme [L] a, à nouveau, mis en demeure M. [R] de lui payer la somme de 27 000 euros en règlement du prix de vente du véhicule, les documents fournis par ce dernier au liquidateur faisant apparaître que le prix avait été réglé à M. [T] et non à la société MPR, vendeur du véhicule.
N’obtenant pas satisfaction, Mme [L], prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société MPR a, par exploit du 2 septembre 2010, fait assigner M. [R] en paiement de la somme de 27 000 euros.
Une plainte pour escroquerie et abus de confiance ayant été déposée par M. [R], le tribunal de commerce a, par jugement du 8 avril 2011, prononcé un sursis à statuer jusqu’à ce que la plainte déposée ait été instruite et la décision pénale rendue le cas échéant (sic) ; la plainte a été classée sans suite, le 26 décembre 2017, par le procureur de la république près le tribunal de grande instance de Montpellier en raison de la prescription de l’action publique.
Par exploit du 9 avril 2019, M. [R] a fait assigner M. [T], considéré par lui comme le mandataire apparent de la société MPR, en vue d’être relevé et garanti d’éventuelles condamnations susceptibles d’être mis à sa charge.
Après jonction des instances connexes, le tribunal a notamment, par jugement du 1er juillet 2020 :
‘ dit irrecevable M. [R] dans son exception d’incompétence au profit du tribunal de grande instance d’Albi,
‘ déclaré en conséquence le tribunal de céans compétent pour connaître de l’affaire,
‘ dit prescrite l’action de M. [R] à l’encontre de M. [T],
‘ déclaré en conséquence irrecevable M. [R] dans ses demandes formées à l’encontre de M. [T],
‘ dit que les demandes et moyens de M. [R] à l’encontre de Mme [L] ès qualités de liquidateur de la société MPR ne sont pas prescrites,
‘ dit que M. [T] était le mandataire de la société MPR pour la cession du véhicule litigieux conformément à la théorie du mandat apparent,
‘ dit que le paiement effectué entre les mains de M. [T] est libératoire à l’égard de M. [R],
‘ déclaré que M. [R] est fondé dans son action à l’encontre de Mme [L] ès qualités de liquidateur de la société MPR,
‘ débouté en conséquence Mme [L] ès qualités de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive à l’encontre de M. [R],
‘ débouté M. [T] de sa demande reconventionnelle à l’égard de M. [R],
‘ ordonné l’exécution provisoire de la décision,
‘ condamné Mme [L] ès qualités à payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [L] ès qualités à régulièrement relevé appel, le 30 juillet 2020, de ce jugement en vue de sa réformation.
Elle demande la cour, dans ses conclusions déposées le 27 novembre 2020, via le RPVA de :
(‘)
‘ rejeter toutes prétentions de M. [R] et le débouter de son appel incident,
‘ dire et juger que son exception d’incompétence est irrecevable selon les articles 73 et suivants du code de procédure civile, et que seul le tribunal de commerce de Montpellier est compétent,
‘ dire et juger que les demandes et moyens de M. [R] sont prescrits et infondés,
‘ faire droit à ses demandes telles que figurant dans son assignation et condamner M. [R] à lui payer :
‘ la somme principale de 27 000 euros,
‘ les intérêts de cette somme à compter de la lettre recommandée de mise en demeure du 6 juillet 2010 en vertu de l’article 1153 du code civil,
‘ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, celle de 1500 euros en vertu des articles 1146 et 1147 du code civil,
‘ au titre de l’article 700 du code de procédure civile, celle de 5000 euros.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l’essentiel que :
‘ M. [R] savait que le véhicule appartenait à la société MPR, puisque la carte grise et le certificat de cession comportent le tampon commercial de la société, le fait que le véhicule lui ait été remis par M. [T] ne suffisant pas à établir l’existence d’un mandat apparent,
‘ en effet, M. [R] ne rapporte pas la preuve qu’il a pu légitimement croire que M. [T] disposait d’un mandat de la société pour vendre le véhicule,
‘ la demande d’annulation du contrat de vente est prescrite, M. [R] ne pouvant se prévaloir de l’exception de nullité perpétuelle,
‘ l’intéressé ne rapporte d’ailleurs pas la preuve que son consentement a été vicié puisqu’il n’ignorait pas qu’il contractait avec la société MPR.
M. [R], dont les conclusions ont été déposées le 18 novembre 2020 par le RPVA, sollicite, au visa des anciens articles 1109 et suivants du code civil et 1382 du même code, de voir :
Au principal,
‘ confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, notamment, en ce qu’il a dit que le paiement effectué par lui entre les mains de M. [T] est libératoire par l’effet de la théorie du mandat apparent,
Subsidiairement,
‘ juger que Mme [L] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MPR ne démontre pas que la société ou son gérant n’aurait pas, in fine, reçu paiement du prix de vente,
Très subsidiairement,
‘ juger nul et de nul effet le contrat de vente intervenu entre la société MPR et lui pour vice du consentement,
‘ condamner la société MPR d’avoir à lui régler la somme de 27 000 euros de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices subis et fixer ladite créance au passif de la liquidation judiciaire de la société MPR,
En tout état de cause,
‘ débouter Mme [L] ès qualités de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions formulées à son encontre,
Et y ajoutant,
‘ condamner Mme [L] ès qualités d’avoir à lui régler une somme de 5000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
‘ condamner Mme [L] ès qualités au paiement d’une somme complémentaire de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il expose en substance que :
‘ il a pu légitimement croire que M. [T] avait reçu mandat pour vendre le véhicule de la société MPR, s’étant présenté le jour de la vente avec les clés du véhicule, ainsi que le certificat de cession et la carte grise comportant le tampon de la société,
‘ M. [T] était également le gérant d’une société de vente de véhicules en sorte qu’il a pu légitimement croire que celle-ci avait reçu un mandat de vente,
‘ dans ses conclusions de première instance, l’intéressé a d’ailleurs reconnu explicitement avoir été le mandataire de la société MPR,
‘ le contrat de vente est nul puisque Mme [L] ès qualités ne rapporte pas la preuve que le signataire du certificat de cession avait effectivement reçu le pouvoir d’engager la société MPR par un acte de disposition, la demande de nullité formée par voie d’exception n’étant pas prescrite,
‘ la société MPR a commis une man’uvre dolosive par la création d’une apparence trompeuse, en l’occurrence celle d’un mandataire de la société, et il a lui-même été induit en erreur sur la personne même du vendeur, en possession du tampon commercial de la société.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 31 mai 2022.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l’article 1998 du code civil : « Le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné (‘) » ; cependant, il est de principe que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs.
En l’occurrence, Mme [L] ès qualités a produit un certificat d’immatriculation du véhicule Dodge [Immatriculation 3] comportant diverses mentions manuscrites (15/02/09 – payé : 19 334,98 € ; [Y] [J] – 05/06/72), ainsi qu’un formulaire de certificat de cession du véhicule, daté du 6 février 2009, établi au nom de M. [R] [S] mais non signé de l’acquéreur ; M. [R] a produit, pour sa part, un certificat de cession du véhicule en date du 18 mars 2009 revêtu de sa signature et comportant, dans la rubrique destinée au vendeur, le tampon de la SARL MPR et une signature, ainsi que le certificat d’immatriculation du véhicule avec la mention « vendue le 18 mars 2009 », suivie de la signature du vendeur et du tampon de la société MPR.
C’est sur la base des documents qu’elle produit, retrouvés vraisemblablement au siège de l’entreprise, que Mme [L] ès qualités a réclamé à M. [R], par lettre recommandée du 28 juin 2010 le paiement de la somme de 19 934,98 euros ; cette somme correspond au montant d’un chèque émis le 10 février 2009 par [H] [T] et que celui-ci, dans ses conclusions déposées devant le tribunal de commerce, a présenté comme correspondant au paiement d’une partie du prix de vente du véhicule réglé à M. [Y], le gérant de la société MPR ; M. [T] a expliqué en première instance, en produisant un extrait de son compte bancaire ouvert dans les livres de la Société Générale, qu’il avait vendu à M. [R] au prix de 27 000 euros le véhicule Dodge pour le compte de la société MPR, les documents nécessaires à la vente ayant été renseignés et signés par M. [Y], qu’outre le chèque de 19 934,98 euros, il avait remis à celui-ci deux autres chèques de 1000 euros chacun débités le 10 février 2009 et le 3 mars 2009 sur son compte, plus une somme de 1000 euros versée en espèces en mars 2009, et qu’ainsi, M. [Y] a encaissé une somme totale de 22 934,98 euros manifestement non reversée à la société MPR, pourtant propriétaire du véhicule, lui-même ayant conservé une commission de 4065,02 euros.
Curieusement, les sommes prétendument versées en février et mars 2009 par M. [T] à M. [Y], gérant de la société MPR, l’ont été avant que l’acquéreur du véhicule, M. [R], n’en règle le prix de 27 000 euros par chèque de banque établi le 14 mars 2009, ce qui laisse à penser, à supposer que les règlements faits par M. [T] l’ont bien été à M. [Y] et en règlement du prix de vente, que le véhicule a été acheté par M. [T], sans que le certificat d’immatriculation établi au nom de la société MPR ait été modifié, pour ensuite revendre le véhicule à M. [R] en établissant les documents de vente au nom de la société, propriétaire initiale du véhicule.
Il résulte des termes mêmes de la plainte déposée le 6 décembre 2012 par M. [R] auprès du procureur de la république près le tribunal de grande instance de Montpellier que celui-ci a répondu à une annonce que M. [T] avait fait paraître sur le site « le bon coin » à l’enseigne « société American Import à Montpellier », qu’après discussion par mail et accord sur le prix ramené à 27 000 euros, il a été convenu d’une rencontre organisée sur le parking d’une grande surface en zone industrielle dans la banlieue de Montpellier à Castelnau-le-Lez, non loin du domicile de M. [T], et que lors de la rencontre ainsi organisée le 18 mars 2009, M. [T] lui a remis le véhicule contre remise du chèque de 27 000 euros libellé à son ordre, ce dernier lui remettant la carte grise barrée du véhicule et le certificat de cession.
Il est constant qu’à la date des faits, M. [T] était le gérant d’une EURL créée le 15 mars 2006 sous la dénomination « United Cars International », ayant son siège [Adresse 1], ayant pour objet le commerce de voitures et de véhicules automobiles légers.
Abstraction faite de l’incertitude quant à la nature exacte des relations ayant existé entre la société MPR et son gérant, d’une part, et M. [T], d’autre part, il n’en demeure pas moins que ce dernier s’est présenté, dans le cadre de la vente du véhicule à M. [R], comme le mandataire de la société MPR.
Or, les circonstances dans lesquelles la transaction s’est déroulée autorisaient à l’évidence M. [R] à ne pas vérifier les limites exactes des pouvoirs de M. [T] qu’il pouvait légitimement considérer comme ayant été mandaté par la société MPR en vue de la vente du véhicule litigieux ; en effet, le jour de la transaction, M. [T] était en possession des clés du véhicule et du certificat d’immatriculation de celui-ci et il a été remis à M. [R] un certificat de vente revêtu du tampon de la SARL MPR et de la signature du vendeur, ainsi que le certificat d’immatriculation revêtue de la mention « vendue le 18 mars 2009 » suivie de la signature du vendeur et du tampon de la société MPR ; dès lors que M. [T], qui s’est présenté comme l’intermédiaire de la société MPR, exerçait lui-même, via l’EURL United Cars International, dont il était le gérant, une activité commerciale de vente de véhicules automobiles, M. [R] a donc pu légitimement croire que celui-ci était investi d’un mandat de la société MPR pour vendre le véhicule et en encaisser le prix.
C’est dès lors à juste titre que le premier juge a considéré que la société MPR était tenue de l’engagement contracté en son nom par M. [T] pour débouter Mme [L], prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société MPR, de l’ensemble de ses prétentions ; le jugement entrepris doit dès lors être confirmé dans les limites de l’appel, le moyen tiré de l’existence d’un vice du consentement, invoqué par M. [R] à l’appui d’une demande subsidiaire d’annulation de la vente, étant surabondant.
Contrairement à ce qu’affirme M. [R], la procédure engagée à son encontre par Mme [L] ès qualités ne revêt aucun caractère abusif de nature à justifier que des dommages et intérêts lui soient accordés aux fins d’indemnisation d’un prétendu préjudice moral ; le liquidateur qui, dans le cadre de l’exercice de sa mission, s’est rendu compte qu’un actif de l’entreprise avait été vendu huit mois avant l’ouverture de la procédure collective de la société MPR sans que le prix ait été reversé à celle-ci, n’a commis, en effet, aucune faute en exerçant une action en justice à l’encontre de l’acquéreur, ni même en interjetant appel du jugement le déboutant de sa demande en paiement du prix de vente formée contre celui-ci.
Succombant sur son appel, Mme [L] ès qualités doit être condamnée aux dépens, sans qu’il y ait lieu toutefois de faire application, au profit de M. [R], des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme, dans les limites de l’appel, le jugement rendu le 1er juillet 2020 par le tribunal de commerce de Montpellier,
Déboute M. [R] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne Mme [L], prise en sa qualité de liquidateur la liquidation judiciaire de la société MPR, aux dépens d’appel,
Dit n’y avoir lieu de faire application, au profit de M. [R], des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
le greffier, le président,