Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 03 JANVIER 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/00280 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O2TB
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 02 DECEMBRE 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2019 006664
APPELANTE :
S.A.S. SOGEA SUD BATIMENT, prise en la personne de son Président en exercice domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Charlotte CAZACH, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A.R.L. TEAM INTERIM LANGUEDOC, prise en la personne de son représentant légal en exerice, domicilié ès-qualité audit siège social
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 04 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 OCTOBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
La SARL EDB est intervenue, en tant qu’entreprise chargée du lot «électricité», dans la réalisation d’un chantier de construction dénommé «Pierre d’élixir » situé [Adresse 1] à [Localité 6] ; elle a conclu avec la SARL Team intérim Languedoc divers contrats de mise à disposition de travailleurs intérimaires.
Par courriel du 17 janvier 2014, un certain [W] [F], conducteur de travaux principal de la société Sogéa Sud bâtiment, intervenant également sur le chantier, a adressé à la société Team intérim Languedoc le message suivant: « (…) Comme vu ce jour, l’entreprise d’électricité EDB représentée par M. [H] souhaite prendre de l’intérim pour renforcer le chantier Pierre d’élixir. Sogéa se portera garant de vous régler les factures adressées à l’entreprise EDB si elle venait à être défaillante (…) ».
À compter du 14 mars 2014, la société EDB a donc conclu avec la société Team intérim Languedoc plusieurs contrats de mise à disposition de travailleurs intérimaires, qui ont donné lieu à l’édition de neuf factures, entre le 21 mars 2014 et le 20 juin 2014, pour un montant total de 46 499,10 euros TTC, factures qui n’ont pas été réglées à leurs échéances.
Entre-temps, par jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 25 avril 2014, la société EDB a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, convertie, par jugement du 13 mars 2015, en liquidation judiciaire.
Par lettre recommandée du 9 mars 2016, la société Team intérim Languedoc a mis en demeure la société Sogéa Sud bâtiment de lui régler la somme de 46 499,10 euros et une nouvelle mise en demeure a été adressée, le 20 décembre 2018, à celle-ci, par l’intermédiaire du conseil de la société Team intérim Languedoc, en vue de la résolution amiable du litige.
Saisi par exploit du 17 avril 2019, le tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement du 2 décembre 2020 :
‘ condamné la société Sogéa Sud bâtiment à payer à la société Team intérim Languedoc la somme de 46 499,10 euros en principal, intérêts moratoires en sus au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement à compter de la mise en demeure du 9 mars 2016, et la somme de 360 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement dû pour neuf factures,
‘ ordonné l’exécution provisoire de la décision,
‘ condamné la société Sogéa Sud de bâtiment à payer à la société Team intérim Languedoc la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ débouté la société Team intérim Languedoc du surplus de sa demande.
La société Sogéa Sud bâtiment à régulièrement relevé appel, le 14 janvier 2021, de ce jugement en vue de son infirmation.
Elle demande la cour, dans ses conclusions déposées le 17 septembre 2021 via le RPVA et au visa des articles L. 227-6 du code de commerce, des articles 1158, 1353, 1984 et 1998 du code civil et des anciens articles 1108 et 1131 du même code, de :
(…)
A titre principal,
‘ constater que le courriel du 17 janvier 2014 a été adressé par un salarié dépourvu de pouvoir de représentation,
‘ dire et juger inopposable le courriel du 17 janvier 2014 dont se prévaut la société Team intérim Languedoc à son égard,
‘ débouter la société Team intérim Languedoc de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
‘ constater que le courriel du 17 janvier 2014 dont se prévaut la société Team intérim Languedoc ne remplit pas les conditions de validité d’un contrat en application de l’ancien article 1108 du code civil,
‘ prononcer la nullité du contrat résultant du courriel du 17 janvier 2014 adressé à la société Team intérim Languedoc,
‘ débouter la société Team intérim Languedoc de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre très subsidiaire,
‘ constater que la société Team intérim Languedoc ne justifie pas de sa créance à son encontre,
‘ débouter la société Team intérim Languedoc de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre encore plus subsidiaire,
‘ à défaut pour la société Team intérim Languedoc de justifier que la créance dont elle réclame le paiement a été admise au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société EDB, prononcer la déchéance du cautionnement revendiqué par l’intimée,
‘ débouter l’intimée de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En toute hypothèse,
‘ condamner la société Team intérim Languedoc au paiement de la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l’essentiel que :
‘ le courriel, dont se prévaut la société Team intérim Languedoc, lui a été adressé par l’un de ses salariés, [W] [F], qui n’est pas son représentant légal et dont elle ne pouvait ignorer, tenant sa qualité de conducteur de travaux principal, qu’il n’était pas habilité à l’engager,
‘ la société Team intérim Languedoc a d’ailleurs omis de vérifier la capacité de M. [F] à l’engager,
‘ elle n’est pas, non plus, fondée à engager sa responsabilité délictuelle du fait de son préposé, alors que celui-ci a agi sans autorisation et dans un cadre étranger à ses attributions,
‘ en toute hypothèse, le courriel du 17 janvier 2014 se trouve dépourvu de valeur contractuelle, dès lors que la cause de son engagement n’est ni déterminée, ni déterminable,
‘ ce courriel ne peut davantage constituer un cautionnement au sens de l’article 2292 du code civil,
‘ la société Team intérim Languedoc ne justifie pas de sa créance, alors que les bordereaux de relevés d’heures, qu’elle produit, ne comportent pas le tampon de la société EDB,
‘ il appartient à la société Team intérim Languedoc de justifier qu’elle a déclaré sa créance au passif de la procédure collective de la société EDB et que sa créance a été admise, à défaut de quoi, elle est fondée à lui opposer les dispositions de l’article 2314 du code civil et à solliciter la déchéance du cautionnement.
La société Team intérim Languedoc, dont les dernières conclusions ont été déposées le 19 avril 2022 par le RPVA, sollicite de voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et condamner la société Sogéa Sud bâtiment à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance ce que :
‘ le courriel du 17 janvier 2014 doit être regardé comme constitutif d’un cautionnement au sens de l’article 2288 du code civil, qui se prouve par tous moyens entre commerçants, et si l’engagement de caution ne porte pas sur un montant déterminé, l’obligation n’en est pas moins déterminable qui couvre les factures adressées à la société EDB relativement au chantier « Pierre d’élixir»,
‘ elle a pu légitimement croire que M. [F], qui était son seul interlocuteur sur le chantier, avait le pouvoir d’engager la société Sogéa Sud de bâtiment, et il ne peut lui être reproché, eu égard aux circonstances, de n’avoir pas vérifié l’étendue des pouvoirs de celui-ci,
‘ sa créance a été régulièrement déclarée à la procédure collective et le mandataire judiciaire lui a délivré un certificat d’irrécouvrabilité, ce dont il se déduit que la déchéance de la caution ne peut être encourue au visa de l’article 2314 du code civil dans sa version alors applicable,
‘ sa créance est justifiée par les bordereaux et les factures, produit aux débats,
‘ en toute hypothèse, la responsabilité de la société Sogéa Sud bâtiment se trouve engagée sur le fondement de l’article 1384 du code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, dès lors que M. [F] a commis une faute en contractant, sans en avoir le pouvoir, un engagement et que la preuve d’un abus de fonctions de celui-ci ne se trouve pas établie.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2022.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l’article 2288 du code civil, dans sa rédaction alors applicable: « Celui qui se rend caution d’une obligation, se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même » ; l’article 2292 du même code dispose que le cautionnement ne se présume point, qu’il doit être express et qu’on ne peut pas l’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté ; selon l’article 2293, le cautionnement indéfini d’une obligation principale s’étend à tous les accessoires de la dette, même aux frais de première demande, et à tous ceux postérieurs à la dénonciation qui en est faite à la caution ; il est, par ailleurs, de principe qu’entre commerçants, le cautionnement peut être prouvé par tous moyens.
Dans le cas présent, la société Team intérim Languedoc se prévaut d’un courriel lui ayant été adressé, le 17 janvier 2014, par M. [F], conducteur de travaux principal, sous le sigle de la société Sogéa, à partir d’une adresse électronique fonctionnelle ([Courriel 4]), portant l’engagement de la société Sogéa de se porter garant des factures adressées à l’entreprise EDB si celle-ci venait à être défaillante, relativement à des missions d’intérim sur le chantier « Pierre d’élixir » ; le débiteur garanti (l’entreprise d’électricité EDB) est précisément identifié et si l’engagement de la société Sogéa n’est pas déterminé dans son montant, il n’en est pas moins déterminable puisqu’il vise à garantir l’ensemble des factures susceptibles d’être éditées à l’ordre de la société EDB relativement à des missions d’intérim confiées à des salariés pour l’exécution du chantier « Pierre d’élixir » à [Localité 6].
Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 modifiant l’article 1158 du code civil, il était admis que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ses pouvoirs.
En l’occurrence, le courriel du 17 janvier 2014 émane de M. [F], conducteur de travaux principal, chargé en tant que tel, pour le compte de la société Sogéa Sud bâtiment qu’il représentait sur le chantier, du pilotage de l’opération « Pierre d’élixir », ses fonctions l’amenant nécessairement à définir les moyens matériels, techniques et financiers nécessaires à la réalisation du chantier ; ainsi, eu égard à la nature des fonctions habituellement exercées par un conducteur de travaux principal, la société Team intérim Languedoc a pu légitimement croire que M. [F], qui était son seul interlocuteur pour le compte de la société Sogéa Sud bâtiment sur le chantier « Pierre d’élixir » à [Localité 6], avait le pouvoir de souscrire, pour le compte de celle-ci, un cautionnement visant à garantir le paiement de ses factures relatives à des missions d’intérim confiées à des salariés intervenant sur le chantier, en vue de l’achèvement des travaux relevant du lot « électricité » confié à la société EDB, achèvement des travaux auquel l’entreprise principale avait elle-même intérêt ; il ne peut donc lui être reproché de n’avoir pas vérifié, auprès du représentant légal de la société, l’étendue exacte des pouvoirs de M. [F], d’autant que le courriel reçu de celui-ci l’était sous le sigle de la société Sogéa.
C’est donc à juste titre que le premier juge a considéré que ce courriel du 17 janvier 2014 établissait la preuve d’un cautionnement, fourni par une société commerciale à une autre, et engageait donc valablement la société Sogéa Sud bâtiment.
C’est vainement que la société Sogéa Sud de bâtiment soutient qu’elle doit être déchargée de son engagement sur le fondement de l’article 2314 du code civil, alors qu’il est justifié que la société Team intérim Languedoc a déclaré sa créance à la procédure collective pour un montant de 44 178,63 euros et qu’un certificat d’irrécouvrabilité lui a été délivré, le 11 octobre 2021, par le liquidateur judiciaire de la société EDB, ce dont il se déduit qu’elle ne peut prétendre avoir subi un préjudice lié à la perte d’un droit préférentiel.
Il importe peu que la créance déclarée à la procédure collective ne soit que de 44 178,63 euros, alors que la société Sogéa Sud bâtiment est poursuivie en paiement de la somme de 46 499,10 euros ; en effet, le fait que la société Team intérim Languedoc a omis de déclarer sa créance pour son montant définitif ne pouvait qu’avoir pour effet de l’exclure des éventuelles répartitions et dividendes à concurrence du montant non déclaré, et non de permettre à la caution de se soustraire à son engagement, puisque ce montant non déclaré était seulement inopposable à la procédure collective.
Il est produit aux débats l’ensemble des factures éditées entre le 21 mars 2014 et le 20 juin 2014 pour un montant total de 46 499,10 euros TTC ; sont également communiquées les relevés d’heures signés par le représentant de la société EDB sur le chantier, relevés d’heures sur la base desquels les factures ont été établies ; l’examen de ces relevés d’heures enseigne cependant que deux d’entre eux concernant l’un des travailleurs temporaires (M. [C]), qui aurait été employé sur le chantier au cours de la période du 17 au 21 mars 2014 et de celle du 24 au 28 mars 2014, ne sont pas signés par le représentant de l’entreprise utilisatrice ; la somme de 1565,40 euros hors-taxes, soit 1878,48 euros TTC, doit donc être défalqué de la facture litigieuse (n° 140 1077) en date du 31 mars 2014.
Il résulte de ce qui précède que la société Team intérim Languedoc est bien fondée à obtenir le paiement de la somme de : 46 499,10 euros -1878,48 euros = 44 650,62 euros en principal, outre les intérêts au taux d’intérêt appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, à compter du 9 mars 2016, date de la mise en demeure, et l’indemnité forfaitaire de recouvrement égale à la somme de 360 euros, conformément aux dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce, devenu l’article L. 441-10 du même code ; le cautionnement de la société Sogéa Sud bâtiment s’étend en effet aux accessoires de la dette comme les intérêts et l’indemnité forfaitaire de recouvrement exigibles en vertu de dispositions légales supplétives.
Le jugement entrepris doit donc être réformé mais seulement quant au montant de la condamnation prononcée en principal à l’encontre de la société Sogéa Sud bâtiment.
Succombant sur son appel, la société Sogéa Sud bâtiment doit être condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à la société Team intérim Languedoc la somme de 2000 euros en remboursement des frais non taxables qu’elle a dû exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 2 décembre 2020, mais seulement quant au montant de la condamnation prononcée en principal à l’encontre de la société Sogéa Sud bâtiment,
Statuant à nouveau de ce chef,
Dit que le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de la société Sogéa Sud bâtiment au profit de la société Team intérim Languedoc est ramené à la somme de 44 650,62 euros,
Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,
Condamne la société Sogéa Sud bâtiment aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Team intérim Languedoc la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
le greffier, le président,