Mandat apparent : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06106

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Mandat apparent : 18 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06106

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 18 JANVIER 2023

(n° ,7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06106 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQZD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Février 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 20/03124

APPELANTE

Madame [L] [I]

[Adresse 5]

[Localité 3]

née le [Date naissance 2] 1943

Représentée par Me Nicolas LECOQ VALLON de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0187

INTIMEE

Caisse CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARI S ET D’ILE-DE-FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 775 665 615

Représentée par Me Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0812, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Marc BAILLY, Président de chambre, et Monsieur Vincent BRAUD, Président, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Marc BAILLY, Président de chambre

M. Vincent BRAUD, Président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Yulia TREFILOVA

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par M. Vincent BRAUD, Président, et par Mme Anaïs DECEBAL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

Par acte du 29 avril 2013, la société Signatures, anciennement Artecosa, a vendu à [L] [X] une collection de lettres, manuscrits et documents autographes pour un montant de 262 500 euros en conservant la garde de ces ‘uvres.

Ce contrat comportait une « promesse de vente » par laquelle la société Signatures conservait la possibilité de racheter la collection cédée au client au prix de vente « majoré de 7,5 % par année de garde et de conservation si le dépôt a une durée d’au moins de 5 années pleines et entières ».

La société Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France (la société Crédit agricole) se serait portée garante des activités de la société Signatures.

Cette dernière, qui avait présenté le contrat comme un moyen de réaliser un investissement financier, n’a pas procédé au rachat des ‘uvres et n’a proposé aucune valorisation des investissements.

C’est dans ce contexte que, paracte du 16 janvier 2020, [L] [X] a assigné la société Crédit agricole en payement devant le tribunal judiciaire de Paris.

Par ailleurs, suivant jugement en date du 24 juin 2022, le tribunal correctionnel de Paris a notamment condamné les dirigeants de la société Artecosa du chef de pratiques commerciales trompeuses, ainsi que [G] [E], employé du Crédit agricole, en qualité de complice pour avoir rédigé de fausses attestations de garantie financière ; reçu [L] [X] en sa constitution de partie civile ; débouté les parties civiles de leur appel en garantie du Crédit agricole pris en sa qualité de civilement responsable de [G] [E].

Par jugement contradictoire en date du 17 février 2022, le tribunal judiciaire de Paris, statuant sur renvoi du juge de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile, a :

‘ Rejeté la demande de sursis à statuer ;

Déclaré [L] [X] irrecevable en ses demandes enraison de la prescription ;

‘ Condamné [L] [X] aux dépens ;

‘ Dit que maître Jean-Philippe Gosset est autorisé à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il a fait l’avance sansavoir reçu provision ;

‘ Condamné [L] [X] à payer à la société Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ Rejeté le surplus des demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile.

****

Par déclaration du 22 mars 2022, [L] [I] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 21 novembre 2022, [L] [I] veuve [X] demande à la cour de :

‘ INFIRMER le jugement rendu par la 5 èmeChambre 2 èmesection du Tribunal judiciaire de Paris le 17 février 2022 en toutes ses dispositions,

STATUANT A NOUVEAU,

– Sur la demande de sursis à statuer :

‘ SURSEOIR A STATUER dans l’attentede la décision définitive à intervenir dans laprocédure pénale ouverte à l’encontre de la société ARTECOSA, de ses dirigeants et de Monsieur [G] [E],

– Sur la prescription :

A titre principal :

‘ CONSTATER que le point de départ de l’action en responsabilité de Madame [X] doit être fixé au jour de la mise en demeure de la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D’ILE DE FRANCE, soit au 24 juillet 2019 ;

A titre subsidiaire :

‘ CONSTATER que le point de départ de l’action en responsabilité de Madame [X] doit être fixé au plus tôt à la date de la revente d’une partie des ‘uvres achetées auprès de la société ARTECOSA, soit au 11 août 2018 ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

– CONSTATER que l’action de Madame [X] est recevable

– CONDAMNER le CREDIT AGRICOLE ILE DE FRANCE à payer à Madame [X] à titre de dommages et intérêts la somme de 262.500 euros au titre de son préjudice tiré de la perte en capital, et la somme de 177.187,50 euros au titre de son préjudice tiré de la perte des rendements, à parfaire au jour de l’arrêt, augmentées des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

– DIRE que les sommes mises à la charge du CREDIT AGRICOLE ILE DE FRANCE porteront intérêt à compter de l’assignation ;

– ORDONNER la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du Code civil ;

– REJETER toutes les conclusions, fins et prétentions du CREDIT AGRICOLE ILE DE FRANCE;

– CONDAMNERleCREDIT AGRICOLEILEDEFRANCEàpayer àMadame [X] la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER le CREDIT AGRICOLE ILE DE FRANCE aux entiers dépens dont distraction à la SCP LECOQ-VALLON & FERON-POLONI.

Sur le sursis, elle fait valoir en substance que :

‘ après avoir investi en avril 2013 dans l’acquisition de collections d »uvres d’art auprès de la société Artecosa, devenue Signatures, dirigée par [M] [W] et spécialisée dans l’achat d »uvres, de manuscrits, lettres, dessins et tableaux, annonçant un rendement intéressant et se prévalant de la garantie bancaire du Crédit agricole Île-de-France, [L] [X] recherche dans la présente instance la responsabilité civile de la banque du fait d’attestations de cette garantie fournies par l’un de ses employés, [G] [E], qui l’auraient conduite à investir en toute confiance alors que les collections acquises se sont révélées fortement surévaluées à l’achat et n’ont pas produit le rendement annoncé, que la banque n’a pas honoré sa garantie et que la société Artecosa fait l’objet d’une procédure de sauvegarde judiciaire ;

‘ le Crédit agricole est également responsable en sa qualité de teneur du compte bancaire de la société Artecosa, dans la mesure où ses manquements à son obligation de vigilance ont permis la réalisation du préjudice de l’appelante ;

‘ les dirigeants de la société Artecosa et leur complice [G] [E] ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris, d’une part du chef de pratiques commerciales trompeuses commises entre février 2008 et décembre 2015, dans le cadre de la commercialisation d »uvres d’art de collection du type manuscrits et photographies à des fins d’investissement financier, reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant notamment sur les conditions de vente, en utilisant un document qu’ils savaient contenir des allégations fausses, en l’espèce le bénéfice d’une garantie bancaire par la société Artecosa ; d’autre part du chef de complicité de pratiques commerciales trompeuses pour s’être, à Paris entre mars 2011 et avril 2014, étant le gestionnaire des comptes personnels de [M] [W] au Crédit agricole Île-de-France, rendu complice d’une pratique commerciale trompeuse, en l’espèce en rédigeant quatre fausses attestations aux termes desquelles le Crédit agricole accorde à la société Artecosa le bénéfice d’une garantie financière ;

‘ [L] [X] s’est constituée partie civile, et le 24 juin 2022, la 31e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a rendu son délibéré dans lequel elle reconnaît que :

– les lettres de garanties bancaires lui ont été présentées préalablement à la souscription du contrat litigieux,

– les lettres de garanties bancaires ont été déterminantes de son consentement dans la souscription du contrat litigieux,

– le rachat des ‘uvres par Artecosa était certain, non optionnel comme le soutient le Crédit agricole, et justifiait l’intérêt du placement,

– la société Artecosa avait ouvert un compte bancaire de dépôt dans les livres du Crédit agricole,

– [G] [E], rédacteur des lettres de garanties bancaires, avait été le gestionnaire du compte bancaire personnel de [M] [W] ;

‘ par déclaration du 24 juin 2022, [L] [X] a formé appel de cette décision.

Sur la prescription, elle fait valoir en substance que :

‘c’est tant la connaissance du dommage que celle du manquement permettant d’exercer l’action qui permettent de fixer le point de départ du délai de prescription de l’action ;

‘ [L] [X] n’a pris conscienceque les ‘uvres achetées auprès de la société Artecosa lui avaient été vendues à un prix bien supérieur à leur valeur réelle que les 11 août 2018 et 27 avril 2019, lorsque la société Hermitage Fine Art lui a adressé le règlement de la vente de quelques-uns des produits litigieux ;

‘ la responsabilité du Crédit agricole est recherchée en raison de ses manquements qui sont:

– à titre principal, le refus de mettre en ‘uvre la garantie bancaire consentie ; ce manquement a été constaté par la concluante lors du refus du Crédit agricole d’exécuter sa garantie bancaire lorsqu’il a été mis en demeure par courrier du 24 juillet 2019, et ce alors que la société Artecosa avait été placée en sauvegarde judiciaire le 23 janvier 2018 ;

– à titre subsidiaire, les manquements à ses obligations de vigilance, dont la concluante a pris connaissance lorsqu’elle a revendu une partie de ses ‘uvres les 11 août 2018 et 27 avril 2019 ;

‘ le point de départ de la prescription ne peut donc courir qu’à compter de la mise en demeure du Crédit agricole de mettre en ‘uvre sa garantie, soit au 24 juillet 2019 et au plus tôt au 11 août 2018, et non à la date de souscription du contrat.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 28 novembre 2022, la société coopérative à capital variable Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France demande à la cour de :

RECEVOIRle CREDIT AGRICOLE IDF en ses conclusions d’incident, l’y déclarer bienfondé,

JUGERque Madame [I] veuve [X] est irrecevable à solliciter à l’encontre du CREDIT AGRICOLE IDF une quelconque indemnisation au titre de la valeur des ‘uvres acquises parle contrat no 04665 du 29 avril 2013 versé aux débats en ce qu’elle est irrémédiablement prescrite en l’intégralité de son action,

JUGERque la demande de sursis à statuer de nouveau sollicitée en appel par Madame [X] est infondée,

REJETERainsi l’intégralité des demandes, fins et prétentions de Madame [I] veuve [X],

CONFIRMER en conséquence le Jugement de première instance rendu en date du 17 février 2022 en toutes ses dispositions,

La CONDAMNER à verser au CREDIT AGRICOLE IDF la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNERla demanderesse aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Philippe GOSSSET, avocat aux offres de droit, en application des dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire et si par extraordinaire la Cour de céans infirmait le Jugement de première instance relativement à la prescription de l’action de Madame [X] :

RENVOYER les parties devant le Tribunal Judiciaire.

Sur le sursis, elle fait valoir en substance que :

‘ la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile ;

‘le tribunal correctionnel de Paris a confirmé que les documents présentés aux investisseurs comme des garanties bancaires à l’époque des faits étaient de faux documents établis en dehors toute sphère d’intervention du Crédit agricole IDF ;

‘il a par suite exclu toute responsabilité de ce dernier, de tels documents ne pouvant entraîner de quelconques effets juridiques à son encontre ;

‘ainsi, la cour de céans ne saurait surseoir à statuer alors qu’elle est en parfaite connaissance de l’ensemble des faits et des procédures ;

‘ la qualification de « faux » des documents sur lesquels [L] [X] base son action contre le Crédit agricole IDF a été actée par le tribunal correctionnel et avait d’ores et déjà été retenue par l’Autorité des marchés financiers, si bien que la matérialité des faits de faux documents de « garantie bancaire » qualifiée par le juge pénal ne sera pas remise en cause.

Sur la prescription, elle fait valoir en substance que :

‘ l’investissement de la demanderesse s’est révélé considérablement survalorisé dès son acquisition et en conséquence le rendement annoncé illusoire, de sorte que dès le contrat du 29 avril 2013, [L] [X] était, selon ses propres dires, en mesure de relever que les conditions contractuelles de son investissement auprès de la société Artecosa ne correspondaient pas à la réalité ;

‘ la seule lecture du contrat permet de constater l’absence d’une quelconque garantie consentie par le Crédit agricole IDF à la société Artecosa, puisque le Crédit agricole n’y est pas mentionné ;

‘ les prétendus courriers d’attestation de « garantie bancaire », antérieurs au 29 avril 2013, n’indiquent pas la durée de l’engagement pris, ni n’en déterminent précisément les contours, de sorte que leur seule lecture aurait permis à [L] [X] de s’alarmer sur le peu de crédit à accorder à l’opération qui lui était proposée ;

‘ il appartenait ainsi à la demanderesse d’agir dans le délai de la prescription quinquennale à compter de la souscription du contrat de vente.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’audience a été fixée au 29 novembre 2022.

CELA EXPOSÉ,

Sur le sursis à statuer :

En application de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

Chargé de veiller au bon déroulement de l’instance, le juge dispose du pouvoir d’ordonner d’office un sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Au vu des chefs de poursuites qui seront soumis au juge correctionnel en appel, la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du présent procès, et à tout le moins d’apporter des éléments importants pour l’appréciation de la réalité et de la consistance de la garantie bancaire de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France dont s’est prévalue la société Artecosa auprès des appelants, comme sur le rôle exact du préposé de l’intimée, [G] [E], conseiller de clientèle qui serait l’auteur de courriers relatifs à cette garantie. En effet, l’appelante entend engager au fond la responsabilité du Crédit agricole en raison des lettres de garantie bancaire, notamment au titre de la théorie du mandat apparent.

Or, l’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale.

C’est pourquoi il est d’une bonne administration de la justice de surseoir à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, tant au fond que sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, dans l’attente de l’arrêt à intervenir dans la procédure pénale ouverte contre la société Artecosa, ses dirigeants et [G] [E]. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il rejette la demande de sursis à statuer, et par voie de conséquence en ce qu’il se prononce sur la fin de non-recevoir dont le tribunal était saisi à titre subsidiaire.

Les dépens de l’incident sont réservés. Il n’y a pas lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement ;

Statuant à nouveau,

SURSOIT À STATUER sur l’ensemble des demandes des parties dans l’attente de l’arrêt à intervenir dans la procédure pénale ouverte contre la société Artecosa, ses dirigeants et [G] [E] ;

RENVOIE les parties devant le tribunal judiciaire de Paris ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

RÉSERVE les dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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