N° RG 21/02327 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IZKW
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 11 MAI 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE HAVRE du 28 Mai 2021
APPELANTE :
S.A.S. PRESSE [N]
Centre Commercial CARREFOUR
[Adresse 5]
[Localité 3]
en présence de son représentant légal
représentée par Me Renaud COURBON de la SELARL MARGUET LEMARIE COURBON, avocat au barreau du HAVRE
INTIME :
Monsieur [X] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Paguy NGYESE KISOKA, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Farid KACI, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/010491 du 19/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 15 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente, rédactrice
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 15 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 11 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Presse [N] exploite une activité de presse/FDJ/PMU au centre commercial Carrefour de [Localité 3].
M. [R] soutient avoir été embauché par la société Presse [N] en qualité de chef cuisinier, niveau 5, échelon 1 aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée écrit en date du 1er septembre 2020.
Par avenant en date du 13 octobre 2020, la société HSJ a embauché, avec effet rétroactif au 1er septembre 2020 M. [R] en qualité de chef cuisinier, niveau 5, échelon 1.
Par courrier en date du 16 octobre 2020, la société HSJ a mis un terme à la période d’essai du salarié avec effet au 27 octobre 2020.
Considérant ne pas avoir été intégralement rempli de ses droits au titre de ses salaires, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre qui, par jugement réputé contradictoire du 28 mai 2021 a :
– dit que le contrat de travail de M. [R] a pris effet le 24 août 2020 et s’est terminé le 27 octobre 2020,
– condamné solidairement la société HSJ en la personne de son représentant légal, M. [I] et la société Presse [N] à verser au salarié :
7 755,16 euros au titre de ses salaires des mois d’août, septembre et octobre 2020,
20 138,38 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
– condamné solidairement la société HSJ en la personne de son représentant légal, M. [I] et la société Presse [N] à remettre au salarié sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification et jusqu’à remise du dernier document, ses bulletins de salaire pour la période du 24 août au 27 octobre 2020, un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle Emploi rectifiée, la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux (sic) ; le conseil se réservant la liquidation de l’astreinte ;
– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [R] à la somme de 3 777,58 euros,
– ordonné l’exécution provisoire de l’entier jugement,
– ordonné la transmission du jugement aux services de M. le Procureur de la République auprès du tribunal judiciaire du Havre,
– condamné solidairement la société HSJ en la personne de son représentant légal, M. [I] et la société Presse [N] aux entiers dépens et frais d’exécution du jugement.
La société Presse [N] a interjeté appel le 4 juin 2021 à l’encontre de cette décision, cet appel étant limité aux dispositions lui faisant grief.
M. [R] a constitué avocat par voie électronique le 28 juillet 2021.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 février 2023, la société Presse [N], demande à la cour de :
– annuler le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 28 mai 2021,
– subsidiairement, réformer le jugement et débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes à son encontre,
– condamner M. [R] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en appel et le condamner aux entiers dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 17 février 2023, M. [R] sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de l’appelante au paiement d’une somme de 3 000 euros TVA comprise (2 500 euros hors TVA), sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, moyennant renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle.
L’ordonnance de clôture en date du 23 février 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 15 mars 2023.
Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la demande d’annulation du jugement du conseil de prud’hommes du Havre
La société Presse [N] sollicite l’annulation du jugement entrepris au motif qu’elle a été irrégulièrement citée, que l’assignation délivrée est entachée de nullité en ce que l’adresse [Adresse 1] n’a jamais été l’adresse de son siège social, de son établissement principal ni même celle d’un établissement secondaire.
La société soutient ne pas avoir été mise en situation de faire valoir sa défense, invoque une violation manifeste du contradictoire.
Elle affirme en outre que dans le cas d’une nullité tenant à l’acte introductif d’instance, la cour n’a pas à trancher le fond du litige.
M. [R] soutient que la convocation en justice délivrée à la société est régulière en ce qu’il lui a fait délivrer une assignation à l’adresse mentionnée au sein de son contrat de travail. Il constate en outre que les vérifications de l’huissier de justice ont confirmé la domiciliation de la société au [Adresse 1], que Me [E], mandataire judiciaire de la société a été régulièrement convoquée, que la société a nécessairement eu connaissance de l’assignation, de la date et du lieu de l’audience.
Sur ce ;
L’article 114 du code de procédure civile dispose qu’aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
L’article 690 du code de procédure civile dispose que la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement et à défaut d’un tel lieu, en la personne de l’un de ses membres habilités à la recevoir.
Il résulte de l’examen des pièces de procédure produites aux débats que l’assignation du 30 mars 2021 a été délivrée à la demande de M. [R] à la société Presse [N] [Adresse 1], cette adresse correspondant à celle mentionnée comme adresse du siège social de la société au sein du contrat de travail de M. [R] du 1er septembre 2020.
Cet acte d’assignation a fait l’objet d’un dépôt en l’étude de l’huissier, ce dernier énonçant dans l’acte que le domicile est confirmé par le facteur et que la société est fermée.
Il ressort des pièces produites par la société et notamment de l’extrait K bis que cette adresse n’était pas celle du siège social de la société.
Il est cependant établi par M. [R] que l’adresse à laquelle l’huissier a tenté de délivrer l’acte était celle d’un de ses établissements ou d’un de ses membres destinés à la recevoir en ce que cette adresse figure non seulement sur le contrat de travail de ce dernier mais également sur l’acte d’annulation de cession produit par la société en date du 23 novembre 2020 comme étant celle de M. [V] [I], personne à laquelle la société Presse [N] affirme avoir cédé ses actions le 7 août 2020, M. [I] ayant été désigné en qualité de directeur général de la société.
En outre, la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. En l’espèce, au regard de la procédure collective concernant la société Presse [N], il est établi que le mandataire de la société, Me [E] non comparante devant les premiers juges, avait été régulièrement convoquée, de sorte qu’aucun grief n’est établi.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de débouter la société de sa demande d’annulation du jugement entrepris.
2/ Sur l’existence d’un contrat de travail
La société soutient ne jamais avoir été l’employeur de M. [R], conteste tout lien de subordination.
Elle indique que M. [N] n’est pas le signataire du contrat versé aux débats, soutient que M. [I] n’a jamais été habilité à signer pour son compte.
La société indique ne jamais avoir eu d’activité de restauration, ne jamais avoir exercé d’activité au Havre.
Elle expose que si M. [I] a été désigné en qualité de directeur général de la société aux termes d’un acte de cession d’actions en date du 7 août 2020, l’acte a été ultérieurement annulé avec effet rétroactif et qu’à la date de la conclusion du contrat il ne figurait pas au Kbis de la société, ce qui aurait dû conduire M. [R] à la prudence.
La société considère que M. [I] ne détenait aucun mandat apparent.
Elle expose qu’il appert que le fonds de commerce de restauration situé au [Adresse 1] a été cédé par la société B2S à la société HSJ en cours de constitution selon acte du 21 août 2020, qu’en conséquence M. [R] se trouvait en situation de salariat au profit de cette société ou de celui qui agissait pour son compte s’agissant d’une société de formation, à savoir M. [I].
Elle observe que M. [R] a déclaré sa créance salariale entre les mains de Me [S] ès qualités de liquidateur de M. [I] et de la société HSJ non immatriculée.
Enfin, la société expose que M. [R] n’a pas été la seule victime des agissements frauduleux de M. [I] et verse aux débats 5 ordonnances de référé rendues par le conseil de prud’hommes du Havre aux termes desquelles le conseil a refusé de statuer en référé considérant qu’il existait une contestation sérieuse.
M. [R] sollicite la confirmation du jugement entrepris. Il se prévaut du contrat de travail signé par M. [I], lequel avait acquis par acte du 7 août 2020 de M. [N] la société Presse [N].
Il indique que par acte du 24 août 2020, la société Presse [N] représentée par M. [I] a fait l’acquisition d’un fonds de commerce de restauration et débit de boisson appartenant à la société B2S, qu’un procès- verbal d’assemblée générale extraordinaire du 7 août 2020 et un projet de statuts de la société prévoyaient l’extension de l’objet social à l’exploitation de tous restaurants, brasseries, bar, crêperie.
Il soutient que l’avenant au contrat de travail du 13 octobre 2020 prévoyant son engagement à effet rétroactif au 1er septembre 2020 à 10h00 par la société HSJ ne remet pas en cause la qualité d’employeur de la société Presse [N] notamment parce que la société HSJ n’a jamais été immatriculée et n’a donc acquis aucune existence juridique.
Sur ce ;
Il résulte des articles L 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’existence d’un contrat de travail dépend, non pas de la volonté manifestée par les parties ou de la dénomination de la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
L’apparence d’un contrat de travail se déduit d’un examen de fait. Elle peut découler d’un élément déterminant ou d’un faisceau d’indices.
En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui en conteste la réalité d’en démontrer le caractère fictif, notamment en établissant que l’état de subordination juridique du salarié, élément caractéristique du contrat de travail, fait défaut
En l’espèce, M. [R] verse aux débats le contrat de travail à durée indéterminée signé avec la société Presse [N] le 1er septembre 2020 mentionnant une date d’embauche à cette date, les bulletins de paie de septembre et octobre 2020 établis par la SAS groupe HSJ, l’avenant au contrat de travail signé avec la SAS HSJ le 13 octobre 2020, une attestation de M. [W], cuisinier, confirmant avoir travaillé avec lui au cours de la semaine du 24 au 31 août.
Ces éléments caractérisent un contrat de travail apparent, de sorte qu’il appartient à la société Presse [N] de rapporter la preuve de son caractère fictif.
La société Presse [N] conteste sa qualité d’employeur.
Il ressort des éléments du dossier que M. [N] était l’associé unique de la société Presse [N], qu’il a cédé par acte du 7 août 2020 à M. [I] ses actions moyennant le prix de 70 000 euros, M. [I] étant désigné directeur général de la société et M. [N] conservant son mandat de président dont il devait démissionner le 30 novembre 2020.
Par acte du 24 août 2020 la société Presse [N] a acquis un fonds de commerce de restauration et débit de boissons appartenant à la société B2S. A la suite de cette acquisition, la société Presse [N] a reçu diverses factures d’achat de fournitures et marchandises. M. [N] s’est inquiété de cette situation et par décision du 2 octobre 2020 la société Presse [N] a révoqué le directeur général.
Le 8 octobre 2020 la société Presse [N] a assigné la société B2S et M. [I] en référé devant le tribunal de commerce du Havre afin de juger inopposable à son encontre l’acte de cession passé avec la société B2S et M. [I].
Par jugement en date du 9 octobre 2020, le tribunal de commerce du Havre a ouvert une procédure de sauvegarde à l’encontre de la société Presse [N] et désigné en qualité de mandataire judiciaire Me [E].
Par acte du 13 octobre 2020, la société B2S a régularisé une cession de son fonds de commerce avec la société HSJ en cours d’immatriculation dont le président était M. [I].
Par jugement en date du 6 avril 2022, le tribunal de commerce de Caen a débouté la société Presse [N] et Me Aunay, avocat, de leurs demandes, a condamné la société Presse [N] à payer à la société B2S la somme de 160 000 euros au titre du prix de cession de fonds de commerce, cession conclue le 24 août 2020 et a condamné la société Presse [N] et Me Aunay in solidum à payer à la société B2S la somme de 1667,18 euros par mois au titre des loyers impayés depuis septembre 2020.
La société Presse [N] justifie avoir interjeté appel de cette décision.
La société ne verse pas aux débats d’éléments relatifs à l’absence de lien de subordination avec M. [R]. D’autre part, il résulte des éléments évoqués que M. [R] a effectivement exécuté une prestation de travail pour le compte de la société Presse [N] dans le cadre d’un lien de subordination, étant constaté qu’à la date de signature du contrat de travail, M. [I] était directeur général de la société Presse [N], peu important l’annulation rétroactive ultérieure de l’acte de cession de la société. Le moyen tiré de l’apparence ne peut en conséquence prospérer.
La société ne rapportant pas la preuve du caractère fictif du contrat de travail il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reconnu la société Presse [N] comme employeur de M. [R] et en ce qu’il l’a condamnée solidairement avec la société HSJ, prise en la personne de son représentant légal, M. [I], au paiement de diverses sommes.
3/ Sur les conséquences financières
La cour constate que l’appelante ne conteste pas spécifiquement le quantum des condamnations mises à sa charge, qu’elle n’invoque aucun moyen de fait ou de droit concernant le principe du travail dissimulé constaté par les premiers juges.
L’intimé sollicite la confirmation du jugement entrepris.
En conséquence, le jugement entrepris est confirmé dans ces dispositions.
4/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Aux termes de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle à lui payer une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide, à charge pour l’avocat s’il a recouvré cette somme de renoncer à percevoir l’aide contributive de l’Etat.
En l’espèce, il y a lieu de constater que M. [R] demande qu’il soit fait application de l’article 37 de la loi de 1991 mais ne sollicite pas que la société soit condamnée à payer cette somme à son avocat mais à lui-même, ce qui n’est pas conforme aux dispositions précitées.
Il doit en conséquence être débouté de sa demande formée sur l’article 37 de la loi de 1991.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Il y a également lieu de condamner la société appelante aux dépens d’appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, dans les limites de l’appel ;
Déboute la société Presse [N] de sa demande d’annulation du jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 28 mai 2021 ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 28 mai 2021 ;
Y ajoutant :
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Presse [N] assistée de Me [E] en qualité de mandataire judiciaire aux entiers dépens d’appel.
La greffière La présidente