COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 23 MAI 2023
N°2023/ 468
Rôle N° RG 20/11199 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGQ3G
S.A.R.L. [5]
La SCP AJILINK [C]-BONETTO
La SAS [6]
C/
URSSAF PACA
Copie exécutoire délivrée
le : 23/05/2023
à :
-Me Odile-Marie LA SADE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
– Me Jean-Victor BOREL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
N° RG 20/11199 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGQ3G
Arrêt prononcé sur saisine de la Cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 22 octobre 2020.
DEMANDERESSES SUR RENVOI DE CASSATION
S.A.R.L. [5], prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 1]
La SCP AJILINK [C]-BONETTO, en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la SARL [5], mission conduite par Maître [B] [C], nommé à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 1er juillet 2020
demeurant [Adresse 3]
La SAS [6], représentée par Maître [H] [R], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société [5], désigné par jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 21 novembre 2018 et maintenu en cette qualité jusqu’à la fin de la procédure de vérification des créances par jugement en date du 1er juillet 2020
demeurant [Adresse 4]
représentées par Me Odile-Marie LA SADE de la SCP CLUSAN – LA SADE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION
URSSAF PACA, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-Victor BOREL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jenna BROWN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 21 Mars 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre,
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Madame Isabelle PERRIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Aurore COMBERTON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2023
Signé par Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre et Madame Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
N° RG 20/11199 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGQ3G
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
La société [5], exploitant un fonds de commerce de restauration rapide à [Localité 7] a fait l’objet d’un contrôle de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (ci-après désignée URSSAF) portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011 qui a donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de travail dissimulé dressé le 15 février 2012, et à la notification d’une lettre d’observations du 17 février 2012, puis à la délivrance d’une mise en demeure du 10 avril 2012 portant sur les sommes de 405.240,00 euros de cotisations sociales et de 78.066,00 euros de majorations de retard.
Après saisine infructueuse de la commission de recours amiable, la société a porté son recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône.
L’URSSAF a, le 8 août 2012, exercé une action devant cette même juridiction afin d’obtenir la condamnation du cotisant au paiement des sommes précitées.
Par jugement du 10 mars 2014, le tribunal correctionnel de Marseille a relaxé la société et son gérant des faits de travail dissimulé pour la période antérieure au 20 décembre 2010, les a déclarés coupables de ces faits pour ceux commis postérieurement à cette date, a condamné la société au paiement d’une amende de 5.000,00 euros et le gérant à une peine de trois mois d’emprisonnement ainsi qu’au paiement d’une amende de 3.000,00 euros.
Par arrêt du 11 mai 2015, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé partiellement le jugement, déclarant les prévenus également coupables des faits commis du 1er janvier 2009 au 20 décembre 2010, et condamnant le gérant à une amende de 5.000,00 euros.
Par jugement du 22 février 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale a :
– rejeté les quatre exceptions de nullité invoquées par la société pour excès de pouvoir de l’inspecteur chargé du contrôle, et envers le procès-verbal de constat de travail dissimulé, la lettre d’observations du 17 février 2012 et la mise en demeure du 10 avril 2012,
– confirmé la décision de la commission de recours amiable,
– condamné la société à payer à l’URSSAF la somme de 447.623,00 euros dont 371.739,00 euros de cotisations et 75.884,00 euros de majorations de retard, montant total tenant compte des sommes préalablement versées au titre de la taxation d’office,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– condamné la société à payer à l’URSSAF une somme de 3.000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Par déclaration du 19 mars 2018, la société a interjeté appel à l’encontre de ce jugement.
Le 21 novembre 2018, elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille.
Par jugement du 1er juillet 2020, le tribunal de commerce de Marseille a mis fin à la période d’observation et arrêté le plan de redressement de l’entreprise sur une durée de 10 ans, Maître [B] [C] étant désigné en qualité de commissaire à l’exécution du plan, et la SAS [6], étant maintenue en sa qualité de mandataire judiciaire jusqu’à la fin de la procédure de vérification des créances.
Par arrêt du 24 avril 2019, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement précité, et fixé la créance de l’URSSAF en vue de son admission au passif de la procédure collective de la société à la somme de 371.739,00 euros au titre des cotisations éludées, à celle de 75.884,00 euros au titre des majorations de retard, et à celle de 5.000,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, aux motifs que :
« Vu l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige :
Il résulte des dispositions de ce texte, qui s’applique aux contrôles engagés par les organismes de recouvrement sur le fondement de l’article L.243-7 du code de la sécurité sociale, et des textes pris pour son application, alors même que le contrôle a conduit à la constatation d’infractions aux interdictions mentionnées à l’article L.8221-1 du code du travail, que l’agent chargé du contrôle n’est pas autorisé à solliciter d’un tiers à l’employeur des documents qui n’avaient pas été demandés à ce dernier.
Pour rejeter le recours de la société, l’arrêt relève que l’agent contrôleur avait, dès le début du contrôle, constaté que des déclarations comptables n’avaient jamais été adressées à ses services et qu’il existait donc une infraction de travail dissimulé lui permettant de se placer immédiatement dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé, dont la procédure n’exigeait aucun avertissement ou avis de passage préalable et autorisait le contrôleur à se faire remettre par le comptable, mandataire de la société contrôlée du fait de sa présence lors du contrôle, des documents comptables datant de 2007 et 2008 alors que ces documents auraient dû se trouver dans les locaux de la société contrôlée conformément à l’avis de passage reçu en décembre 2011.
En statuant ainsi, alors que l’URSSAF avait obtenu directement auprès du comptable de la société des documents que l’employeur n’avait pas fournis, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Par déclaration du 10 novembre 2020, la société, a saisi la présente cour désignée comme cour de renvoi.
Par conclusions notifiées le 1er mars 2023 puis visées et développées oralement à l’audience des débats du 21 mars 2023, la SARL [5], la SCP Ajilink [C]-Bonetto ( Maître [B] [C]) agissant en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société et la SAS [6] en sa qualité de mandataire judiciaire de celle-ci, demandent à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de :
in limine litis
– juger irrecevables l’ensemble des moyens soulevés par l’URSSAF par l’effet de l’Estoppel,
– dire et juger irrégulières les opérations de contrôle et de redressement,
– dire et juger nulle l’ensemble de la procédure de redressement,
– annuler le redressement,
– débouter l’URSSAF de toutes ses demandes,
– condamner l’URSSAF à lui payer la somme de 5.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire l’arrêt opposable à la SCP Douhaire [C] Bonetto en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société et au mandataire judiciaire de celle-ci.
Ils font valoir essentiellement que :
– en vertu du principe de l’Estoppel selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, la qualification fluctuante du comptable de la société, d’abord désigné mandataire de fait, puis qualifié de tiers, et enfin, après l’arrêt de Cour de cassation, supposé détenir un mandat apparent, en raison encore du démenti opposé par l’organisme aux déclarations écrites de son inspecteur, du fait enfin de l’utilisation d’un avis de passage irrégulier pour tenter de régulariser la procédure, l’ensemble des moyens développés par l’URSSAF doivent être déclarés irrecevables,
– l’obtention auprès d’un tiers de documents non sollicités auprès de l’employeur caractérise la violation de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale, et la constatation d’une infraction de travail dissimulé ne permet pas de s’exonérer du formalisme prévu par ce texte, or le comptable n’a jamais été mandaté par la société pour transmettre des documents qui n’ont nullement été sollicités le jour du contrôle,
– l’URSSAF échoue à établir l’existence d’un mandat apparent donné au comptable, tout comme celle d’une demande préalable des documents litigieux à la cotisante,
– elle n’a jamais été informée de la procédure de sollicitation de documents ni des conditions d’exercice du droit de communication prévu par les articles L.114-19 et suivants du code de la sécurité sociale,
– le procès-verbal de travail dissimulé et la lettre d’observations contiennent de fausses mentions : ainsi les déclarations sociales ont bien été adressées à l’URSSAF par l’huissier de justice Maître [S], le procès-verbal mentionnant mensongèrement qu’elles ont été remises par le gérant M. [N] et le comptable M. [L] lors du contrôle, de même la lettre d’observation indique qu’ont été consultés les bulletins de salaire et le livre de paye, alors que seuls les documents afférents à la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 ont été remis à l’inspecteur par la société, le reste des documents ayant été obtenu en fraude auprès du comptable,
– la mise en demeure ne comporte pas le prénom du signataire en violation avec l’obligation résultant de l’article 4 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations,
– cette mise en demeure ne mentionne pas davantage sa cause, c’est-à-dire les considérations de droit et de fait qui la fondent,
– les périodes auxquelles elle se rapporte sont incompréhensibles,
– ces les irrégularités et violations du caractère contradictoire et des droits de la défense justifient l’annulation du redressement dans son ensemble et non seulement sur l’année 2007.
Par conclusions notifiées le 17 mars 2023 puis visées et développées oralement à l’audience des débats du 21 mars 2023, l’intimée demande à la cour de confirmer le jugement et de fixer sa créance en vue de son admission au passif de la procédure collective aux sommes de 447.623,00 euros, dont 371.739,00 euros de cotisations éludées et 75.884,00 euros de majorations de retard, et 10.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance que :
– le champ d’application du principe de l’Estoppel exige que soit démontré un changement de position en droit d’une partie au cours d’une même procédure c’est-à-dire devant le même juge, qui soit de nature à induire l’adversaire en erreur sur ses intentions, or en l’espèce les prétentions de l’organisme ont toujours été identiques, il ne s’est jamais contredit devant la cour et a développé les mêmes intentions claires,
– les circonstances de fait du contrôle amènent à considérer que l’expert-comptable de la société disposait bien d’un mandat apparent, puisque présenté lors du contrôle par le gérant comme la personne habilitée à adresser l’ensemble des documents demandés qui se trouvaient en sa possession, tout comme il a été missionné par la société pour tenter un début de régularisation en 2011 auprès de l’organisme, et la Cour de cassation n’a pas examiné le moyen tiré de l’absence de mandat confié au comptable, estimant qu’il n’était pas de nature à entraîner la cassation,
– au demeurant, elle dispose d’un droit de communication auprès de tiers prévu à l’article L.114-19, et doit alors informer le cotisant de la teneur et de l’origine des informations et documents ainsi obtenus et sur lesquels l’organisme s’est fondé,
– en toute hypothèse les documents litigieux avaient été préalablement demandés pour l’année 2008 à la cotisante, et remis spontanément pour les années 2007 et 2008 lors du contrôle, et l’inspecteur du recouvrement s’est mépris en indiquant à tort, lors de sa demande au comptable, que ces documents n’avaient pas été demandés lors du contrôle,
– l’avis de passage du 20 décembre 2011 sollicitait du reste l’ensemble des documents sociaux à compter du 1er janvier 2008, c’est-à-dire des déclarations sociales, des bordereaux trimestriels et des bordereaux annuels,
– l’inspecteur du recouvrement n’a donc pas fait usage de son droit de communication,
– la circulaire du 21 juillet 2011 est dépourvue de caractère réglementaire et ne lui est pas opposable, et le cotisant a parfaitement été informé de la teneur et de l’origine des documents sur le fondement desquels le redressement a été déterminé,
– le procès-verbal de travail dissimulé fait foi jusqu’à preuve du contraire,
– la lettre d’observations comporte la liste exacte des documents consultés,
– la mise en demeure mentionne explicitement le nom de son signataire comme la dénomination de l’organisme qu’il a émise, l’omission des mentions prévues par l’article 4 alinéa 2 de la loi du 12 avril 2000 n’étant pas de nature à justifier l’annulation de cette mise en demeure, qui précise tout autant régulièrement la cause du redressement et les périodes concernées,
– le bien-fondé du redressement découle du caractère définitif de la condamnation pénale, qui a autorité de la chose jugée, et le quantum en est justifié selon calcul précis, établi sur la base des informations obtenues par l’inspecteur du recouvrement lors de son contrôle.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur l’application du principe d’estoppel
La Cour de Cassation a défini le principe de l’estoppel comme le « comportement procédural constitutif d’un changement de position de nature à induire son adversaire en erreur sur ses intentions. La notion dite d’estoppel correspond au principe suivant lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui.
La fin de non-recevoir tirée de ce principe sanctionne ainsi l’attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d’une même instance, à adopter le comportement précité.
En l’espèce, les prétentions de l’URSSAF tendant à voir valider le redressement en son entier n’ont jamais varié au cours de la présente procédure.
Le développement de moyens complémentaires tirés de la qualité du comptable, intervenu lors du contrôle et postérieurement à ce dernier, détenteur ou non d’un mandat apparent, ou bien tiers vis-à-vis du cotisant ne caractérise pas un comportement constitutif d’un changement de position de nature à induire le cotisant en erreur sur ses intentions.
L’analyse d’un arrêt de la Cour de cassation que cite l’URSSAF, à la supposée erronée, n’est pas constitutive en soi d’une dénaturation volontaire de la portée d’un tel arrêt, de même que l’explicitation par l’organisme des mentions portées sur l’avis de passage et sur la lettre d’observations.
Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la fin de non-recevoir soulevée en référence au principe de l’estoppel invoqué.
Sur la régularité des opérations de contrôle
1- sur la violation des dispositions de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale par la sollicitation auprès d’un tiers à l’employeur de documents qui n’avaient pas été demandés à ce dernier
Il est constant que selon avis adressé le 20 décembre 2011, l’URSSAF a informé la SARL [5] de la mise en ‘uvre d’opérations de contrôle et de vérification, portant sur l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance-chômage et de garantie des salaires AGS à compter du 1er janvier 2008, dans les conditions prévues notamment par les articles L.243-7 et R.243-59 du code de la sécurité sociale.
Il s’ensuit que cet avis déterminait la période contrôlée, et comportait demande à la cotisante de mettre à disposition de l’inspecteur de recouvrement l’ensemble des documents nécessaires à la vérification et dûment listés.
Aux termes de l’article R.243-59 précité, dans le cadre de tout contrôle effectué en application de l’article L. 243-7, les agents de contrôle ne peuvent recueillir des informations qu’auprès de la personne contrôlée et des personnes rémunérées par celle-ci.
Constitue dès lors une violation des articles L.243-7 et R.243-59, le fait pour un organisme de recouvrement de recueillir des documents auprès de tiers sans que ces renseignements n’aient été préalablement demandés à la société contrôlée.
Il résulte de la lettre d’observations du 17 février 2012 que l’inspecteur de recouvrement s’est rendu le jeudi 2 février au siège social de la société exploitant un restaurant, et ce dans le cadre du contrôle comptable d’assiette des cotisations conformément à l’avis de contrôle adressé préalablement. Il a été accueilli par le gérant, M. [I] [N], et le comptable, M. [L] du cabinet Sofigex et a constaté les faits suivants : « Depuis une période antérieure au 1er janvier 2007, la SARL [5] ne fournit aucune déclaration sociale à l’URSSAF. La société est en taxation d’office auprès de (l’) organisme. Les taxations sont régulièrement payées auprès de l’huissier Me [S], puisque il va s’avérer que ces dernières sont largement inférieures à l’assiette réelle qui aurait dû normalement être communiquée à l’URSSAF.
Cette pratique a permis à la société de minorer ses versements auprès de l’URSSAF de façon significative.
Le caractère intentionnel de cette pratique ne peut être remis en cause puisque lors du contrôle, le cotisant, gérant de cette société depuis 1994 m’a spontanément présenté les déclarations réelles non fournies pour les années précédentes. Il ne peut se prévaloir d’une méconnaissance quelconque de la législation sociale car il est gérant de cette société depuis 1994, assisté régulièrement du cabinet comptable Sofigex.
La non fourniture de déclaration sociale, de manière délibérée et intentionnelle, en vue de se soustraire à ses obligations relève du délit de travail dissimulé.
S’agissant d’un délit caractérisé de travail dissimulé par non fourniture des déclarations sociales obligatoires, l’article L.244-2 du code de la sécurité sociale permet de porter le redressement effectué à ce titre sur une période de cinq ans et non plus sur la période triennale en cas de contrôle classique de l’assiette des cotisations. »
L’inspecteur de recouvrement a procédé à la réintégration dans l’assiette des cotisations du montant des salaires réels « figurant sur les bordereaux fournis par le cotisant mais jamais transmis à l’URSSAF » pour les années 2007 à 2011 incluses.
Il résulte de ces constatations qui font foi jusqu’à preuve contraire qu’ont été présentées spontanément à l’inspecteur par le cotisant, gérant de la société depuis 1994, les déclarations réelles non fournies « pour les années précédentes », sans autre précision.
Néanmoins, la société, qui affirme n’avoir elle-même présenté que les éléments permettant une vérification sur les trois dernières années précédant la date du contrôle conformément à la liste des documents réclamés dans l’avis de contrôle du 20 décembre 2011, soutient que l’inspecteur de recouvrement a obtenu du comptable de la société la communication de documents ne figurant pas initialement sur la liste adressée à l’employeur, alors qu’elle-même n’avait pas confié le moindre mandat à cet effet à ce comptable.
Il résulte en effet d’une pièce produite la société que M. [O] [U], qui a diligenté le contrôle, a adressé directement au comptable de la société un courriel le 7 février 2012 dans ces termes : « Lorsqu’il y a non fourniture de bordereaux, nous sommes tenus par les textes de régulariser sur les cinq dernières années. Pouvez-vous donc me faire parvenir pour 2007 et 2008 les quatre bordereaux trimestriels ainsi que les deux bordereaux annuels que je n’avais pas demandés lors du contrôle ‘ Je pense que vous devez les avoir. Par avance je vous remercie. », suite auquel le comptable a, par retour de mail du 8 février 2012 contenant l’ensemble des documents référencés en pièces jointes, fourni les éléments demandés.
Il s’ensuit que ces derniers ont été obtenus en violation des dispositions de l’article R.243-59, l’URSSAF ne démontrant l’existence d’aucun mandat de quelque nature que ce soit donné par le cotisant à son comptable, et la teneur de cet échange confirmant que les pièces visées n’avaient pas été fournies lors du contrôle par la société cotisante elle-même.
À cet égard, la seule présence le jour du contrôle sur place, aux côtés du gérant de la société, du comptable de celle-ci, est insuffisante à démontrer l’existence d’un mandat même apparent.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, il ne ressort d’aucun élément et en particulier d’aucune mention de la lettre d’observations que lorsque l’inspecteur s’est présenté dans les locaux de la société, le gérant de celle-ci lui aurait présenté le comptable « comme étant la personne habilitée à adresser l’ensemble des documents demandés qui se trouvaient en sa possession ».
En outre, le simple envoi par mail par le comptable des pièces réclamées par le contrôleur de l’URSSAF, ne laissent aucunement présumer que ce comptable disposait de l’accord préalable de son client, et encore moins d’un mandat de ce dernier délivré spécifiquement à cette fin.
De même, l’invocation par l’URSSAF des dispositions de l’article L.114-19 du code de la sécurité sociale relatif au droit général de communication est sans incidence sur le présent litige dès lors que les dispositions impératives de l’article L.114-21 du même code, qui obligent l’organisme ayant usé de ce droit, à informer la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle est prise la décision de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l’origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s’est fondé pour prendre cette décision, et de communiquer, avant la mise en recouvrement une copie des documents susmentionnés à la personne qui en fait la demande, n’ont aucunement été respectées ni même mises en ‘uvre, ainsi que cela ressort des termes de la lettre d’observations.
Il en résulte que contrairement à ce que soutient l’organisme de recouvrement, les bordereaux annuels et trimestriels afférents aux années 2007 et 2008 n’avaient pas été présentés lors du contrôle, de sorte qu’il est apporté par la société la preuve contraire aux constatations consignées par l’inspecteur du recouvrement dans la lettre d’observations, selon lesquelles le gérant lui aurait spontanément présenté des déclarations réelles non fournies pour les années précédentes, dès lors qu’il a calculé le redressement sur les années 2007 et 2008, alors que les documents présentés lors du contrôle ne permettaient pas cette détermination mathématique.
C’est aussi en vain que l’intimée se réfère à l’avis de passage du 20 décembre 2011, selon lequel l’inspecteur du recouvrement a sollicité la mise à disposition de tous les documents nécessaires à la vérification à compter du 1er janvier 2008.
En effet, il résulte de la lettre d’observations que la période vérifiée couvre celle allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011, alors même que le contrôle s’étant achevé en 2012 et portant sur une société employant du personnel, il a nécessairement porté sur les années 2009, 2010, et 2011, ainsi que l’inspecteur du recouvrement l’a explicitement rappelé dans les termes mêmes de ce document en précisant qu’en l’état du délit caractérisé de travail dissimulé par non fourniture des déclarations sociales obligatoires, l’article L.244-2 permettaient de porter le redressement effectué à ce titre sur une période de cinq ans et non plus « sur la période triennale en cas de contrôle classique de l’assiette des cotisations » , cette dernière s’entendant de la période couvrant les années 2009 à 2011. La lettre d’observations a également mentionné explicitement que l’avertissement ou la mise en demeure ne pouvait concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années civiles précédant l’année de leur envoi ainsi que celles exigibles au cours de l’année de leur envoi.
Ainsi c’est par erreur que l’avis de contrôle a mentionné que la vérification courrait à compter du 1er janvier 2008, et en toute hypothèse, le mail du 7 février 2012 par lequel l’inspecteur du recouvrement réclame les bordereaux au titre de l’année 2008 établit suffisamment que ces derniers ne lui ont pas été remis lors du contrôle par le gérant de la société cotisante.
Enfin, c’est encore en vain que l’URSSAF se réfère aux termes du procès-verbal de travail dissimulé, selon lequel le gérant et le comptable lui remettent l’ensemble des déclarations correspondant à l’activité réelle et cela depuis le 1er janvier 2007, dès lors que les termes de la lettre d’observations, comme l’obtention directe auprès du comptable des documents non fournis par l’employeur lors du contrôle pour les années 2007 et 2008, contredisent cette affirmation.
Il en résulte que le contrôle est entaché d’une irrégularité qui conduit à devoir l’annuler dans les limites de l’atteinte au droit ainsi commise.
En effet, s’il est constant que la procédure de contrôle doit être annulée en son entier lorsque, notamment, ont été méconnues les règles relatives à l’avis de passage ou celles concernant la notification du redressement, dès lors que l’irrégularité affecte alors la totalité de la procédure de contrôle, pour autant seuls les chefs de redressement au titre desquels porte l’irrégularité doivent être annulés.
La lettre d’observations porte certes sur un chef unique de redressement, à savoir celui de travail dissimulé avec verbalisation par dissimulation d’emploi salarié par absence de déclaration sociale, mais elle décompose le redressement en cinq années distinctes.
Or les constatations de l’inspecteur du recouvrement aux termes desquelles depuis une période antérieure au 1er janvier 2007, la société n’a fourni aucune déclaration sociale à l’URSSAF ne sont pas utilement contredites par la société, l’affirmation de cette dernière, non étayée au demeurant, selon laquelle elle aurait adressé lesdites déclarations par l’intermédiaire de l’huissier de justice en charge de la mesure d’exécution forcée des contraintes délivrées suite à la taxation forfaitaire, étant sans incidence sur la caractérisation du délit de travail dissimulé, au visa de l’arrêt du 11 mai 2015 ayant condamné le gérant M. [N] et la société du chef de ce délit commis entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2011.
Il en résulte qu’aucune violation des droits de la défense ou du principe du contradictoire n’affecte la procéd
ure de contrôle au titre de cette dernière période.
Sur la validité de la mise en demeure
C’est en vain que la société soutient en premier lieu que la mise en demeure ne précise pas le prénom du signataire, alors que cette omission n’est pas de nature à justifier l’annulation de la mise en demeure délivrée dont elle n’affecte pas la validité, et alors encore que cette mise en demeure précise la dénomination de l’organisme qui l’a émise, et mentionne qu’elle est signée par le directeur de celui-ci, en l’occurrence M. [Z] [A].
Aux termes de l’article R.244-1 du code de la sécurité sociale, l’envoi par l’organisme de recouvrement ou par le service mentionné à l’article R. 155-1 de l’avertissement ou de la mise en demeure prévus à l’article L. 244-2, est effectué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent.
La mise en demeure adressée le 10 avril 2012 mentionne, conformément à ce texte, la cause de son envoi, à savoir les sommes réclamées suite au contrôle précité, et aux chefs de redressement notifiés le 17 février 2012 en application de l’article R.243-59 du même code, et précise de manière parfaitement compréhensible, contrairement à ce que soutient la cotisante, les périodes auxquelles se rapportent les montants des sommes réclamées, année par année comme suit :
010107/311207, 010108/311208, 010109/311209, 010110/311210, 010111/311211, de sorte qu’aucune irrégularité dans ses mentions n’est susceptible d’entraîner son annulation.
Au constat que la société ne conteste pas utilement la matérialité des constatations de l’existence d’un travail dissimulé sur les années 2009 , 2010 et 2011, que le montant déterminé du redressement sur cette période n’est pas davantage contesté, il s’ensuit que le redressement au titre des années 2007 et 2008 sera annulé, et la société condamnée à payer à l’URSSAF la somme de 304.508,00 euros représentant celle de 260.785,00 euros au titre des cotisations éludées sur les années 2009, 2010 et 2011 et celle de 43.723,00 euros au titre des majorations de retard calculées sur lesdites cotisations.
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les frais et dépens
L’appelante qui succombe supportera la charge des dépens, et verra sa demande présentée au titre de ses frais irrépétibles rejetée.
L’équité conduit à allouer à l’intimée une somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du 22 février 2018 en ce qu’il a rejeté les quatre exceptions de nullité invoquée par la SARL [5] pour excès de pouvoir de l’inspecteur chargé du contrôle, et envers le procès-verbal de constat de travail dissimulé, la lettre d’observation du 17 février 2012 et la mise en demeure du 10 avril 2012, et en ce qu’il a condamné la société au paiement à l’URSSAF de la somme ramenée à 447.623,00 euros dont 371.739,00 euros au titre des cotisations éludées, et 75.884,00 euros au titre des majorations de retard, montant total tenant compte des sommes préalablement versées au titre de la taxation d’office.
Statuant de nouveau,
Dit et juge irrégulier le redressement portant sur les années 2007 et 2008.
Fixe en conséquence la créance de l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Provence Alpes Côte d’Azur en vue de son admission au passif de la procédure collective ouverte à l’encontre de la SARL [5] à la somme de 304.508,00 euros représentant celle de 260.785,00 euros au titre des cotisations éludées sur les années 2009, 2010 et 2011 et celle de 43.723,00 euros au titre des majorations de retard calculées sur lesdites cotisations.
Y ajoutant,
Condamne la SARL [5] aux dépens.
Condamne la SARL [5] à payer à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales Provence Alpes Côte d’Azur la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute la SARL [5] de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles.
Le Greffier Le Président