COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-3
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUILLET 2023
N° 2023/217
N° RG 22/14897 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BKJHV
Compagnie d’Assurances AREAS DOMMAGES
C/
[R] [N]
[A] [S]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-François JOURDAN
Me Constance DRUJON D’ASTROS
Me Salima GOMRI
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal Judiciaire hors d’AIX EN PROVENCE en date du 24 Octobre 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/03021.
APPELANTE
Compagnie d’Assurances AREAS DOMMAGES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4] – [Localité 5]
représentée par Me Jean-François JOURDAN de la SCP JF JOURDAN – PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-Marc ZANATI de la SELAS COMOLET ZANATI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Frédéric MALAIZE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Madame [R] [N]
demeurant [Adresse 9] – [Localité 2]
représentée et plaidant par Me Constance DRUJON D’ASTROS de la SCP DRUJON D’ASTROS & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Léa SIBONI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Monsieur [A] [S]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2023/000135 du 03/03/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
demeurant [Adresse 10] – [Localité 1]
représenté et plaidant par Me Salima GOMRI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 11 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Cathy CESARO-PAOTROT, Présidente, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente
Madame Béatrice MARS, Conseillère
Madame Florence TANGUY, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Angéline PLACERES.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juillet 2023,
Signé par Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente et Madame Angéline PLACERES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Le mercredi 10 août 2016, à 15 heures 05, un incendie de végétation s’est déclaré [Adresse 3] à [Localité 13]. Attisé par un fort mistral, il s’est propagé notamment sur les communes de [Localité 13], [Localité 15], [Localité 11], [Localité 14], [Localité 8], [Localité 6] et à la limite de la commune de [Localité 12]. Il a été maîtrisé au bout de trois jours et a été éteint le 10ème jour.
Les investigations diligentées par les enquêteurs de la gendarmerie nationale ont permis de localiser le départ de feu sur un terrain où ‘uvrait M. [A] [S], maçon.
Une information a judiciaire été ouverte. M. [S] reconnu qu’il avait fumé une cigarette et jeté le mégot mal éteint en bas d’un talus.
Suivant ordonnance en date du 10 novembre 2020, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de’:
– destruction involontaire par incendie de bois, forêt, maquis, landes ou plantation d’autrui dans des conditions de nature à créer un dommage irréversible à l’environnement par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence,
– destruction involontaire par incendie de bois, forêt, maquis, landes ou plantation d’autrui dans des conditions de nature à exposer les personnes à un dommage corporel par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence,
– destruction involontaire par incendie de bois, forêt, maquis, landes ou plantation d’autrui causant à M. [W] [I] une incapacité supérieure à huit jours par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence,
– destruction involontaire du bien d’autrui par incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence au préjudice de 447 victimes,
– dégradation ou détérioration involontaire du bien d’autrui par incendie provoqué par un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence au préjudice de 447 victimes,
– blessures involontaires par l’effet d’un incendie ayant causé une incapacité inférieure ou égale à 3 mois au préjudice de Mme [O] [T], M. [Z] [V], Mmes [E] [M] et [G] [M],
– blessures involontaires par l’effet d’un incendie n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail au préjudice de M. [D] [M] et Mmes [J] et [K] [M].
Par jugement prononcé le 16 novembre 2021, il a été condamné à la peine de cinq ans d’emprisonnement, dont quatre ans assortis du sursis et un an sous bracelet électronique pour les délits, outre des peines d’amende pour les contraventions.
Par ailleurs, la juridiction correctionnelle a joint au fond l’exception préjudicielle de non- garantie opposée par la société Aréas Dommages, sur le fondement de l’article 385-1 et suivants du code des assurances, au titre, d’une part, de la police multirisque habitation n° 16953388W 01 souscrite par M. [S] et résiliée, d’autre part, de la police responsabilité civile et décennale n°06658836/355008.
L’affaire a été renvoyée sur intérêts civils au 5 mai 2022 puis au 5 octobre 2023.
*
Mme [R] [N] a assigné M. [S] et la société Aréas dommages devant le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence en indemnisation de ses préjudices.
La société Aréas dommages a saisi le juge de la mise en état en demandant la jonction des instances concernant les différentes victimes de l’incendie et leurs assureurs et le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours contre M. [S] et de la plainte pour faux, usage de faux et escroquerie qu’elle a déposée contre X au motif que l’attestation d’assurance en responsabilité civile et décennale de M. [S] serait un faux.
Par ordonnance du 24 octobre 2022, le juge de la mise en état a :
– débouté [P], [X] et [Y] [N], parties extérieures au présent litige,
-dit n’y avoir lieu à ordonner la jonction sollicitée ;
-dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer ;
-rejeté l’exception d’incompétence ;
-condamné la société Aréas dommages à régler :
*500 euros à Mme [R] [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
*200 euros à M. [A] [S] ;
-condamné la société Aréas dommages aux dépens.
-renvoyé l’affaire et les parties devant le juge de la mise en état.
Par déclaration du 9 novembre 2022, la société Aréas Dommages a relevé appel de cette ordonnance.
Par conclusions remises au greffe le 15 décembre 2022, et auxquelles il y a lieu de se référer, elle demande à la cour :
-vu l’article 378 du code de procédure civile,
-d’infirmer les ordonnance du juge de la mise en état du 24 octobre 2022 en ce qu’elles ont rejeté la demande de sursis à statuer d’Aréas dommages,
-et statuant à nouveau,
-d’ordonner le sursis à statuer sur les demandes des intimés 1 – dans l’attente de la décision que prendra Mme le juge d’instruction Laure Delsupexhe à l’issue de son instruction et 2 – du jugement qui sera rendu à l’audience du 5 octobre 2023 sur les exceptions soulevées in limine litis par la compagnie Aréas aux audiences correctionnelles des 15 et 16 novembre 2021,
-d’infirmer les ordonnances du juge de la mise en état du 24 octobre 2022 en ce qu’elles ont condamné Aréas dommages à verser une indemnité article 700 aux intimés et aux dépens,
-et statuant à nouveau
-de débouter les intimés de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens.
-en tout état de cause,
-de condamner Mme [F] [L], Mme [R] [N], MM. [P], [Y] [N], [X] [N] et [W] [I] à payer à la compagnie Aréas dommages la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions remises au greffe le 5 janvier 2023, et auxquelles il y a lieu de se référer, Mme [R] [N] demande à la cour :
-vu les articles 108, 367, 700 et 771 du code de procédure civile,
-vu l’article 4 du code de procédure pénale,
-de confirmer la décision rendue le 24 octobre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence en toutes ses dispositions,
-et par conséquent,
-sur la demande de sursis à statuer
-de juger que la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil,
-en conséquence,
-de débouter la compagnie Aréas dommages de sa demande de sursis à statuer,
-sur l’irrecevabilité soulevée par Aréas,
-de juger que le tribunal de céans est parfaitement compétent pour statuer sur les demandes des concluantes et par conséquent,
-de déclarer les requérants recevables en toutes leurs demandes,
-sur les frais irrépétibles et dépens,
-de condamner la compagnie Aréas dommages à payer à Mme [N] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-de condamner la compagnie Aréas dommages aux entiers dépens.
Par conclusions remises au greffe le 26 décembre 2022, et auxquelles il y a lieu de se référer, M. [A] [S] demande à la cour :
-vu l’article 4 du code de procédure pénale,
-vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
-vu l’article L.511-1 du code des assurances,
-de débouter la société Aréas de l’ensemble de ses demandes,
-de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance en date du 24 octobre 2022 rendue par Mme la juge de la mise en état,
-y ajoutant,
-vu l’article 700-2° du code de procédure civile ensemble l’article 37alinéas 1 et 2 de la loi du 10 juillet 1991,
-de condamner la société Aréas à payer à maître Salima Gomri la somme de 1 620 euros HT au titre de l’article 700-2° du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
-de condamner la société Aréas aux entiers dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 5 mai 2023.
Motifs :
Sur le sursis à statuer
L’appelante’sollicite le sursis à statuer en vue d’une bonne administration de la justice. Elle invoque la nécessité de prévenir tout risque de contrariété de décisions et de déni de justice. En premier lieu, elle fait valoir qu’elle a déposé plainte le 11 novembre 2021 contre X pour faux en écriture, usage de faux, escroquerie au jugement concernant l’attestation responsabilité civile et décennale n° 06658836/355008 produite in extremis par M. [S] devant le juge correctionnel et développe les incohérences de ce document. Elle souligne que l’ouverture d’une information judiciaire sur cette plainte vaut mise en mouvement de l’action publique. En second lieu, elle se prévaut de l’instance pénale actuellement pendante devant le juge correctionnel sur l’exception préjudicielle soulevée et sur les intérêts civils ainsi que de l’audience prévue le 5 octobre 2023.
Mme [N] réplique qu’en application des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, le prononcé d’un sursis à statuer n’est pas justifié en l’état de la décision définitive du tribunal correctionnel d’Aix en Provence sur l’action publique engagée à l’encontre de M. [S], qu’elle n’a formé pour l’heure aucune demande à l’encontre de la société Areas Dommages devant la juridiction pénale et que la mesure est de nature à pénaliser les victimes qui ont fait le choix de porter leurs demandes devant la juridiction civile en leur imposant une attente injustifiée.
M. [S] prétend que les instances pénales en cours n’auront pas d’incidence sur la procédure civile. Il expose que les vérifications effectuées par la gendarmerie ont confirmé que l’expéditeur de l’attestation responsabilité décennale litigieuse est M. [U]. Il met en exergue que l’assureur doit donc répondre des engagements pris par son mandataire puisqu’ils sont réputés accomplis par le mandant lui-même et il se prévaut de la théorie du mandat apparent .
L’article 378 du code de procédure civile dispose que la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.
Aux termes de l’article 4 alinéa 3 du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
L’appelante admet que le sursis à statuer sollicité est facultatif et que l’appréciation de son opportunité relève du pouvoir discrétionnaire du juge saisi.
En l’espèce, il a été statué sur les infractions pénales reprochées à M. [S] par jugement définitif sur l’action publique mise en mouvement le concernant. Or, le renvoi sur intérêts civils se rapporte à l’action en réparation des dommages causés dans les suites du sinistre du 10 août 2016, ce que ne saurait éluder la société Aréas Dommages nonobstant son argumentation pour dénier sa garantie et l’intimée rappelle avoir fait le choix de porter son action devant le juge civil.
Par ailleurs, la société Aréas ne produit que la plainte contre X adressée par lettre au procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, et non de pièces relatives à l’information en cours. En toute hypothèse, celle-ci concerne le contrat d’assurance professionnelle souscrit par M. [S] auprès d’Aréas dommages par l’intermédiaire de son agent général. Elle vise donc d’autres infractions dont les auteurs ne sont pas, pour l’heure, mis en examen voire même identifiés en l’absence de documents probants communiqués par l’appelante.
Au surplus, l’attestation d’assurance arguée de faux, en date du 1er mars 2016, comporte le nom M. [U], agent général Aréas Dommages à [Localité 7], son cachet et sa signature. L’intimé invoque, avec pertinence, les dispositions de l’article L 511-1 IV du code des assurances ainsi que la croyance des tiers dans les pouvoirs du mandataire.
Enfin, il n’est pas dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de retarder l’issue du procès civil au regard de son importance pour les victimes.
Il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise sur le rejet de la demande de sursis à statuer.
Aucune considération d’équité ne commande qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile au profit des intimés.
Par ces motifs :
Statuant contradictoirement
Dans les limites de la saisine de la cour,
Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état déférée ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Aréas Dommages aux dépens d’appel.
La Greffière, La Présidente,