Mandat apparent : 6 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/16378

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Mandat apparent : 6 octobre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/16378

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 6

ARRÊT DU 6 OCTOBRE 2023

(n° /2023, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/16378 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNQC

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 juillet 2022 – Tribunal judiciaire de BOBIGNY – RG n° 21/04920

APPELANTS

M. [J] [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me MESNIER Jean-Baptiste, avocat au barreau de PARIS, substitué à l’audience par Me CHOPLIN Caroline, avocat au barreau de PARIS

Mme [V] [E] épouse [M]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me MESNIER Jean-Baptiste, avocat au barreau de PARIS, substitué à l’audience par Me CHOPLIN Caroline, avocat au barreau de PARIS

M. [C] [M]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me MESNIER Jean-Baptiste, avocat au barreau de PARIS, substitué à l’audience par Me CHOPLIN Caroline, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. [D] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée et assistée à l’audience par Me Patrice MOURIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1553

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 7 septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Valérie Guillaudier, conseillère faisant fonction de présidente

Laura Tardy, conseillère

Sonia Norval-Grivet, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Tardy Laura, conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Manon Caron

ARRÊT :

– contradictoire.

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Valérie Guillaudier, conseillère faisant fonction de présidente et par Céline Richard, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [J] [M] et Mme [V] [M] née [E], ainsi que M. [C] [M], sont propriétaires indivis d’un ensemble immobilier sis à [Localité 3], [Adresse 2] et [Adresse 5].

M. et Mme [J] [M] ont souhaité faire démolir et reconstruire le bien situé [Adresse 2] pour y réaliser une maison d’habitation familiale pour leur usage.

Les travaux comprenaient quatre lots, dont le lot 1 (gros oeuvre, enveloppe, second oeuvre hors lots techniques) a été confié à la société [D] pour la somme de 420 513,10 euros HT, sous la maîtrise d’oeuvre de la société Artexia Architecture, et ce suivant acte d’engagement du 28 octobre 2016 comprenant notamment le cahier des clauses techniques particulières et l’ordre de service n° 1.

Les travaux étaient prévus du 2 novembre 2017 au 15 juillet 2018. Ils ont été réceptionnés avec réserves le 13 décembre 2018, réserves levées le 26 avril 2019.

Le 31 janvier 2019, la société [D] a émis une facture n° 2019-019 de 22 587,56 euros TTC correspondant à la facturation de 95 % des travaux, puis, le 31 décembre 2020, elle a émis une facture n° 2020-471 de 18 419,59 euros TTC correspondant à la retenue de garantie de 5 %, l’ensemble calculé sur la base d’un montant de travaux réduit à 306 993,23 euros après suppression de certains postes de travaux par les maîtres d’ouvrage.

M. [C] [M] a souhaité faire procéder à une opération d’extension et de surélévation de son habitation sise [Adresse 5], les travaux incluant la création d’une nouvelle pièce d’habitation sur l’emplacement de la toiture du rez-de-chaussée, et des travaux d’aménagement et amélioration du logement qu’il destine à son propre usage.

Les travaux comprenaient trois lots, dont le lot 1 (gros oeuvre, enveloppe, second oeuvre hors lots techniques) a été confié à la société [D] pour la somme de 101 640,70 euros HT, sous la maîtrise d’oeuvre de la société Artexia Architecture, et ce suivant acte d’engagement du 28 octobre 2016 comprenant notamment le cahier des clauses techniques particulières et l’ordre de service n° 1.

Ces travaux, réceptionnés le 23 novembre 2017, ont été réglés.

M. [C] [M] a commandé à la société [D] des travaux supplémentaires :

– menuiserie selon devis n° DGD 2017-272, ordre de service n° 4, du 19 juillet 2017 pour la somme de 3 870 euros HT (TVA à 10 %), travaux facturés le 31 juillet 2017, selon facture n°2017-307 pour le solde à payer de 3 417,15 euros TTC, facture adressée pour paiement par le maître d’oeuvre à M. [M] le 7 décembre 2017,

– travaux complémentaires de ravalement selon devis n° DGD 2017-272, ordre de service n° 5, du 19 juillet 2017 pour la somme de 1 614,20 euros HT (TVA à 10 %), travaux facturés le 31 juillet 2017 et proposition de paiement par le maître d’oeuvre à M. [M] le 2 décembre 2018,

– travaux complémentaires de ravalement des murs pignon selon devis n°2017-142, ordre de service n° 5, du 19 juillet 2017 pour la somme de 12 000 euros HT et remise de 675 euros, travaux facturés le 31 juillet 2017 et proposition de paiement par le maître d’oeuvre à M. [M] le 21 décembre 2017,

Par lettres recommandées avec accusé de réception en date du 9 avril 2021, la société [D] a réclamé à M. et Mme [J] [M] la somme de 41 007,13 euros, et à M. [C] [M] la somme de 11 493,99 euros.

Par assignation délivrée le 23 avril 2021, la société [D] a saisi le tribunal judiciaire de Bobigny et sollicité la condamnation de M. et Mme [J] [M] à lui payer, en principal, deux factures de travaux des 31 janvier 2019 et 31 décembre 2020 pour un montant total de 41 007,16 euros.

Par conclusions d’incident, MM. [C] et [J] [M] et Mme [V] [M] ont excipé de la prescription de l’action de la société [D] et sollicité reconventionnellement sa condamnation à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, soit 1 000 euros chacun.

Défenderesse à l’incident, la société [D] a conclu à la recevabilité de son action, estimant celle-ci non prescrite.

Par ordonnance du 29 juillet 2022, le juge de la mise en état a statué en ces termes :

‘Disons irrecevable la demande de la SAS [D] concernant la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019 de 22 587, 56 euros,

Disons recevable la demande de la SAS [D] concernant la facture n° 2020-471 du 31 décembre 2020 de 18 419, 59 euros,

Rejetons les demandes en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Disons que les dépens du présent incident suivront ceux du fond,

Disons que l’affaire sera appelée à l’audience de la mise en état du 2 novembre 2022 pour conclusions au fond du défendeur.’

Par déclaration du 1er septembre 2022 enregistrée sous le n° RG 22/15648, la société [D] a interjeté appel de l’ordonnance, intimant devant la cour d’appel de Paris MM. [J] et [C] [M] et Mme [V] [M], sur le seul chef de l’ordonnance disant irrecevable sa demande de condamnation des défendeurs concernant la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019 pour 22587,56 euros.

Par déclaration d’appel du 19 septembre 2022 enregistrée sous le n° RG 22/16378 et déclaration rectificative du 20 septembre 2022 enregistrée sous le n° RG 22/16390, MM. [J] et [C] [M] et Mme [V] [M] ont interjeté appel de l’ordonnance, intimant la société [D] devant la cour d’appel de Paris, sur les chefs suivants de l’ordonnance :

– omission de statuer sur les factures concernant M. [C] [M] n° 2017-305, -307 et -308,

– recevabilité de la demande de condamnation des défendeurs concernant la facture de la société [D] n° 2020-471 du 31 décembre 2020 pour 18 419,59 euros,

– rejet des demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 25 octobre 2022, les deux procédures initiées par les consorts [M] sous les n° RG 22/16378 et 22/16390 ont été jointes. Par ordonnance du 24 janvier 2023, les procédures initiées par la société [D] et les consorts [M] ont été jointes et se poursuivent sous le numéro unique RG 22/16378.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Dans leurs conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 28 juin 2023, MM. [J] et [C] [M] et Mme [V] [M] demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 29 juillet 2022 en ce qu’il a jugé irrecevable la demande de la société [D] concernant la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019 de 22 587,56 euros,

– pour le surplus, infirmer l’ordonnance et statuant à nouveau :

– juger prescrite l’action engagée par la société [D] concernant la facture n°2020-471 du 31 décembre 2020 de 18 419,59 euros,

– juger prescrite l’action engagée par la société [D] concernant les factures imputées à M [C] [M], à savoir :

– n°2017-305 du 31 juillet 2017 d’un montant de 7 200 euros ;

– n°2017-307 du 31 juillet 2017 d’un montant de 3 417,15 euros ;

– n°2017-308 du 31 juillet 2017 d’un montant de 876,84 euros.

– débouter la société [D] de l’ensemble de ses demandes,

– condamner la société [D] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, soit 1 000 euros chacun,

– condamner la société [D] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

 »’

Dans ses dernières conclusions n° 3 notifiées par voie électronique le 4 juillet 2023, la société [D] demande à la cour de :

– prendre acte de la demande de réformation ou annulation par les consorts [M], dans leur déclaration d’appel du 19 septembre 2022, de l’ordonnance du 29 juillet 2022 en ce qu’elle a dit irrecevable la demande de la société concernant la facture n° 2019-471 du 31 janvier 2019 pour 22 587,56 euros,

– en conséquence, infirmer l’ordonnance du 29 juillet 2022 sur cette demande,

et en tout état de cause,

– confirmer l’ordonnance du 29 juillet 2022 sur la recevabilité de l’action en paiement de sa facture n° 2020-471 du 31 décembre 2020 de 18 419,59 euros,

– infirmer l’ordonnance pour le surplus,

et, statuant à nouveau,

– juger non prescrite son action en paiement de la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019 de 22 587,56 euros,

– juger recevable l’action en paiement de ses factures n° 2017-305, 2017-306, 2017-308 pour un total de 11 496,84 euros à l’encontre de M. [C] [M],

– débouter Mme [V] [M], M. [J] [M] et M. [C] [M] de leurs demandes,

– condamner in solidum Mme [V] [M], M. [J] [M] et M. [C] [M] au paiement de la somme de 2 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’au dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 juillet 2023.

MOTIFS

Sur l’étendue de la saisine de la cour

Moyens des parties :

La société [D] fait observer que dans leur déclaration d’appel, les consorts [M] demandent la réformation ou l’annulation de l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’elle a dit sa demande irrecevable au titre de la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019, ce qui revient à demander à la cour de déclarer cette demande recevable. Elle soutient que cette demande se maintient nonobstant la jonction et les termes de leurs première conclusions.

Les consorts [M] contestent avoir voulu interjeter appel à l’encontre de l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu’elle a déclaré irrecevable la demande de la société portant sur la facture de 2019, et ajoutent que dans leurs premières conclusions, ils ne forment aucune demande à ce titre.

Réponse de la cour :

L’article 901 du code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :

1° La constitution de l’avocat de l’appelant;

2° L’indication de la décision attaquée ;

3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;

4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

L’article 910-4 du même code énonce qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Il est constant que la cour est saisie des chefs critiqués de la décision de première instance, tels qu’exprimés dans la déclaration d’appel, sauf pour l’appelant, ou l’intimé formant appel incident, à ne pas reprendre un chef critiqué dans ses dernières conclusions, ce qui vaut abandon de la critique de celui-ci, de sorte que la cour n’aura pas à l’examiner.

En l’espèce, il ressort de la procédure devant la cour que les consorts [M], dans leur déclaration d’appel initiale enregistrée le 19 septembre 2022 comme dans leur déclaration d’appel rectificative du 20 septembre 2022, critiquent les mêmes chefs de l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny, à savoir l’omission de statuer sur la contestation de M. [C] [M], la recevabilité de la facture de la société [D] n°2020-471 du 31 décembre 2019 pour 18 419,59 euros et le rejet de la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’apparaît pas, de la part des consorts [M], de critique de l’irrecevabilité de l’autre facture en cause, contrairement à ce que soutient la société [D] dans ses dernières conclusions, de sorte que la cour n’est pas saisie de ce chef de la part des appelants. Elle l’est, en tout état de cause, selon la déclaration d’appel formée par la société [D] qui critique expressément ce chef de l’ordonnance du juge de la mise en état.

Sur les factures réclamées par la société [D] à M. et Mme [M]

Moyens des parties :

MM. et Mme [M] font valoir que l’article L. 218-2 du code de la consommation ne précise pas quel est son point de départ, et se prévalent de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le point de départ du délai de prescription biennale est le moment où la prestation commandée a été exécutée, peu important la date à laquelle la société a décidé d’établir sa facture. Ils estiment que la date de point de départ est la réception avec réserves du 13 décembre 2018, de sorte que, l’assignation étant intervenue en avril 2021, l’action est prescrite.

S’agissant de la facture n° 2020-471 correspondant aux 5% de retenue de garantie, il font valoir que le point de départ de la prescription n’est pas le procès-verbal de levée de réserves, mais la date d’exécution des prestations, de sorte que si l’on retient les prestations pour lever les réserves, elles sont nécessairement antérieures au procès-verbal, et le délai imparti pour lever les réserves était le 25 janvier 2019. Ils contestent la motivation du juge de la mise en état car la jurisprudence ne prévoit aucune ‘atténuation’ permettant d’écarter le principe posé et car la société [D] n’a pas été privée de l’accès au juge.

Enfin, ils contestent tout effet interruptif du courriel ‘valant reconnaissance de dette’ allégué par l’adversaire. Ils font observer qu’il n’est pas versé, donc sa date demeure inconnue, qu’il émane de l’architecte qui n’est pas leur mandataire, qu’il est expressément indiqué que ce courrier est confidentiel, donc ils en demandent le retrait, et enfin qu’il ne contient aucune reconnaissance de dette claire et non équivoque.

En défense, s’agissant de la facture de 2019, la société [D] soutient qu’un événement a interrompu le cours de la prescription biennale, à savoir un mail adressé par le cabinet Artexia, maître d’oeuvre, en réponse au sien datant du 25 juin 2019, mentionnant la réponse des époux [M] à sa demande de paiement, dont elle soutient qu’elle pouvait légitimement en déduire l’existence d’un mandat apparent entre les époux [M] et le cabinet Artexia. Elle ajoute que les termes de ce courrier valent reconnaissance de dette de la part des mandants du cabinet d’architecture, ce qui a interrompu le cours de la prescription biennale. Elle précise que la mention de confidentialité portée sur le document ne vaut pas pour ce mail, mais celui du dessus, non produit.

Au titre de la facture de 2020, constituée par les 5 % de retenue de garantie, elle rappelle que le juge de la mise en état l’a déclarée recevable, le point de départ de la prescription étant selon la jurisprudence la date d’achèvement des travaux, sauf si l’application de cette jurisprudence prive le professionnel de l’accès au juge, conduisant alors à revenir à l’ancien point de départ considéré, savoir la date de la facture. Elle soutient que tel est le cas en l’espèce, puisque les travaux se sont achevés le 13 décembre 2018 et la facture a été établie après le délai d’attente pour la retenue de garantie, le 31 décembre 2020, alors que le revirement de jurisprudence est intervenu le 26 février 2020 (date de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation), et qu’à cette date le nouveau délai de prescription avait déjà couru pendant 14 mois. Elle fait par ailleurs valoir que le montant de retenue de garantie est devenu exigible à la levée des réserves, le 26 avril 2019, qui correspond à l’achèvement des travaux, et non lors de la réception, formulée avec réserves. Elle considère que le délai de prescription biennal a commencé à courir le 26 avril 2019 et n’était pas expiré lors de l’assignation du 23 avril 2021. Elle précise que si on retenait la date de la réception comme date d’achèvement des travaux, la retenue de garantie n’est exigible qu’un an plus tard, de sorte que sa demande n’est pas prescrite. Subsidiairement, s’il était considéré que le point de départ de la prescription biennale est la date de réception des travaux, elle se prévaut du courriel du cabinet Artexia dont elle soutient qu’il a interrompu la prescription.

Réponse de la cour :

L’article L. 218-2 du code de la consommation énonce que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

En application des articles 2224 du code civil et L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, il y a désormais lieu de prendre en compte, pour fixer le point de départ du délai biennal de prescription de l’action en paiement de travaux et services engagée à l’encontre de consommateurs par un professionnel, la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d’exercer son action. Cette date peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations (Cass., Com, 26 février 2020, n° 18-25.036).

Toutefois, dès lors que l’application de la jurisprudence nouvelle aboutirait à priver ce professionnel d’accès au juge, il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, et de prendre en compte la date d’établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l’assignation des consommateurs (Cass., Civ. 1e, 19 mai 2021, n° 20-12.520).

1) Sur la facture n° 2019-019 du 31 janvier 2019

Cette facture, émise le 31 janvier 2019, pour un montant de 22 587,56 euros, représente le solde des travaux de gros oeuvre effectués par la société [D] dans l’immeuble appartenant aux époux [M] à hauteur de 95 % de ceux-ci, sous déduction des acomptes déjà versés.

Les travaux ont été réceptionnés le 13 décembre 2018.

Lorsque la société [D] a émis la facture correspondant, en l’état de la jurisprudence à cette date, elle pouvait légitimement considérer que le délai de prescription courait à compter de cette facture. En retenant comme point de départ de la prescription celui issu du revirement de jurisprudence de 2020, cela aurait pour effet de priver la société [D] d’une partie du délai de prescription, de sorte qu’il convient de retenir, au cas d’espèce, le point de départ de la prescription biennale applicable lors de l’émission de la facture, c’est-à-dire ladite facture.

Le délai de la prescription biennale a donc commencé à courir le 31 janvier 2019.

La société [D] se prévaut d’une mention portée en bas d’un tableau de décompte provisoire émis par l’architecte de la société Artexia, maître d’oeuvre des époux [M], dont elle soutient que cette mention, en réponse à un mail de sa part réclamant paiement du solde des travaux, vaut reconnaissance par l’architecte, mandataire apparent des maîtres de l’ouvrage, de la créance, ce qui est une cause d’interruption de la prescription.

Cependant, le mail par lequel M. [Z], pour la société [D], interroge le cabinet Artexia, date du 25 juin 2019. Or, le tableau de décompte provisoire sur lequel est portée la mention litigieuse date du 12 décembre 2018, il lui est donc antérieur. On ignore sur ce document la date et l’auteur de la mention en cause, manuscrite, indiquant : ‘le client attend un nouveau geste commercial pour le retard général du chantier => à vous de choisir’.

En l’absence d’auteur identifié et d’articulation chronologique certaine, cette mention ne peut de façon certaine être imputée au maître d’oeuvre, de sorte que la preuve de l’existence d’un mandat apparent des époux [M] au profit de leur maître d’oeuvre n’est pas rapportée.

À défaut de mandat apparent, la mention ne peut avoir de caractère interruptif de prescription.

Le premier acte interruptif de prescription dont il est justifié à l’instance est l’assignation délivrée par la société [D] le 23 avril 2021. A cette date, le délai de prescription avait couru en totalité, de sorte que l’assignation n’a pu interrompre le délai expiré.

Par conséquent, l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny sera confirmée de ce chef, pour ces seuls motifs, substitués à ceux des premiers juges.

2) Sur la facture n° 2020-471 du 31 décembre 2020

Cette facture, d’un montant de 18 419,59 euros a été émise le 31 décembre 2020 par la société [D] au titre de la retenue de garantie de 5 %.

L’article 1er de la loi du 16 juillet 1971 précise que la retenue de 5 % garantit ‘contractuellement l’exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l’ouvrage’. L’article 2 dispose, quant à lui, que la caution ou les sommes consignées sont libérées « à l’expiration du délai d’une année à compter de la date de réception, faite avec ou sans réserve », sauf opposition du maître de l’ouvrage « motivée par l’inexécution des obligations de l’entrepreneur ».

Dès lors que la retenue de garantie vise à inciter l’entrepreneur à effectuer les travaux pour lesquels des réserves ont été émises dans le procès-verbal de réception, en ne recevant le paiement du solde de ceux-ci qu’à la levée des réserves, il s’en déduit que le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement du solde dû est, soit la date de levée effective des réserves lorsqu’elle est effectuée pendant l’année de garantie de parfait achèvement, soit la date d’expiration du délai de la garantie de parfait achèvement prévue par l’article 1792-6 du code civil.

En l’espèce, il résulte du compte-rendu de levées de réserves en date du 26 avril 2019 que celles concernant les travaux confiés à la société [D] ont été levées à cette date. La prescription biennale court donc à compter du 26 avril 2019. L’assignation délivrée par la société [D] aux époux [M] leur ayant été délivrée le 23 avril 2021, avant expiration du délai de deux ans, la demande n’est pas prescrite.

L’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny sera confirmée de ce chef.

Sur les factures réclamées par la société [D] à M. [C] [M]

Moyens des parties :

M. [C] [M] soutient que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny a omis de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en paiement des factures émises par la société [D] à son encontre portant les n° 2017-305, -307 et -308. Il ajoute qu’elles datent du 31 juillet 2017 pour un montant total de 11 493,99 euros. Il conteste l’effet interruptif du mail de 2021 du maître d’oeuvre, d’une part car il est survenu après écoulement du délai de prescription, et d’autre part car le maître d’oeuvre n’est pas son mandataire, même apparent, et de troisième part car ce mail ne vaut pas reconnaissance de dette.

En réponse, la société [D] indique qu’elle réclame le paiement de trois factures :

– 2017-305 du 31 juillet 2017 pour 6 390 euros,

– 2017-306 du 31 juillet 2017 pour 3 420 euros,

– 2017-308 du 31 juillet 2017 pour 1 686,84 euros,

soit au total 11 496,84 euros, et que les factures dont ce dernier fait état en réponse ne sont pas les mêmes. Elle précise que les versements faits par M. [C] [M] ont été enregistrés dans sa comptabilité et que la somme réclamée est le solde. Elle fait valoir qu’il n’a pas contesté devoir cette somme, résultant des factures susvisées, devant le juge de la mise en état ou la cour, de sorte qu’il s’agit d’un acte positif valant renonciation tacite à se prévaloir de la prescription de l’action en paiement du solde réclamé.

Réponse de la cour :

1) Sur l’omission de statuer du juge de la mise en état

Conformément aux article 463, 561 et 562 du code de procédure civile, la cour d’appel peut statuer sur une omission de statuer du premier juge.

Il résulte de la lecture des conclusions d’incident n° 3 présentées par le conseil de M. [C] [M] devant le juge de la mise en état, conclusions régulièrement notifiées le 8 juin 2022 au conseil de la société [D], que le demandeur à l’incident sollicitait que le juge déclare ‘prescrite l’action engagée par la société [D]’, action visant, selon les motifs des conclusions, la demande en paiement formée par la société [D] à l’égard de M. [C] [M], pour trois factures n° 2017-305, 307 et 308, émises le 31 juillet 2017 pour un montant total de 11 493,99 euros.

La société [D] confirme avoir demandé au juge du fond la condamnation de M. [C] [D] à lui verser la somme de 11 496,84 euros.

L’en-tête de l’ordonnance du juge de la mise en état mentionne bien la présence à l’instance de trois défendeurs, MM. [J] et [C] [M] (dénommé par erreur [C] [J]) et Mme [V] [M].

Il résulte de ce qui précède que le juge de la mise en état a bien omis de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par M. [C] [M] et opposée à la demande de condamnation à paiement de factures dirigée contre lui par la société [D], demanderesse au fond.

Les parties sont en désaccord sur les factures dont la condamnation à paiement est demandée par la société [D], auxquelles M. [C] [M] oppose une fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande.

Les parties ne versent pas l’assignation ayant saisi le tribunal judiciaire de Bobigny, ou les conclusions de demandes additionnelles valant saisine de la juridiction en condamnation de M. [C] [M] à paiement de factures, et le juge de la mise en état a omis de statuer, de sorte que l’on ignore de quelles factures la juridiction du fond est saisie.

La cour est saisie d’une omission de statuer par les appelants pour des factures n°2017-305, -307 et -308, dont ils précisent dans leurs dernières conclusions qu’il s’agit de factures du 31 juillet 2017 pour des montants respectifs de 7 200 euros, 3 417,15 euros et 876,84 euros (soit 11 493,84 euros). Les appelants ne produisent pas ces factures.

La société [D] produit trois factures émises par elle à la même date, portant les mêmes numéros, mais pour des montants respectifs de 6 390 euros, 3 417,15 euros et 1 686,84 euros (soit 11 493,99 euros).

Toutefois, elle précise que sa demande de condamnation à payer à l’égard de M. [C] [M] vise les factures n° 2017-305, 2017-306 et 2017-308.

La cour constate qu’aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription n’est opposée par M. [C] [M] à la demande en paiement de la facture n° 2017-306. Elle constate également que la société [D] reconnaît ne pas demander le paiement de la facture n°2017-307, de sorte que la fin de non-recevoir opposée par M. [C] [M] à la facture n° 2017-307 est sans objet.

Il ressort des extraits de la comptabilité de la société [D] versés aux débats qu’il n’y a qu’une seule facture n° 2017-305 et une seule facture n° 2017-308, toutes deux à la date du 31 juillet 2017, de sorte que la cour considère être saisie d’une omission de statuer portant sur le paiement des factures précitées, pour le montant établi par leur auteur, la société [D].

Les factures ont été émises par la société [D] le 31 juillet 2017, à une date antérieure au revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation. Il convient donc de retenir comme point de départ de la prescription biennale la date de la facture, point de départ admis avant le revirement.

La prescription biennale de ces factures a donc commencé à courir à la date de la facturation, par exception, soit le 31 juillet 2017.

La société [D] soutient que M. [C] [M], en contestant des factures pour des montants erronés, et en ne contestant pas les factures au montant réel, ni devant le juge de la mise en état ni devant la cour, aurait ainsi accompli en connaissance de cause un acte positif valant renonciation à se prévaloir de la prescription de l’action en paiement an sens de l’article 2251 du code civil.

Cependant, M. [C] [M] a opposé une fin de non-recevoir devant le juge de la mise en état dès la demande de condamnation à paiement formée par la société [D], de sorte qu’il n’a pas accompli d’acte positif valant renonciation tacite à se prévaloir de la prescription acquise.

Dès lors, le premier acte interruptif de prescription est l’assignation en paiement formée par la société [D] le 23 avril 2021.

Par conséquent, le délai de prescription étant expiré à la date de l’assignation, l’action en paiement formée par la société [D] à l’encontre de M. [C] [M] est prescrite.

L’ordonnance du juge de la mise en état sera complétée en ce sens.

Sur les frais du procès

Il convient de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.

Partie perdante en appel, la société [D] sera condamnée à verser aux consorts [M] la somme de 2 400 euros, soit 800 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La demande formée par la société [D] au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

La société [D] sera également condamnée à supporter les dépens de la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

y ajoutant,

DECLARE sans objet la demande de M. [C] [M] tendant à déclarer irrecevable la demande au titre de la facture n°2017-307 du 31 juillet 2017 ;

DECLARE irrecevable comme étant prescrite la demande en paiement formée par la société [D] à l’égard de Monsieur [C] [M] au titre des factures n° 2017-305 et -308 en date du 31 juillet 2017 ;

CONDAMNE la société [D] aux dépens d’appel ;

CONDAMNE la société [D] à verser à Messieurs [J] et [C] [M] et Madame [V] [M] la somme de HUIT CENT EUROS (800 euros) chacun, soit 2 400 euros en tout, au titre des frais de l’article 700 du code de procédure civile en appel ;

REJETTE la demande de la société [D] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La conseillère faisant fonction de présidente,

 


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