RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/00507 – N° Portalis DBVS-V-B7G-FV5K
Minute n° 23/00258
[C], [E]
C/
[J]
Jugement Au fond, origine TJ de THIONVILLE, décision attaquée en date du 14 Février 2022, enregistrée sous le n° 20/00441
COUR D’APPEL DE METZ
3ème CHAMBRE – TI
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2023
APPELANTS :
Monsieur [R] [C]
[Adresse 3]
Représenté par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ
Madame [V] [E] épouse [C]
[Adresse 3]
Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ
INTIMÉ :
Monsieur [U] [J]
[Adresse 2]
Représenté par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés devant Madame GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries.
A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 Octobre 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
PRÉSIDENT : Madame GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre
ASSESSEURS : Monsieur MICHEL, Conseiller
Monsieur KOEHL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Stéphanie PELSER, Greffier placé
ARRÊT :
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Madame GUIOT-MLYNARCZYK, Présidente de Chambre, et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 19 décembre 2016, M. [U] [J] et M. [M] [W] ont acquis, chacun pour une moitié indivise, une maison d’habitation et un jardin attenant situés [Adresse 2]. Un terrain situé en face de cette propriété, de l’autre côté du chemin du calvaire, appartient à M. [R] [C] et son épouse, Mme [V] [E].
Au motif que M. [C] a fait installer sur son terrain des traverses de chemin de fer traitées à la créosote, M. [J] l’a fait citer devant le tribunal judiciaire de Thionville par acte d’huissier du 9 mars 2020 et en cours de procédure, Mme [C] est intervenue volontairement à l’instance.
Au dernier état de ses conclusions, M. [J] a demandé au tribunal de:
– enjoindre M. [C] de procéder au démontage intégral de l’installation de traverses de chemin de fer créosotées dans un délai d’un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard
– condamner M. [C] à lui verser la somme de 6.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance
– débouter M. et Mme [C] de l’ensemble de leurs prétentions
– condamner M. [C] à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
M. et Mme [C] ont conclu au rejet des demandes et sollicité la condamnation du demandeur à leur verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Par jugement du 14 février 2022 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal a :
– condamné M. [C] au titre des travaux nécessaires à la cession (sic) du trouble anormal du voisinage à démonter sur son terrain situé chemin du calvaire à [Localité 4] (cadastré section [Cadastre 1] n°[Cadastre 1]) l’ensemble des traverses disposées sous forme de gradin et servant de retenue de terre ainsi que les traverses servant de clôture à l’endroit de la terrasse pavée, sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement
– dit que l’astreinte provisoire court pendant un délai de trois mois, à charge pour M. [J], à défaut de réalisation des travaux à l’expiration de ce délai, de solliciter du juge de l’exécution la liquidation de l’astreinte provisoire et le prononcé de l’astreinte définitive
– condamné M. [C] à payer à M. [J] la somme de 1.000 euros au titre du préjudice de jouissance
– débouté M. [C] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
– condamné M. [C] à verser à M. [J] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le tribunal a relevé que pour l’essentiel, les traverses litigieuses posées en forme de gradin, servaient de retenue de terre en contrebas d’un mur édifié le long du chemin du calvaire, et qu’au pied de cette retenue se trouvait une terrasse séparée d’un terrain par une clôture également constituée de traverses. Il a estimé que cette installation relevait plutôt d’un aménagement paysager pour un usage de loisirs et de détente, sans relation avec l’activité d’éleveur de chevaux exercée par Mme [C] depuis 2013 et que M. [C] ne peut valablement se prévaloir des dispositions de l’article L.112-6 du code de la construction et de l’habitation pour s’exonérer de sa responsabilité du fait des nuisances de l’installation litigieuse à l’exception de celles causées par un petit enclos constitué des mêmes traverses, en lien avec l’activité agricole de Mme [C].
Il a relevé que plusieurs témoignages font état d’odeurs désagréables et incommodantes localisées chemin du calvaire, que ces nuisances olfactives ont également été relevées par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (ci-après DREAL) le 25 juin 2019, que M. [C] en reconnaît lui-même l’existence à certaines périodes de l’année dans un accord conclu le 27 novembre 2019 avec M. [W], que ces traverses font nécessairement l’objet d’un traitement pour éviter les moisissures qui provoque l’émanation d’odeurs particulières et que leur nombre important explique l’intensité de ces odeurs. Il a considéré que la récurrence, l’intensité et la persistance des nuisances olfactives caractérisent l’anormalité des troubles du voisinage causés par M. [C], mais que le risque sanitaire allégué ne peut être retenu en l’absence de preuve de la nocivité du produit utilisé, aucun élément ne démontrant qu’il s’agit de créosote. Il en a déduit que l’enclos des alpagas construit avec les matériaux litigieux avant que le demandeur achète sa propriété et alors que l’activité de Mme [C] était existante, ne peut être considéré comme un trouble anormal du voisinage.
Il a en conséquence ordonner le démontage de l’installation litigieuse afin de faire cesser le trouble du voisinage subi par le demandeur et a condamné M. [C] à verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive en précisant que l’accord conclu avec M. [W] ne peut être opposé à M. [J] qui n’est pas partie à l’acte et qui fait valoir un préjudice personnel et direct.
Par déclaration déposée au greffe de la cour le 24 février 2022, M. et Mme [C] ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.
Aux termes de leurs dernières conclusions du 26 mai 2023, les appelants demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris
– déclarer irrecevables l’action et les demandes de M. [J], à défaut rejeter les demandes
– subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a limité à la somme de 1.000 euros l’indemnisation du préjudice de jouissance de M. [J] et le débouter de sa demande d’une somme de 6.000 euros
– juger n’y avoir lieu à démontage de l’ensemble des traverses disposées sous forme de gradins et servant de retenue de terre ainsi que les traverses servant de clôture à l’endroit de la terrasse pavée, ni à astreinte
– plus subsidiairement, reporter le point de départ de l’astreinte 3 mois après la signification de l’arrêt à intervenir
– condamner M. [J] en tous les frais et dépens de première instance et d’appel ainsi qu’au paiement d’une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les appelants exposent que le 26 octobre 2006, ils ont acheté leur propriété sur laquelle ils ont fait réaliser en 2013 des travaux ayant pour objet la fourniture et pose de traverses de chemin de fer visant à stabiliser les pentes du terrain et à clôturer les parcs de l’exploitation agricole gérée par Mme [C], spécialisée dans l’élevage d’équidés. Ils précisent que la DREAL, saisie en raison des nuisances olfactives s’est déplacée le 24 juin 2019 mais n’a pas donné suite à la plainte de MM. [W] et [J] qui ne relevait pas de sa compétence, qu’une conciliation est alors intervenue entre M. [C] et M. [W] et qu’un accord a été signé le 27 novembre 2019 selon lequel M. [W] a renoncé à toutes prétentions moyennant la pose par M. [C] d’une bâche sur le talus. Ils soutiennent que l’action de M. [J] est irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée s’attachant au constat d’accord signé par son compagnon et qui lui est opposable puisque M. [W] disposait d’un mandat tacite pour le signer et l’a engagé en sa qualité de mandataire apparent. Ils précisent qu’il existe un lien de droit entre MM. [J] et [W] dès lors qu’ils ont acquis ensemble leur maison et signé un PACS permettant à chaque partenaire d’accomplir seul les actes de conservation, d’administration et même de disposition de l’indivision. Ils soulignent que l’action est également irrecevable pour avoir été introduite avant même l’expiration du délai prévu par l’accord dont disposait M. [C] pour installer la bâche sur le talus et donc à un moment où M. [J] ne justifiait d’aucun intérêt pour agir lequel s’apprécie au jour de la demande introductive.
Sur le fond, les appelants font valoir que l’exonération de responsabilité prévue par l’article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation s’applique, dès lors que celui qui l’invoque justifie de l’antériorité de son installation par rapport aux occupants des bâtiments exposés aux nuisances et qu’il poursuit son activité dans les mêmes conditions, en conformité avec les dispositions légales et réglementaires en vigueur. Ils soulignent que tel est bien le cas, que la surface dédiée à l’exploitation agricole ne se limite pas au seul abri en bois et à l’enclos l’entourant, que les traverses litigieuses ont été posées dans le cadre d’un projet de création d’écurie par Mme [C], qu’il était nécessaire de sécuriser les abords et la pente pour la réception de la clientèle et que le principe d’antériorité fait en tout état de cause obstacle à la demande.
Ils contestent l’existence d’un risque sanitaire en observant que la preuve de l’utilisation de créosote pour traiter les traverses n’est pas rapportée, ajoutant que le règlement CE n°1907/2006 du 18 décembre 2006 qui impose des conditions de limitation de certaines substances prévoit des dérogations en autorisant notamment l’usage des bois traités à la créosote pour les activités agricoles et que les dispositions de l’arrêté du 18 décembre 2018 invoquées par l’intimé sont entrées en vigueur postérieurement aux travaux réalisés.
Les appelants soutiennent qu’en tout état de cause, la réalité d’un trouble du voisinage n’est pas démontrée, que ni le compte rendu de visite de la DREAL, ni les témoignages ne rapportent avoir personnellement constaté de fortes odeurs dans la propriété voisine, que l’allégation d’une forte odeur de goudron est à elle seule insuffisante pour caractériser un trouble anormal, que les constats d’huissier faits au niveau du site les 30 mai, 13 juin et 15 juin 2022 n’ont pas relevé d’odeurs nauséabondes ou de goudron alors que la température était supérieure à 25° et que plusieurs témoins indiquent ne jamais avoir été incommodés. Ils soulignent que M. [J] indique que le village est déjà incommodé par les mauvaises odeurs provenant d’une porcherie et qu’en conséquence la preuve d’un lien de causalité entre le trouble anormal allégué et les traverses de chemin de fer installées sur leur fond n’est pas établie. Enfin, ils contestent leur condamnation sous astreinte alors que le premier juge devait rechercher si d’autres mesures étaient envisageables, que du propre aveu du compagnon de M. [C], la pose d’une bâche sur le talus suffit à remédier aux troubles et qu’il est également possible de pulvériser un vernis sur les traverses constituant un barrage aux odeurs.
Aux termes de ses dernières conclusions du 2 mai 2023, M. [J] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a limité l’indemnisation du préjudice de jouissance à la somme de 1.000 euros et de :
– condamner M. [C] à lui payer la somme de 6.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance
– confirmer le surplus du jugement
– condamner M. et Mme [C] aux entiers frais et dépens d’appel ainsi qu’à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il conteste l’irrecevabilité tirée de l’autorité de la chose jugée du procès-verbal d’accord aux motifs que ce document ne lui est pas opposable puisqu’il n’était pas partie à l’accord, que M. [W] ne le représentait pas et qu’un PACS ne crée aucun patrimoine commun, ajoutant que M. [C] n’a pas respecté les engagements souscrits dans l’accord prévoyant la pose d’une bâche sur les traverses.
Sur le fond, l’intimé fait valoir que la preuve d’un trouble du voisinage est rapportée dès lors que M. [C] en a reconnu l’existence, que la DREAL a constaté le problème et que de nombreux voisins en attestent. Il précise que si l’odeur est perceptible depuis la rue, elle l’est a fortiori dans son jardin exposé du côté des traverses litigieuses, qu’il est privé de la jouissance de toutes les parties extérieures de son immeuble et incommodé à l’intérieur quand les fenêtre sont ouvertes, ce qui a été constaté par huissier de justice à plusieurs reprises au cours de l’été 2022.
Il expose que les dispositions de l’article L.112-16 du code de la construction et de l’habitation doivent être écartées aux motifs que les appelants n’ont jamais eu d’exploitation agricole réelle à leur domicile, que Mme [C] ne justifie d’aucune activité économique, que l’attestation d’affiliation à la MSA indique qu’elle n’habite plus à [Localité 4] mais au Luxembourg, les époux étant séparés de longue date et qu’en tout état de cause, il ne se plaint pas d’une exploitation agricole mais de traverses de chemin de fer polluées et malodorantes. Il ajoute que ces traverses traitées à la créosote ont été installées en violation de la législation en vigueur, qu’en conséquence, M. et Mme [C] ne peuvent se prévaloir du droit d’antériorité et que les dispositions de l’article L.112-16 lui sont inopposables.
L’intimé conteste avoir acheté sa maison en pleine connaissance de cause des nuisances et soutient que le tribunal a écarté à tort le risque sanitaire alors que la facture des travaux litigieux fait état de traverses de chemin de fer, qu’elles ont apparemment été achetées en Belgique et comportent de la créosote de type B qui est la plus nocive et la plus odorante, ce produit étant classé cancérigène, reprotoxique, irritant pour la peau et très toxique pour l’environnement aquatique. Il ajoute que l’utilisation de la créosote est encadrée par la législation européenne, notamment le règlement CE n°1907/2006 du 18 décembre 2006 qui limite l’usage de produits traités à la créosote à une seule utilisation industrielle et qu’en droit interne un arrêté du 18 décembre 2018 proscrit la mise sur le marché et l’utilisation de bois traité à la créosote. Il observe que la fiche produit fournie par les appelants est détachée de tout contrat qui permettrait de déterminer si les traverses litigieuses ont été traitées par un autre moyen que la créosote, que la société Woodex auprès de laquelle ils prétendent avoir acheté ces matériaux ne commercialise aucun produit similaire à celui installé dans le jardin des appelants et que les autres éléments versés aux débats n’éclairent pas davantage sur la nature exacte de ce produit. Il en déduit qu’en raison du risque sanitaire, la solution de l’enlèvement est préférable, la pose d’une bâche ne pouvant être qu’une mesure d’urgence et provisoire.
Il précise que les troubles du voisinage persistent, les appelants n’ayant entrepris aucuns travaux et soutient que l’indemnisation doit être évaluée à 6.000 € au regard de la durée des troubles subis.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 juin 2023.
Par message électronique du 21 septembre 2023, la cour a invité les parties à présenter leurs éventuelles observations sur une rectification d’erreur matérielle du jugement, à savoir l’emploi du terme « cession » du trouble dans le dispositif de la décision déférée au titre de la condamnation aux travaux nécessaires alors que les motifs visent « la cessation » du trouble.
Par note des 26 et 27 septembre 2023, les avocats des parties ont indiqué que le dispositif du jugement contient effectivement une erreur matérielle qu’il convient de rectifier.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon l’article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune et il peut aussi se saisir d’office. Le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.
En liminaire, il est relevé que le dispositif du jugement déféré condamne M. [C] au titre des travaux à la ‘cession’ du trouble alors que comme le précisent expressément les motifs de la décision, les travaux ont pour objet la ‘cessation’ du trouble. S’agissant d’une erreur purement matérielle, il convient de rectifier le dispositif en substituant le terme ‘cessation’ au terme ‘cession’.
Sur la recevabilité de l’action
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’autorité de la chose jugée selon l’article 1355 du code civil n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il résulte de l’article 1103 du même code, que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. L’article 1199 précise que le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter.
En l’espèce, il est constant que M. [J] et M. [W] sont propriétaires indivis, chacun pour moitié, de la maison à usage d’habitation située [Adresse 2] ainsi qu’il ressort de l’attestation du notaire versée aux débats. Il n’est pas contesté que le 27 novembre 2019, M. [C] et M. [W] ont signé un ‘constat d’accord’ pour mettre ‘définitivement fin à leur différend’ de voisinage ayant pour objet des nuisances olfactives aux termes duquel M. [C] a accepté de faire poser une bâche sur le talus de son terrain pour la fin du mois de mai 2020 au plus tard et M. [W] a renoncé à toute prétention relative à ce sinistre.
L’accord de conciliation qui n’est pas constaté par l’autorité judiciaire est une simple convention soumise au droit commun des obligations et conformément à l’article 1103 du code civil, il a autorité de la chose contractée, en tenant lieu de loi à ceux qui l’ont fait mais ne crée d’obligation qu’entre les parties. Il ne peut être considéré que M. [J] a été engagé par son compagnon en vertu d’un mandat apparent, alors qu’aucune pièce ni mention de l’accord ne font apparaître que M. [W] a évoqué une telle représentation dans le cadre de la conciliation, de manière à laisser légitimement croire à M. [C] qu’il agissait également pour le compte de M. [J]. Le fait que MM. [J] et [W] ont conclu un PACS est tout aussi inopérant à démontrer que l’intimé a été valablement représenté lors de la conciliation, alors que l’action pour trouble abusif du voisinage est une action personnelle en responsabilité et non une action réelle immobilière, étant précisé que dans l’accord M. [W] agit en son nom personnel, et non pour le compte de l’indivision, ni même en tant que co-propriétaire de l’immeuble.
C’est également en vain que M. et Mme [C] invoquent l’existence d’un mandat tacite. Outre le fait qu’il n’est pas établi que M. [W] a agi au su et au vu de l’intimé comme allégué, le fait de renoncer à toute prétention et donc à l’introduction d’une action, constitue un acte de disposition pour la conclusion duquel, selon l’article 815-3 du code civil, un co-indivisaire ne peut être valablement représenté au moyen d’un mandat tacite. Ce moyen est sans emport.
Il s’ensuit que le constat d’accord du 27 novembre 2019 qui n’est pas opposable à M. [J] n’emporte aucune renonciation de sa part à l’introduction d’une action et ne conditionne pas non plus la recevabilité de cette action à l’inexécution par M. [C] de son engagement avant la fin du mois de mai 2020. En conséquence, l’action et les demandes de M. [J] sont recevables et les appelants doivent être déboutés de leur fin de non recevoir.
Sur le trouble anormal de voisinage
Selon l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements. Conformément à l’article 651 du même code, ce droit est limité par l’obligation de ne pas causer à autrui un dommage excédant les inconvénients normaux du voisinage. Le trouble excessif par rapport aux inconvénients normaux du voisinage ouvre ainsi droit à réparation. Celui-ci doit être apprécié in concreto et il incombe à celui qui invoque l’existence d’un tel trouble d’établir son caractère anormal, étant spécifié que la responsabilité encourue à ce titre est indépendante de toute faute et peut être engagée alors même que les actes à l’origine du dommage ont été accomplis dans le respect des règlements en vigueur.
L’article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation qui a remplacé à droit constant à compter du 1er juillet 2021 l’ancien article L.112-16 abrogé par l’ordonnance n°2020-71 du 29 janvier 2020, dispose que les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.
En l’espèce, c’est à juste titre que le premier juge a estimé que le risque sanitaire n’est pas établi, faute pour M. [J] de rapporter la preuve de la nocivité du produit utilisé pour traiter les traverses incriminées. En effet, il ressort des pièces produites, notamment les factures des sociétés Glaesener et Betz du 28 juin 2013 et [S] [F] du 4 décembre 2013, qu’il s’agit de ‘poutres de chemin de fer’ en provenance du Luxembourg, aucun élément ne démontrant que ces traverses ont été achetées au préalable en Belgique, qu’elles seraient issues de la SNCB et auraient été traitées à la créosote comme le soutient l’intimé. Ce moyen est inopérant.
S’agissant des nuisances olfactives, il ressort des nombreuses attestations des voisins, riverains et visiteurs occasionnels qu’ils ont personnellement constaté sur le chemin du calvaire séparant les deux terrains comme dans la propriété de M. [J], notamment lors de journées ou de soirées chaudes, de ‘fortes odeurs de goudron’, ‘intenses’ et ‘tenaces’, ‘très incommodantes et désagréables’ et même ‘insupportables’. La réalité de ces nuisances est confirmée par le courrier du directeur régional des services de la DREAL indiquant que ses services ont constaté sur place le 19 juin 2019 le stockage par M. et Mme [C] de traverses de couleur sombre, servant de retenue de terre sous forme de gradins ou de clôtures sur leur terrain et ‘une odeur très prononcée de goudron’ perceptible depuis la rue, laquelle longe la propriété de l’intimé. Les nuisance sont également évoquées dans le procès-verbal d’huissier dressé le 13 septembre 2022 constatant à trois reprises au cours de l’été 2022 ‘une forte odeur bitume’. Le fait qu’un autre huissier ait relevé au cours du printemps de la même année, à trois reprises, l’absence d’odeurs de goudron ou que deux témoins habitant le village attestent n’avoir jamais été incommodés par les odeurs, n’est pas de nature à contredire la valeur probante des pièces précédentes alors que les nuisances olfactives sont d’ampleur variable en fonction des conditions climatiques (températures, vent, précipitations). Même si elles ne sont pas constantes, la régularité de ces manifestations, leur importance et leurs effets incommodants sont avérés au regard des multiples témoignages évoqués ci-avant, mais aussi des déclarations de M. [C] qui a lui-même reconnu lors de la conclusion de l’accord avec M. [W], subir les nuisances olfactives à certaines périodes de l’année. Le premier juge a exactement estimé que par leur récurrence, leur intensité et leur persistance, ces nuisances caractérisent un trouble anormal du voisinage.
Les appelants ne peuvent invoquer utilement l’ancien article L. 112-16 du code de la construction et de l’habitation (devenu article L. 113-8) pour s’exonérer de la responsabilité des dommages causés par ces troubles. Comme l’a pertinemment relevé le premier juge, à l’exception d’un petit enclos dont le retrait n’est plus sollicité par l’intimé qui conclut à la confirmation du jugement sur ce point, l’installation des traverses sert à retenir la terre sous le chemin du calvaire et à clôturer la terrasse située en contrebas, de sorte que cette installation procède d’un aménagement paysager pour un usage de loisir et de détente, sans lien avec l’activité de Mme [C]. Il n’est pas démontré que la terrasse à vocation à accueillir de la clientèle comme le soutiennent les appelants, ni même que l’élevage de Mme [C] s’exerce effectivement sur ou aux abords immédiats de cette terrasse. Le fait que Mme [L] [Z] atteste avoir vu jusqu’en 2018, sur le terrain et non sur la terrasse, quatre alpagas ne permet pas à lui seul de caractériser un lien entre l’élevage de ces animaux et l’installation des traverses, d’autant moins qu’une voisine proche indique n’observer aucune activité agricole sur le même terrain et que l’écurie qui a fait l’objet d’une demande de permis de construire de M. [C] est située sur une toute autre parcelle bien plus vaste, à distance du parc incriminé dont elle est séparée par des jardins, des maisons et une rue. En tout état de cause, quel que soit le lieu de l’activité, ce n’est pas son exercice au sens de l’article L.113-8 qui génère les troubles dénoncés par M. [J] mais la présence des traverses qui n’est aucunement inhérente à l’élevage d’équidés.
Indépendamment de l’exception de pré-occupation prévue par ces dispositions, M. et Mme [C] ne peuvent pas non plus se prévaloir du principe d’antériorité alors qu’il n’est démontré par aucune pièce que l’intimé aurait été informé de la présence des traverses et de leurs émanations avant son acquisition, étant observé qu’il a acquis la maison en décembre 2016 et que les odeurs sont incommodantes lors des chaleurs estivales.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [C] doit répondre des troubles anormaux du voisinage qu’il cause à M. [J] par la présence des traverses de chemin de fer sur son terrain. Le premier juge a exactement estimé que le moyen adapté d’y remédier consiste à démonter l’installation litigieuse, étant observé que la pose d’une bâche n’est qu’une solution temporaire qui n’est pas de nature à faire cesser le trouble subi et que les appelants ne produisent aucune pièce relative à d’autres solutions comme la pose d’un vernis.
En conséquence il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné M. [C] à démonter sur son terrain l’ensemble des traverses disposées sous forme de gradin et servant de retenue de terre ainsi que les traverses servant de clôture à l’endroit de la terrasse pavée, sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement et pour une durée de trois mois.
Sur le préjudice de jouissance
Il ressort de ce qui précède et notamment des attestations versées aux débats que les nuisances olfactives empêchent M. [J] de jouir pleinement de sa propriété, les témoins n’évoquant pas simplement un désagrément mais décrivent les odeurs comme très intenses, tenaces, et très incommodantes au point d’être obligés de mettre un terme à des repas en plein air dans la propriété de M. [J]. Eu égard à l’importance du préjudice subi durant plusieurs années, il convient d’infirmer le jugement et de condamner M. [C] à payer à l’intimé la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance.
Sur les autres dispositions
Selon l’article 954 du code de procédure civile, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation, ainsi qu’un bordereau récapitulatif des pièces annexé. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Si M. et Mme [C] ont visé dans leur déclaration d’appel la disposition du jugement ayant rejeté leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, il est constaté qu’ils ne forment aucune demande de ce chef au dispositif de leurs conclusions d’appel, de sorte que la cour n’a pas à statuer sur ce point et que le jugement est confirmé.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les dispositions du jugement sur les dépens et les frais irrépétibles sont confirmées.
M. et Mme [C], partie perdante, sont condamnés aux dépens d’appel. Ils sont en outre condamnés à verser à l’intimé la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et déboutés de leur demande présentée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
ORDONNE la rectification du jugement en ce que dans le dispositif, le terme ‘cession du trouble’ est remplacé par le terme ‘cessation du trouble’ ;
DEBOUTE M. [R] [C] et Mme [V] [E] épouse [C] de leur fin de non recevoir ;
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a :
– condamné M. [R] [C] au titre des travaux nécessaires à la cessation du trouble anormal du voisinage à démonter sur son terrain situé chemin du calvaire à [Localité 4] (cadastré section [Cadastre 1] n°[Cadastre 1]) l’ensemble des traverses disposées sous forme de gradin et servant de retenue de terre ainsi que les traverses servant de clôture à l’endroit de la terrasse pavée, sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement
– dit que l’astreinte provisoire court pendant un délai de trois mois, à charge pour M. [U] [J], à défaut de réalisation des travaux à l’expiration de ce délai, de solliciter du juge de l’exécution la liquidation de l’astreinte provisoire et le prononcé de l’astreinte définitive
– débouté M. [R] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
– condamné M. [R] [C] aux entiers dépens et à verser à M. [U] [J] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’INFIRME en ce qu’il a condamné M. [R] [C] à payer à M. [U] [J] la somme de 1.000 euros au titre du préjudice de jouissance et statuant à nouveau,
CONDAMNE M. [R] [C] à payer à M. [U] [J] la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [R] [C] et Mme [V] [E] épouse [C] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [R] [C] et Mme [V] [E] épouse [C] à payer à M. [U] [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [R] [C] et Mme [V] [E] épouse [C] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT