Usage sérieux de marque : 5 juillet 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 13-11.513

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Usage sérieux de marque : 5 juillet 2017 Cour de cassation Pourvoi n° 13-11.513
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COMM.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 juillet 2017

Rejet

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 1012 F-D

Pourvoi n° G 13-11.513

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Aguentis, société à responsabilité limitée, dont le siège est […],

contre l’arrêt rendu le 30 novembre 2012 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Sanofi, société anonyme, dont le siège est […],

2°/ à la société Aventis Pharma, société anonyme, dont le siège est […],

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 23 mai 2017, où étaient présents : Mme Mouillard, président, M. X…, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. X…, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Aguentis, de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat des sociétés Sanofi et Aventis Pharma, l’avis de M. Y…, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2012), que la société Aguentis a agi à l’encontre de la société Sanofi en déchéance des droits attachés à l’enregistrement de la marque française « Aventis » n° 98 760 585, puis a poursuivi, en cause d’appel, la déchéance de ceux attachés à la marque de l’Union européenne « Aventis » n° 00 993 337 ; que la société Sanofi a formé une demande reconventionnelle en contrefaçon fondée sur l’utilisation par la société demanderesse du signe Aguentis ainsi que sur le dépôt par ses soins d’une demande de marque « Aguentis » n° 09 3 684 922 ; que la société Aventis Pharma est intervenue à l’instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Aguentis fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à la déchéance des droits de la société Sanofi sur la marque « Aventis » n° 98 760 585 pour les produits de classe 5 alors, selon le moyen :

1°/ que nul ne peut se constituer un titre à lui-même ; que pour rejeter le moyen de la société Aguentis tiré de ce que plusieurs pièces versées aux débats par les sociétés Sanofi et Aventis Pharma, à savoir des plaquettes de médicaments ou des publicités de médicaments, étaient antérieures à la période de cinq ans pendant laquelle le titulaire de la marque arguée de déchéance doit justifier d’un usage sérieux de celle-ci, l’arrêt retient que c’est en vain que la société Aguentis soutient qu’il s’agit de pièces antérieures à cette période de référence dès lors que la société Sanofi produit une attestation de Mme Z…, pharmacien responsable et directeur des affaires réglementaires au sein de la société Sanofi-Aventis, exposant que les médicaments visés par les pièces en cause, comme d’autres produits, ont été commercialisés en France durant cette période de cinq ans ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui s’est fondée sur une attestation unilatéralement établie par la société Sanofi, sur qui pesait la charge de la preuve d’établir une exploitation sérieuse de sa marque pendant une période de cinq ans précédant la demande de déchéance formée par la société Aguentis, a méconnu le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à lui-même, et a ainsi violé l’article 1315 du code civil ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des documents qui leur sont soumis ; qu’en énonçant, pour retenir que la marque « Aventis » avait fait l’objet d’une exploitation sérieuse pendant la période de cinq ans requise, sur le territoire couvert par la protection, à savoir en France, que les annexes de l’attestation d’une préposée de la société Sanofi portent une référence prouvant que les produits Imovane, Nasacort, Orelox, Sectral, Ikorel, Mono Tildiem et Doliprane ont été commercialisés sur le marché français, alors qu’aucune indication selon laquelle ces produits auraient été commercialisés en France ne figure dans ces annexes, d’une part, et que lesdites annexes ne mentionnent pas les produits Ikorel, Mono Tildiem et Doliprane, d’autre part, la cour d’appel a dénaturé le document qui lui était soumis, et a ainsi violé l’article 1134 du code civil ;

3°/ que les juges du fond doivent analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour retenir que les sociétés Sanofi et Aventis Pharma démontraient, à travers l’attestation de leur préposée, Mme Z…, l’exploitation de la marque « Aventis » sur le marché français, l’arrêt énonce que cette dernière étayait son propos par une « documentation fournie » ; qu’en statuant ainsi, sans analyser cette documentation, fût-ce sommairement, ni même préciser en quoi elle établirait une telle exploitation de la marque en France, ce alors même que la société Aguentis faisait clairement valoir dans ses écritures qu’aucune des pièces versées aux débats par les appelantes, y compris l’attestation litigieuse, n’établissait une telle exploitation, la cour d’appel a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;

4°/ que l’exploitation d’une marque suppose sa mise en contact avec la clientèle ; que l’usage sérieux d’une marque suppose l’utilisation de celle-ci sur le marché pour désigner des produits ou des services protégés, et ne peut en conséquence être établi par la production de documents publicitaires ; qu’en tenant compte des pièces n° 25 à 33 versées aux débats en cause d’appel par les sociétés Sanofi et Aventis Pharma pour retenir l’usage sérieux de la marque « Aventis » allégué par ces dernières, au motif qu’ « une partie de ces pièces correspond à des documents utilisés par les délégués commerciaux de la société Sanofi lors de leurs visites auprès de professionnels de santé, médecins ou pharmaciens, et qu’il s’agit donc d’outils de publicité et de promotion de leurs produits », la cour d’appel a violé l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ que les juges doivent apprécier le caractère sérieux de l’exploitation d’une marque en tenant compte des circonstances de l’espèce, et notamment de la nature du produit ou du service en cause, des caractéristiques du marché concerné, de l’étendue et de la fréquence de l’usage de la marque ; que la société Aguentis contestait dans ses écritures que les pièces versées aux débats par les sociétés Sanofi et Aventis Pharma puissent établir autre chose qu’une exploitation sporadique de la marque « Aventis » ; qu’en se bornant à énoncer, pour retenir que les sociétés Sanofi et Aventis Pharma établissaient un usage sérieux de la marque litigieuse, que « l’usage sérieux ne requiert pas une commercialisation massive et un usage minime peut être qualifié de sérieux en regard du secteur économique concerné », et que « la société Sanofi produit des factures s’inscrivant dans la période de référence (en pièces 25 et 32) qui attestent de l’effectivité de la mise en production et de la vente des médicaments concernés », ce sans davantage analyser lesdites factures ni préciser en quoi leur contenu attesterait du caractère non sporadique de la vente des médicaments en cause au public, et sans indiquer en quoi ces ventes seraient suffisamment significatives au regard de l’importance du groupe Sanofi ainsi que des caractéristiques et de la taille du marché concerné, la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation d’exercer utilement son contrôle, a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de commerce ;

6°/ que la déchéance est encourue pour tous les produits ou services qui n’ont pas fait l’objet d’un usage sérieux ; qu’en rejetant la demande de déchéance totale formée par la société Aguentis, et donc en estimant que la société Sanofi démontrait une exploitation suffisante de sa marque pour tous les produits visés à l’enregistrement, sans rechercher ni préciser expressément ceux des produits de la classe 5 pour lesquels la preuve de l’usage sérieux de la marque « Aventis » était rapportée par les sociétés Sanofi et Aventis Pharma, ce alors même qu’elle se fondait très majoritairement dans les motifs de son arrêt sur des pièces relatives à des médicaments bien que les médicaments ne figurent pas parmi les produits visés dans la classe 5, la cour d’appel privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de procédure civile ;

Mais attendu, de première part, que le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à lui-même n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques, tel l’usage d’une marque ;

Attendu, de deuxième part, que la cour d’appel ayant seulement constaté qu’il résultait de l’attestation produite aux débats et de ses annexes que des médicaments avaient été commercialisés en France, durant la période de référence, sous la marque « Aventis », le pourvoi, qui postule qu’elle aurait ainsi relevé cette commercialisation pour chacun de ces médicaments, manque en fait ;

Attendu, de troisième part, qu’ayant retenu que cette attestation était particulièrement circonstanciée, et que, de plus, elle était étayée par une documentation fournie, la cour d’appel n’était pas tenue de détailler les éléments figurant dans cette documentation, qu’elle ne citait qu’à titre surabondant ;

Attendu, de quatrième part, que la société Aguentis se bornant à soutenir dans ses conclusions que les pièces en cause n’étaient que des documents à usage interne à la société Aventis, la cour d’appel, qui a seulement constaté qu’elle laissait ainsi sans réponse les explications de la société Sanofi, selon lesquelles une partie de ces pièces correspondait à des documents utilisés par les délégués commerciaux lors de leurs visites auprès de professionnels de santé, a statué dans les termes du litige en retenant qu’il s’agissait d’outils de publicité et de promotion ;

Attendu, de cinquième part, qu’après avoir exactement rappelé qu’il n’est pas nécessaire que l’usage soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux et que, même minime, il peut être suffisant pour recevoir cette qualification à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marchés au profit des produits ou services en cause, c’est par une appréciation souveraine des éléments soumis aux débats que la cour d’appel, qui n’avait pas à rechercher si les ventes étaient suffisamment significatives au regard de l’importance du groupe Sanofi, a retenu l’effectivité de la mise en production et de la vente des médicaments concernés et écarté les conclusions objectant leur caractère sporadique ;

Et attendu, enfin, qu’en rejetant la demande principale de la société Aguentis, qui tendait à la déchéance totale des droits de marque, en constatant qu’il avait été fait usage de la marque pour désigner des produits couverts par son enregistrement, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Aguentis fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande subsidiaire tendant à obtenir la déchéance partielle des droits de la société Sanofi sur une partie des produits de la classe 5 couverts par la marque « Aventis » n° 98 760 585 alors, selon le moyen :

1°/ que les juges ne peuvent inverser la charge de la preuve ; qu’il incombe au titulaire de la marque de démontrer qu’il en a fait un usage sérieux pour tous les produits visés dans l’enregistrement ; qu’en rejetant la demande de déchéance partielle formée par la société Aguentis au motif que cette dernière « ne démontrait pas que les produits visés à l’enregistrement puissent être répartis en sous-catégories autonomes », et donc ne démontrait pas « de quelle manière pourrait être opéré un cloisonnement entre les produits qui sont des médicaments et ceux qui ne sont pas des médicaments », la cour d’appel, qui a fait peser sur la société Aguentis la preuve du défaut d’exploitation de marque « Aventis » pour certains des produits visés dans la classe 5, alors qu’il appartenait à la société Sanofi de démontrer de l’usage sérieux de sa marque pour l’ensemble des produits de la classe 5 à propos desquels elle souhaitait conserver la protection découlant de l’enregistrement, a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315 du code civil ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les écritures des parties ; qu’à l’appui de sa demande de déchéance partielle de la marque « Aventis », la société Aguentis faisait valoir dans ses écritures d’appel que « les appelantes produisent des documents censés prouver l’exploitation de la marque concernant uniquement certains produits, qui peuvent être considérés comme médicaments, à savoir, les produits Bi-Profenid, Imovane et Nasacort et aucun autre produit visé dans la classe 5 », que « les médicaments, qui ne représentent qu’une partie de la catégorie des produits pharmaceutiques, sont distincts de produits cosmétiques, des produits diététiques, etc. », et soulignait qu’elle était « fondée à demander la déchéance partielle de la marque « Aventis » pour les produits et/ou services visés par l’enregistrement de la marque de la classe 5 pour la marque françaises, à l’exception des médicaments » ; qu’en énonçant, pour rejeter la demande de déchéance partielle, que la société Aguentis « s’abstient de démontrer que les produits et services visés à l’enregistrement puissent être répartis en sous-catégories autonomes », et que « les produits et services en cause ne sont pas identifiés, comme le laisse entendre l’intimée dans sa présentation, selon deux catégories distinctes qui couvriraient « les médicaments », d’une part, et les produits « qui ne sont pas a priori des médicaments », d’autre part », la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis des écritures de la société Aguentis, desquelles il ressortait distinctement que les sociétés Sanofi et Aventis Pharma ne tentaient de démontrer l’usage sérieux de la marque que pour les « médicaments », et non pour les autres produits de la classe 5, notamment les produits cosmétiques et les produits diététiques qui y sont visés, et donc que la déchéance partielle devait être prononcée pour tous les produits de la classe 5 autres que les médicaments, violant ainsi l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges doivent trancher le litige qui leur est soumis conformément à la règle de droit applicable ; que les juges, saisis d’une demande de déchéance partielle, doivent déterminer par eux-mêmes, au regard des pièces versées aux débats pour justifier de l’usage sérieux de la marque en cause, ceux des produits visés par l’enregistrement qui n’ont pas fait l’objet d’une exploitation effective et suffisante ; qu’en se retranchant derrière la considération selon laquelle la société Aguentis « s’abstient de démontrer que les produits et services visés à l’enregistrement puissent être répartis en sous-catégories autonomes », à savoir « les produits qui sont des médicaments et ceux qui ne sont pas des médicaments », et « ne démontre pas de quelle manière pourrait être opéré un cloisonnement entre ces produits », pour rejeter la demande de déchéance partielle qui lui était soumise, alors qu’il lui appartenait de déterminer par elle-même, au vu des pièces produites, ceux des produits de la classe 5 qui n’avaient pas fait l’objet d’une exploitation sérieuse sous la marque « Aventis », la cour d’appel, qui a méconnu son office, a violé l’article 12 du code de procédure civile ;

 


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