Usage sérieux de marque : 16 novembre 2018 Cour d’appel de Paris RG n° 17/06109

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Usage sérieux de marque : 16 novembre 2018 Cour d’appel de Paris RG n° 17/06109
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRET DU 16 NOVEMBRE 2018

(n°158, 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 17/06109 – n° Portalis 35L7-V-B7B-B247N

Décision déférée à la Cour : jugement du 27 janvier 2017 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°16/02196

APPELANTE

S.A. L’OREAL, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés […]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 632 012 100

Représentée par Me Pascale X…, avocat au barreau de PARIS, toque D 594

INTIME

M. Frédéric Y…

Né le […] à Rodez (12000)

Demeurant […] de Mahy – 97410 SAINT-PIERRE-LA-REUNION

Représenté par Me Charles-Antoine Z… de la SELARL @MARK, avocat au barreau de PARIS, toque J 150

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

Mme Anne-Marie GABER, Présidente de chambre

Mme Véronique RENARD, Conseillère

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Anne-Marie GABER, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

Monsieur Frédéric Y… est le président de la société CAP, société spécialisée dans la commercialisation de prêt-à-porter, et exerce son activité depuis de nombreuses années principalement dans l’Océan Indien, en particulier sur l’île de la Réunion.

Il indique que peu après son immatriculation en 1992, la société CAP a travaillé en collaboration avec la société Besson, grossiste parisien en prêt-à-porter, exerçant sous le nom commercial «POURQUOI PAS» en France métropolitaine et en Europe.

Il précise qu’au fil des années, la société CAP est devenue la partenaire privilégiée de la société Besson dans l’Océan Indien, en commercialisant avec succès ses créations sous la marque POURQUOI PAS dans ses divers points de vente.

La société Besson a déposé à l’INPI deux marques françaises :

* la marque verbale POURQUOI PAS enregistrée le 14 décembre 1998 sous le n°98764106 publiée au BOPI sous le n°1999-21 et renouvelée le 12 mars 2009, pour des produits des classes 3, 9, 12, 14, 18, 24, 25 et 28 et, en particulier, s’agissant des produits de la classe 3 pour les ‘Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, produits anti-solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage’.

*la marque semi-figurative POURQUOI PAS enregistrée le 12 octobre 2001 sous le n°013125 788, publiée au BOPI sous le n°2001-46 et renouvelée le 10 janvier 2012, se présentant comme suit :

pour des produits des classes 3, 18 et 25 et en particulier s’agissant des produits de la classe 3 pour les ‘Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ;préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, produits anti-solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage’.

Elle a également déposé une marque communautaire ‘Pourquoi pas’ notamment pour les produits de la classe 3, qui a fait l’objet d’une décision de déchéance partielle s’agissant des produits de cette classe 3 prononcée à compter du 13 novembre 2013, par décision de la division d’annulation de l’OHMI du 8 octobre 2015.

Par courrier daté du 8 janvier 2003, la société Besson a concédé à la société CAP une licence exclusive d’exploitation de ses marques françaises POURQUOI PAS n°98764106 et communautaire POURQUOI PAS n°1 703867, pour les produits provenant de la société Besson ou de la société CAP et l’a autorisée à utiliser POURQUOI PAS à titre d’enseigne et de nom commercial.

La société L’Oréal est spécialisée dans la création et la distribution de produits de parfumerie, cosmétiques et d’hygiène. Souhaitant développer une gamme de produits cosmétiques sous la marque ET POURQUOI PAS ‘, elle a déposé le 16 décembre 2013 la marque de l’Union européenne ET POURQUOI PAS ‘ enregistrée sous le numéro 12430716 pour désigner divers produits en classe 3, et notamment les parfums et les eaux de toilette.

La société Besson a été mise en liquidation par jugement du 6 octobre 2008 et le portefeuille de marques, comprenant les deux marques concernées par le présent litige a été cédé à la société Wy Not.

A la suite de quoi, le bénéfice de la licence d’exploitation cédée par la société Besson a été remis en question par la société Wy Not, nouveau propriétaire des marques, qui a assigné par actes du 21 janvier 2011 la société CAP et monsieur Y… en contrefaçon et concurrence déloyale. La cour d’appel de céans a infirmé le jugement de première instance du 8 janvier 2016 en ce qu’il a considéré que la licence était inopposable à la société Wy Not et a reformé le montant des dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon commis à l’encontre de la marque française semi figurative n°1709550 non visée dans le contrat de licence.

Au cours de la procédure, la société Wy Not a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en 2013 et monsieur Frédéric Y… s’est porté acquéreur de son portefeuille de marques et notamment des deux marques concernées par le présent litige. L’ordonnance du juge commissaire du 21 janvier 2014 qui autorise cette cession mentionne ‘le cessionnaire fait son affaire personnelle des procédures en déchéance de la marque qui auraient été introduites ou seraient susceptibles d’être introduites par L’Oréal’.

Par actes des 27 et 30 janvier 2014, la société L’Oréal a assigné la A…, es qualité de mandataire liquidateur de la société Wy Not et monsieur Frédéric Y…, en déchéance des deux marques françaises n°788 et n°106.

La société L’Oréal a parallèlement sollicité la déchéance de la marque communautaire POURQUOI PAS n°002651941, également acquise par monsieur Y…, et par décision en date du 8 octobre 2015, l’OHMI a prononcé la déchéance pour tous les produits de la classe 3 à compter du 13 novembre 2013.

Monsieur Y… indique qu’au cours de l’année 2010, il a souhaité diversifier l’activité de ses sociétés en développant et commercialisant une nouvelle gamme de cosmétiques, et notamment de parfums, sous la marque POURQUOI PAS, gamme dont le lancement était initialement prévu au 1er semestre de l’année 2011 dans ses enseignes POURQUOI PAS de l’Océan Indien.

Il allègue avoir entamé les démarches nécessaires, à savoir la préparation de campagnes de publicité et de lancement des produits de parfumerie sous la marque POURQUOI PAS et avoir été empêché de mener à bien ce projet du fait de la procédure initiée par la société WHY NOT lorsqu’elle était titulaire des marques.

Par jugement contradictoire en date du 27 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

– constaté le désistement de la société L’Oréal de ses demandes à l’encontre de maître Florence B…, es qualité de mandataire liquidateur de la société Wy Not ;

– débouté la société L’Oréal de l’ensemble de ses demandes ;

– condamné la société L’Oréal à payer à monsieur Y… la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté le surplus des demandes ;

– condamné la société L’Oréal aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.

La SA L’Oréal a interjeté appel total de ce jugement par déclaration au greffe en date du 21 mars 2017.

Par ses dernières conclusions du 16 juin 2017, la société L’Oréal demande à la Cour de:

– la déclarer recevable et bien fondée en son action,

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur Y… de ses demandes reconventionnelles,

En conséquence,

– prononcer la déchéance pour défaut d’usage de la marque française semi-figurative POURQUOI PAS en date du 12 octobre 2001 sous le n° 01 3 125 788 à compter du 23 mars 2007 pour les produits de la classe 3 «Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices, produits anti-solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage»,

– prononcer la déchéance pour défaut d’usage de la marque française nominale POURQUOI PAS en date du 14 décembre 1998 sous le n°98 764 106 à compter du 22 mai 2004 pour les produits de la classe 3 « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices, produits anti -solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage. »,

– ordonner la transcription du «présent jugement» (sic) une fois devenu définitif au Registre National des Marques à la diligence de Monsieur le Directeur de l’INPI saisi par Madame la Greffière à la requête de la partie la plus diligente,

– condamner les défenderesses à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

En tout état de cause et si par extraordinaire, la cour confirmait le jugement entrepris, dire n’y avoir lieu au paiement d’un article 700 du Code de procédure civile par la requérante,

– condamner les défenderesses aux dépens, dont distraction au profit de maître Pascale X…, avocat, pour la part dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions du 28 juillet 2017, monsieur Y… demande à la Cour de:

– confirmer le jugement du 27 janvier 2017 en ce qu’il a retenu à son bénéfice un motif légitime d’inexploitation, débouté la société L’Oréal de ses demandes en déchéance des marques POURQUOI PAS n°013125788 et POURQUOI PAS n°98764106 et condamné la même société L’Oréal au paiement de la somme de 10.000euros ainsi qu’aux dépens ; – l’infirmer pour le surplus et rejeter les demandes, fins et conclusions de la société L’Oréal et en conséquence :

– condamner la société L’Oréal à lui verser la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts du fait de la procédure abusive et celle de 20.000 € au titre de l’article 700 du Code procédure civile,

– condamner la société L’Oréal aux entiers dépens conformément à l’article 699 du Code de procédure civile, dont distraction au profit de maître Charles-Antoine Z…, avocat aux offres de droit.

La clôture a été prononcée le 7 juin 2018.

MOTIFS

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

‘Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Est assimilé à un tel usage :

a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;

b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif;

c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.

La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.

L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.

La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.

La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.’

Il n’est pas contesté que ni la société Besson, ni la société Wy Not n’ont fait usage des marques françaises objets de la présente instance pour les produits de la classe 3.

Il n’est pas discuté non plus que ni monsieur Y…, ni la société CAP, ni toute autre société n’ont commercialisé de tels produits.

Ainsi, il est admis l’absence de tout usage des marques pour les produits de la classe 3 entre la publication des enregistrements au BOPI opérés respectivement en 1999 et en 2001 et à tout le moins l’année 2010, soit durant une période ininterrompue de plus de cinq ans.

Seule l’application du 4ème alinéa de l’article L714-5 qui réserve la possibilité d’un ‘usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans (…) entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande’ peut dès lors être opposée pour faire obstacle à la déchéance du 1er alinéa.L’usage requis doit être un usage à titre de marque, il doit être sérieux c’est-à-dire public, réel et non fictif ou symbolique. Il doit s’agir d’un usage conforme à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine d’un produit ou d’un service, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.

L’usage sérieux suppose une utilisation de la marque sur le marché des produits ou des services et pas seulement au sein de l’entreprise concernée tels que les actes préparatoires.

Pour ce faire, monsieur Y… fait valoir qu’il aurait eu la volonté de faire commercialiser des produits de parfumerie marqués POURQUOI PAS à compter de 2011 et que dans ce but il aurait entamé des préparatifs à compter de 2010.

Il produit une brochure d’information sur la «Société Financière de l’Océan Indien», brochure au demeurant non datée, présentant les nouveaux produits à venir et notamment des parfums reproduisant la marque verbale POURQUOI PAS et tente de justifier par des factures, des attestations et des notes de services internes que cette brochure aurait été établie et distribuée en 2010.

Pour autant à supposer même que la date de 2010 puisse être retenue, il ressort des éléments de la procédure que les parfums marqués POURQUOI PAS n’ont jamais vu le jour et n’ont jamais été commercialisés que ce soit par monsieur Y… ou par une «Société Financière de l’Océan Indien»et qu’ainsi les seuls actes préparatoires ne peuvent être qualifiés d’usage sérieux de la marque pour les produits de la classe 3.

Le tribunal avait retenu l’excuse légitime pour n’avoir pas commencé effectivement l’usage sérieux à partir de 2011.

Or, si l’excuse légitime est prévue au premier alinéa de l’article précité s’agissant de la première période de 5 années, cette excuse n’est pas prévue s’agissant de l’exception de l’alinéa 4 qui impose de constater un usage sérieux commencé ou repris.

Au surplus, les «justes motifs» prévus au premier alinéa doivent se comprendre comme une circonstance extérieure au titulaire de la marque qui font obstacle à l’utilisation de celle-ci, laquelle ne peut consister en un litige entre le titulaire de la marque et son licencié, le premier ne souhaitant pas une exploitation par le second.

Ainsi le jugement doit être infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de déchéance partielle formée par le société L’Oréal pour les produits de la classe 3 des marques françaises, verbale n° 98 764 106 et semi-figurative n° 01 3 125 788 dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du 27 janvier 2017 sauf en ce qu’il a constaté le désistement de la société L’Oréal à l’encontre de la société Why Not,

Et statuant à nouveau dans cette limite,

– Prononce la déchéance pour défaut d’usage de la marque française verbale POURQUOI PAS enregistrée sous le n°98 764 106 à compter du 22 mai 2004 pour les produits de la classe 3 « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, produits anti -solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage. »,

– Prononce la déchéance pour défaut d’usage de la marque française semi-figurative POURQUOI PAS, enregistrée sous le n°01 3 125 788 à compter du 23 mars 2007 pour les produits de la classe 3 «Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver, préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser, savons, parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, dentifrices, produits anti -solaires, produits de rasage, savon à barbe, produits de maquillage»,

– Ordonne la communication de l’arrêt à l’INPI par la partie la plus diligente pour transcription au Registre National des Marques,

– Condamne monsieur Frédéric Y… à payer à la société L’Oréal la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamne Monsieur Frédéric Y… aux dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de maître Pascale X…, exception faite de ceux engagés pour la mise en cause de la société Why Not laissés à la charge de la société L’Oréal.

La Greffière La Présidente

 


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