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N° 148
Se
————–
Copies exécutoires
délivrées à :
– Me Merceron,
– Me Daviles-Estines,
le 02.05.2022.
Copie authentique
délivrée à :
– Me Guédikian,
le 02.05.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 28 avril 2022
RG 21/00275 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 234, rg 19/242 du Tribunal Civil de Première Instance de papeete du 17 mai 2022 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 22 juillet 2022 ;
Appelante :
La Sa Qbe Insurance International Limited, délégation de Polynésie Française, immatriculée au Rcs Papeete sous le N° Tpi 9365 B, n° Tahiti 034 868, dont le siège social se trouve [Adresse 26] représentée par son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège ;
Représentée par Me Gilles GUEDIKIAN, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
Mme [PF] [H] [V], née le [Date naissance 16] 1978 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 30] ;
Mme [D] [PC] épouse [V], née le [Date naissance 19] 1973 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
M. [HE] [PL] [V], né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 33], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
Mme [MR] [A] [EP], née le [Date naissance 17] 1984 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
Mme [MK] [V] veuve [EP], née le [Date naissance 22] 1961 à [Localité 33], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
Mme [EM] [PI] épouse [V], née le [Date naissance 13] 1946 à [Localité 28], de nationalité française, demeurant à [Adresse 30] ;
Mme [DI] [K] [SX], adoptée [V], née le [Date naissance 9] 1996 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
M. [DL] [V], né le [Date naissance 15] 1943 à [Localité 28], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
Mme [U] [T] [V], née le [Date naissance 11] 1975 à [Localité 24], de nationalité française, demeurant à [Localité 25] ;
M. [PI] [V], né le [Date naissance 7] 1973 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
M. [L], [J] [V], né le [Date naissance 3] 1993 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
M. [L] [V], ès-qualitès de représentant légal de la mineure [Y] [YD] [V], née le [Date naissance 23] 2006 à [Localité 29], demeurant aux [Localité 32] ;
Mme [JW], [DL] [EP] épouse [YG], née le [Date naissance 6] 1980 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
M. [I], [P] [EP], né le [Date naissance 10] 1994 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
M. [C], [S] [EP], né le [Date naissance 20] 1991 à à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
M. [L] [V], ès-qualitès de représentant légal du mineur [TA] [V], né le [Date naissance 8] 2002 à [Localité 29], demeurant aux [Localité 32] ;
Mme [PF] [V], ès-qualitès de représentant légale de la mineure [JZ] [MN] [KC], née le [Date naissance 18] 2007 à [Localité 29] ;
M. [V] [V], né le [Date naissance 12] 1962 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Localité 28] ;
Mme [TD], [ET] [EP], née le [Date naissance 9] 1988 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
M. [HK], [O] [AB], né le [Date naissance 5] 1964 à [Localité 27], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
Mme [Z], [R] [EP], née le [Date naissance 14] 1981 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant à [Adresse 31] ;
Mme [I], [G] [B], née le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 29], de nationalité française, demeurant aux [Localité 32] ;
Ayant pour avocat la Selarl M & H, représentée par Me Muriel MERCERON, avocat au barreau de Papeete ;
La Société Areas Dommages dont le siège social est sis [Adresse 21] ;
M. [HH] [AN], né le [Date naissance 2] 1956, de nationalité française, demeurant à [Adresse 34] ;
Ayant pour avocat la Selarl Groupavocats, représentée par Vasanthi DAVILES-ESTINES, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 17 janvier 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 24 février 2022, devant M. SEKKAKI, conseiller faisant fonction de président, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. SEKKAKI, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Exposé du litige :
Faits :
Le 5 octobre 2013, à Taiarapu Ouest à Toahotu, M. [SU] [N], conducteur sans permis, déjà condamné pour récidive de conduite en état alcoolique, circulait à vive allure, alcoolisé, un taux de 0,46 mg d’alcool par litre d’air expiré étant relevé par la suite, et sous l’emprise de stupéfiants, révélé par le dosage du cannabis dans son organisme, perdait le contrôle de son véhicule, percutait le flan arrière gauche d’un autocar de la commune de Taiarapu Ouest, circulant en sens inverse, faisait un tête à queue, se déportait sur l’accotement opposé à son sens de circulation et percutait Mme [X] [AB], âgée de 11 ans, qui décédait sur le coup.
Par jugement du tribunal correctionnel de Papeete en date du 16 mai 2017, M. [SU] [N] était reconnu coupable d’homicide involontaire aggravé.
Par jugement du 27 mars 2019, le tribunal correctionnel de Papeete statuant sur intérêts civils a constaté le désistement de l’ensemble des proches de la victime de leurs constitutions de parties civiles, condamné [YM] [N] à payer à la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française la somme de 81.761 FCP et mis hors de cause la société ANSET ASSURANCES, mandataire de la compagnie d’assurances AREAS DOMMAGES, assureur du véhicule en cause, au motif de l’exclusion de garantie, tirée du défaut de permis de conduire de M. [N].
Procédure :
Par requête enregistrée au greffe le 15 mai 2019 et suivant acte d’huissier du 15 mars 2019, à laquelle se sont substituées des conclusions récapitulatives enregistrées le 28 août 2020, Mme [PF], [H] [V], Mme [D] [PC] épouse [V], M. [HE], [PL] [V], Mme [MR], [A] [EP], Mme [MK] [V] veuve [EP], Mme [EM] [PI] épouse [V], Mme [DI], [K] [SX] adoptée [V], M. [DL] [V], Mme [U], [T] [V], M. [PI] [V], M. [L], [J] [V], M. [L] [V], ès qualité de représentant légal de la mineure [Y], [YD] [V], Mme [JW], [DL] [EP] épouse [YG], M. [I], [P] [EP], M. [C], [S] [EP], M. [L] [V], ès qualité de représentant légal du mineur [V] [TA], Mme [PF] [V], ès qualité de représentante légale de la mineure [JZ], [MN] [KC], M. [V] [V], Mme [TD], [ET] [EP], M. [HK], [O] [AB], Mme [Z], [R] [EP] et Mme [I], [G] [B], ci-après désignés «les consorts [V], [EP], [AB] et [B]» ont assigné M. [SU] [N] et la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED aux fins de :
– Condamner M. [SU] [N] à payer, en réparation de leurs préjudices d’affection, les sommes suivantes à titre de dommages – intérêts :
– 3.400.000 FCP chacun pour : la mère biologique de la victime, [PF] [V], son père biologique, [HK] [AB], sa mère adoptive [D] [PC] épouse [V] et son père adoptif, [HE] [V] ;
– 1.000.000 FCP chacun pour les s’urs de la victime : [DI] [SX] adoptée [V], [JZ] [KC] née le [Date naissance 18] 2007, représentée par sa mère [PF] [V] et [I] [B] ainsi qu’à ses grands-parents, [DL] [V] et [EM] [PI] épouse [V] ;
– 180.000 FCP chacun pour les tantes de la victime, [MK] [V] veuve [EP] et [U] [V], ses oncles [PI] [V], [L] [V] et [V] [V], ainsi que ses cousines, [MR] [EP], [JW] [EP] épouse [YG], [TD] [EP] et [Z] [EP], ses cousins [I] [P] [EP] et [C] [S] [EP], et ses cousins mineurs, [Y] [YD] [V] né le [Date naissance 23] 2006 et et [TA] [V], né le [Date naissance 8] 2002 tous deux représentés par [L] [V],
– Condamner M. [SU] [N] et la compagnie QBE à payer la somme de 30.000 FCP au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, à chacun des requérants.
– Condamner M. [SU] [N] et la compagnie QBE aux entiers dépens.
Par jugement n° RG 19/00242 en date du 17 mai 2021, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
– Mis hors de cause la compagnie d’assurances AREAS DOMMAGES ;
– Déclaré M. [SU] [N] entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident de la circulation du 5 octobre 2013 ;
– Condamné M. [SU] [N], in solidum avec la compagnie d’assurances QBE INTERNATIONAL Limited en sa qualité d’assureur de l’autocar impliqué dans cet accident, à payer, au titre de leur préjudice d’affection :
‘3.400.000 FCP à Mme [PF] [V],
‘3.400.000 FCP à M. [HK] [AB],
‘3.400.000 FCP à Mme [D] [PC] épouse [V],
‘3.400.000 FCP à M. [HE] [V],
‘1.000.000 FCP à Mme [DI] [SX] adoptée [V],
‘1.000.000 FCP à Mme [PF] [V], es qualité de représentante légale de la mineure [JZ] [KC] née le [Date naissance 18] 2007,
‘1.000.000 FCP à Mme [I] [B],
‘1.000.000 FCP à Mme [EM] [PI] épouse [V],
‘1.000.000 FCP à M. [DL] [V],
‘180.000 FCP à M. [I] [EP],
‘180.000 FCP à M. [C] [EP],
‘180.000 FCP à M. [TA] [V],
‘180.000 FCP à M. [V] [V],
‘180.000 FCP à Mme [TD] [EP],
‘180.000 FCP à Mme [Z] [EP],
‘Condamné M. [SU] [N], in solidum avec la compagnie d’assurances QBE INTERNATIONAL Limited à payer aux requérants la somme globale de 300.000 FCP au titre des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
– Condamné M. [SU] [N], in solidum avec la compagnie d’assurances QBE INTERNATIONAL Limited à supporter les dépens de l’instance ;
– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le tribunal a considéré qu’en vertu des article 1, 3 et 6 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, les proches de la victime décédée avaient le droit d’être indemnisés de leur entier préjudice consécutif à la perte irréversible de tout lien avec [X] [AB].
Sur la charge de l’indemnisation, le tribunal a jugé en premier lieu que l’implication du bus dans la survenance de l’accident résultait de l’enquête pénale et que les requérants étaient fondés à demander à être effectivement indemnisés de leur entier préjudice par la compagnie QBE INTERNATIONAL, assureur de l’autocar.
En second lieu, le tribunal a considéré qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier, notamment pas du procès-verbal d’accident et des auditions des témoins, que le véhicule conduit par [HH] [AN], assuré auprès de la compagnie AREAS DOMMAGES, qui suivait le bus et s’est borné à accélérer pour éviter le véhicule de M. [N] lorsque ce dernier, après avoir heurté l’arrière du bus et été projeté sur le bas-côté, est revenu sur la chaussée en tournant sur lui-même, serait intervenu, à un titre quelconque, dans la survenance du dommage, la victime n’ayant été percutée par le véhicule de M. [N], que postérieurement, sans que la présence ni la man’uvre de M. [AN] ait eu une incidence sur sa trajectoire. Le tribunal a donc considéré que le véhicule conduit par M. [AN] devait être regardé comme non impliqué dans l’accident du 5 octobre 2013.
Enfin le tribunal a relevé les liens de parenté de l’ensemble des requérants avec la victime, et rappelé que le préjudice d’affectation des parents, grands-parents et frères et s’urs étaient réparables sans que ceux-ci aient à démontrer un lien d’affectation, avant de jugé qu’étaient établis par les photographies produites aux débats que la victime passait régulièrement des vacances avec ses oncles, tantes et cousins germains qui étaient fondés à faire valoir un préjudice d’affection lié à la perte brutale et définitive de tout lien avec leur nièces et cousine.
La SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 22 juillet 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2022, et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 24 février 2022.
A l’issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 28 avril 2022 par mise à disposition au greffe.
Prétentions et moyens des parties :
La SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED, appelante, demande à la Cour au terme de sa requête d’appel, de :
– Infirmer le jugement du 17 mai 2021 en ce qu’il a mis hors de cause la Compagnie AREAS DOMMAGES et condamné in solidum la compagnie QBE avec M. [N] à indemniser la totalité des préjudices moraux subis par les ayants-droit de la victime,
Statuant à nouveau,
– Dire et juger que les trois véhicules sont impliqués dans l’accident de la circulation survenu le 5 octobre 2013, à savoir celui de M. [N] [SU], celui de la commune de Taiarapu Ouest et celui de M. [HH] [AN],
– Dire que M. [SU] [N] devra supporter l’intégralité du dédommagement accordé aux ayants-droit de la victime,
– Dire et juger que les Compagnies QBE, assureur de la Commune de Taiarapu Ouest et AREAS DOMMAGES, assureur de M. [HH] [AN] devront supporter à part égale la moitié des dédommagements accordés aux ayants-droit de la victime,
– Débouter la société AREAS DOMMAGES et M. [HH] [AN] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– Dire et juger que l’indemnisation des préjudices moraux des ayants-droit de la victime pourra s’opérer dans les conditions suivantes :
‘Parents adoptifs de la victime Mme [D] [PC] épouse [V] et [HE] [PL] [V] : 3 000 000 FCP à chacun,
‘Parents biologiques de la victime Mme [PF] [H] [V] et M. [HK] [F] : 2 000 000 FCP à chacun,
– Débouter les autres requérants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– Statuer ce que de droit en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.
Elle explique que le procès-verbal de gendarmerie établit que M. [HH] [AN] qui circulait à bord de son véhicule derrière le bus de la commune de Taiarapu Ouest, voyant le véhicule de M. [N] venir sur lui, a alors accéléré pour l’éviter, permettant ainsi à ce dernier de percuter par la suite le piéton.
Elle en déduit l’implication du véhicule conduit par M. [AN] dans l’accident, l’absence de contact ne l’empêchant pas dès lors qu’il y a eu intervention, et par conséquent conformément à l’article 1er de la loi de 1985 expose que son assureur, AREAS DOMMAGES, est tenue de l’indemnisation.
Elle demande un partage, M. [N] devant être condamné à la totalité, les assureurs des deux véhicules impliqués mais non fautifs étant redevables chacun pour moitié.
Elle sollicite que soit faite la distinction entre parents adoptifs et parents biologiques pour l’indemnisation du préjudice moral et conteste l’indemnisation des membres de la famille résidant aux Tuamotu et à Tahiti, faute de preuve du lien d’affection particulier avec la victime.
Les consorts [V], [EP], [AB] et [B], intimés, par dernières conclusions régulièrement transmises le 16 septembre 2021, demandent à la Cour de :
– Statuer ce que de droit sur l’implication du véhicule conduit par M. [AN] dans l’accident du 5 octobre 2013,
– Confirmer le jugement,
Y ajoutant,
– Condamner les parties succombantes à payer aux consorts [V] la somme de 200 000 FCP au titre des frais irrépétibles d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Ils rappellent qu’en application de la loi de 1985 le piéton victime d’un accident de la circulation doit être indemnisé par les assureurs des véhicules impliqués dans l’accident, ce qui est le cas de manière incontestables du bus, les intimés s’en rapportant pour le véhicule de M. [AN].
Ils soulignent les préjudices constatés des parents adoptifs, attestés par certificats médicaux, et des parents biologiques, chez qui la victime vivait également.
Ils exposent également que la petite [X] passait ses vacances aux [Localité 32] où elle retrouvait sa famille comme le démontrent les photographies versées aux débats selon eux, la famille vivant à Tahiti ayant vu également grandir l’enfant, des photos fournies le démontrant également.
M. [HH] [AN] et la société AREAS DOMMAGES, intimés, par dernières conclusions régulièrement transmises le 21 décembre 2021, demandent à la cour de :
– Confirmer le jugement du 17 mai 2021 en ce qu’il a jugé que le véhicule que le véhicule conduit par M. [AN] doit être considéré comme non impliqué dans l’accident du 5 octobre 2013 et qu’en conséquence la compagnie AREAS DOMMAGES assureur de ce véhicule ne saurait être tenue à indemniser les dommages consécutifs,
– Débouter la société QBE INTERNATIONAL en toutes ses demandes à l’encontre de la compagnie AREAS DOMMAGES et de M. [HH] [AN] comme y étant tant irrecevables que mal fondées,
– Condamner la société QBE INTERNATIONAL à verser à M. [HH] [AN] et à la compagnie d’assurances AREAS DOMMAGES la somme de 339 000 FCP par application de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
– Statuer ce que de droit quant aux dépens.
Ils font valoir que si le piéton a été tué dans l’accident, ce n’est pas en raison de la présence du véhicule de M. [AN] mais en raison de son absence. Ils soulignent que pour qu’un véhicule soit considéré comme impliqué il faut que sa présence ait été nécessaire à la production du dommages, or si M. [AN] n’avait pas été sur les lieux l’accident serait survenu de la même manière.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d’appel des parties.
Motifs de la décision :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou à « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
Le droit à indemnisation des ayant-droits de la victime décédée n’est pas contesté, pas plus que la responsabilité de M. [SU] [N] conducteur du véhicule ayant percuté la jeune mineure et l’implication du bus assuré par la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED.
En revanche sont contestés l’implication du véhicule de M. [HH] [AN] et l’obligation d’indemnisation de son assureur AREAS DOMMAGES, la qualité d’ayants-droit de certaines parties et le montant de l’indemnisation des ayants-droit reconnus comme tels.
1. Sur l’implication du véhicule de [HH] [AN] et l’obligation indemnitaire d’AREAS DOMMAGES :
Il résulte de l’article 1er de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 que les dispositions de cette loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation s’appliquent aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.
Un véhicule doit être considéré comme impliqué dans l’accident dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation.
Il est constant que M. [SU] [N] a perdu le contrôle de son véhicule Chevrolet, percuté l’autocar Hyundai de la commune de Taiarapu Ouest, fait des têtes à queue, et percuté [X] [AB] causant son décès. L’implication de ces deux véhicules n’est pas contestable au sens de la loi susvisée, pas plus que la responsabilité de M. [N] et la contribution à l’indemnisation de l’assureur de l’autocar, la SA QBE INSURANCE.
Cette dernière souligne les termes de l’audition de M. [HH] [AN], conducteur d’un troisième véhicule, pour prétendre que son véhicule doit être considéré comme impliqué dans l’accident également.
Il résulte du procès-verbal d’audition de témoin de M. [AN] en date du 6 octobre 2013 (pièce n°1 de l’appelante : enquête de flagrance BTA TARAVAO PV n° 2096/2013) que celui-ci a indiqué : «Je circulais à bord de ma voiture accompagné de mon épouse [E] [M]. Nous circulions dans le sens TARAVAO – VAIRAO. Devant nous, à environ 500 mètres, il y avait un bus. Nous étions plus exactement à hauteur du magasin [W] lorsque j’ai vu le bus s’arrêter sur le parking du petit centre commercial, une jeune fille en est descendue puis le bus est reparti. Arrivé devant un marchand de légumes, j’ai vu le bus faire un écart sur la droite et ralentir devant un arrêt de bus juste à côté l’église des témoins de Jéhovah. Au même instant, j’ai aperçu un véhicule noire sortir du virage dans le sens VAIRAO – TARAVAO. La voiture était largement sur notre voie
de circulation. J’ai vu le chauffeur de la voiture noire accolé sur sa portière, je voyais clairement qu’il tentait de remettre sa voiture sur sa voie mais il filait tellement vite que c’était trop tard. II a percuté de plein fouet l’arrière du bus, il a été projeté sur le côté gauche vers le magasin de DVD puis il est revenu à nouveau sur sa voie et j’ai vu la voiture tourné sur elle même. Ma femme a crié “accélère !”, j’ai accéléré du mieux que j’ai pu car je voyais que la voiture allait nous percuter mais par chance, la voiture est passé à ras de l’arrière de notre voiture sans nous toucher. J’ai levé les yeux pour regarder dans mon rétroviseur et c’est là que j’ai vu la voiture sur le bas côté à droite dans l’herbe. Je n’ai pas vu si il avait percuté quelqu’un ce n’est qu’après j’ai entendu les gens crier il a écrasé une jeune fille qui venait de descendre du bus.»
L’appelante fait valoir que l’absence de contact n’exclut pas nécessairement l’implication et déduit de cette audition que l’accélération de M. [AN] lui a permis d’éviter le contact avec le véhicule de M. [N], permettant à celui-ci de poursuivre sa route et de percuter la victime.
Or, d’une part, aucun des éléments de l’enquête, pas plus que cette audition ne permet de tirer cette conclusion, puisque les protagonistes et témoins de la scène n’ont pas pu dire à quel moment la piétonne victime avait été percutée, seul le résultat, soit le corps retrouvé sous le véhicule de M. [N] immobilisé sur le bas-côté, étant constant, tout comme la perte de contrôle de ce véhicule et sa percussion avec l’autocar.
D’autre part, il apparaît constant que le comportement de conduite de M. [AN] n’a pas eu d’influence sur celui de M. [N] ou de l’autocar, le premier ayant déjà percuté le second, et étant déjà hors contrôle avant de percuter la victime.
Par conséquent, en raison de l’absence de contact, de l’absence de rôle même hypothétique dans la survenance du dommage, et de l’absence d’influence sur le déroulement de l’accident, le véhicule de M. [HH] [AN] ne peut être considéré comme impliqué dans l’accident, et c’est à juste titre que le tribunal, qui est parvenu à la même conclusion, a mis hors de cause celui-ci et son assureur, déboutant de ce fait la SA QBE INSURANCE de sa demande de partage de l’indemnisation des préjudices, de sorte que la décision doit être confirmée de ce chef.
2. Sur le droit à indemnisation et l’indemnisation des préjudices des ayants-droit :
Aux termes de l’article 3 de la loi susvisée : «Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident
Les victimes désignées à l’alinéa précédent, lorsqu’elles sont âgées de moins de seize ans ou de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 p. 100, sont, dans tous les cas, indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis.
Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi.»
Aux termes de l’article 6 de cette même loi : «Le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages.»
Ainsi que le tribunal l’a relevé, sans contestation de l’appelant, l’ensemble des consorts [V], [EP], [AB] et [B] établissent un lien de parenté avec la victime.
L’intimée souhaite qu’une distinction soit opérée entre l’indemnisation des parents adoptifs et celle des parents biologiques, la victime ne vivant pas chez ces derniers.
Cependant, cette assertion est combattue par les intimés qui apportent la preuve des liens persistants des parents biologiques avec [X].
Au regard des certificats médicaux versés ainsi que des photographies, l’égale indemnisation de Mme [D] [V], M. [HE] [V], Mme [PF] [V] et M. [HK] [AB] à hauteur de 3 400 000 FCP est justifiée et le jugement doit être confirmé sur ce point.
Pour l’ensemble des autres membres de la famille, l’intimée sollicite que leurs demandes soient rejetées, faute de démonstration de leur préjudice d’affection.
Cependant, outre les liens de parenté directs de [DI] [SX] adoptée [V], de [JZ] [MN] [KC] et de [I] [B], s’urs de la victime, et de [EM] [PI] épouse [V], sa grand-mère et de [DL] [V], son grand-père, les nombreuses photographies versées aux débats, permet de constater la place importante d'[X] auprès de ceux-ci et de ses tantes, [MK] [V] veuve [EP] et [U] [V], ses oncles [PI] [V], [L] [V] et [V] [V], ainsi que ses cousines, [MR] [EP], [JW] [EP] épouse [YG], [TD] [EP] et [Z] [EP], ses cousins [I] [P] [EP], [C] [S] [EP], [Y] [YD] [V] et [TA] [V].
En effet, elles attestent des réunions de famille et moments de loisirs entre la défunte et chacun de ses proches, démonstration suffisante du lien qui les unissait et du préjudice d’affection consécutif à son décès, qui a conduit à juste titre le tribunal à évaluer l’indemnisation de celui-ci à 1 000 000 FCP pour chacun des grands parents et des membres de la fratrie adoptive, et de 180 000 FCP pour chacun des oncles, tantes, cousins et cousines.
3. Sur les frais et dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent de confirmer les décisions du tribunal sur les condamnations au titre des frais non compris dans les dépens et de condamner pour ces frais en appel la
SA QBE INTERNATIONAL à payer aux consorts [V], [EP], [AB] et [B] pris ensemble la somme globale de 200 000 FCP et à M. [HH] [AN] et la société AREAS DOMMAGES la somme de 339 000 FCP par application de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Les dépens de première instance ont été justement mis à la charge de des parties qui ont succombé et la décision en ce sens sera confirmée et les dépens d’appel seront supportés par la SAS QBE INSURANCE qui succombe conformément aux dispositions de l’article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG 19/00242 date du 17 mai 2021 du tribunal civil de première instance de Papeete ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED à payer à Mme [PF], [H] [V], Mme [D] [PC] épouse [V], M. [HE], [PL] [V], Mme [MR], [A] [EP], Mme [MK] [V] veuve [EP], Mme [EM] [PI] épouse [V], Mme [DI], [K] [SX] adoptée [V], M. [DL] [V], Mme [U], [T] [V], M. [PI] [V], M. [L], [J] [V], M. [L] [V], ès qualité de représentant légal de la mineure [Y], [YD] [V], Mme [JW], [DL] [EP] épouse [YG], M. [I], [P] [EP], M. [C], [S] [EP], M. [TA] [V], Mme [PF] [V], ès qualité de représentante légale de la mineure [JZ], [MN] [KC], M. [V] [V], Mme [TD], [ET] [EP], M. [HK], [O] [AB], Mme [Z], [R] [EP] et Mme [I], [G] [B] pris ensemble la somme globale de 200 000 FCP (deux cent mille francs pacifique) pour leurs frais d’appel non compris dans les dépens au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
CONDAMNE la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED à payer à M. [HH] [AN] et la société AREAS DOMMAGES pris ensemble la somme globale de 339 000 FCP pour leurs frais d’appel non compris dans les dépens au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
DEBOUTE la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED de ses demandes ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la SA QBE INSURANCE (INTERNATIONAL) LIMITED aux dépens d’appel.
Prononcé à Papeete, le 28 avril 2022.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : K. SEKKAKI